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Full text of "Revue des études juives 1889"

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REVUE 


DES 


ÉTUDES    JUIVES 


VERSAILLES 

CERF     ET    FILS,     IMPRIMEURS 
59.   RUE    DUPLESSIS,    59 


Viôrf^    REVUE 


DES 


ÉTUDES  JUIVES 


PUBLICATION  TRIMESTRIELLE 
DE  LA  SOCIÉTÉ  DES  ÉTUDES  JUIVES 


TOME  DIX-NEUVIEME 


PARIS 

A    LA  LIBRAIRIE   A.    DURLACHER 

1889  Ar2* 


83  bis,  RUE  LAFAYETTE  „   \**\€> 


IOI 

t.lS 


RECHERCHES  BIBLIQUES 


XVI 


LE   PSAUME  LXVIII. 


Le  livre  des  Psaumes  est  regardé  avec  raison  comme  un  des 
moins  satisfaisants  des  écrits  bibliques  au  point  de  vue  de  la 
correction  textuelle,  et  le  psaume  lxviii  est  généralement  placé 
à  la  tête  des  textes  les  plus  altérés  et  les  plus  disloqués  de  ce 
livre.  Une  nouvelle  recherche  sur  un  sujet  aussi  ardu  ne  risque 
donc  pas  de  paraître  superflue.  Telle  est  la  considération  qui 
m'a  engagé  à  donner  suite  à  la  tentative  présente,  faite  indépen- 
damment de  tous  les  travaux  analogues  qui  ont  vu  le  jour  dans 
les  derniers  temps  soit  en  France,  soit  à  rétranger,  et  que  je  n'ai 
jamais  eus  sous  les  yeux.  Ainsi  avertis,  les  lecteurs  de  cet  essai 
voudront  bien  remédier  eux-mêmes  au  manque  de  citations,  en  le 
comparant  aux  traductions  données  dans  les  ouvrages  de  mes 
prédécesseurs,  auxquels  ils  attribueront  naturellement  la  priorité 
dans  tous  les  cas  où  nos  vues  seraient  d'accord.  Ma  seule  ambi- 
tion est  de  comprendre  l'auteur  et  de  contribuer  autant  qu'il  m'est 
possible  à  la  fixation  de  la  date  du  poème.  Tant  mieux  si  d'autres 
sont  parvenus  au  même  résultat  avant  moi  ;  mes  conclusions  en 
seront  d'autant  plus  certaines. 

Triple  division  du  psaume» 

La  plus  légère  attention  fait  voir  dans  le  psaume  lxviii  trois 
divisions  bien  distinctes,  sans  compter  le  premier  verset,  quia 
été  ajouté  très  tardivement  à  titre  de  suscription,  comme  c'est 
le  cas  de  la  majorité  des  psaumes.  Ces  divisions  sont  :  le  prologue, 
l'épilogue  et  la  partie  moyenne. 

T.  XIX,  n°  37.  1 


2  REVUE  DES  ETUDES  JUIVES 

Le  prologue  forme  un  passage  continu,  d'une  clarté  parfaite  : 
versets  2  à  7.  Demande  à  Dieu  d'anéantir  les  ennemis  pervers  qui 
sont  en  voie  d'envahir  la  Judée  (v.  2  et  3).  Cet  acte  de  suprême 
justice  comblera  de  joie  les  justes  (v.  4  et  5),  qui  y  verront  la 
preuve  matérielle  que  Dieu  a  soin  des  faibles  et  des  déshérités  de 
la  terre  (v.  6),  qu'il  procure  un  domicile  aux  abandonnés,  délivre 
les  captifs,  et  qu'il  n'est  sévère  que  pour  les  impies  (v.  7). 

L'épilogue  forme  également  un  passage  continu,  mais  le  sens 
y  est  beaucoup  moins  clair,  à  cause  de  quelques  mots  obscurs  et 
de  formes  évidemment  incorrectes  qui  s'y  sont  glissés  :  versets 
29  à  36.  Demande  à  Dieu  de  renouveler  les  actes  de  vigueur  de 
l'antiquité  (v.  29),  ce  qui  forcera  les  rois  à  lui  rendre  hommage 
(v.  30);  spécification  précise  des  ennemis  contre  lesquels  Dieu 
doit  sévir  (v.  31)  et  des  rois  dont  on  attend  les  hommages  (v.  32)  ; 
appel  aux  autres  royaumes  de  la  terre  à  célébrer  ensemble  la 
victoire  accordée  à  Israël  (v.  33  à  36). 

La  partie  moyenne  contient  la  majeure  partie  du  psaume  :  ver- 
sets 8  à  28.  L'esprit  de  continuité  y  fait  entièrement  défaut,  mais 
on  remarque  que  quelques  versets  se  relient  entre  eux  pour  for- 
mer de  petits  groupes  isolés  qui  se  suivent  dans  un  désordre  vi- 
sible. On  sent  que  cette  regrettable  dislocation  est  due  à  l'insou- 
ciance des  scribes,  et  l'on  se  met  à  espérer  qu'en  modifiant  la 
disposition  actuelle  des  groupes,  on  pourrait  remédier  au  mal  et 
rétablir  l'harmonie  primitive  du  poème.  Les  remarques  suivantes 
s'efforceront  d'atteindre  ce  but.  Chaque  groupe  de  la  III*  division 
y  est  désigné  par  une  lettre  de  l'alphabet  en  guise  de  numéro 
d'ordre. 

III  a  se  compose  des  versets   8  et  9. 

Iïl  d  »  »  10  et  11. 

•     III  c  ».  »  12,  13,14. 

Le  verset  15  ne  montre  aucun  lien  avec  les  versets  envi- 
ronnants. 

III  cl  se  compose  des  versets  16  et  17. 

III  e  »  »  18  et  19. 

III  f  »  )>  20  et  21. 

III  g  »  »  22,  23  et  24,  mais  v.  24  se  rat- 

tache plus  étroitement  à  v.  22. 

III  h  *  »  25,  26,  27  et  28,  mais  ce  dernier 

se  rattache  mieux  à  v.  25. 

Voilà  l'état  actuel  du  texte,  le  décousu  est  trop  flagrant  pour 


RECHERCHES  BIBLIQUES  3 

l'attribuer  à  l'auteur,  qui  a  mis  un  ordre  remarquable  dans  les 
passages  formant  les  deux  autres  divisions  du  psaume.  Faut- il 
l'attribuer  à  des  interpolations  réitérées  de  versets  hétéroclites? 
C'est  peu  vraisemblable.  On  ne  saurait  recourir  à  ces  sortes 
d'hypothèses  qu'au  seul  cas  où  le  rétablissement  d'un  texte  intel- 
ligible serait  d'une  impossibilité  absolue.  Heureusement  nous 
n'en  sommes  pas  encore  à  cette  extrémité. 

Quadruple  subdivision  de  la  partie  moyenne. 

Une  longue  réflexion  sur  cette  partie  du  psaume  m'a  fait  acquérir 
la  conviction  que  le  poète  entend  parler  de  trois  montagnes  diffé- 
rentes qu'il  envisage  comme  le  théâtre  de  trois  événements  faisant 
époque  dans  l'histoire  d'Israël,  savoir  :  le  Sinaï,  mentionné  dans 
III  a  et  III  e  ;  le  mont  ïifcbst,  nommé  au  verset  15  et  qui  revient  dans 
III  cZ  sous  la  désignation  de  ïça  ntt,  «  mont  de  Basan  l  »  ;  le  mont 
d'Élohim,  d^K  "iîi,  qui  est  sans  aucun  doute  le  mont  Sion,  c'est- 
à-dire  Jérusalem,  ville  expressément  nommée  au  verset  30  et  indi- 
quée par  le  terme  général  ^nbrti,  «  ton  héritage  »,  au  verset  10.  En 
rangeant  dans  un  ordre  convenable  les  groupes  et  les  versets  qui 
racontent  les  choses  relatives  à  chacune  de  ces  montagnes,  l'ordre 
de  l'ensemble  se  rétablira  de  lui-même  et  l'ancienne  obscurité 
fera  place  à  une  clarté  parfaite. 

Les  versets  relatifs  au  Sinaï  sont  très  faciles  à  grouper  en  un 
passage  bien  arrondi.  On  n'a  qu'à  réunir  III  a  et  III  e  ;  l'ensemble 
donne  un  sens  des  plus  satisfaisants.  Les  points  que  le  poète  y 
décrit  sont  les  suivants  :  marche  delà  divinité  dans  le  désert  (v.  8), 
terreur  du  monde  et  du  Sinaï  (v.  9),  les  chars  divins  avec  leur 
cortège  (v.  18),  ascension  et  triomphe  de  la  divinité  (v.  19).  La 
scène  décrite  est  d'un  ordre  purement  guerrier. 

La  scène  du  Çalmon  a  les  mêmes  allures  belliqueuses,  mais  le 
peuple  de  Dieu,  Israël,  y  intervient  comme  triomphateur  recon- 
naissant. L'épisode  est  introduit  par  le  verset  15,  dont  le  début  : 
Lpsbto  ^125  U)n&3,  forme  un  beau  parallèle  avec  le  début  du  passage 
précédent,  ^ns  iaDb  "inN^n.  A  cette  introduction  du  verset  15  se 
rattachent,  on  ne  peut  mieux,  les  quatre  versets  de  III  h  dans 
l'ordre  établi  ci-devant.  L'objet  de  la  description  est  :  défaite  des 
rois  sur  le  Çalmon  (v.  15),  apparition  des  légions  divines  devant  le 
peuple  (v.  25),  défaite  de  l'ennemi  par  les  tribus  israélites  (v.  28), 
célébration  de  la  victoire  (v.  26),  actions  de  grâce  (v.  27). 

1  On  sait  que  le  mont  Hermon  forme  la  limite  septentrionale  du  pays  de  Basan 
(Deutéronome,  m,  8). 


4  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

Les  scènes  qui  précèdent  appartiennent  à  la  haute  antiquité 
d'Israël  ;  celle  qui  se  joue  sur  le  Sion  et  à  Jérusalem  est  contem- 
poraine du  poète.  Le  présent  n'est  pas  brillant.  Le  pays,  s'at- 
tendant  à  une  invasion  imminente,  est  affligé  d'une  sécheresse 
extrême,  et,  par  suite,  menacé  d'une  terrible  famine,  mais  le  psal- 
miste  espère  que  ces  calamités  passeront  bientôt.  Convaincu  que 
la  «  montagne  de  Dieu  »  vaut  bien  la  montagne  de  Basan  (III  d  ou 
v.  16  et  17),  il  passe  au  plus  pressé  et  demande  une  pluie  fertili- 
sante pour  réconforter  le  sol  (v.  10)  et  l'humble  bestiole  qui  y  ha- 
bite (v.  11).  Sa  foi  est  si  robuste  qu'il  se  répand  aussitôt  en  expres- 
sions de  reconnaissance  envers  Dieu  (III  /"ou  versets  20  et  21). 

Après  avoir  écarté  la  crainte  de  la  famine,  le  psalmiste,  quelque 
peu  prophète,  cherche  à  prévoir  les  suites  de  l'invasion  imminente 
qui  menace  l'existence  de  la  nation.  Le  pressentiment  du  danger 
a  délié  la  langue  des  prophètes  et  surtout  des  prophétesses,  ils  pro- 
clament des  événements  terrifiants  qui  doivent  se  passer  à  l'ar- 
rivée de  l'immense  armée  ennemie.  Le  psalmiste  coupe  court  à  leur 
clameur  en  leur  opposant  un  oracle  récent  (v.  13)  qui  annonce,  non 
seulement  que  les  envahisseurs  seront  repoussés  et  dépouillés 
(v.  14)  par  le  peuple  de  Dieu  devenu  invincible  (v.  15),  mais  que 
l'écrasement  parfait  des  ennemis  (v.  22  et  24)  produira  cet  heureux 
résultat  de  faire  revenir  ceux  qui  avaient  été  violemment  arrachés 
de  leur  patrie  (v.  23).  Ces  versets,  il  est  facile  de  le  voir,  affir- 
ment simplement  que  la  prière  contenue  dans  la  première  partie 
du  psaume  sera  exaucée,  circonstance  qui  atteste  l'authenticité  de 
la  partie  moyenne  du  psaume. 

Grâce  à  cette  mise  en  place  des  groupes  ou  des  versets  disloqués, 
la  marche  des  idées  se  déroule  d'une  façon  naturelle  et  logique, 
et  l'ensemble  du  poème  acquiert  une  unité  harmonieuse. 

Critique  verbale  du  texte. 

Nous  pouvons  maintenant  passer  à  l'examen  des  mots  ou  des 
formes  difficiles  qui  pullulent  dans  notre  texte  et  qui  rendent  par- 
fois obscurs  des  passages  entiers.  Je  citerai  les  versets  suivant 
l'ordre  traditionnel  des  éditions  massorétiques. 

Verset  2.  La  forme  de  la  deuxième  personne,  sfttfi,  n'est  guère 
satisfaisante;  il  vaut  mieux  lire  sienaiT»,  d'après  les  Septante  et  la 
Vulgate. 

Verset  10.  Les  mots  inintelligibles  fiabai  ^nbro  doivent  se  rétablir 
ïrabs  "Td  ^nbm,  <c  quand  ton  héritage  languit  ».  Le  scribe  massoré- 
tique  a  oublié  l'un  des  deux  s  du  groupe  et  confondu  i  avec  i. 


RECHERCHES  BIBLIQUES  5 

Verset  13.  rna  rvg*  n'a  aucun  sens,  puisque  mu  est  «  demeure  », 
et  non  «  celle  qui  demeure  ».  La  traduction  «  la  belle  de  la 
maison  »  est  peu  conforme  à  l'usage.  L'image  de  la  colombe  qui 
figure  dans  le  verset  suivant  donne  à  penser  que  la  lecture  exacte 
est  n?s  P5i'vi,  la  colombe  de  la  maison  ». 

Verset  14.  dwrç,  «  pierres  de  l'abattoir  »  (Ézéchiel,  xl,  43). 

Verset  15.  La  corruption  des  mots  Jàbata  abiDri  m  est  évidente. 
Il  faut  corriger  ■pttbitsi  abçn  iris,  «  sur  le  mont  de  neige,  sur 
le  Çalmon  ».  Le  mont  de  neige  est  le  ajbn  nrû  du  Targum,  c'est-à- 
dire  l'ancien  Hermon,  le  Gebel-el-Sheikh  de  nos  jours.  Le  nom  ïifcbtt, 
avec  l'article,  "pïïb&ïi,  se  trouve  aussi  chez  Ptolémée  sous  la  forme 
de  'Aad^txavoç,  altérés  dans  nos  éditions  en  'A^âSa^  ou  AW^apoç. 

Verset  18.  Le  raphé  de  tn  semble  indiquer  que  les  massorètes 
hésitaient  entre  la  leçon  i^n  et  celle  de  StïîT». 

Verset  22.  Le  mot  *\$b  sera  traité  à  part  plus  loin. 

Verset  23.  Le  Basan  avec  ses  taureaux  sauvages  (Psaume 
xxn,  13)  figure  le  péril  inéluctable,  les  profondeurs  de  la  mer,  la 
mort  certaine. 

Verset  24.  ytvz  a  le  double  sens  de  frapper  et  d'agiter,  cf.  l'arabe 
yro  et  yrâ. 

arma».  Comme  la  construction  •n  yni2  n'est  guère  vraisem- 
blable, il  faut  restituer  tr^iN  û^n.  La  chute  des  lettres  la  a 
été  causée  par  les  finales  similaires  du  mot  précédent  ipnbs. 

SIÏ1353.  Le  suffixe  singulier  se  rapporte  à  l'énigmatique  i^u)  du 
verset  précédent  :  «  qui  viennent  de  lui,  de  sa  part,  à  sa  suite.  » 

Verset  25.  nï^brr,  «  démarches  »,  a  ici  le  sens  concret  de  «  cor- 
tège ». 

Verset  2*7.  Au  lieu  de  TipfcE  ^na,  qui  ne  donne  aucun  sens  satis- 
faisant, il  faut  lire  ï-np»  tnçA»,  «  Élohim,  espérance  (d'Israël)  ». 

Verset  28.  DTi  =  unis  î-nh ,  «  serra  de  près  (les  ennemis),  les 
abattit  »  (Lamentations,  1,  13). 

Sous  brwayi,  «  leur  lapidation  »,  on  doit  entendre  le  lancement 
des  flèches. 

Verset  29.  Lire,  avec  les  Septante,  û^lnbN  Srns  ,  au  lieu  de  sriat 
"■pttba,  et^w  au  lieu  de  îiw. 

Verset  30.  Le  12  de  ^b^rtE  marque  la  direction,  la  tendance  : 
«  du  côté  de,  vers  »  (Genèse,  xm,  11). 

Verset  31.  L'expression  ttjp  rwi  sera  discutée  plus  loin  conjoin- 
tement à  iib. 

La  leçon  û'w  "b^n  n'offrant  rien  de  satisfaisant,  je  pense  qu'il 


6  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

faut  lire  trte?  ^??w,  «  les  plus  souillés  des  peuples  ».  Le  prophète 
Nalium  applique  l'épithète  Fïbçiû,«  souillée  »,  à  Ninive,  mais  l'ortho- 
graphe avec  a  au  lieu  de  3>  est  moins  bonne. 

osnntt,  au  propre  «  qui  foule  au  pied  »,  signifie  au  figuré  «  re- 
jeter, dédaigner  ». 

CjOb^i  C(  sommes  d'argent  »  (cf.  mischnique  m*»  n^itt),  dé- 
signe les  rançons  que  les  peuples  vaincus  paient  pour  conserver 
leur  vie. 

?rta  doit  être  corrigé  en  *i-T|,  a  disperse  »  ;  l'impératif  est  néces- 
saire à  cause  de  •w. 


i-ïïp  rm  et  nsna. 

Les  ennemis  contre  lesquels  le  psalmiste  demande  secours  à 
Dieu  pour  son  peuple  sont  indiqués  au  verset  22  par  le  mot  que 
la  massore  lit  l^b  et  qui  n'a  que  la  signification  de  «  cheveu  », 
mais  on  sent  combien  une  phrase  telle  que  :  «  Dieu  brisera  le  crâne 
de  cheveux  qui  persistent  dans  des  crimes  »,  est  peu  vraisemblable 
sous  la  plume  du  poète  sublime  à  qui  nous  devons  le  psaume.  Même 
en  considérant,  contre  la  massore,  comme  étant  en  connexion  d'état 
construit  avec  ^hnnft,  «  le  crâne  de  cheveux  de  celui  qui  persiste 
dans  ses  crimes  »,  on  n'échappe  pas  à  de  sérieuses  difficultés;  entre 
autres,  celles  qui  résultent  du  changement  subit  du  nombre  et  du 
caractère  parasite  et  encombrant  du  mot  n^o  ;  l'expression  sim- 
ple :  le  crâne  de  celui  qui,  etc.,  conviendrait  beaucoup  mieux, 
puisque  la  pousse  des  cheveux  sur  la  tête  est  commune  à  tous  les 
êtres  humains  et  même  aux  animaux.  Il  n'y  a  que  deux  moyens 
d'obvier  à  ces  difficultés  :  ou  corriger  i3>ia  en  smbi  et  traduire  «  le 

T    ••  T      T 

crâne  de  l'impie  »,  ou  bien  regarder  le  mot  n^©,  non  comme  un 
nom  commun,  mais  comme  un  nom  propre,  notamment  comme 
le  nom  de  la  nation  ennemie  dont  l'auteur  prévoit  l'anéantisse- 
ment. La  première  conjecture,  bien  qu'elle  se  recommande  par  sa 
grande  simplicité,  me  parait  peu  apte  à  expliquer  la  cause  de  l'al- 
tération, car  le  mot  3*12*1  est  trop  élémentaire  pour  qu'un  scribe, 
quelque  ignorant  qu'il  fût,  eût  pu  le  remplacer  par  un  mot  plus 
ambigu.  La  seconde  conjecture,  au  contraire,  semble  mieux  ex- 
pliquer la  cause  de  l'erreur  et  présenter  en  même  temps  cet  avan- 
tage de  laisser  intacte  l'ordonnance  des  lettres. 

Conduit  sur  ce  nouveau  terrain,  on  est  tout  d'abord  tenté  de  lire 
nsMa,  et  d'y  voir,  conformément  à  la  synonymie  classique  de  Wto 
et  fiiTR  (Genèse,  xxxn,  4,  xxxvi,  8,  10),  la  nation  des  Iduméens, 


RECHERCHES  BIBLIQUES  7 

qui,  malgré  sa  parenté  étroite,  était  resté  l'ennemi  le  plus  acharné 
d'Israël  jusqu'au  jour  de  sa  conversion,  qui  lui  a  été  imposée 
de  force  par  les  Macchabées.  Toutefois,  cette  idée  ne  se  soutient 
pas  après  quelque  réflexion.  Les  Iduméens  n'ont  jamais  formé  une 
puissance  assez  forte  pour  mettre  en  danger  à  eux  seuls  l'existence 
d'Israël.  Les  poètes  de  tous  les  temps  sont  pleins  d'indignation  au 
sujet  des  cruautés  excessives  dont  les  Iduméens  se  rendaient 
coupables  à  l'égard'  d'Israël,  peuple  frère,  mais  l'histoire  n'a 
connaissance  d'aucune  invasion  iduméenne  en  Palestine  qui  fût  de 
nature  à  menacer  l'existence  de  Jérusalem  et  du  temple.  Pendant 
le  règne  troublé  de  Joram,  fils  de  Josaphat,  roi  de  Juda,  une 
bande  armée  d'Arabes  pénétra  dans  Jérusalem,  pilla  le  palais  et 
enleva  en  guise  d'otages  les  fils  et  les  femmes  du  roi  (Chroniques, 
II,  xxi,  16,  17;  xxn,  1),  mais  ces  Arabes  venaient  du  sud  de  la 
Philistée  et  n'étaient  pas  des  Iduméens.  Il  est,  du  reste,  tout  à  fait 
impossible  de  rattacher  l'objet  de  notre  psaume  à  l'événement 
dont  il  s'agit,  qui  était  tout  passager  et  ne  concernait  qu'un  roi 
antipathique  aux  prophètes.  De  plus,  s'il  s'agissait  des  Iduméens, 
le  poète  n'aurait  pas  manqué  d'insister  sur  la  rupture,  de  leur  part, 
des  liens  fraternels  qui  devaient  les  rattacher  à  Israël  (Amos,  i,  9). 
En  un  mot,  tout  dans  notre  psaume  est  défavorable  à  l'idée  que 
les  ennemis  y  mentionnés  aient  été  les  Iduméens,  et  nous  sommes 
obligés  de  chercher  une  autre  nation  sous  le  mot  n^tt. 

La  lumière  nous  viendra  peut-être  de  l'autre  épithète  que  le  poète 
applique  aux  ennemis  d'Israël  au  verset  31,  savoir  :  mp  mn,  «  bête 
des  roseaux  ».  Dans  l'Asie  antérieure,  deux  pays  seulement  étaient 
célèbres  pour  leur  richesse  en  plantes  arundinacées  :  l'Egypte  et 
la  Chaldée.  Le  premier  possédait  et  exploitait,  pour  divers  usages, 
les  tiges  du  papyrus,  soit  pour  en  tirer  des  rouleaux  à  écrire,  soit 
pour  en  fabriquer  des  barques  légères  en  vue  de  la  navigation 
fluviale.  En  Chaldée,  les  roseaux  abondaient  dans  les  vastes 
marais  que  traverse  l'Euphrate,  au  point  d'y  former  d'épaisses 
forêts,  et  servaient  principalement,  en  même  temps  que  les  bri- 
ques, comme  matériaux  de  construction.  Mais  l'embarras  du  choix 
ne  se  manifeste  pas  dans  le  cas  présent.  Pour  notre  psalmiste, 
l'Egypte,  loin  d'être  l'ennemi  dont  il  souhaite  la  perte,  est,  au 
contraire,  chaudement  appelée  et  impatiemment  attendue  pour  se 
rallier  à  Dieu  (v.  32).  Bon  gré  mal  gré,  l'expression  ttsp  mn  ne 
peut  viser  que  la  Chaldée.  Mais  quel  est  l'animal  désigné  par  «  bête 
des  roseaux?  »  Ce  n'est  certainement  ni  le  crocodile,  ni  l'hippo- 
potame ;  ces  amphibies  n'appartiennent  pas  à  la  faune  de  la  Baby- 
lonie  ;  ce  ne  peut  être  que  le  sanglier.  La  dernière  ombre  de  doute 
sur  cette  interprétation  disparaît  en  comparant  l'expression  tout 


8  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

à  fait  limpide  de  Psaumes,  lxxx,  14,  où  les  envahisseurs  sont 
appelés  *\9*n  Ttn,  «  porc  de  forêt  ».  Même  sans  le  témoignage  de 
ce  verset,  l'identification  que  nous  suggérons  s'impose  par  le  nom 
assyrien  du  sanglier  :  slialiu  sfia  qane,  littéralement  :  «  porc  des 
roseaux.  »  C'est  aussi  cet  animal  impur  qui  est  sans  doute  désigné 
dans  la  prière  du  Psaume,  lxxiv,  19  :  ^rnin  ^sp  n*nb  fëin  ba 
«  ne  livre  pas  au  fauve  la  vie  de  ta  tourterelle  (cf.  la  «  colombe  » 
de  notre  psaume)  »,  bien  que  le  mot  ïiip  ou  *\y*  y  soit  supprimé. 
En  face  de  ce  fauve  sauvage  et  malfaisant,  se  place  admirablement 
l'épittiète  d'Israël,  Jjnjn,  «  ta  bestiole  »,  l'animalcule  consacré  à  toi, 
Dieu,  et  que  tu  chéris  tout  particulièrement. 

Maintenant,  étant  donné  que  l'ennemi  visé  par  le  poète  est  la 
Babylonie,  il  devient  inéluctable  de  rapporter  à  ce  dernier  pays 
le  mot  énigmatique  ~\yû  du  verset  22  ;  mais  alors  la  solution  de 
l'énigme  se  présente  aussitôt  à  l'esprit,  grâce  à  la  légère  correction 
de  ivb  en  ^siâ,  Sennaar,  et  on  obtient  ainsi  le  nom  hébreu  usuel 
de  l'ensemble  de  la  Babylonie.  Je  dois  cependant  faire  remarquer 
que,  quand  même  on  préférerait  la  correction  anon  discutée  plus 
haut,  l'ennemi  auquel  le  poète  fait  allusion  serait  toujours  la  Ba- 
bylonie. 

Traduction  dit  psaume. 

Après  la  discussion  précédente  concernant  l'agencement  des 
versets  et  le  sens  des  mots  difficiles  ou  altérés,  nous  faisons 
suivre  ci-dessous  la  traduction  du  poème  d'après  l'ordonnance 
établie  plus  haut.  Néanmoins,  nous  indiquerons  les  numéros 
d'ordre  des  versets  d'après  le  texte  massorétique,  afin  d'en  faci- 
liter la  comparaison  aux  lecteurs  de  l'original. 

2  Qu'Élohim  se  lève, 

Que  ses  ennemis  se  dispersent, 

Et  que  ses  adversaires  disparaissent  de  sa  présence  I 

3  Comme  la  fumée  qui  est  chassée, 
Ainsi  soient-ils  chassés  ; 
Comme  la  cire  qui  fond  au  feu, 

Ainsi  périssent  les  impies  devant  Élohim  ! 

4  Mais  que  les  justes  se  réjouissent, 
Qu'ils  exultent  en  présence  d'Élohim, 
Et  que  leur  joie  soit  complète  ! 

5  Chantez  en  l'honneur  d'Élohim, 
Psalmodiez  en  son  nom, 


RECHERCHES  BIBLIQUES 

Exaltez  celui  qui  chevauche  sur  l'Empyrée, 

Son  nom  est  Iâh  ; 

Manifestez  votre^oie  en  sa  présence  : 

6  «  Élohim,  qui  trône  dans  sa  demeure  sainte, 
»  Est  le  père  des  orphelins, 

»  Le  défenseur  des  veuves. 

7  »  Élohim  donne  un  foyer  à  ceux  qui  sont  seuls  au  monde, 
»  Il  délivre  les  prisonniers  enchaînés  ; 

»  Les  impies  seuls  sont  plongés  dans  la  désolation.  » 

*** 

8  Élohim,  quand  tu  marchas  devant  ton  peuple, 
Quand  tu  t'avanças  dans  le  désert, 

9  La  terre  trembla,  les  cieux  distillèrent, 
Le  célèbre  Sinaï  (trembla) 

A  la  face  d'Élohim,  Dieu  d'Israël. 

48  (Alors  on  vit)  des  myriades  de  chars  d'Élohim, 
Accompagnés  de  milliers  d'anges, 

Et  toi,  Seigneur,  au  milieu  d'eux, 
Sur  le  Sinaï,  dans  le  lieu  le  plus  saint. 

49  En  montant  en  haut,  tu  fis  des  captifs; 
Tu  reçus  les  hommages  de  l'humanité  ; 
Les  rebelles  mêmes  durent  se  rallier  (à  toi), 
Iâh  Élohim  1 

*** 

45  Quand  (plus  tard),  ô  Tout-Puissant,  tu  brisas  les  rois 
Sur  le  mont  de  Neige,  sur  le  Çalmon, 

25  Us  virent  (de  nouveau)  tes  légions  en  marche,  ô  Élohim, 
Légions  dignes  de  toi,  mon  Dieu, 

Mon  roi,  qui  trônes  dans  le  lieu  le  plus  saint. 

28  Là,  Benjamin  le  cadet  abattit  (les  ennemis), 
Les  princes  de  Juda  leur  lancèrent  des  flèches, 
Et  les  princes  de  Zabulon  et  ceux  de  Nephtali. 

26  Alors  les  chantres  se  mirent  au  premier  rang, 
Les  musiciens  suivirent  de  près, 

Au  milieu  de  jeunes  femmes  jouant  du  tambourin. 

27  Tous  réunis,  ils  bénirent  Élohim, 
Élohim,  l'espérance  d'Israël. 


10  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 


16  La  montagne  d'Élohim  vaut  bien  la  montagne  de  Basan; 
0  monts  élevés  (et  toi)  montagne  de  Basan  ! 

47  Ne  regardez  pas  avec  mépris,  ô  monts  élevés, 
La  montagne  où  Élohim  aime  à  demeurer 
Et  où  Iahwé  demeurera  à  tout  jamais. 

10  Accorde-nous,  Élohim,  une  pluie  bienfaisante; 
Chaque  fois  que  ta  possession  languit, 
C'est  toi  qui  la  réconfortes. 

41  C'est  ta  bestiole  qui  y  habite; 

Procure  gracieusement  le  nécessaire 
A  celui  qui  en  est  privé,  ô  Élohim. 

20  Béni  soit  le  Seigneur, 

Jour  par  jour  il  prend  soin  de  nous; 
Dieu  est  notre  salut. 

21  Oui,  Dieu  est  pour  nous  un  Dieu  de  salut, 

Le  Seigneur  Élohim  tient  les  issues  par  lesquelles  on  échappe 

[à  la  mort. 


43  Le  Seigneur  vient  d'émettre  un  propos  : 

O  Daines  qui  annoncez  l'arrivée  d'une  grande  armée! 

14  «  Les  rois  des  armées  seront  repoussés,  repoussés, 
»  Et  la  colombe  de  la  maison  en  partagera  le  butin. 

45  »  Tandis  que  vous  (ô  guerriers)  serez  couchés  entre  les  pierres 

[de  l'abattoir, 
»  Les  ailes  de  la  colombe  conserveront  leur  éclat  argenté, 
»  Ses  ailerons,  leur  jaune  doré.  » 

22  Mais  Élohim  écrasera  la  tête  de  ses  ennemis, 

Le  crâne  de  Sennaar1  qui  persiste  dans  ses  crimes. 

21  De  sorte  que  ton  pied  s'agitera  dans  le  sang  ; 

Que  la  langue  de  tes  chiens  (se  débattra)  dans  le  sang 
Des  ennemis  venus  à  sa  suite. 

23  Le  Seigneur  a  dit  : 

«  Je  ferai  revenir  de  Basan  (ceux  qui  y  périssent), 
»  Je  les  ferai  revenir  des  profondeurs  de  la  mer.  » 

1  Ou  :  «  de  l'impie  ». 


RECHERCHES  BIBLIQUES  11 


**# 


29  Mande-nous,  Élohim,  ton  secours  puissant, 
Renouvelle  avec  force  ce  que  tu  as  jadis  fait  pour  nous. 

30  Vers  ton  palais  à  Jérusalem 

Les  rois  t'apporteront  des  présents. 

31  Traque  la  bête  des  roseaux,  la  horde  de  brutes, 
La  plus  souillée  des  nations, 

Qui  refuse  les  rançons  d'argent  ; 
Disperse  les  peuples  avides  de  carnage  ! 

32  Les  princes  d'Egypte  arriveront, 
L'Ethiopie  tendra  vite  ses  mains  vers  Élohim. 

33  Royaumes  de  la  terre,  chantez  en  l'honneur  d'Élohim, 
Psalmodiez  au  Seigneur, 

34  A  celui  qui  habite  au  sommet  des  cieux  éternels, 
Qui  est  prêt  à  faire  éclater  sa  foudre  puissante. 

35  Rendez  gloire  à  Élohim, 

Sa  magnificence  se  montre  sur  Israël 
Et  sa  toute-puissance  dans  les  cieux. 

36  Élohim,  tu  seras  redoutable  à  cause  de  tes  sanctuaires  ; 
Le  Dieu  d'Israël  donnera  au  peuple  une  victoire  glorieuse 
Qu'Élohim  soit  béni  ! 


Les  allusions  au  passé  d'Israël. 

Le  poème  dépeint  avec  des  couleurs  brillantes  deux  événements 
glorieux  de  la  haute  antiquité  qu'il  représente  comme  des  théo- 
phanies  ou  plutôt  comme  des  scènes  épiques  dont  Iahwé  est  le 
principal  héros. 

La  première  a  son  dénouement  sur  le  Sinaï  :  Dieu,  à  fa  tête  de 
son  peuple,  marche  dans  le  désert,  et,  après  avoir  répandu  dans  la 
nature  entière  la  crainte  et  le  tremblement  devant  sa  toute  puis- 
sance,  il  monte  sur  cette  montagne,  entouré  de  ses  chars  et  de  ses 
troupes  célestes,  pour  y  célébrer  son  triomphe,  en  faisant  défiler 
devant  lui  les  captifs  et  en  recevant  les  hommages  de  l'humanité. 
Ce  serait  trop  abuser  du  bon  sens  que  de  s'imaginer  que  le  poète 
fait  allusion  à  un  événement  inconnu  dans  l'histoire  d'Israël. 
Non,  il  a  simplement  changé  en  marche  triomphale  la  scène  légis- 
lative du  Sinaï,  mentionnée  dans  l'Exode  et  le  Deutéronome.  En 
ce  faisant,  notre  poète  a  suivi  l'exemple  de  deux  célèbres  prédé- 


12  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

cesseurs  :  Débora  (Juges,  v,  4,  5)  et  Habakuk  (m)  ;  et  Ton  peut 
dire,  en  général,  que  les  prophètes  ont  ouvert  la  voie  sur  laquelle 
l'aggada  rabbinique  devait  s'engager  pour  changer  les  récits  bi- 
bliques suivant  des  préoccupations  très  différentes  de  celles  des 
narrateurs.  Du  reste,  les  points  saillants  du  récit  pentateutique 
sont  respectés.  La  marche  guerrière  de  Dieu  à  la  tête  de  son 
peuple  (v.  8)  est  la  colonne  de  nuée  et  la  colonne  de  feu  dans  les- 
quelles Iahwé  marchait  jour  et  nuit  devant  le  peuple,  d'après 
l'Exode,  xiii,  21,  22.  Le  tremblement  du  Sinaï,  généralisé  en 
ébranlement  du  ciel  et  de  la  terre  (v.  9),  est  celui  qui  est  raconté 
dans  Exode,  xix,  18.  Enfin,  la  proclamation  de  la  Loi  de  la  part 
de  Dieu  et  l'acceptation  unanime  de  la  part  du  peuple,  décrites 
dans  Exode,  xix,  20  ;  xx,  19,  sont  envisagées  comme  une  présen- 
tation de  captifs  soumis  et  rendant  hommage  à  la  puissance  irré- 
sistible du  vainqueur  (v.  19).  Le  seul  élément  étranger  ajouté  par 
le  poète  est  le  cortège  belliqueux  de  chars  divins  et  d'anges,  qui 
font  défaut  dans  le  sobre  récit  de  l'Exode.  Mais  dans  cette  inno- 
vation môme,  il  a  été  devancé  à  la  fois  par  Habakuk  et  par 
l'auteur  de  Deutéronome,  xxxm,  2,  passage  qu'il  faut  traduire  : 
«  Iahwé  vint  du  Sinaï,  leur  apparut  éclatant  du  Séir  ;  il  resplendit 
du  mont  Pharan;  arriva  avec  *  des  myriades  sacrées  ;  à  sa  droite 
le  feu  éternel  »  (dbi*  usa,  au  lieu  de  ittb  nTiûN) 2. 

La  liberté  parfaite  dont  le  poète  fait  usage  à  l'égard  de  l'antique 
scène  du  Sinaï  nous  met  à  même  de  comprendre  la  scène  paral- 
lèle qu'il  fait  évoluer  sur  le  mont  Çalmon  ou  Hermon.  Dans  toute 
l'histoire  d'Israël,  on  ne  signale  qu'un  seul  événement  qui  ait  eu 
pour  théâtre  cette  montagne  «  de  neige  »,  savoir,  l'expédition  guer- 
rière de  Josué  dans  laquelle  ce  commandant  de  l'armée  israélite 
battit  et  anéantit  la  coalition  des  rois  chananéens  du  nord  de  la 
Palestine.  Le  passage  du  livre  de  Josué,  xi,  11,  1-9,  relatif  à  ces 
faits,  est  d'une  tenue  assez  sèche  et  raccourcie,  et  la  mention  du 
^Dim  au  3e  verset  a  lieu  d'étonner.  On  sent  que  l'épisode  se  passait 
pendant  que  Josué  était  occupé  de  conquérir  le  nord  de  la  Palestine 
formant  le  royaume  schismatique  d'Ephraïm,  qui  est  cordialement 
détesté  par  les  prophètes  de  Iahwé.  Le  narrateur  primitif  ou 
peut-être  le  rédacteur  définitif  du  livre  semblait  craindre  que  les 
miracles  accomplis  dans  la  conquête  du  nord  ne  nuisissent  consi- 
dérablement au  caractère  de  sainteté  attaché  à  Jérusalem  et  au 


1  La  leçon  "é^p  nhji^la,  au  lieu  de  'p  rDTÏft,  est  attestée  en  Palestine  par  le 
livre  d'Hénoch,  qui  est  de  l'époque  macchabéenne.  Les  Septante  ont  aussi  lu  riM^D 
(aùv  pjptdcat),  bien  qu'ils  aient  transcrit  }Dip  (KàS?]ç),  au  lieu  de  ^"TJp. 

2  Les  Septante  ont  lu  ift:s>  Ù^ïl'bN  «  les  anges  avec  lui  (àyY^ot  (xex'  avrov).  » 


RECHERCHES  BIBLIQUES  13 

territoire  de  Juda.  Il  a  donc  pris  le  parti  d'atténuer  autant  que 
possible  le  côté  merveilleux  de  cette  victoire.  C'est  d'ailleurs  la 
même  répugnance  qui  lui  a  fait  omettre,  dans  le  chapitre  xvi,  la 
description  détaillée  du  territoire  d'Éphraïm  et  de  la  demi-tribu 
de  Manassé.  Mais  ce  qui  reste  du  texte  primitif  suffit  pour  mon- 
trer la  grande  importance  de  cette  bataille,  qui  a'  été  livrée  dans 
la  région  immédiate  du  mont  Hermon,  car  les  «  eaux  de  Mérom  » 
(dihtt  i»)  près  desquelles  campaient  les  armées  chananéennes 
désignent  difficilement  le  lac  Hulé  :  un  terrain  aussi  marécageux 
convient  peu  au  déploiement  des  chars  de  guerre  qui  faisaient 
la  force  principale  des  Chananéens.  Ce  sont  plutôt  les  torrents  et 
ruisseaux  qui  descendent  de  la  montagne  par  suite  de  la  fonte  des 
neiges  qui  couvrent  son  sommet.  Il  y  a  plus,  la  version  des  Sep- 
tante a  encore  conservé  l'expression  de  l'ancien  texte  indiquant 
que  les  Israélites,  ne  pouvant  lutter  en  rase  campagne  contre 
les  terribles  chars  de  guerre,  prirent  position  sur  la  montagne 
même  et  surprirent  de  là  les  masses  ennemies  campées  dans  la 
plaine.  En  effet,  aux  paroles  du  verset  1  du  texte  massorétique  : 
«  Josué  avec  tous  les  hommes  de  guerre  qu'il  avait  près  de  lui  se 
présentèrent  subitement  devant  eux  près  des  eaux  de  Mérom  et 
se  jetèrent  sur  eux  »,  les  Septante  ajoutent  «  sur  la  montagne 
(èv  t^j  ôpetv^  =  lïia)  ».  C'était  d'ailleurs  la  tactique  ordinaire  des 
Israélites  dans  leurs  guerres  contre  les  habitants  de  la  Palestine 
(Juges,  iv,  6  ;  Samuel,  I,  vu,  5-7  ;  xxviii,  4).  On  ne  s'étonnera 
donc  pas  que  le  psalmiste  ait  représenté  cette  victoire  de  l'Her- 
mon  comme  une  apparition  de  Iahwé,  entouré  de  ses  légions 
célestes  (v.  15  et  25).  Mais,  à  la  différence  de  la  scène  du  Sinaï, 
où  le  peuple  ne  joue  qu'un  rôle  passif,  celle  de  l'Hermon  fait  in- 
tervenir l'élan  guerrier  des  tribus.  Benjamin  et  Juda  du  royaume 
du  sud,  Zabulon  et  Nephtali  du  royaume  du  nord  (v.  19)  figurent 
les  deux  grandes  divisions  du  peuple  hébreu.  Le  nom  antipathique 
d'Éphraïm  est  évité  à  dessein1.  Le  poète  ajoute  ensuite  de  son 
propre  fond  la  célébration  de  la  victoire  avec  musique  et  danses, 
divertissements  qui  se  pratiquent  chez  tous  les  peuples  au  retour 
de  l'armée  victorieuse  (v.  28)  ;  comparez  Exode,  xv,  20  ;  Juges, 
xi,  34  ;  Samuel,  I,  xvm,  6. 


1  On  dirait  que  le  poète,  pris  plus  tard  d'un  scrupule,  a  cherché  à  réparer  cette 
omission  dans  le  psaume  lxxx,  où  il  ne  mentionne  que  les  Joséphites  Ephraïm  et 
Manassé,  auxquels  il  joint  la  tribu  également  rahélide  de  Benjamin  (v.  3).  Ce  revire- 
ment de  sympathie  se  comprend  aisément  :  après  la  destruction  de  Jérusalem,  la 
royauté  davidique  avait  beaucoup  perdu  de  son  prestige  et  l'idéal  poétique  s'était 
transporté  sur  l'époque  du  règne  de  Saùl,  où  les  trois  tribus  qui  viennent  d'être  nom- 
mées avaient  la  suprématie  sur  la  tribu  de  Juda. 


U  REVUE  DES  ETUDES  JUIVES 

Date  et  origine  anti-jèrêmique  du  psaume. 

D'après  les  termes  mêmes  du  poème,  expliqués  précédemment, 
il  ne  subsiste  plus  le  moindre  doute  qu'il  a  été  composé  à  l'époque 
babylonienne,  mais  toutefois  avant  la  destruction  du  temple,  no- 
tamment à  un  moment  où  la  Judée,  quoiqu'affligée  d'une  séche- 
resse extraordinaire,  disposait  encore  d'assez  de  ressources  pour 
espérer  que  sa  résistance  à  l'invasion  imminente  serait  couronnée 
de  succès,  du  moins  jusqu'à  l'arrivée  de  l'armée  auxiliaire  com- 
posée d'Égyptiens  et  d'Éthiopiens.  Cette  perspective  est  légèrement 
voilée  dans  le  verset  32,  qui  a  l'air  de  parler  d'un  événement  pos- 
térieur à  la  victoire  espérée  ;  mais  la  sympathie  pour  ces  royaumes 
est  manifeste,  et  le  sentiment  du  poète  se  devine  aisément. 
Pourvu  que  l'on  puisse  remporter  un  premier  succès  et  arrêter 
pendant  quelque  temps  l'armée  envahissante,  le  secours  promis  par 
l'Egypte  arrivera,  pense-t-il,  à  point  pour  achever  sa  déroute  et 
la  chasser  du  pays.  Ces  traits  caractérisent,  on  ne  peut  mieux,  les 
dernières  années  du  règne  de  Sédécias,  années  marquées  par  l'acti- 
vité ardente  et  les  souffrances  du  prophète  Jérémie.  Celui-ci  fait 
une  description  terrifiante  de  l'approche  de  l'invasion  (Jérémier  iv, 
5-31)  et  se  lamente  de  la  sécheresse  dont  souffrait  alors  le  pays, 
fléau  qu'il  considère  comme  une  punition  bien  méritée  qui  ne  dis- 
paraîtra pas  aussitôt  {ibidem,  xiv,  1-10).  Ce  sont  les  mêmes  faits 
envisagés  différemment  par  deux  hommes  dont  l'un  est  un  opti- 
miste, l'autre  un  pessimiste.  Une  opposition  encore  plus  radicale 
se  fait  jour  dans  les  deux  écrivains  à  l'égard  de  la  politique 
étrangère  :  le  psalmiste  est  sympathique  à  l'Égypte-Éthiopie  et 
déteste  profondément  la  Babylonie,  cette  bête  des  roseaux,  la  plus 
souillée  des  nations;  Jérémie,  au  contraire,  insiste  sur  la  félonie 
et  la  lâcheté  des  Égyptiens  [ibidem,  xxxvn,  7)  et  recommande 
comme  l'unique  moyen  de  salut  la  soumission  aux  Babyloniens  ; 
il  n'hésite  même  pas  à  décerner  au  roi  Nabuchodonosor  le  titre 
de  serviteur  de  Iahwé  [ibidem,  xxv,  9;  xxvn,  C).  Le  fait,  pour 
être  quelque  peu  inattendu,  est  pourtant  réel  :  l'auteur  de  notre 
psaume  appartient  au  parti,  nous  allions  dire  à  la  coterie,  qui 
combattait  avec  acharnement  le  prophète  Jérémie  et  ses  partisans, 
lesquels  étaient  mal  vus  des  chefs  tout  puissants  à  la  cour  du  faible 
Sédécias.  Cette  grave  scission  dans  le  parti  prophétique  a  certaine- 
ment hâté  la  ruine  de  l'État;  c'était  comme  un  triste  prélude  aux 
dissensions  analogues  qui  devaient  amener  la  ruine  de  la  nationa- 
lité juive  six  siècles  plus  tard.  Dans  leur  lutte  insensée,  chaque 


RECHERCHES  BIBLIQUES  15 

parti  lançait  à  la  face  de  l'autre  l'injure  de  «  faux  prophètes  ». 
D'après  Jérémie,  xxvn,  16;  xxvin,  17,  le  parti  adversaire  de 
Jérémie,  sous  la  direction  d'Ananias,  fils  d'Azur,  annonçait  la 
destruction  prochaine  de  la  puissance  babylonienne  et  le  retour 
des  captifs  et  des  vases  sacrés  du  temple.  Or,  notre  psalmiste  pré- 
dit absolument  la  même  chose  ;  son  oracle  annonce  la  destruction 
totale  de  l'armée  babylonienne  sur  les  campagnes  de  la  Judée  (ver- 
sets 13-15,  22,  24)  et  le  retour  des  captifs  de  leur  séjour  périlleux 
(v.  23).  La  similitude  est  si  grande  qu'on  est  tenté  de  voir  dans 
l'auteur  de  notre  psaume  cet  Ananias  même,  l'adversaire  per- 
sonnel de  Jérémie  ;  mais,  quoi  qu'il  en  soit  de  ce  point  de  détail,  il 
demeure  indubitable  que  le  poème  que  nous,  étudions  tire  son 
origine  du  parti  anti-jérémique  et  à  peu  près  discrédité  par  les 
historiens  postérieurs.  Il  va  sans  dire  que  la  valeur  du  poème  si  ar- 
demment patriotique,  non  seulement  n'est  pas  diminuée  par  cette 
origine,  mais  qu'il  en  acquiert  un  nouveau  titre  à  notre  respect  et  à 
notre  admiration.  Que  l'auteur  en  soit  Ananias  en  personne  ou  un 
de  ses  amis,  nous  pouvons  sans  forfaire  à  la  sympathie  immense 
que  nous  ressentons  pour  Jérémie,  lui  dire  en  toute  conscience 
«  Paix  à  tes  cendres  et  honneur  au  courage  malheureux  de  tes 
partisans  1  » 

Le  psaume  et  la  critique  de  VHexateuque. 

La  date  certaine  de  notre  psaume,  antérieure  de  quelques  an- 
nées à  la  destruction  de  Jérusalem  par  les  Chaldéens,  ajoute  un 
nouveau  document  pour  la  solution  de  la  question  de  savoir  si 
VHexateuque  est  antérieur  ou  postérieur  à  la  captivité.  Je  dis 
VHexateuque  et  non  le  Code  lévitique,  parce  que  depuis  une 
dizaine  d'années  il  s'est  formé  une  nouvelle  école  qui,  laissant  loin 
derrière  elle  la  théorie  de  Graf,  affirme  hardiment  que  tous  les 
écrits  bibliques,  depuis  le  Jahwéiste  jusqu'aux  prophéties  d'Hosée, 
d'Isaïe,  de  Jérémie  et  d'Ezéchiel,  sont  des  apocryphes  fabriqués 
après  le  retour  de  la  captivité  sur  le  fond  de  quelques  lambeaux 
de  vieux  textes  ou  de  traditions  plus  anciennes.  Cette  école,  il 
est  vrai,  est  loin  d'avoir  prouvé  ce  qu'elle  affirme  tout  gratuite- 
ment, à  mon  sens  ;  je  considère  sa  tendance  comme  peu  scienti- 
fique, puisqu'elle  croit  pouvoir  se  passer  non  seulement  de  la  com- 
paraison avec  les  autres  littératures  et  religions  sémitiques,  mais 
même  de  la  langue  des  livres  sur  lesquels  elle  se  prononce.  Dans 
de  telles  conditions,  ces  critiques  se  sont  fait  une  position  aussi 
facile  qu'inexpugnable  ;  au  lieu  de  preuves  historiques  et  linguis- 


16  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

tiques  qui  tombent  sous  le  contrôle  de  la  science  rigoureuse  et 
positive,  ils  opèrent  avec  des  considérations  personnelles  ou  avec 
des  sentiments  divinatoires  qui  échappent  à  l'analyse.  C'est  contre 
ces  tentatives  que  la  production  d'un  document  portant  claire- 
ment et  distinctement  la  date  d'avant  la  destruction  du  temple  a 
une  valeur  inappréciable.  Notre  psaume  non  seulement  connaît 
les  événements  racontés  dans  l'Exode  et  le  livre  de  Josué,  mais 
il  en  a  fortement  remanié  la  forme  :  la  législation  sur  le  Sinaï, 
qui,  d'après  le  récit  primitif,  était  une  affaire  entre  Dieu  et  Moïse, 
y  devient  une  scène  de  conquêtes  héroïques,  décorée  d'anges  et 
d'une  cérémonie  triomphale.  La  victoire  remportée  par  Josué  sur 
les  Ghananéens  près  de  l'Hermon  devient  à  son  tour  la  suite  ou 
plutôt  le  second  acte  du  même  drame.  La  priorité  de  la  forme 
beaucoup  plus  simple  et  moins  recherchée  des  récits  de  l'Hexa- 
teuque  frappera  tous  ceux  qui  cherchent  la  vérité  sans  parti  pris. 
Notre  psaume  confirme,  en  outre,  la  véracité  des  luttes  inté- 
rieures de  l'école  prophétique  mentionnées  dans  le  livre  de  Jéré- 
mie,  dont  il  atteste  en  même  temps  l'authenticité.  C'en  est  assez 
pour  démontrer  la  fausseté  des  tentatives  qui  ont  pour  objet  de 
faire  verser  dans  la  pseudépigraphie  les  ouvrages  les  plus  authen- 
tiques de  la  Bible. 

J.  Halévy. 


LES  DIX-HUIT  BÉNÉDICTIONS 


Il  est  généralement  admis  que,  suivant  une  tradition  talmudique 
qui  n'est  pas  suspecte1,  les  dix-huit  bénédictions  (schemoné- 
esré)  ont  été  arrangées  et  coordonnées  par  Simon  ha-Peculi  sur 
Tordre  de  R.  Gamaliel  II,  à  Iabné,  après  la  destruction  du  temple 
(vers  la  fin  du  rr  siècle  ou  le  commencement  du  11e  siècle),  mais 
qu'elles  remontent,  dans  leur  forme  primitive,  à  une  plus  haute 
antiquité.  Cette  opinion  nous  paraît  parfaitement  exacte  et  nous  la 
justifierons  tout  à  l'heure,  nous  voulons  seulement  faire  remar- 
quer de  suite  que  le  travail  de  classement  et  d'arrangement  de 
Simon  ha-Peculi  n'a  pas  dû  être  un  travail  arbitraire  et  purement 
personnel.  Il  est  impossible  que  ce  docteur  ait  bouleversé  le  texte 
à  sa  fantaisie,  sans  tenir  compte  du  classement  traditionnel  ;  son 
rôle  se  sera  borné  à  consacrer  la  bonne  leçon,  choisir  entre  les  va- 
riantes, écarter  les  bénédictions  additionnelles  qui  s'étaient  for- 
mées et  revenir  au  nombre  consacré  de  18  ou  19.  Il  aura  fait 
œuvre  de  bon  éditeur  et  rien  de  plus.  Pour  des  raisons  que  nous 
indiquerons  plus  loin,  nous  croyons  de  môme  ou,  du  moins,  il  nous 
parait  probable  que  Samuel,  qui  aurait,  suivant  la  tradition  talmu- 
dique2, rédigé  la  bénédiction  des  malsinim  pour  le  même  R.  Ga- 
maliel, n'a  fait  que  changer  la  forme  d'une  ancienne  bénédiction. 
mais  ce  changement  ayant  modifié  profondément  le  sens  et  la 
portée  de  cette  bénédiction,  le  Talmud  a  pu  croire  plus  tard 
qu'elle  était  nouvelle  et  avait  été  ajoutée  aux  dix-huit  anciennes 
bénédictions. 

Les  critiques  ont  été  amenés  par  diverses  considérations  à  pla- 
cer la  rédaction  primitive  des  dix-huit  bénédictions  dans  l'époque 

*  Bcmkhot,  28  l;  Megilla,  17  b. 
1  Berakhot,  28  b  ;  Ber.  /.,  8  «. 

T.  XIX,  n°  37  o 


18  REVUE  DES  ETUDES  JUIVES 

qui  va  de  Simon-le-Juste  à  la  persécution  d'Antiochus  Epiphane f . 
Quoique  les  raisons  qui  ont  été  invoquées  pour  parler  ici  de 
Simon-le-Juste  nous  paraissent  être  sans  valeur  et  que  les  preu- 
ves à  tirer  de  l'état  des  Juifs  sous  Antiochus  ne  sont  pas  précisé- 
ment celles  qu'on  a  données2,  nous  croyons  cependant  qu'on  peut 
se  rallier  à  l'opinion  courante  sur  la  date  de  notre  pièce. 

Il  va  sans  dire  qu'il  faut  d'abord  écarter  du  débat  sur  ce  sujet 
la  bénédiction  14,  concernant  le  retour  à  Jérusalem  ;  tout  le 
monde  convient  que  cette  bénédiction  a  été  ajoutée  au  morceau 
après  la  destruction  du  temple.  Toutes  les  autres  bénédictions 
(nous  réservons  celle  des  malsinim)  peuvent  parfaitement  être  de 
l'époque  du  second  temple. 

On  sait  que  les  trois  premières  et  les  trois  dernières  bénédic- 
tions sont  parmi  les  plus  anciennes  des  dix-huit  et  probablement 
plus  anciennes  que  les  autres.  La  seconde  des  trois  premières  (dite 
geburot)  contient  une  affirmation  cinq  fois  répétée  du  dogme  de 
la  résurrection.  Ce  dogme  n'a  d'abord  rien  à  voir  dans  cette  bé- 
nédiction, qui  a  pour  unique  objet  d'exalter  la  puissance  de  Dieu 
et  son  empire  sur  le  monde3.  Ensuite,  cette  insistance  à  répéter 
cinq  fois  la  même  pensée  est  suspecte.  L'explication  est  simple  :  la 
résurrection  a  été  ajoutée  à  cette  bénédiction  par  les  Pharisiens, 
et  elle  s'affirme  avec  tant  d'énergie  uniquement  parce  qu'elle  était 
niée  par  les  Sadducéens.  Mais  la  lutte  entre  Pharisiens  et  Saddu- 
céens  s'est  calmée  et  éteinte  après  la  destruction  du  temple,  elle  a 
commencé  sous  Jean  Hyrcan  ;  les  additions  à  notre  texte  sur  la 
résurrection  sont  donc  bien  antérieures  à  la  destruction  du  temple, 
et,  par  suite,  le  fonds  primitif  de  cette  bénédiction,  sans  les  addi- 
tions, remonte  assez  haut.  Gomme,  d'autre  part,  les  trois  pre- 
mières et  les  trois  dernières  bénédictions  sont  évidemment  con- 
temporaines,  il  n'est  pas  exagéré  de  considérer  ces  six  bénédic- 

1  Zunz,  Gottesd.  Vortrâge,  p.  367-8  ;  Landshuth,  Siddurhégion  lêb,  p.  52  et  s. 

2  Voir  surtout  Landshuth,  l.  c. 

3  La  formule  finale  était  probablement '^in^Tf  btfïl  ;  cf.  Isaïe,  9,  8,  et  la  prière 
ezrat  aboténu.  Cependant  M.  J.  Derenbourg  uous  l'ait  remarquer  que  chez  les  Arabes 
aussi  la  vivification  de  la  terre  par  la  pluie,  qui  fait  partie  de  cette  bénédiction  n°  2, 
est  comparée  à  la  résurrection  des  morts,  et  que  c'est,  chez  eux,  une  image  courante. 
Seulement  cette  manière  de  parler  est  peut-être  postérieure  à  Mahomet,  de  sorte  que 
cela  ne  prouverait  rien  pour  notre  bénédiction  ;  de  plus,  ce  n'est  peut-être  qu'une 
ima^e  ;  enfin,  la  mention  de  la  pluie,  dans  notre  bénédiction,  paraît  avoir  été  ajoutée 
plus  tard,  et  ne  pas  appartenir  au  fond  primitif.  Nous  ne  nous  refusons  pas,  du  reste, 
à  admettre  que  la  formule  finale  primitive  était  tPriîQÏI  ÏTJ"t!ïï,  mais  dans  le  sens 
de  la  résurrection  de  la  nature,  non  de  la  résurrection  des  morts.  Dans  les  Psaumes, 
où  il  est  souvent  question  des  geburot  de  Dieu,  le  mot  ne  désigne  jamais  autre  chose 
que  la  toute-puissance  de  Dieu  et  son  empire  sur  l'univers  et  sur  la  nature.  De  plus, 
les  Psaumes,  qui  ont  eu,  comme  on  verra,  une  si  grande  intluence  sur  les  dix-huit 
bénédictions,  ne  croient  pas  à  la  résurrection  (Ps.  88,  M).  —  Voir  Zunz,  l.  c. 


* 


LES  DIX-HUIT  BÉNÉDICTIONS  19 

tions  comme  datant,  au  plus  tard,  du  commencement  de  l'époque 
des  Macchabées.  On  sait,  du  reste,  que  dans  la  première  des  trois 
bénédictions  finales  (le  ttsn),  les  mots  'ai  i-m^n  na  awn  sont 
interpolés,  ils  sont  en  contradiction  avec  la  suite  (.bsw*  TOKl 
bnpn  ûnb&m),  qui  indique  que  le  culte  des  sacrifices  existe  encore. 
Les  mots  'in  In^tnm  sont  également  interpolés,  et  enfin  la  con- 
clusion de  la  bénédiction  était  autrefois  mao  tt&n^a  'pab  ^mra, 
ou  bien  b&W  w  mw  bapttS  *. 

Parmi  les  autres  bénédictions,  il  y  en  a  qui,  à  première  vue, 
peuvent  se  placer  aussi  bien  avant  qu'après  la  destruction  du 
temple2,  elles  ne  confirment  ni  ne  contrarient  notre  théorie.  Ce 
sont  les  bénédictions  4-6,  8-9,  13  et  16.  La  1G  peut  très  bien 
se  placer  à  l'époque  de  la  domination  persane  ou  syrienne  tout 
aussi  bien  qu'à  l'époque  romaine  avant  ou  après  la  destruction  du 
temple.  Il  en  est  de  même  du  groupe  10-11  ;  déjà  les  prophètes 
ont  exprimé  le  vœu  de  voir  rentrer  dans  le  pays  les  Juifs  dis- 
persés (n°  10),  et  le  n°  11  est  une  imitation  d'Isaïe,  i,  26.  La 
croyance  messianique  exprimée  dans  le  n°  15  est  également  an- 
cienne. Le  n°  16  ne  fait  aucune  difficulté,  c'est  une  bénédiction 
finale  qui  s'adapte  à  toutes  les  formes  successives  qu'ont  pu  avoir 
les  dix-huit  bénédictions. 

Cependant,  un  examen  plus  attentif  montre  que,  parmi  ces 
bénédictions,  il  y  en  a  qui  ne  peuvent  pas  être  postérieures  au 
second  temple  et  qui  n'ont  pu  se  maintenir  plus  tard  qu'à  la  fa- 
veur d'une  transposition  de  sens.  C'est  d'abord  le  n°  5,  où  la  aboda 
opposée  à  la  tora  a  sûrement  désigné  d'abord  le  culte  du  temple 
(comme  dans  la  maxime  célèbre  attribuée  à  Simon-le-Juste  ;  voir 
le  Ier  chapitre  du  traité  des  Aboi 3),  et  n'est  devenue  que  plus  tard 
le  culte  de  la  synagogue  ou  les  pratiques  religieuses  en  général. 
La  9e  bénédiction,  également,  semble  être  de  l'époque  du  second 
temple  ;  c'est  le  vœu  d'un  peuple  d'agriculteurs,  qui  cultive  le 
sol  de  la  patrie,  un  sol  qui  lui  appartient  et  qui  n'est  pas  encore 

*  Voir  Landshuth,  l.  c,  p.  68-69.  Les  arguments  de  Landshuth  contre  cette  hypo- 
thèse n'ont  pas  beaucoup  de  valeur,  les  autorités  qu'il  cite  sont  relativement  récentes. 

*  Pour  que  le  lecteur  puisse  facilement  suivre  nos  explications,  nous  plaçons  ici  la 
liste  de  ces  bénédictions  avec  leur  numéro  d'ordre.  Ce  sont  :  4.  "pin  tlDN,  donne-nous 
l'intelligence.  —  5.  IWIDÎ"?,  ramène-nous  à  ta  Loi.  —  6.  ")jb  nbo,  pardonne-nous 
nos  péchés.  —  7.  l!P537a  ïl&O,  V01S  notre  misère.  —  8.  "iSiSD*!,  guéris  nos  malades. 
—  9.  ^"D,  bénis  cette  année.  —  10.  ypn,  ramène  les  Juifs  exilés.  —  11.  ïia^ïT, 
ramène  les  anciens  juges.  —  12.  d^tubfàbl.  fais  disparaître  nos  ennemis.  — 
13.  Ùip^itïT  b^,  bénis  nos  hommes  pieux.  —  14.  Ù^blDT-nbl,  reconstruis  Jéru- 
salem. —  15.  n?û2£  nN,  fais  venir  le  Messie.  —  16.  y)2'£,  écoute  notre  prière. 

3  Sur  ce  que  l'on  peut  penser  de  ces  attributions,  voir  notre  travail  intitulé  :  La 
Chaîne  de  la  Tradition,  dans  tome  I  de  la  Bibliothèque  de  l'École  des  Hautes  Études, 
section  des  sciences  religieuses  (Paris,  1889). 


20  REVUE  DES  ETUDES  JUIVES 

aux  mains  d'un  maître  étranger.  Enfin,  la  13e  bénédiction,  celle 
des  çaddihim  et  hasidim,  s'appliquait  sûrement,  à  l'origine  — 
nous  le  montrerons  plus  loin,  —  à  certains  pieux  et  dévots  qui  ont 
uniquement  existé  à  l'époque  du  second  temple  '.  Les  prosélytes 
de  cette  même  bénédiction  doivent  être  antérieurs  à  la  destruction 
du  temple  ;  après  la  grande  défaite  du  judaïsme,  les  Juifs,  sauf 
exception,  n'ont  plus  guère  fait  de  prosélytes  2. 

Il  est  donc  bien  évident  que  nos  dix-huit  bénédictions  sont,  en 
gros,  antérieures  à  la  destruction  du  temple,  et  la  question  de  date 
peut  être  considérée  provisoirement  comme  réglée  d'une  façon 
assez  satisfaisante.  Avec  le  temps  et  le  changement  des  cir- 
constances, quelques-unes  de  nos  bénédictions,  tout  en  gardant 
l'ancien  texte,  ont  dû  s'imprégner  d'un  sens  nouveau.  On  en  a 
déjà  vu  un  exemple  dans  le  mot  aboda  du  n°  5.  Si  le  n°  7  a  eu 
d'abord  en  vue  la  persécution  syrienne,  il  a  dû  évidemment  s'ap- 
pliquer plus  tard  à  l'oppression  romaine.  La  lionne  année  du  n°  9, 
d'abord  bonne  année  agricole,  souhaitée  par  le  laboureur  qui  a 
cultivé  lui-même  son  champ,  est  devenue  peu  à  peu  une  bonne 
année  un  peu  différente.  De  même,  les  çaddihim  et  hasidim  par- 
ticuliers auxquels  se  rapporte  le  n°  13,  sont  devenus  les  gens  pieux 
et  religieux  en  général.  Les  prosélytes  de  ce  même  paragraphe 
auront  été  conservés  par  respect  pour  le  texte  traditionnel,  quoi- 
qu'il n'y  en  eût  plus  guère. 

Il  n'y  a  pas  d'argument  à  tirer,  contre  l'ancienneté  du  schemoné- 
esréy  de  la  langue  de  ce  document.  Il  contient  un  certain  nombre 
de  néologismes  qui  ne  sont  pas  dans  la  Bible  et  même  des  mots 
araméens.  Ce  sont  îraiiûn  clans  le  sens  de  pénitence,  wïnft  et 
■wip  qui  ne  sont  pas  bibliques 3  ;  bntt  dans  le  sens  de  pardonner, 
rvnn,  affranchissement4,  nrta,  exilés5.  La  langue  des  Juifs,  à 
l'époque  du  second  temple,  n'était  pas  l'hébreu  pur,  il  s'en  faut, 
mais  plutôt  un  dialecte  araméen.  Ce  qui  est  plus  important  à 
constater,  c'est  que  le  style  du  morceau  ne  contient  absolu- 


1  Landshuth  l'a  déjà  montré,  mais  cette  proposition  a,  chez  lui,  un  sens  tout  autre 
que  chez  nous.  C'est  ce  qu'on  verra  plus  loin. 

2  Et  dans  tous  les  cas,  les  prosélytes  d'alors  n'avaient  rien  à  gagner  en  se  conver- 
tissant au  judaïsme,  ils  devaient  être  tous  des  prosélytes  sincères,  et  il  eût  été  inutile 
d'indiquer,  dans  notre  prière,  qu'on  avait  seulement  en  vue  les  pl^n  "HS.  On  ne 
tenait  même  plus  à  faire  des  prosélytes  (cf.  Derenbourg,  Essai,  p.  228)  ;  cf.  Kiidus- 
chin,  70  &,  en  bas. 

3  "lj^lp  est  un  vrai  barbarisme. 

*  Le  mot  m"!  H  se  trouve  sur  des  monnaies  juives,  mais  les  monnaies  qui  le  portent 
sont  probablement  de  l'époque  de  la  première  et  de  la  deuxième  révolution  des  Juifs 
contre  les  Romains  (guerre  de  Vespasien  et  Titus,  guerre  de  Bar  Cocheba) .  non  de 
l'époque  macchabéenne. 

5  Cf.  imb*  dans  Is.,  45,  13. 


LES  DIX-HUIT  BÉNÉDICTIONS  21 

ment  rien  d'original  et  que  toutes  ses  formules  sont  empruntées 
presque  textuellement  à  la  Bible.  Cela  se  comprend,  puisque  le 
morceau  semble  être  d'inspiration  toute  populaire  et  est  né  pro- 
bablement dans  des  cercles  où  Ton  ne  se  piquait  pas  de  littéra- 
ture, mais  cela  semble  indiquer  cependant  qu'il  a  été  formé  à 
une  époque  où  le  texte  des  Prophètes  et  même  celui  des  Psaumes 
avaient  déjà  acquis  quelque  chose  de  l'autorité  que  donne  l'an- 
cienneté. 


II 


Si  nous  cherchons  maintenant  à  nous  rendre  compte  de  l'ordre 
dans  lequel  se  suivent  les  dix-huit  bénédictions,  nous  rencontre- 
rons les  plus  graves  difficultés.  Tout  d'abord  le  n°  1  est  des  plus 
gênants.  Il  semble  appartenir  aux  considérations  d'ordre  politique 
et  national,  et  devrait  se  trouver  immédiatement  avant  le  n°  10, 
ou  plutôt  encore  avant  les  nos  14-15  ;  il  est  d'ailleurs  une  sorte  de 
doublet  du  n°  15,  la  nb"i£«  dont  il  parle  est  ou  semble  être  la  même 
chose  que  la  ÎW83"1  de  ce  n°  15.  Ensuite,  le  passage  des  nos  8-9 
(guérison  des  malades,  bonne  année)  au  n°  10  (rappel  des  exilés) 
est  des  plus  durs  ;  en  sortant  des  préoccupations  purement  maté- 
rielles et  un  peu  étroites  du  groupe  8-9,  on  a  quelque  peine  à 
s'élever  sur  les  hauteurs  où  résonne  la  «  grande  trompette  »  de 
la  délivrance1.  Le  niveau  n'est  plus  le  même  et  les  plans  soat 
rompus.  De  même,  il  semblerait  que  les  nos  10, 11, 14, 15,  devraient 
se  suivre,  ils  s'occupent  tous  les  quatre  de  l'avenir  du  peuple  juif. 
Le  groupe  12-13  est  bien  composé,  les  deux  numéros  se  font  anti- 
thèse, mais  on  ne  comprend  pas  qu'ils  soient  à  la  place  qu'ils 
occupent,  on  les  mettrait  plutôt  après  le  n°  9.  Le  n°  14,  ajouté 
plus  tard,  a  été  très  judicieusement  placé  avant  le  n°  15,  et  si  ce 
n°  15  a  été  ajouté  en  même  temps  et  à  la  même  époque,  comme  il 
semblerait  probable,  on  comprend  fort  bien  que  ce  groupe  14-15 
ait  été  mis  à  la  fin  de  la  pièce,  juste  avant  le  n°  16,  qui  forme  la 
conclusion  générale  du  morceau. 

Autres  objections.  D'après  les  idées  reçues,  diverses  bénédic- 


1  Le  groupe  8-9  fait  un  peu  dissonance  avec  tout  le  reste  du  schemon€-esré.  Toutes 
les  autres  bénédictions  sont  animées  d'un  grand  souille  religieux,  national  et  patrio- 
tique. En  comparaison,  les  deux  bénédictions  8-9  paraissent  plates  et  mesquines.  Nous 
ne  voulons  pas  dire  par  là  qu'elles  soient  plus  jeunes  que  les  autres,  leur  naïveté 
serait  un  garant  de  leur  antiquité.  Les  explications  que  nous  donnerons  plus  loin 
rapprocheront  la  distance  entre  ces  deux  bénédictions  et  les  autres. 


22  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

tions  du  schemoné-esré  renfermeraient  des  prières  de  circons- 
tance, qui  s'appliqueraient  principalement  à  la  situation  des  Juifs 
Sous  les  Syriens,  et  il  est  difficile  de  comprendre  qu'elles  se  soient 
maintenues  quand  la  situation  a  changé  et  est  devenue  meilleure. 
Telle  est,  par  exemple,  la  bénédiction  n°  1  :  Vois  notre  misère.  La 
misère  politique  des  Juifs  a  cessé,  en  grande  partie,  à  l'avènement 
des  Macchabées  et  il  nous  paraît  impossible  de  croire  que  des 
princes  et  rois  comme  Jean  Hyrcan,  Alexandre  Jannée,  Hérode, 
aient  permis  qu'on  récitât  publiquement,  dans  les  synagogues,  une 
prière  que  l'état  politique  du  pays  ne  justifiait  plus  et  qui  était 
une  injure  pour  eux.  Il  en  est  de  même  de  la  bénédiction  n°  10,  si 
le  mnn  qu'elle  contient  signifie  l'affranchissement  politique  ;  de 
même  aussi  des  offenses  contre  le  pouvoir  judiciaire  et  politique 
contenues  dans  le  n°  11  (Ramène  les  anciens  juges,  Règne  seul  sur 
nous).  Et  puis,  qu'est-ce  que  ces  juges  et  conseillers  dont  on  de- 
mande le  retour  et  à  quoi  cela  répond-il  au  juste  ?  On  ne  peut  pas 
supposer  que  cette  bénédiction  n°  11  soit  postérieure  à  la  destruc- 
tion du  temple  ;  les  Juifs,  après  la  destruction  du  temple,  avaient, 
en  somme,  les  juges  qu'ils  préféraient;  c'étaient  les  rabbins  et 
ceux-ci  paraissent  avoir  administré  la  justice  à  la  satisfaction 
générale. 

Voilà  de  nombreuses  difficultés,  nous  allons  essayer  de  les 
résoudre. 

On  nous  accordera  d'abord  que  le  schemonê-esrê  est  une 
composition  pharisienne  ou,  si  l'on  veut,  anté-pharisienne.  Quand 
même  il  serait  antérieur  à  la  formation  du  parti  pharisien,  il  est 
déjà  imprégné  de  l'esprit  pharisien.  Les  prêtres,  qui  menaient  le 
parti  sadducéen,  ne  pouvaient  évidemment  pas  voir  de  bon  œil 
la  création  des  synagogues  et  l'établissement  de  prières  récitées 
en  dehors  du  temple.  C'était  une  concurrence  pour  le  temple  de 
Jérusalem,  et,  à  ce  point  de  vue,  on  peut  dire  que  l'institution 
des  prières  populaires  était  déjà  une  victoire  anticipée  des  Phari- 
siens sur  les  Sadducéens.  Nous  avons  déjà  signalé  plus  haut 
l'addition  du  dogme  de  la  résurrection  faite  par  les  Pharisiens  au 
n°  2  de  nos  bénédictions.  Le  n°  10  pourrait  être  une  critique  des 
juges  sadducéens,  on  sait  que  les  Pharisiens  étaient  fort  mécon- 
tents delà  justice  sadducéenne,  mais  nous  croyons  qu'en  réalité  ce 
numéro  signifie  tout  autre  chose,  comme  on  le  verra  plus  loin. 
Enfin,  le  ny  13  est  une  bénédiction  purement  pharisienne,  les  caté- 
gories de  personnes  qui  y  figurent  et  sur  lesquelles  on  appelle  la  fa- 
veur céleste  sont  des  Pharisiens  ou  d'anciens  partis  révérés  par  les 
Pharisiens,  les  prêtres  paraissent  omis  à  dessein.  Nous  doutons 
enfin  que  les  Sadducéens  se  soient  beaucoup  intéressés  à  la  doctrine 


LES  DIX-HUIT  BÉNÉDICTIONS  23 

messianique  qui  fait  l'objet  des  nos  14-15.  La  doctrine  messianique, 
d'abord,  est  l'œuvre  des  prophètes,  qui  ont  été  les  adversaires 
des  prêtres.  Les  Sadducéens,  d'autre  part,  en  niant  la  résur- 
rection et  l'immortalité  de  l'âme,  montraient  qu'ils  n'avaient  pas 
beaucoup  de  goût  pour  les  rêves  d'avenir  et  l'au-delà  de  la  vie 
pratique.  Enfin,  dans  le  mythe  messianique,  il  était  toujours 
question  du  rejeton  de  David,  jamais  des  prêtres.  Ils  n'avaient 
aucun  rôle  à  jouer  dans  le  grand  événement  qui  devait  renou- 
veler la  face  du  monde,  le  Messie  les  reléguait  au  second  plan 
et  on  comprend  qu'ils  ne  l'aient  pas  attendu  avec  une  bien  vive 
impatience. 

Mais  il  y  a  encore,  dans  le  sehemoné-esré,  autre  chose  que 
l'esprit  pharisien.  On  sait  que,  pendant  l'exil  deBabylone,  il  s'était 
formé,  parmi  les  Juifs,  une  classe  d'hommes  qui  prétendaient  être 
spécialement  les  serviteurs  de  Dieu  et  croyaient  être  plus  fidèles 
au  judaïsme  que  tous  les  autres  Juifs.  Ils  nous  sont  connus  par 
le  second  Isaïe  ou  Pseudo-Isaïe,  qui  a  décrit  leur  situation  au  mi- 
lieu de  leurs  coreligionnaires,  exprimé  leurs  sentiments,  leurs 
pensées  et  leurs  aspirations.  Ils  avaient  fait  vœu  de  pauvreté  et 
d'humilité,  se  croyaient  destinés  à  expier  les  fautes  du  peuple  juif 
et  à  souffrir  pour  lui,  afin  de  mériter  sa  délivrance.  Ils  se  regar- 
daient volontiers  comme  le  cœur  et  la  moelle  de  la  nation,  une 
sorte  de  symbole  vivant  du  peuple  juif.  Ce  sont  eux  seuls,  à  peu 
près,  qui  paraissent  être  rentrés  en  Palestine  après  la  conquête 
de  Babylone  par  les  Perses,  et  ils  continuèrent  à  y  vivre  comme 
ils  avaient  vécu  en  Babylonie.  La  Palestine  juive  eut  donc  des 
espèces  de  derviches,  voués  à  la  vie  pieuse,  humbles  et  pauvres 
par  principe  et  par  profession.  Leur  vie,  après  l'exil,  nous  est  ra- 
contée par  les  Psaumes,  qui  sont  la  plupart  une  œuvre  de  leur 
parti  et  auxquels  il  est  impossible  de  rien  comprendre  si  on  ne 
les  rapporte  pas  à  leurs  vrais  auteurs.  Ces  braves  gens  formaient 
probablement  des  associations  ou  confréries,  ils  s'appelaient  les 
Pieux,  les  Justes,  les  Saints,  les  Pauvres,  les  Humbles.  Ils  parais- 
sent avoir  été  surtout  nombreux  et  influents  sous  la  domination 
syrienne,  mais  ils  n'ont  pas  disparu  à  l'époque  asmonéenne,  et  ils 
occupent  encore  une  place  importante  dans  le  christianisme  pri- 
mitif. Les  Esséniens  n'étaient  pas  loin  non  plus  d'être  une  espèce 
de  Pieux  et  de  Pauvres.  C'est  seulement  après  la  destruction  du 
temple  que  ces  confréries  se  sont  fondues  dans  le  grand  parti 
pharisien,  devenu  parti  national,  ou  qu'inversement  le  peuple  juif 
tout  entier  est  devenu  une  espèce  de  peuple  de  çaddikim,  hasi- 
dim,  aniyyim.  De  là  doit  venir  en  partie  le  respect  et  la  sympa- 
thie des  rabbins  pharisiens  pour  certains  personnages  anciens  qui 


24  REVUE  DES  ETUDES  JUIVES 

étaient  çaddïk  ou  hasid  l.  M.  Graetz,  qui,  dans  son  beau  commen- 
taire des  Psaumes,  a  déjà  montré  le  rôle  et  l'importance  des 
Pauvres  à  l'époque  du  second  temple,  suppose  que  c'étaient  des 
lévites.  On  peut  objecter,  entre  autres,  à  cette  hypothèse,  que  les 
Pauvres  d'Isaïe  brûlent  du  désir  de  retourner  en  Palestine,  et  que 
cependant,  parmi  ceux  qui  rentrèrent  d'abord,  il  n'y  eut  que  bien 
peu  de  lévites.  L'hypothèse  est  néanmoins  intéressante,  il  serait 
curieux  que  l'œuvre  anti-sacerdotale,  menée  à  bien  par  les  Pha- 
risiens, eût  été  commencée  par  les  lévites,  qui  avaient  été  les  vic- 
times et  les  souffre-douleur  des  prêtres. 

M.  Graetz  a  donné  quelques-uns  des  noms  portés  par  les  Pauvres 
dans  les  Psaumes2.  Il  nous  paraît  assez  probable  qu'ils  formaient 
des  confréries  différentes,  qui  se  distinguaient  par  des  détails  de 
doctrine  et  aussi  par  le  nom.  Voici  une  liste  de  ces  noms  que  nous 
avons  relevés  dans  les  Psaumes,  elle  est  certainement  incomplète, 
mais  elle  montrera,  par  l'abondance  et  la  variété  de  ces  appel- 
lations, que  nous  n'avons  pas  exagéré  l'importance  du  parti  des 
Pauvres  dans  la  société  juive  3. 

Les  noms  les  plus  fréquents  sont  : 

,Tn:aK  ffcai'w    tans*    ,ia*    ,  feston  ,Ton    ,taipii£  /p^s 

.  dis-nna 

Puis  viennent,  par  ordre  alphabétique  : 

«5T.1    ,bi    ,rm    1*0*7    ,"p    ,nab    ^a    /m    nais    ,toîib 
1*111  ,tiiaiù   ,^3  tPDin  ,  "n  ùiDin  ,ûi»r.  ^bin  ,^11   «tPîiba 
,W   ,  tJinh*  i^T  /rr  iwy  ,  ir&ni   ,ûi*rrp  ,4irrp   j'y^T   ,*p3tt 


1  Par  exemple,  Simon  le  Juste  {J.&of,  1,  2);  Iosé  b.  Ioézer,  prêtre  ^as?'i  {Hagiga, 
II.  7)  ;  le  hasid  Iosé  le  prêtre  [Abot,  II,  11).  Dans  notre  Z#  Chaîne  de  la  Tradition, 
nous  avons  pourtant  proposé  encore  une  autre  explication  de  ce  mot  hasid  pour  les 
deux  cas  citss  ici  ;  nous  préférons  l'explication  que  nous  donnons  aujourd'hui.  Geiger, 
Nachgelassene  Schriften,  IV,  288,  a  déjà  montré  que  dans  Abot,  I,  5,  il  paraît  être 
question  de  nos  Pauvres.  Le  hasid  ne  s'est  pas  entièrement  perdu  même  après  la 
destruction  du  temple.  Au  ne  s.,  Juda  b.  Baba  est  encore  un  hasid.  Il  est  pourtant 
probable  que  dorénavant  la  prétention  des  hasidim  à  se  distinguer  'du  reste  de  la 
nation  aura  paru  peu  justifiée,  et  dans  tous  les  cas  un  docteur  d'esprit  pondéré  comme 
Iosué  b.  Hanania  (ne  s.)  a  pu  trouver  que  les  hasidim  allaient  quelquefois  trop  loin 
et  poussaient  jusqu'à  l'extravagance  :  Ï"ïl2*V2J  VOfT,  Sota,  20  «,  dans  la  mischna. 
Cf.  Graetz,  Monatsschrift,  1869,  p.  31.  —  Il  est  inutile  de  dire  qu'il  faudrait,  avec 
notre  théorie  sur  les  hasidim  et  çaddihim,  revoir  tout  ce  que*  Geiger  a  dit,  dans  son 
Urschrift,  sur  les  çaddihim,  mais  cela  nous  mènerait  trop  loin. 

2  Graetz,  Kritischer  Commentar  zu  den  Psalmcn,  I,  20-21. 

3  II  va  sans  dire  que  quelques-unes  de  ces  appellations  peuvent  être  purement  des 
épithètes  ou  des  équivalents  poétiques,  non  de  véritables  noms  portés  par  les 
Pauvres. 

4  De  là  vient  probablement  le  TftlFP,  qu'on  traduit  ordinairement  par  «  mon 
âme  »,  et  qui  signifie  «  ma  personne  qui  est  isolée  »  (Ps.  22,  21  ;  35,  17)  ;    le  mot 


LES  DIX-HUIT  BENEDICTIONS  25 

Srbrrca  /-p25  ^paa  ,  ^pup^û  '^  ^^  'V1"1  ^^  /fcsv^^", 
,  mb  i-TNDu  ,wh*  ^aria  ,wa  "ns-tt  ,vronb  fcrbrrtt  /t-ib 
,^a^    /Y733*    ,'n  ^l^v    /n  Ta?  j'mD'Hp  "no    ,nps    /3b   ^nioa 

bnp     ,fcmBYTp     ,  taV1^    ,n3n*      ,t=?    iW    /VIN    ^33>    ,  b«   fc"TO 

,fcrman  ,  un  ,  ab  ^-mui  ,«n   /-  ^p  ,  ta^Dn  bnp   ,twi*ip 

A  cette  liste,  on  pourrait  peut-être  ajouter  les  noms  suivants  : 
1°  d-mDN  t^y  i'-pon  .ùn^ON  y^DN  ;  2°  trsiss  ,trm*.  Le  t^dn  est  le 
prisonnier,  l'exilé,  le  Juif  captif  en  Babylonie;  mais  en  souvenir  de 
la  captivité  de  Babylone,  le  Pauvre  a  pu  continuer  à  s'appeler  un 
captif,  même  après  le  retour  de  Babylone  *.  Les  passages  des 
Psaumes  où  se  trouve  le  ton  ne  sont  pas  absolument  convain- 
cants 2,  mais  que  peut  bien  vouloir  dire  le  amott  •vriîb  de  la  pre- 
mière des  dix-huit  bénédictions,  rédigée  à  une  époque  où  il  n'y 
avait  plus  de  captifs  juifs?  De  même,  que  le  pauvre  soit  Epsa, 
courbé,  cela  n'a  rien  d'étonnant  ;  il  peut  aussi  se  comparer  à  un 
aveugle  qui  cherche  avec  anxiété  la  lumière  de  la  Loi.  Ce  qui 
nous  fait  penser  que  les  Pauvres  prenaient  ces  noms,  c'est  un 
passage  du  Ps.  146,  où  il  est  dit  que  «  Dieu  délivre  les  prisonniers, 
rend  la  vue  aux  aveugles3,  redresse  ceux  qui  sont  courbés,  et 
aime  les  Jus.tes  ».  Nous  demandons  de  nouveau  :  Qu'est-ce  que  ces 
prisonniers  délivrés  par  Dieu?  Nous  demandons  également  si,  vu 
l'état  de  la  médecine  à  cette  époque,  les  Juifs  ont  pu  voir  beau- 
coup d'aveugles  qui  avaient  recouvré  la  vue  ou  beaucoup  de 
tailles  voûtées  qui  se  seront  redressées  ?  Dieu  ne  devait  pas  faire 
souvent  de  pareils  miracles.  Tout  cela,  à  notre  avis,  ce  sont  les 
Pauvres  et  rien  que  les  Pauvres,  qui  sont  opprimés,  prisonniers, 

parallèle  *ï\DD3,  dans  ces  versets  ne  signifie  pas  non  plus  «  mon  àme  »,  mais  aussi 
<  ma  personne  ». 

1  La  note  qui  suit  celle-ci  complète  notre  pensée  sur  ce  sujet. 

2  Ps.  G8,  8  ;  79,  11  ;  102,  21  ;  107,  10.  Dans  Ps.  69,  34,  il  semble  pourtant  bien 
clair  que  Yébion  et  le  TON  sont  la  même  chose;  voir  aussi  142,  8  :  *"\^'0)2)2  ïlfc^Sfclïl 
vwJD5,  d'où  il  semble  résulter  que  la  prison  est  le  symbole  de  la  misère  du  Pauvre. 
Isaïe,  42,  7,  et  43,  8,  montre  bien  que  le  Pauvre  est  considéré  comme  un  aveugle 
qui  tâtonne  dans  les  ténèbres  de  \& prison.  Dans  Lament.,  3,  36,  l'homme  est  désigné 
par  la  périphrase  V""|N  "H^ONi  prisonnier  de  cette  terre. 

3  Voir  encore  Ps.  38,  11,  et  cf.  ce  même  Ps.  38,  10,  14,  15,  16,  où  le  Pauvre  est 
aussi  sourd  et  muet.  Remarquer  enfin  que  si  le  Pauvre  ne  s'appelle  pas  directement 
orphelin,  Ûin"1,  c'est  pourtant  à  lui-même  qu'il  pense  indirectement  quand  il  parle  de 
l'orphelin  (Ps.  10,  14,  18,  *pi  ùim  ;  82,  3,  E5H1  "^  Ùimi  b*n).  Il  en  est  de  même 
dans  les  passages  des  Ps.  où  l'on  parle  de  la  veuve  et  de  l'étranger,  -|}  (cf.  Ps.  68, 
6,7  ;  146,  8,  9,  et  le  curieux  verset  Ps.  39,  13).  En  général,  le  Pauvre  se  compare  à 
tous  ceux  qui  souffrent  de  quelque  manière  que  ce  soit,  par  infirmité  physique  (les 
malades,  les  sourds,  les  aveugles,  etc.),  par  faiblesse  et  vice  de  l'organisation  sociale 
(la  veuve,  l'orphelin,  le  pauvre),  par  suite  d'une  infériorité  légale  ou  du  préjugé  social 
(l'étranger,  le  protégé). 


26  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

courbés  sous  le  poids  des  souffrances  physiques  et  morales,  et  tâ- 
tonnent dans  les  ténèbres  jusqu'à  ce  qu'ils  voient  le  soleil  de  la 
grâce  divine. 


III 


C'est  dans  cette  société  si  curieuse  des  Pauvres  et  des  Justes 
qu'est  né  le  scïiemonê-esrè.  Nous  allons  voir  que  les  idées  qu'il 
exprime  sont  justement  les  principaux  thèmes  développés  dans  les 
Psaumes  et  auxquels  s'attachait  la  pensée  des  çaddikim,  certains 
paragraphes  du  scUemonê-esré  n'ont  même  de  sens  que  si  on  les 
attribue  aux  çaddikim. 

Avant  de  continuer,  nous  faisons  ici  une  remarque  importante. 
Il  peut  y  avoir  des  personnes  qui  ne  se  sont  pas  encore  familia- 
risées avec  cette  théorie  de  l'existence  d'une  classe  sociale  des 
Pauvres  et  des  Humbles.  Le  lecteur  qui  n'y  croira  pas  pourra, 
dans  ce  qui  va  suivre,  remplacer  le  Pauvre  par  le  Juste  tel  qu'on 
le  concevait  autrefois,  l'homme  juste,  qui  se  distingue  par  sa  piété 
et  ses  vertus,  et  qui  est  opposé  au  méchant.  Avec  ce  changement, 
la  thèse  que  nous  développons  n'aura  plus  tout-à-fait  la  même 
importance  ni  la  même  portée,  mais  elle  restera  encore  exacte  et, 
sauf  quelques  détails  d'ordre  secondaire,  nous  n'aurions  presque 
pas  un  mot  à  en  retrancher.  Ceci  dit,  nous  commençons  notre 
explication. 

Le  schemoné-esré  est  là  prière  [tefilld)  par  excellence,  c'est  le 
nom  qu'il  porte  dans  le  Talmud,  et  précisément  les  Pauvres  pa- 
raissent passer  leur  temps  à  prier.  Les  mots  prière,  prier,  se 
trouvent  plusieurs  centaines  de  fois  dans  les  Psaumes,  la  prière 
publique  y  est  mentionnée  également l. 

La  plupart  des  expressions  typiques  du  schemonè-esrè  se  trou- 
vent dans  les  Psaumes,  et,  quand  elles  ne  sont  pas  là,  elles  se 
trouvent  chez  Isaïe,  qui  a  été  le  grand  prophète  et  premier 
poète  des  çaddikim^.  Jérémie  a  fourni  une  de  nos  dix-huit 
bénédictions,,  il  le  doit  peut-être  à  ce  qu'il  a  été  lui-même  un  vrai 


i  Par  exemple,  Ps.  22,  23  et  26  ;  40,  10  ;  89,  6  ;  149,  1. 

a  Nous  ne  faisons  pas  ici  de  distinction  entre  Isaïe  et  Pseudo-Isaïe.  On  peut  ad  - 
mettre,  si  l'on  veut,  que  certaines  parties  d;Isaïe  ont  passé  dans  les  dix-huit  béné- 
dictions à  la  faveur  du  Pseudo-Isaïe  et  qu:on  ne  voulait  ou  ne  savait  pas  les  distin- 
guer l'un  de  l'autre.  Mais  il  y  a  plus  :  il  est  excessivement  probable  que  beaucoup 
de  parties  d'Isaïe  appartiennent  au  cycle  du  Pseudo-Isaïe  et  principalement  parmi 
celles  où  a  puisé  le  schemoné-esré. 


LES  DIX-HUIT  BENEDICTIONS  27 

Pauvre  et  Juste,  persécuté  et  martyrisé,  le  type  du  çaddik  à  une 
époque  où  les  çaddihim  n'existaient  pas  encore.  Voici  une  liste, 
sûrement  incomplète,  des  emprunts  faits  à  la  Bible  par  le  sche- 
moné-esré,  ils  viennent  tous  de  ces  trois  livres,  Psaumes,  Isaïe  et 
Jérémie  ". 

N°  1.  L'image  de  Dieu  servant  de  bouclier  au  Pauvre  est  très 
fréquente  dans  les  Psaumes  (Ps.  7,  11  ;  18,  3,  36  ;  84,  10  ;  etc.)  ; 

cf.  Genèse,  15,  1. N°  2.  frbm  "|331S  Ps.  145,  14. N°  3. 

ttinp  innN  Ps.  22,  4  ;  "pbbST1,  terme  préféré  des  Psaumes  ;  ïibo  ne 
se  trouve  que  dans  les  Ps.  (un  grand  nombre  de  fois)  et  dans  Ha- 

baccuc  (3  fois) 2. N°  4.  Les  Ps.  ont  des  centaines  de  fois 

^Mtt  et  i»n  ;  Ps.  94,   10,  rw  û^in  ^abtt  3. N°  7.  iw  îian 

Ps.  9,  14;  25,  18;  119,  153*  ;  vyn  rtan  Ps.  35,  1  ;  43,  1  ;  74,  22; 
se  trouve  aussi  dans  d'autres  livres  bibliques  ;  xbvon  ^rm  Sn:m 

Ps.  119, 154 5. N°8.  nnai  ^nbnn  ^  ^onNn  •^•nain  nd*)»i  'm^sn 

Jérém.,  17,  14.  L'idée  du  secours  de  Dieu,  dans  des  termes  ana- 
logues, se  trouve  sans  cesse  dans  les  Ps. N°  9.  nrjn  y»msttïi 

Ps.  103,  5  6. N°  10.  b-m  -£W2  ypn  Is.,  27,  13  7  ;  ...03  MHi 

ynsn  mD»  yïr\wn  ynp^  ...b*niï^  ^rm  tp&n  Is.,  11, 12 s.  Ce  chapitre 
d'isaïe  est,  du  reste,  consacré  aux  anavim  et  doit  être  attribué 

au  Pseudo-Isaïe  ;  o^  bxnvi  W3  Ps.  147,  2. N°  11.  m^an 

'an  ttSTONnaa  "pûBT»  Is.,  1,  26.  Ce  fragment  du  ch.  1er  doit  égale- 
ment appartenir  au  Pseudo-Isaïe  ;  nroan  "pjp  Is.,  35,  10  ;  51,  11  ; 
ûb^b  'ïi  Tib»i  Ps.  146,  10  ;  BSffiai  ftpTC  artN  Ps.  33,  5  ;  cf.  Ps.  99, 

4;  Is.,  61,  8. N°  12.  tr^î,  plusieurs  fois  dans  les  Ps.,  une  fois 

dans  Is.,  Jérém.,  Mal.,  Proverbes  ;   y^sx  ûn^n^iN  Ps.  81,   15  ; 

rrçpri  D-nt  Ï"1N18  Is.,  25,  59. ■  N°  13.  svj  "pu?  seulement  Cohélet, 

6,  9  ;  TOia  Nbi  in-js  "p  Ps.  22,  6  ;  cf.  25,  2  ;  rrjntt  Ps.  71,  5  ;  aussi 

dans  Is.,  Jérém.,  Ezéch.,  Proverbes  et  Job. N°  14.  ûbœrï1  tt5na 

Ps.  147,  2.  Nous  ne  nous  sommes  pas  autrement  occupé  de  ce  nu- 
méro ;  le  trône  de  David,  Ps.  89,  36-37  ;  122,  5. N°  15.  maXtt 

1  Quelques-unes  de  ces  idées  et  expressions  se  trouvent  aussi,  par  équivalents  ou 
exactement,  dans  d'autres  livres  bibliques  ;  ce  qui  est  remarquable,  c'est  que  toutes 
se  trouvent  dans  les  Ps.  et  dans  Isaïe,  plus  un  passage  de  Jérémie.  Ce  n'est  pas  ici 
tel  ou  tel  détail,  mais  l'ensemble  des  faits  qui  est  caractéristique. 

8  Nous  ne  nous  sommes  arrêté  qu'à  quelques  points  particulièrement  remarquables 
des  trois  premières  bénédictions. 

3  b31Z3î-n  ÏW,  Jérém.,  3,  15. 

*  Cf.  Lament.,  1,  10. 

3  Lament.,  3,  58. 

6  Ps.  65,  5  et  12;  Jérém.,  31, 14. 

7  Jérém.,  51,  27. 

8  ls.,  43,  5;  45,  20;  00,9. 

9  Dans  la  littérature  des  Pauvres,  d^ï  et  Û^IT  sont  la  même  chose  ;  le  Pauvre 
confond  le  méchant  de  l'intérieur  avec  l'étranger  et  inversement  l'étranger  est  pour 
lui  un  méchant. 


28  REVUE  DES  ETUDES  JUIVES 

Wb  ynp  Ps.  132,  17  ■  ;  *7.a*  w  et  fi»  W  Ps.  89,  4,  21  ;  132,  10  ; 
isnp  ùnnPs.  89,  26  (image  fréqueate,  du  reste,  dans  la  Bible). 

Mais  la  ressemblance  extérieure  des  dix-huit  bénédictions  avec 
Isaïe  et  les  Psaumes  n'est  rien  à  côté  de  la  ressemblance  interne, 
qui  est  frappante  et  dont  nous  allons  essayer  de  donner  une  idée 
en  prenant  un  à  un  tous  les  paragraphes  du  schemoné-esré. 

N°  1.  —  La  protection  accordée  par  Dieu  aux  Israélites  en  fa- 
veur des  Patriarches  se  trouve  souvent  indiquée  dans  la  Bible,  les 
Psaumes  ne  l'ont  pas  oubliée  (Ps.  22,  5  ;  44,  2  ;  108,  9-10),  mais 
les  dix-huit  bénédictions  accordent  une  importance  particulière  à 
Abraham.  Dans  un  chapitre  du  Pseudo-Isaïe  qui  est  consacré  au 
Serviteur  de  Dieu,  Abraham  obtient  aussi  une  mention  de  préfé- 
rence (*2ns  ù!-mN,  Is.,  41,  82)  ;  de  même  dansPs.  47,  10  (où  sont 
associés  Abraham  et  le  bouclier,  comme  dans  notre  bénédiction) 
et  Ps.  106,  6,  42,  où  Abraham  est  le  Serviteur  par  excellence  de 
Dieu. 

N°  2.  —  La  puissance  de  Dieu  est  un  des  thèmes  favoris  des 
Psaumes  (Ps.  20,  7  ;  21,  14;  24,  8;  54,  3  ;  65,  7  :  etc.,  etc.). 

N°  3.  —  La  sainteté  de  Dieu  se  trouve  souvent  dans  la  Bible, 
elle  est  cependant  particulièrement  relevée  dans  Isaïe,  6,  3.  Les 
Saints  de  notre  bénédiction  sont  probablement  les  Pauvres. 

N°  4.  —  Avec  ce  numéro  commencent  les  vraies  bénédictions, 
dont  les  nos  1-3  et  17-19  sont  l'encadrement.  On  ne  saurait  assez 
admirer  cette  tournure  de  l'esprit  juif  qui  a  fait  qu'en  tête  de  nos 
bénédictions  se  trouve  la  prière  pour  l'intelligence.  Il  n'est  pas 
étonnant  que  la  Sagesse  joue  un  rôle,  et  même  un  rôle  prépondé- 
rant, dans  la  littérature  des  livres  sapientiaux,  où  les  Juifs  ont 
excellé  ;  mais  qu'elle  se  trouve  en  tête  d'une  prière  populaire  et 
qu'une  pareille  oraison  soit  comprise  et  appréciée  par  les  classes 
les  plus  infimes  de  la  nation,  cela  est  vraiment  curieux  et  ex- 
traordinaire. La  pensée  de  ce  paragraphe  est  un  lieu  commun  de  la 
littérature  rabbinique,  on  la  trouve  déjà  indiquée  en  plusieurs  en- 
droits du  Ps.  119  (par  ex.  aux  v.  30,  34,  66),  et  elle  est  développée 
largement  dans  certains  chapitres  des  Proverbes  (chap.  2,  1-5  ; 
chap.  10  à  13).  Pour  bien  pratiquer  la  Loi,  il  faut  la  comprendre  ; 
sans  intelligence,  il  n'y  a  pas  de  vraie  piété  3. 

N°  5.  —  Ce  numéro  est  la  suite  naturelle  du  n°  4,  le  vœu  qu'il 
exprime  est  le  vœu  de  tout  israélite  pieux4. 

»  Cf.  Jér.,  23,  5-  33,  15  ;  Ezéch.,  29,  21  ;  34,  23. 

2  Voir  aussi  Isaïe,  51,  2. 

3  Cf.  Prov.,  29,  7  ;  Daniel,  9,  22  ;  12,  10. 

4  Le  psalmiste,  Ps.  80,  20,  sait  très  bien  ce  que  veut  dire  "lilTMÏÎÏl  tout  seul  ; 
notre  bénédiction  commente  l'idée  en  ajoutant  ■"irmnb.  Cf.  plus  loin,  nos  observa- 
tions sur  le  Discours  sur  la  Montagne. 


LES  DIX-HUIT  BÉNÉDICTIONS  29 

N°  6.  —  C'est  une  idée  fixe  des  Justes  et  des  Pauvres  qu'ils 
sont  couverts  de  péchés,  elle  se  trouve  exprimée  nombre  de 
fois  dans  les  Psaumes  (25,  8,  11  ;  31,  12;  38,  5;  39,  9  ;  40,  13; 
etc.,  etc.).  Leur  péché,  du  reste,  se  confond  avec  le  péché  d'Israël, 
et  leur  salut  avec  celui  de  la  nation  \  car  il  ne  faut  pas  l'oublier, 
ils  ont  l'ambition  de  représenter  la  nation  et  de  croire  qu'elle  vit 
en  eux.  Le  Ps.  44  confond  les  malheurs  des  .  Pauvres  et  ceux 
d'Israël  (cf.  Ps.  79,  1-4;  25,  18);  au  Ps.  85,  v.  9,  le  terme  de 
hasidimest  synonyme  des*  mots  peuple  de  Dieu  T-pam  vzy-.  Chez 
Isaïe,  la  confusion  entre  le  Serviteur  de  Dieu  et  le  peuple  juif  est 
si  grande  que  beaucoup  de  commentateurs  hésitent  encore  aujour- 
d'hui sur  le  sens  de  ces  mots  Serviteur  de  Dieu  chez  ce  prophète, 
et  se  demandent  s'ils  ne  représentent  pas  simplement  le  peuple 
juif. 

N°  7.  —  Il  est  entendu  que  le  Pauvre  est  accablé  de  souffrances 
et  de  persécutions,  le  méchant  triomphe  de  lui  et  l'opprime,  il 
supporte  en  gémissant  tous  les  opprobres.  C'est  son  attitude  dans 
Isaïe  et  dans  les  Psaumes 3.  Nous  ne  doutons  pas  un  instant  que  le 
n°  7  des  dix-huit  bénédictions  se  rapporte  à  ces  misères  réelles  ou 
imaginaires  du  Pauvre4.  C'est  le  seul  moyen  de  comprendre  ce 
paragraphe,  de  s'expliquer  comment  il  occupe  cette  place  dans  le 
schemo7îé-esré,  et  d'écarter  les  difficultés  qu'il  présente  aussi 
longtemps  qu'on  veut  y  voir  l'abaissement  politique  de  la  nation 
juive.  Le  nro*  (oniénu)  de  notre  bénédiction  est  la  misère  du 
Pauvre  foy  ani)  ;  le  iwn  "mm  est  le  combat  du  Pauvre  contre  la 
société  hostile  qui  l'entoure,  les  grands,  les  puissants,  les  juges 
iniques,  tous  ceux  qui  ne  partagent  pas  ses  illusions  (Ps.  25,  18  ; 
35,  1  ;  43,  1  ;  44,  29  ;  69, 19)  ;  la  délivrance  qu'il  attend  est  la  dé  - 
livrance  des  mains  de  ces  ennemis  intérieurs  (voir  les  passages 
des  Ps.  que  nous  venons  de  citer),  et  comme  il  est  le  représentant 
du  peuple,  sa  délivrance  est  celle  du  peuple  d'Israël  baw  bsia 
(cf.  Ps.  25,  18-22;  72,  15).  Cette  formule  peut,  du  reste,  s'expli- 


1  Cf.  Ps.  130,  8,  entre  autres. 

*  Ps.  78,  3;  148,  14. 

a  Les  exemples  sont  nombreux  dans  les  Psaumes.  Le  passage  d'Isaïe,  53,  3,  est 
caractéristique. 

*  En  partie  réelles,  sans  doute,  et  en  partie  imaginaires  ou  théoriques.  Le  fameux 
Discours  sur  la  Montagne  (Évangile  de  Matthieu,  ch.  v)  n'est  pas  autre  chose  que  le 
discours  d'un  de  nos  Pauvres  et  sert  en  partie  de  commentaire  aux  idées  que  nous 
exposons  ici,  comme  il  est,  à  son  tour,  commenté  par  elles.  A  l'époque  où  il  a  été 
rédigé,  le  vocabulaire  spécial  des  Pauvres  avait  perdu  la  transparence  qu'il  avait  au 
temps  des  Psaumes,  voilà  pourquoi  Fauteur  est  obligé  d'expliquer  que  ses  Pauvres 
sont  Pauvres  en  esprit  c'est-à-dire  d'intention  ;  que  ses  allâmes  sont  affamés  de 
justice  ;  que  ses  persécutés  sont  persécutés  pour  leur  vertu  et  pour  leur  attachement 
à  Dieu. 


30  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

quer  encore  ainsi  :  le  Pauvre  espère  que  Dieu  le  sauvera,  puisque 
Dieu  est,  d'une  manière  générale,  le  protecteur  et  sauveur 
d'Israël. 

N°  8.  —  De  même,  la  guérison  demandée  à  Dieu  dans  ce  para- 
graphe, est  la  guérison  des  souffrances  matérielles  et  morales  du 
Pauvre.  «  Guéris-moi,  dit  le  Pauvre,  car  j'ai  péché  (Ps.  41,  5)  ; 
guéris-moi,  car  mes  os  tremblent  (Ps.  6,  3)  ;  ma  plaie  ou  bles- 
sure (le  ^mao»  ou  î^rro»  de  notre  paragraphe)  est  toujours 
présente  à  mon  esprit,  je  confesserai  mon  péché  (Ps.  38,  4-9  et 
18-19;  la  plaie,  c'est  le  péché);  Dieu  guérit  ceux  qui  ont  le  cœur 
brisé  (Ps.  14*7,  3)  »,  et  autres  exemples  '.  Il  n'est  donc  pas  ques- 
tion ici  de  maladie  véritable,  mais  de  cette  maladie  particulière 
qui  est  la  maladie  du  Pauvre. 

N°  9.  —  Jusqu'ici  le  Pauvre,  dans  sa  prière,  ne  s'est  occupé  que 
de  ses  besoins  moraux  (5  numéros),  il  a  bien  le  droit  de  penser  un 
instant  à  ses  besoins  matériels.  C'est  l'objet  du  neuvième  para- 
graphe. Cette  bénédiction  se  rattache  d'autant  mieux  à  celles  qui 
précèdent  qu'elle  rentre  aussi  dans  le  cercle  des  préoccupations 
ordinaires  du  Pauvre.  On  le  voit  dans  les  Psaumes,  le  Pauvre  vit 
dans  la  conviction  que  Dieu  lui  fournira  toujours  sa  subsistance  et 
ne  le  laissera  pas  mourir  de  faim.  «  Les  Pauvres  mangent  et  se- 
ront ressasiés  (Ps.  22,  27),  ils  ne  manqueront  jamais  de  pain  (Ps. 
33,  19  ;  37, 19,  25  ;  136,  25  ;  146,  7  ;  147,  9)  ;  Dieu  est  d'ailleurs  le 
père  nourricier  de  toutes  les  créatures  2,  tous  les  êtres  vivants 
tournent  les  yeux  vers  lui,  et  il  leur  donne  à  temps  leur  pâture, 
car  il  est  lui-même  un  çaddih  et  un  hasid  (Ps.  145,  14-17). 
Cette  confiance  du  Pauvre  en  Dieu  fait  la  grandeur  de  notre  béné- 
diction. 

N°  10.  —  Quand  le  Pauvre  a  épuisé,  ou  à  peu  près,  la  série  des 
prières  qui  le  concernent  et  qui  s'appliquent  à  sa  situation  pré- 
sente en  Palestine,  il  pense  aux  frères  absents  et  aux  temps  fu- 
turs. Un  mouvement  rapide  du  cœur  et  de  l'imagination  le  trans- 
porte dans  les  pays  éloignés,  où  les  Juifs  sont  dispersés,  et  dans 
les  temps  éloignés,  où  la  justice  sera  rétablie  sur  la  terre.  L'élan 
qui  emporte  la  pensée  du  Pauvre  vers  ces  régions  nouvelles  est 
très  bien  marqué,  dans  notre  dixième  bénédiction,  par  la  note 
éclatante  du  début.  Le  rappel  des  exilés  qui  fait  l'objet  de  cette 
bénédiction  ne  figure  pas  souvent  dans  les  Psaumes  (voir  cepen- 
dant Ps.  14,  7  ;  53,  7  ;  les  Ps.  106  et  surtout  107  paraissent  écrits 
au  moment  même  du  retour  de  Babylone  et  ne  prouvent  rien), 

*  Voir  encore  Ps.  30,  3;  103,  3. 

2  ÏT^lKlr;  ^D,  dans  notre  numéro,  peut  s'appliquer  à  toute  la  terre. 


LES  DIX-HUIT  BÉNÉDICTIONS  31 

mais  l'idée  de  ce  retour  des  Juifs  dispersés  dans  la  patrie  est 
familière  à  la  plupart  des  prophètes  et  nous  avons  déjà  fait  re- 
marquer aussi  que  le  texte  même  de  notre  bénédiction  est 
emprunté  à  Isaïe.  Le  rrnn  du  commencement  du  paragraphe  est 
la  délivrance  des  exilés,  le  Pauvre  parle  au  nom  de  ces  exilés 
mêmes,  à  la  première  personne  ;  il  se  considère  lui-même,  du 
reste,  comme  un  prisonnier  et  un  exilé. 

N°  11.  —  Mais  le  rappel  des  exilés  est  un  des  actes  du  grand 
drame  messianique,  un  autre  acte  de  ce  drame  sera  consacré  à  la 
réhabilitation  du  Pauvre,  auparavant  méprisé  et  chargé  injuste- 
ment de  toutes  les  iniquités.  Quand  le  Messie  viendra,  le  Pauvre 
sera  jugé  et  justifié  (ras^as  nspISi),  et  pour  que  cette  œuvre  puisse 
s'accomplir,  Dieu  mettra  à  la  place  des  juges  corrompus  de  l'épo- 
que, des  juges  comme  ceux  des  époques  antérieures,  censés  plus 
probes,  et  des  conseillers  de  vertu  antique  1 .  Isaïe,  quand  il  parle 
de  cette  réhabilitation  judiciaire  du  Pauvre,  pense  toujours  aux 
temps  messianiques,  comme  dans  les  passages  de  ses  prophéties 
auxquels  est  emprunté  le  texte  de  notre  paragraphe  (Is.  1,  28;  11, 
1-5).  Dans  les  Psaumes  également,  le  Pauvre  demande  constam- 
ment que  Dieu  juge  entre  lui  et  l'impie,  il  fait  cent  fois  appel  à 
la  justice  de  Dieu,  et  il  attend  avec  impatience  le  moment  de  plai- 
der son  procès 2.  La  justice  actuelle,  dont  il  se  plaint,  est  une  ins- 
titution de  l'Etat  et  un  des  organes  du  gouvernement;  le  gouver- 
nement est  responsable  des  méfaits  qu'elle  commet  et  tous  le» 
pouvoirs  publics,  du  reste,  s'entendent  pour  opprimer  le  Pauvre  : 
voilà  pourquoi  il  souhaite,  dans  notre  prière,  qu'au  temps  messia- 
nique, Dieu  seul  règne  sur  le  peuple  avec  bonté  et  justice  3.  Notre 
prière  ainsi  entendue  et  appliquée  aux  temps  messianiques,  n'avait 
rien  de  bien  blessant  pour  personne,  ni  les  juges  ni  le  roi  ne  pou- 
vaient en  prendre  ombrage.  Il  était  entendu' et  accepté  de  tout  le 
monde  qu'à  l'époque  messianique  toutes  les  institutions  seraient 
meilleures  que  par  le  passé.  D'ailleurs  on  avait  ici  la  prière  de 
gens  excentriques  et  extravagants,  on  pouvait  les  laisser  dire, 
cela  ne  tirait  pas  à  conséquence. 


1  Les  conseillers  sont  en  faveur  chez  Isaïe,  son  Messie  est  un  conseiller  (Is.,  9,  5) . 

*  Le  Ps.  82  est  tout  à  fait  caractéristique  à  cet  égard,  mais  en  général  les  Ps.  sont 
pleins  de  cette  idée  de  la  justice  que  Dieu  exercera  contre  les  méchants  pour  réhabiliter 
îes  Pauvres.  L'idée  du  règne  de  Dieu  aussi  se  trouve  souvent  dans  les  Psaumes  ;  par 
exemple,  Ps.  29,  10  ;  Ps.  47,  Ps.  48,  31,  etc.,  et  Ps.  146,  10,  déjà  cité  plus  haut. 

3  M.  J.  Derenbourg  (Bévue,  XIV,  26)  suppose  que  ces  paroles  sur  le  règne  de 
Dieu  ont  été  ajoutées  plus  tard,  mais  sa  théorie  sur  la  trichotomie  obtient  tout  aussi 
bien  satisfaction  si  l'on  retranche  les  mots  mn3&0  *pJP  1373)3  ^DÏTl.  Remarquer  que 
ces  mots,  qui  paraissent  détonner,  prennent  tout  de  suite  un  sens,  dès  qu'on  donne  à 
nptre  paragraphe  l'explication  que  nous  proposons. 


32  REVUE  DES  ETUDES  JUIVES 

N°  12.  —  Il  est  difficile  de  croire  qu'après  avoir  demandé  jus- 
tice pour  lui,  le  Pauvre  n'ait  pas  demandé  aussi  la  punition  du 
méchant  qui  l'opprimait.  Ces  deux  pensées  ou  ces  deux  vœux  sont 
constamment  unis  dans  les  Psaumes,  ils  y  sont  exprimés  et  répé- 
tés à  satiété.  Il  nous  paraît  donc  probable  que  ce  paragraphe,  con- 
trairement à  l'opinion  talmudique,  n'est  pas  nouveau,  mais  qu'il  a 
été  si  profondément  altéré  sous  Gamaliel  II  qu'il  a  pu  passer  pour 
nouveau.  D'abord  appliqué  principalement  aux  impies  et  insolents, 
ennemis  du  Pauvre,  il  est  devenu  la  malédiction  des  traîtres,  des 
hérétiques,  peut-être  aussi  des  Romains.  Nous  faisons  remarquer 
que  notre  opinion  sur  ce  paragraphe  n'est  pas  liée  à  la  thèse  gé- 
nérale que  nous  soutenons  ici  sur  le  schemoné-esré,  il  est  indif- 
férent, pour  cette  thèse,  que  le  paragraphe  12  soit  ancien  ou  ait 
été  ajouté  plus  tard  ! . 

N°  13.  —  Nous  faisons  d'abord  quelques  observations  de  détail 
sur  ce  paragraphe.  Il  est  clair  que  les  çaddikim  et  les  hasidim  du 
commencement  du  paragraphe  sont  nos  Pauvres,  il  n'est  plus  be- 
soin de  le  démontrer.  Nous  avons  déjà  dit  que  la  mention  des  pro- 
sélytes doit  avoir  été  ajoutée  dans  le  siècle  qui  a  précédé  la 
destruction  du  temple,  si  toutefois  le  reste  du  paragraphe  est  anté- 
rieur. On  verra  plus  loin  que,  dans  cette  seconde  partie  des  dix- 
huit  bénédictions,  il  y  avait  eu  un  certain  nombre  de  bénédictions 
qui  finirent  par  se  fondre  avec  les  autres  ;  elles  s'étaient  très  pro- 
bablement ajoutées  au  texte  primitif,  et  c'est  à  cause  de  leur  jeu- 
nesse relative  quelles  n'auront  pas  gardé  une  existence  indépen- 
dante. Il  existait  une  prière  de  ce  genre  pour  les  prosélytes,  on  la 
fit  rentrer,  comme  le  montre  la  rédaction  actuelle,  dans  la  prière 
pour  les  çaddikim.  Enfin,  les  zekénim  de  notre  paragraphe  ont  été 
ajoutés  plus  tard  encore,  après  la  destruction  du  temple.  Ce  sont 
très  certainement  les  Anciens  du  grand  Sanhédrin  rabbinique  et 
des  Sanhédrins  locaux,  il  est  impossible  qu'ils  aient  été  omis  à  une 
époque  où  les  rabbins  jouissaient  d'une  estime  sans  pareille  et 
étaient,  en  réalité,  les  chefs  de  la  nation2.  Il  nous  paraît  très  pro- 

1  Le  méchant  qui  médit  du  Pauvre  se  trouve  déjà  dans  le  Ps.  101,  8,  "OlDbfà,  et 
souvent  les  Ps.  expriment  leur  horreur  pour  les  paroles  calomnieuses.  On  pourrait  en 
conclure  que  même  les  malsinim  de  notre  n°  12  sont  anciens.  Voir,  par  exemple, 
Ps.  5  tout  entier;  Ps.  12,  45;  17,  10  ;  33,  14  ;  38,  13.  La  préoccupation  des  calom- 
niateurs ou  mauvaises  langues  se  montre  aussi  dans  la  belle  prière  mise  à  la  fin  des 
dix-huit  bénédictions  T11ÎLD  ",rtbN. 

3  Voir  notre  travail  :  La  Chaîne  de  la  Tradition.  Les  zekénim,  comme  les  prosélytes, 
formaient  autrefois  l'objet  d'une  prière  indépendante  qui  s'est  amalgamée  avec  la 
prière  des  çaddikim,  preuve  que  la  prière  pour  les  zekénim  est  récente.  —  Les  mots 
115*133  Nbl  de  notre  prière  ne  signifient  pas  :  que  nous  ne  soyons  pas  humiliés  d'être 
moins  bien  traités  que  les  autres  ;  mais  signifient  :  que  nous  ne  soyons  pas  humiliés 
de  voir  notre  prière  rejetée  par  Dieu. 


LES  DIX-HUIT  BÉNÉDICTIONS  33 

bable  que  les  soferim  sont  aussi  entrés  dans  notre  prière  à  la 
même  époque,  nous  craignons  tort  que  ce  qu'on  nous  dit,  en  gé- 
néral, sur  les  soferim  n'ait  été  inventé  en  grande  partie  après 
la  destruction  du  temple  et  ne  soit  pure  légende. 

Notre  prière  n°  13  peut  être  considérée  comme  la  suite  naturelle 
des  nos  11-12,  ou  du  n°  11,  si  on  admet  que  le  n°  12  ait  été  intercalé 
postérieurement.  Après  avoir  demandé  à  Dieu  réparation  pour  les 
souffrances  passées,  le  Pauvre  demande  la  protection  spéciale  et 
la  faveur  de  Dieu.  Il  sera  réhabilité  (n°  11);  l'impie,  au  con- 
traire, sera  puni  (n°  12)  ;  et  le  Pauvre  obtiendra  dorénavant  et 
pour  toujours  la  protection  spéciale  de  Dieu  (n°  13).  Cette  expli- 
cation paraîtra  surtout  admissible  si  on  considère  qu'il  ne  s'agit 
guère  ou  même  qu'il  ne  s'agit  pas  du  tout,  dans  cette  prière,  du 
bonheur  présent  du  Juste,  mais  de  son  bonheur  à  l'époque  mes- 
sianique ou  peut-être  dans  la  vie  future,  à  laquelle  on  dirait  que 
le  mu  -ûtf3  fait  allusion.  Les  deux  Abrégés  du  schemoné-esré 
dont  nous  parlerons  plus  loin  rapportent  également  notre  prière 
à  l'époque  messianique  l. 

Si  le  n°  15  a  été  ajouté  plus  tard  seulement,  comme  le  n°  14, 
notre  n°  13  serait  déjà  une  espèce  de  final,  et  se  rattacherait  fort 
bien  au  n°  16. 

N°  14.  — -  De  l'aveu  de  tout  le  monde,  cette  prière  a  été  insérée 
dans  le  schemoné-esré  après  la  destruction  du  temple.  La  place 
qu'elle  occupe  a  été  très  judicieusement  choisie  :  d'après  les  expli- 
cations qui  précèdent,  la  prière  fait  partie  de  la  série  des  prières 
qui  ont  en  vue  l'époque  messianique,  elle  se  rattache  sans  peine  à 
la  prière  précédente  et  de  la  manière  la  plus  naturelle  à  la  prière 
suivante. 

N°  15.  —  Cette  bénédiction  doit  appartenir  au  fonds  primitif  du 
schemoné-esré,  et  on  comprend  fort  bien  qu'elle  se  trouve  à  la 
fin  du  morceau,  comme  le  couronnement  de  l'édifice  messianique. 
Les  Psaumes  sont  pleins  du  Messie,  et  le  Messie  ne  pouvait  pas 
manquer  dans  une  prière  si  directement  inspirée  par  eux.  La  seule 
observation  importante  que  nous  ayons  à  faire  ici,  c'est  que 
le  Messie  se  trouve  déjà  dans  le  n°  14.  Il  faut  noter  aussi  que,  en 
Palestine,  comme  on  le  verra  plus  loin,  les  nos  14-15  de  nos  rituels 
ne  forment  qu'un  seul  numéro.  Nous  nous  garderons  d'en  con- 
clure que  la  prière  pour  le  Messie  soit  postérieure  à  la  prière 
pour  la  reconstruction  de  Jérusalem  (n°  14).  En  réalité,  la  prière 

1  II  ne  nous  paraît  pas  impossible  que  les  prêtres  y  aient  figuré  primitivement  et 
qu'ils  aient  été  rayés  plus  tard  par  les  Pharisiens.  Les  Psaumes  ne  sont  pas  encore 
hostiles  aux  prêtres  (v.  Psaumes  115,  118,  132)  et  les  n°*  5  et  17  du  schemoné-esré 
parlent  des  sacrifices. 

T.  XIX,  n°  37.  3 


34  REVUE  DES  ETUDES  JUIVES 

pour  la  reconstruction  de  Jérusalem  s'est  ajoutée  à  l'ancienne 
prière  pour  le  Messie.  Les  mots  l'on  !"D"inb  mntt  th  ND31  du 
n°  14  de  notre  rituel,  qui  font  double  emploi  avec  le  n°  15,  sont, 
dans  ce  rituel,  une  imitation  maladroite  du  rite  palestinien. 

N°  16  et  n08  17-19.  —  Ces  numéros  n'offrent  aucune  difficulté. 
Nous  nous  sommes  déjà  expliqué  plus  haut  sur  le  n°  17. 

Il  existe  un  psaume  qui  mérite  spécialement  d'être  signalé  ici, 
parce  que,  par  un  singulier  bonheur,  mais  qui  n'est  pas  un  pur 
hasard,  il  offre,  en  quelques  lignes,  presque  toutes  les  prières  de 
notre  schemoné-esrê.  C'est  le  Ps.  146,  dont  nous  avons  déjà 
parlé  plus  haut,  joint  à  quelques  versets  du  Ps.  147.  Nous  en 
donnons  id  le  texte  avec  des  chiffres  qui  représentent  les  nu- 
méros d'ordre  de  nos  bénédictions  : 

...YW3  sp3>i  batt  vitd8   (]) 
trpv^b  udu;:o  !-îuîj>  (11) 
trnjnb  dnb  "jns   (9) 
^diss  rpï  'n  trw  npD  '-  ûmos  Tntt  'n   (7) 

trp^7£  3ttN  'n  (13) 

...■û'na  na  n»»  'n  (13) 

...'ûbwb'nibs'i  (11) 

'n  ûbuî-i-p  tirn  (14) 

dssi  ban»**  ima  (10) 

...3b  -«nnuib  wonn   (8) 

4'n  trw  m?»  (11) 

tn^p-i  bisœ»  (12) 

La  suite  du  Ps.  147,  nrnsflort  nu»  ynab  'pSEii  ùm3>3  aratt  iiodroii 
ïranb  ïTOïiab  $ma  *nm  d'nii  contient  certainement  la  nnni  de 
Dieu  (n°  2  du  schemoné-esrê),  comme  le  prouve  l'antithèse  qui 
suit  :  DiDti  rrhsaa  «b.  Les  versets  13-16  du  Ps.  145  contiennent 
également  quelques-unes  des  idées  du  schemonê-esréf  mais  les 
Ps.  146-7  surtout  sont  frappants,  la  réunion  de  la  plupart  des 
dix-huit  bénédictions  dans  quelques  versets  de  ces  deux  Psaumes 
démontre  avec  évidence  la  parenté  du  schemoné-esrê  avec  les 
Psaumes  5. 

1  Dans  Ù"m^  HpQ,  on  pourrait  aussi  voir  le  n"  4  ;  le  Û"H1DN  "PDft  se  trouve 
dans  le  n°  2  et  pourrait  aussi  rappeler  notre  n°  10. 

2  Se  rappeler  ce  que  nous  avons  dit  plus  haut  de  l'assimilation  du  Pauvre  avec 
l'étranger. 

3  Déjà  le  schemoné-esré  de  Bosch-haschana  et  de  Kippur  fait  cette  application  de 

ce  verset:  abi^b  'n  ^broi  ^unp  "naTS  31D33  'an  ^pnb  'n  rrns  "pbttm 

.rmbbn  n-m  iTib  i-pit  vnbN 

4  Ou  bien  on  assimilera  ces  mots  au  n°  13. 

5  M.  J.  Dereubourg  nous  a  rendu  attentif  au  début  du  schemoné-esré  de  Bosch- 


LES  DIX-HUIT  BÉNÉDICTIONS  33 


IV 


II  est  bien  certain  que  le  nombre  18  de  nos  bénédictions  est 
cherché  exprès,  c'est  une  sorte  de  nombre  sacré  ou  symbolique 
chez  les  Juifs  (on  l'a  aussi  dans  les  18  mesures  prises  contre  les 
payens  lors  de  la  destruction  du  temple).  A  un  certain  moment  il 
circulait,  comme  nous  l'avons  déjà  indiqué  plus  haut,  des  bénédic- 
tions plus  nombreuses.  Elles  se  rattachaient  à  la  seconde  partie  de 
notre  prière,  où  le  texte  était  moins  arrêté  et  où  l'on  plaçait  natu- 
rellement, puisque  c'était  la  fin  du  morceau,  toutes  les  bénédic- 
tions nouvelles  qui  se  produisaient.  C'est  ainsi  qu'on  avait  des  bé- 
nédictions séparées  pour  les  minim,  ou  d^iûiû,  ou  tr^un,  ou  û^r, 
pour  les  Anciens,  pour  les  prosélytes.  Toutes  ces  bénédictions, 
nous  l'avons  également  dit  plus  haut,  étaient  probablement  d'ori- 
gine plus  récente  que  les  autres,  et  c'est  ce  qui  a  permis  de  les 
faire  rentrer  peu  à  peu  dans  les  bénédictions  12  et  13,  ce  qu'on  a 
fait  pour  rester  fidèle  au  nombre  18  *. 

Le  Talmud  de  Babylone  admet  cependant  qu'il  y  a  eu  finale- 
ment 19  bénédictions,  après  l'addition  vraie  ou  supposée  de  la  12e 
[malsinini),  qui,  pour  lui,  ne  fait  guère  partie  du  morceau  -.  Le 
Talmud  de  Jérusalem,  au  contraire,  n'a  que  18  bénédictions  avec 
celle  des  malsinini.  Landshuth  a  prouvé,  par  d'excellents  argu- 
ments5, que,  pour  ce  Talmud,  la  15e  bénédiction  n'existe  pas,  le 
rétablissement  du  trône  de  David  qui  en  fait  l'objet  étant  compris 
dans  le  n°  14.  Landshuth  a  omis  un  argument  plus  direct  que  tous 
ceux  qu'il  emploie.  Le  Talmud  de  Jérusalem,  parlant  des  18  béné- 
dictions, dit4  :  «  Si  on  te  soutient  qu'il  y  en  a  seulement  17,  ré- 
ponds que  celle  des  hérétiques  (la  12e)  a  été  rédigée  depuis  long- 
temps à  labné  »,  ce  qui  veut  dire  qu'il  y  a,  en  effet,  17  anciennes 
bénédictions,  mais  qu'avec  notre  12°,  celle  des  malsi?ivmt  cela  fait 


haschana  et  de  Kippur,  il  a  très  finement  remarqué  que  le  passage  11 3 S  *jn  *p31 
jusqu'à  îinN  12511p  reproduit  quelques-unes  de  nos  bénédictions.  Les  quatre  alinéas 
de  ce  passage  reproduisent,  comme  on  le  verra  en  partie  plus  loin,  cinq  paragraphes 
du  schemoné-esré,  savoir,  les  paragraphes  14-15,  13-11.  Dans  12rHÏ"D  ilDN,  on 
a  notre  n°  5,  et  dans  le  I^DSft  "jl^l  ^ÏT  encore  les  nos  10-11.  Cf.  Geiger,  Jild. 
Zeitschr.,  VII  (1869),  p.  170-171. 

«  Bcrakhot  j„  8  a  ;   4  d  et  8  c  (sur  IV,  5)  ;  Megilla  b.,  Mb;  Tosefta  Berakh., 
111,25. 

*  Berakh.  J.,  28  *. 

3  Landshuth,  l.  c,  p.  63-67. 

*  Berakh.  j.,  8  a. 


36  REVUE  DES  ETUDES  JUIVES 

18.  De  plus,  quand  le  Talmud  de  Jérusalem  énumère  les  bénédic- 
tions qui  prennent  place  entre  les  3  premières  et  les  3  dernières  l, 
il  n'en  a  que  12  et  non  13,  nos  prières  14  et  15  n'ont  chez  lui 
qu'un  seul  numéro,  le  n°  14.  C'est  un  principe  pour  lui  que  notre 
n°  15,  consacré  au  rejeton  de  David,  doit  être  amalgamé  avec  le 
n°  14,  comme  on  a  fait  aussi  pour  les  impies,  les  Anciens  et  les  pro- 
sélytes. Le  Talmud  de  Babylone  admet  l'absorption  des  prières 
consacrées  aux  impies,  aux  Anciens  et  aux  prosélytes,  mais  il  ne 
dit  rien  de  l'absorption  de  la  prière  concernant  le  fils  de  David, 
qu'il  compte,  au  contraire,  comme  une  prière  séparée2.  C'est  ce 
qui  fait  que  nos  rituels  ont  19  bénédictions  au  lieu  de  18. 

Les  dix-huit  bénédictions  sont  mentionnées  dans  la  Mischna  au 
nom  de  R.  Gamaliel 3,  qui  est  évidemment  Rabbi  Gamaliel  II,  de 
Iabné.  Elles  existaient  à  peu  près  dans  leur  forme  actuelle,  sauf 
additions  et  altérations  de  détail4,  au  commencement  du  ine  siècle, 
puisqu'on  les  trouve  énumérées  dans  des  boraïtot  qui  ne  doivent 
pas  être  postérieures  à  cette  date  5,  et  qu'un  abrégé  des  dix-huit 
bénédictions  est  attribué  à  Samuel,  qui  est  également  de  cette 
époque  c.  Cet  Abrégé,  qu'on  a  dans  deux  versions,  l'une  palesti- 
nienne et  l'autre  babylonienne7,  et  deux  autres  textes  talmu- 
diquess  (sans  compter  les  textes  post-talmudfques)  montrent  que 
l'ordre  actuel  des  dix-huit  bénédictions  est  très  ancien  et  était 
également  déjà  fixé  au  commencement  du  me  siècle. 

Ces  quatre  textes,  que  nous  avons  déjà  plusieurs  fois  utilisés  plus 
haut,  donnent  lieu  à  certaines  observations  qui  ne  sont  peut-être 
pas  sans  intérêt. 

Remarquons  d'abord  que  l'Abrégé  palestinien  n'est  pas,  comme 
on  l'a  supposé,  composé  de  deux  morceaux  différents,  dont  le  se- 
cond commencerait  à  ynpft  finis  d'nttDfc  ">3  (n°  10).  Dans  tous  les 
quatre  textes  que  nous  venons  de  désigner,  la  seconde  partie  du 

1  Ber.  j.,  4  d. 
a  Megilla,  Mb. 
s  Bcrakh.,  IV,  3. 

4  Sur  lesquelles  il  faut  voir  surtout  J.  Derenbourg,  Revue,  XIV,  26.  L'observation 
faite  par  M.  Derenbourgsur  la  forme  triuairedes  bénédictions  et  le  moule  des  formules 
finales  est  excellente  et  acquise  à  la  science,  nous  croyons  seulement  qu'il  ne  faudrait 
pas  l'appliquer  avec  trop  de  rigueur.  Le  premier  terme  du  n°  7  (la  guérison)  étant  copié 
de  Jérémie,  doit  rester  probablement  comme  il  est  dans  nos  rituels  ;  le  "l^b^  ^5731 
du  n°  11  nous  paraît  nécessaire;  la  formule  finale  du  n°  10  était  plutôt  "TH^  y2pJ2 
biXyû^  (comme  dans  Isaïe  et  les  Ps.)  que  ÛTtti  ynpfà.  Le  Talmud,  dans  le 
passage  où  il  donne  DiJTJD  V^pll  tout  court,  semble  abréger  ;  il  veut  rappeler  les 
formules  d'un  mot,  non  en  établir  le  texte. 

5  Elles  se  trouvent  dans  les  passages  talmudiques  que  nous  citons  plus  loin. 

6  A.  moins  que  ce  ne  soit  le  Samuel  du  n°  s.,  contemporain  de  Gamaliel  II. 

7  Bcrakh.  j.,  8  a  ;  Bcrakh.  b.,  29  a. 
»  Bcrakh.  j.,  k  d;  Megillab.,  17  *. 


LES  DIX-HUIT  BÉNÉDICTIONS  37 

schemoné-esrê  (n09  10-15)  est  exposée  en  termes  plus  abondants 
que  la  première,  et  clans  l'Abrégé  babylonien,  tout  aussi  bien 
que  dans  celui  de  Palestine,  à  partir  du  n°  10,  il  devient  difficile 
de  distinguer  les  membres  de  phrases  et  de  numéroter  les  bénédic- 
tions. Cela  ne  tient  pas  à  une  origine  différente  de  la  seconde  par- 
tie de  l'Abrégé1,  mais  à  la  nature  du  groupe  10-15  des  bénédic- 
tions, qui  avait  gardé  une  certaine  fluidité,  comme  le  prouve 
l'existence  des  bénédictions  supplémentaires  qui  s'étaient  glissées 
dans  ce  groupe  et  ont  fini  par  s'absorber  dans  les  bénédictions  ac- 
tuelles. Il  est  naturel,  sans  doute,  que  ces  prières  supplémentaires 
aient  été  mises  dans  ce  groupe,  parce  qu'il  forme  la  seconde  par- 
tie du  schemoné-esrê,  et  que,  dans  la  littérature  juive,  les  addi- 
tions se  mettent  le  plus  souvent  à  la  fin  ;  mais  il  se  pourrait  bien 
aussi  que  les  insertions  et  additions  se  soient  mises  de  préférence 
dans  ce  groupe  parce  qu'il  serait  un  peu  plus  jeune  que  le  premier 
groupe  (nos  4-9)  ;  il  aura  eu,  pour  cette  raison,  plus  de  peine  à 
prendre  une  forme  arrêtée  et  le  texte  des  prières  qu'il  contient 
aura  paru  moins  vénérable.  Dans  tous  les  cas,  l'embarras  de  nos 
deux  Abrégés  dans  l'énumération  des  prières  de  ce  groupe  est  si- 
gnificatif. 

Nos  quatre  textes  sont,  jusqu'à  un  certain  point,  un  commen- 
taire des  dix-huit  bénédictions  et  contiennent,  sans  qu'il  y  pa- 
raisse, une  tentative  intéressante  pour  expliquer  l'ordre  dans 
lequel  se  suivent  nos  bénédictions.  Il  va  sans  dire  que  les  auteurs 
de  ces  quatre  textes  attribuent  à  ces  bénédictions  leur  sens  plus 
moderne  et  non  le  sens  primitif  que  nous  avons  cherché  à  resti- 
tuer, mais  il  est  curieux  de  voir  que  ces  auteurs  ont  senti  et  essayé 
de  résoudre  la  plupart  des  difficultés  que  présente  notre  morceau 
quand  il  prend  ce  sens,  et  que  nous  avons  indiquées  au  commen- 
cement de  ce  travail. 

La  difficulté  qu'offre  le  n°  7  paraît  signalée  par  l'Abrégé  babylo- 
nien, puisqu'il  réunit  les  nos  6  et  7  en  un  seul  groupe2  :  iib  n?om 
b^nw  nvi-ïb. 

L'explication  courante  des  nos  11,  12  et  13,  n'arrive  pas  à  rendre 
compte  de  la  place  que  le  n°  13  (avec  son  pendant  n°  12)  occupe 
dans  le  schemoné-esrê.  C'est  une  des  plus  graves  difficultés  que 
nous  ayons  notées  plus  haut,  elle  est  résolue  très  heureusement 
par  nos  quatre  textes  talmudiques,  et  cette  solution  mérite  d'autant 
plus  d'être  signalée  que  personne,  à  ce  que  nous  croyons,  n'y  a 

1  La  phrase  "Hjfi  '"-j  "ifàtf,  Berakh,  j.,  Sa,  qui  a  gêné  avec  raison  M.  J.  Dereu- 
bourg,  est  une  interpolation. 

2  Au  lieu  de  "irrVOtott  ISptTTïi  lire  "O^snT. 


38  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

fait  attention.  Elle  repose  uniquement  sur  l'attribution  d'un  sens 
tout  nouveau  donné  au  n°  11  (Ramène  nos  juges).  Il  est  bon  de 
mettre  les  quatre  passages  parallèles  sous  les  yeux  du  lecteur  : 

Iran  hy    ta^mim    yspn    ty^n    !md33]    wik»    ■ûviTjfciMi 
■pproi  *]nr*$  ^333  ta^p^TS  iri^i  "p^  sp3n  Satarowi  bsn  iaDi3-> 

.(Berakhot  b.)  'i:n  ^bd^r» 

mion  d"Wirt  bjn  tanarab  pb?  bwm  y^ptt  nriN   d^nsE  ^ 

.[Berakh.  j.  8  a)  '-un  yr*   ■p535  l2  ^^  ^  TtaD"»!  'p"1 
î-huj>3i3  ^toi   .  .   .  d*wi3  yi  Ji^3>3  n-nbs  nispnsiû  'p'tn 
nttttnntt  bvwwïi  ibsuj  "pidi   .   .   .  diwisrt  ibd  d^unn  p   yi 
.{Megilla)  bbErns  .m^ttinn»  pim   .   -   .  d^pWs   "j^p 
biparti  1^333  d^T-  TO23  )nm  nY»ban  n^npni  pi£3  i3asiiï> 

.(Berakh.  j.  4  cl)  ûTitoO 

Ainsi,  pour  tous  les  quatre  textes,  le  n°  11  signifie  que  Dieu, 
après  avoir  réuni  les  Juifs  exilés  (n°  10),  jugera  les  Juifs  cou- 
pables *.  Ce  jugement  est  une  espèce  de  jugement  dernier,  où  les 
méchants  seront  écartés  et  anéantis,  afin  que  les  élus  seuls  entrent 
dans  le  royaume  de  Dieu.  Un  de  nos  textes  (Megilla)  le  dit  for- 
mellement :  le  jugement  annoncé  dans  notre  bénédiction,  dans 
des  termes  empruntés  à  un  verset  d'Isaïe  (1,26),  est  l'épuration 
annoncée  par  le  même  Isaïe  dans  le  verset  précédent  (1,25),  le 
jugement  messianique.  Cette  épuration  des  Juifs,  liée  au  retour 
de  l'exil,  au  règne  de  Dieu,  et  au  rétablissement  du  rejeton  de 
David,  est  aussi  annoncée  dans  Ezéchiel,  36,24-25;  37,  21-25,  et 
surtout  20,  34-38.  On  y  trouve  exactement  la  série  d'idées  qui  sont 
exprimées  dans  cette  partie  des  dix-huit  bénédictions.  Nos  quatre 
textes  talmudiques,  il  faut  le  remarquer,  font  également  rentrer 
dans  l'ordre  des  faits  messianiques  les  n0s  12-13  de  nos  bénédic- 
tions, et  ils  comblent  ainsi  la  distance  qui  sépare  le  n°  13  des 
numéros  suivants.  D'après  ces  textes,  la  faveur  accordée  aux 
çadcliJiim  et  demandée  pour  eux  dans  le  n°  13,  consiste  en  ce  qu'ils 
verront  le  rétablissement  de  Jérusalem  et  la  restauration  du  reje- 
ton de  David. 

1  D'après  une  note  marginale  de  Berakhot  j.,  Sa,  édition  de  Krotoschin,  il  existe- 
rait, pour  le  texte  d'un  passage  de  cette  page,  une  variante  d'où  il  résulterait  que  notre 
n°  11  se  serait  appelé  ù^inn  D313,  mais  nous  ne  savons  où  l'auteur  de  la  note  a 
pris  cette  variante  et  quelle  autorité  elle  peut  avoir.  —  Remarquons  aussi  que,  dans 
Megilla  au  moins,  la  distinction  entre  les  nos  11  et  12  n'est  pas  clairement  indiquée,  et 
en  effet,  d'après  l'explication  du  n°  11  de  nos  Talmuds,  cette  différence  n'est  pas  claire 
du  tout;  on  peut  dire  tout  au  plus  que,  d'après  Berakh.  j.,  4  d,  le  n°  11  s'applique 
aux  méchants  de  l'intérieur,  le  n°  12  aux  méchants  et  ennemis  du  dehors.  —  Ce  même 
texte  de  Berakh.  j.  a,  ce  qui  est  curieux,  presque  la  même  formule  finale  pour  les 
nos  11  et  13:  n°  lî,  p123  n^DIE;  n°  13,  UDUJ723  15p1i2. 


LES  DIX-HUIT  BENEDICTIONS  39 

Ainsi  tout  s'arrange  admirablement.  Les  Juifs  seront  rappelés 
(n°  10),  un  jugement  sera  institué  contre  les  impies  juifs  et  inaugu- 
rera le  règne  de  Dieu  (n°  11),  les  méchants  seront  exterminés 
(n°  12),  les  pieux  seront  récompensés  (n°  13)  par  la  reconstruction 
de  Jérusalem  (n°  14)  et  le  rétablissement  du  trône  de  David  (n°  15). 
Mais  qui  ne  voit  que  cette  explication  du  Talmud  est  presque 
exactement  celle  que  nous  avons  donnée1  ?  Nous  ne  nous  arrêtons 
pas  à  l'explication  du  Talmud  sur  le  n°  12  (les  malsinim),  elle 
peut  être  erronée  et  ne  nous  intéresse  pas  autrement,  puisque  ce 
numéro  a  été  ajouté  ou  au  moins  défiguré  plus  tard,  mais,  comme 
dans  notre  explication,  le  Talmud  applique  aux  temps  messia- 
niques les  nos  11  et  13,  et  nous  ne  doutons  pas  qu'il  ne  le  fasse  en 
souvenir  du  sens  primitif  de  ces  bénédictions.  Elles  ont  évi- 
demment aussi  ce  sens  dans  le  morceau  du  schemoné-esré  de 
Rosch-hoschana  et  Kippur  que  nous  avons  déjà  plusieurs  fois 
signalé  : 

ï-ir-D  tWDm  iîb^  b'nrc'n  nrnaun  int  &vi£  pan  (n°  13) 

IViï  nbtfîatt  *pn?ri  "û  ïrbsn  flBato   Inbs    i-^un!-;  bsn   (n°  12) 

♦  ■pan  "ja 
Dbtë-pm  'pirD  "pra  )vx  *iï"n  .  ..^pnb  'n  fins  ^pbam  (n°  11) 

Cette  pièce  est  très  probablement  beaucoup  plus  ancienne 
encore  que  les  quatre  textes  talmudiques  que  nous  avons  cités, 
elle  fournit  une  confirmation  remarquable  des  idées  que  nous 
avons  exposées.  Le  passage  du  sens  primitif  de  nos  trois  bénédic- 
tions au  sens  qu'elles  ont  dans  cette  pièce  et  dans  le  Talmud  est 
des  plus  simples  :  elles  s'appliquaient  d'abord  aux  Pauvres,  notre 
pièce  et  le  Talmud,  une  fois  qu'il  n'y  a  plus  de  Pauvres  ou  que 
tous  les  Juifs  sont  des  Pauvres,  se  bornent  à  en  élargir  le  sens  et 
à  les  appliquer  au  peuple  juif  tout  entier. 

En  résumé,  les  dix-huit  bénédictions  sont  la  prière  des  Justes  et 
des  Pauvres,  devenue  plus  tard  la  prière  des  Juifs  en  général. 
Elle  a  été  rédigée  probablement  au  deuxième  siècle  avant  l'ère 
chrétienne,  et,  à  ce  qu'il  nous  semble,  avant  la  lutte  entre  les 
Sadducéens  et  les  Pharisiens.  En  mettant  à  part  les  nos  1-3  et  17-19, 
qui  forment  le  cadre  de  la  pièce,  et  le  n<>  16,  qui  est  une  formule 

1  Remarquer  aussi  que  le  texte  de  Megilla  lie  les  paragraphes,  à  partir  du  n°  10, 
dans  un  ordre  logique,  exactement  comme  nous  Pavons  fait. 


40  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

conclusive,  il  reste  douze  bénédictions,  qui  se  divisent  en  deux 
groupes  d'égale  valeur  numérique  et  qui  se  font  équilibre  :  le 
groupe  4-9,  qui  s'applique  au  présent;  le  groupe  10-15,  qui  s'ap- 
plique à  l'avenir  messianique.  Le  sens  de  plusieurs  de  ces  béné- 
dictions s'est  altéré  forcément,  quand  il  a  fallu  les  appliquer  à  une 
situation  nouvelle,  et  toutes  les  difficultés  que  présente  cette  belle 
composition  disparaissent,  lorsqu'on  restitue  au  texte  sa  signifi- 
cation primitive. 

Isidore  Loeb. 


TEXTES  PEHLVIS  RELATIFS  AU  JUDAÏSME 


(suite  *) 

DEUXIÈME  PARTIE. 

LA  REINE  SHASYAN  DOKHT 


«  Les  villes  de  Shûs  et  de  Shûster  furent  bâties  par  Shasyân  (?) 
»  Dôkht,  femme  de  Yazdkart,  fils  de  Shâhpûhr  :  elle  était  fille  du 
»  Rêshgalûtâ,  le  Roi  des  Juifs,  et  fut  mère  de  Bahrâm  Gôr. 

»  La  ville  de  Gai  fut  foulée  aux  pieds  des  éléphants  par  le 
»  maudit  Alexander.  11  y  avait  là  une  colonie  de  Juifs.  Ils  y  furent 
«  établis  sous  le  règne  de  Yazdkart,  fils  de  Shâhpûhr,  sur  le 
»  désir  de  Dôkht,  sa  femme  2.  » 

Ces  lignes  sont  prises  d'une  énumération  des  principales  villes 
de  l'Iran,  accompagnée  de  quelques  détails  historiques  sur  cha- 
cune d'elles,  qui  se  trouve  contenue  dans  un  manuscrit  unique, 
très  ancien,  connu  sous  le  nom  de  Shah  Nameh  Pehlvi,  et  dont 
je  dois  communication  à  l'obligeance  du  savant  Destour  de  Bom- 
bay, Jamaspji  Minochihrji  Jamasp  Asana.  Ces  lignes  sont  le 
document  historique  le  plus  important  que  nous  ayons  rencontré 
jusqu'à  présent  dans  la  littérature  pehlvie  sur  l'histoire  des  Juifs 
de  Perse.  Elles  ont  tous  les  caractères  de  l'authenticité  historique, 
car  elles  concordent  parfaitement  avec  une  série  de  renseigne- 
ments fournis  d'autres  sources. 

1  Voyez  Revue,  t.  XVIII,  p.  1 . 

2  Shatrôstân  (=  Shahristân)  Shûs  u  Shûstar  Shasyân  Dôkht  nisââi  Yazdkart 
Shahpûhrân  kart,  cîgûn  bartâ  i  Rêshgalûtak  Yahûtân  Shah  amei  i  Vahrâmi  Gôr 
yahvûnt  (folio  24  b). 

Shatrôstân  i  Gai  gujastak  Alaksandaro  pîlp...  kart  mâaishnî  Yahûtân  lamman 
yahvûnt  pun  khûtâyê  Yazdkartî  Shahpûhrân  min  khvahishni  Shasyân  Dôkht  kîash 
nasââ  yahvûnt  (folio  25  b). 


/i2  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 


Trois  rois  ont  porté  le  nom  de  Yazdkart  (Yazclegerd)  : 

Yazdkart  I,  qui  règne  de  399  à  420  ; 

Yazdkart  II,  qui  règne  de  438  à  457  ; 

Yazdkart  III,  qui  règne  de  632  à  636  et  qui  est  le  dernier  roi  de 
Perse.     • 

Notre  Yazdkart  est  Yazdkart  I  ;  car  Yazdkart  I  (399-420)  fut 
le  père  de  Bahrâm  Gôr  (420-438).  Les  sources  arabo-persanes 
ne  sont  pas  d'accord  sur  le  nom  du  père  de  Yazdkart,  qui  est 
Bahrâm  Kirmânshâh,  selon  les  uns,  Shâhpûhr  (Sapor)  selon  les 
autres.  Voici,  au  surplus,  la  série  de  ses  prédécesseurs,  à  partir 
de  Shâhpûhr  II,  le  grand  Sapor,  le  vainqueur  de  Valérien  : 

309-379  Shâhpûhr  (Sapor)  II,  fils  d'Hormizd  IL 

379-383  Ardshîr  II,  frère  de  Sapor  IL 

383-388  Shâhpûhr  III,  fils  de  Sapor  IL 

388-399  Bahrâm  IV  Kirmânshâh,  fils  ou  frère  de  Shâhpûhr  III. 

399-420  Yazdkart  1,  fils  ou  frère  de  Bahrâm  IV. 

420-438  Bahrâm  Gôr. 

Notre  texte  donne  raison  aux  historiens  qui  font  Yazdkart 
.fils  de  Shâhpûhr,  et  non  de  Bahrâm,  mais  sans  décider  s'il  est  fils 
du  grand  Shâhpûhr  ou  de  Shâhpûhr  III.  Tabari  seul,  le  plus  an- 
cien de  ces  historiens,  fait  de  lui  un  fils  du  grand  Shâhpûhr.  Or 
Shâhpûhr  II,  couronné  roi  avant  sa  naissance,  a  vécu  et  régné 
soixante-dix  ans  ;  il  s'est  écoulé  vingt  ans  entre  sa  mort  et  l'avè- 
nement de  Yazdkart  ;  la  distance  de  temps  n'est  pas  telle  que 
Yazdkart  n'ait  pu  naître  dans  le  dernier  tiers  du  règne  de  Shâh- 
pûhr IL  Nous  verrons  plus  loin  qu'il  ne  serait  pas  sans  intérêt  de 
savoir  si  la  donnée  de  Tabari  est  exacte  et  si  Yazdkart  est  en  effet 
le  fils  de  Shâhpûhr  IL 

Yazdkart  a  laissé  une  mauvaise  réputation  chez  les  Perses  :  il 
est  connu  sous  le  surnom  de  «  Yazdegerd  le  pécheur  »  (Yazdegerd 
ïïazagar  ;  Yazdegerd  dafr  1).  La  vieille  chronique  qui,  pour  tous 

1  II  ne  faut  point  corriger  dafr  en  dabz,  comme  le  propose  M.  Nœldeke  [obsru- 
rum  per  obscurius  ;  Tabari,  p.  72,  n.  4):  la  lecture  dafr  ou  dapr  est  donnée  d'une 
façon  authentique  par  le  Chah  Nameh  pehlvi  :  Shatrôstân  î  Hamdâu  Yazdkart  î  Shâb- 
pûhrân  kart  manshân  Yazdkart  î  dafr  (dapr)  karîtûnand  :  la  ville  d'Hamadân  fut 
fondée  par  Yazdkart,  fils  de  Shâhpûhr,  que  l'on  appelle  Yazdkart  dafr  [(fol.  22b).  Il 
s'agit  naturellement  d'un  nouvel  Hamadân  ;  cf.  plus  bas  p.  50. 


TEXTES  PEI1LV1S  RELATIFS  AU  JUDAÏSME  43 

les  rois  Sassanides,  même  après  le  récit  des  plus  abominables 
cruautés,  n'a  que  des  paroles  d'admiration  attendrie,  sort  de  sa 
courtisanerie  banale  et  prend  un  accent  haineux  et  amer  au  nom 
de.  Yazdkart,  qui  est  pour  elle  le  tyran  par  excellence.  Cepen- 
dant, dans  le  portrait,  à  la  fois  chargé  et  vague  qu'elle  trace  de 
lui,  percent  des  traits  qui  prouvent  que  ce  n'était  pas  un  prince 
ordinaire. 

k  On  dit  qu'il  était  dur,  tyrannique,  chargé  de  vices.  Un  des 
pires,  dit-on,  était  qu'il  n'appliquait  pas  de  la  façon  qu'il  aurait 
fallu  son  intelligence  pénétrante,  sa  belle  instruction,  ses  con- 
naissances variées,  mais  qu'il  était  adonné  d'une  façon  extraor- 
dinaire à  des  choses  mauvaises  et  appliquait  tout  ce  qu'il  avait  de 
talent  à  des  ruses  et  des  artifices  pervers,  étant  expert  dans  toutes 
les  œuvres  de  mal  et  y  mettant  toute  sa  joie  ;  enfin,  qu'il  estimait 
peu  la  science  et  la  culture  chez  les  autres,  les  méprisait  et  les 
tenait  pour  vices,  tout  en  se  vantant  devant  les  gens  de  ce  qu'il  en 
possédait  lui-même.  De  plus,  il  était  dur,  méchant  et  de  penchants 
mauvais.  Sa  dureté  et  sa  rigueur  allaient  si  loin  qu'il  regardait  la 
plus  petite  faute  comme  grande,  la  moindre  peccadille  comme  im- 
portante. Personne,  en  si  bons  termes  qu'il  fût  avec  lui,  ne  pou- 
vait intercéder  devant  lui  pour  qui  lui  avait  manqué.  Il  était  tou- 
jours plein  de  soupçons  envers  les  hommes  et  ne  se  fiait  en  rien 
à  personne.  Il  ne  récompensait  jamais  aucun  service  et  faisait 
valoir  comme  la  plus  grande  des  choses  la  moindre  faveur  qu'il 
faisait  à  personne.  Si  jamais  homme  osait  lui  parler  en  faveur 
d'un  autre,  il  disait  aussitôt  :  «  Combien  t'a  payé  celui  pour  qui 
tu  me  parles,  ou  combien  as-tu  déjà  reçu  1  »  Aussi  personne 
n'osait  jamais  lui  parler  de  choses  de  ce  genre,  à  l'exception  des 
ambassadeurs  qui  lui  étaient  envoyés  par  les  princes  étrangers. 
Ses  sujets  ne  pouvaient  se  défendre  de  sa  violence,  de  sa  méchan- 
ceté et  de  toutes  les  mauvaises  qualités  qui  se  réunissaient  en 
lui,  qu'en  se  conformant  exactement  aux  bonnes  lois  et  aux  règles 
de  conduite  des  rois  antérieurs  l.  » 

Le  lecteur  voit  aisément  quelle  admirable  peinture  d'un  roi 
idéal  on  pourrait  tirer  de  ce  passage  :  d'un  roi,  ami  de  la'science, 
dans  un  pays  d'ignorance  et  de  superstition,  élevé  au-dessus  des 
préjugés  qui  l'entourent,  pénétré  d'un  mépris  profond  pour  la 
bassesse  et  la  corruption  des  hommes,  tels  qu'ils  apparaissent  dans 
une  cour  royale,  essayant  de  relever  les  mœurs  par  l'implacable 
sévérité  du  justicier.  Ce  tableau  serait  peut-être  aussi  outré  que 


1  D'après  la  traduction  de  M.  Nœldeke,  Geschichte  (1er  Perser  und  Araber  zur  Zeit 
dcr  Sasaniden,  p.  72. 


44  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

.l'autre  et  aussi  faux  :  la  cruauté  naturelle  d'un  despote  d'Orient 
peut  se  donner  jeu  d'une  façon  aussi  complète  et  aussi  odieuse 
sous  le  couvert  de  la  libre  pensée  et  de  l'austérité  que  sous  celui 
de  l'orthodoxie  et  de  la  volupté  l.  Mais,  quoi  qu'il  en  soit,  il  est 
clair  que  pour  s'attirer  des  haines  formulées  en  ces  termes,  il  fal- 
lait que  Yazdegerd  fût  sorti  d'une  façon  bien  claire  de  la  routine 
ordinaire  d'un  tyran  persan  et  que  ce  n'était  pas  un  Sassanide 
comme  les  autres. 

Ainsi  que  l'observe  le  traducteur  de  Tabari,  le  portrait  tradi- 
tionnel de  Yazdegerd  trahit,  sans  aucun  doute,  une  rancune  sa- 
cerdotale. Aussi  ne  faut-il  pas  s'étonner  de  voir  les  chroniqueurs 
chrétiens  parler  en  tout  autres  termes  de  Yazdegerd.  Un  docu- 
ment chrétien  contemporain  le  nomme  «  le  bon  et  compatissant 
roi  Yazdeger,  le  chrétien,  béni  entre  les  rois,  dont  la  mémoire 
soit  bénie  et  dont  la  vie  puisse  dans  l'avenir  être  plus  belle  encore 
que  dans  le  passé  ;  qui  chaque  jour  a  fait  le  bien  aux  pauvres#et 
aux  malheureux2  ».  Yazdegerd  avait  racheté  les  prisonniers  ro- 
mains que  les  Huns  avaient  jetés  sur  le  marché  d'esclaves  de  la 
Perse.  Peut-être  y  avait-il  dans  cette  générosité  quelque  vue  poli- 
tique qui  nous  échappe  ;  mais  c'était  une  générosité  doublement 
remarquable,  s'exerçant  sur  des  étrangers  à  la  fois  de  nationalité  et 
de  religion  :  les  frères  de  Matha  ne  rachetaient  que  des  Chrétiens. 
Il  n'en  fallait  pas  tant  pour  quelques-uns  en  fissent  un  Chrétien. 
Ce  qu'il  y  a  de  sûr,  c'est  qu'il  laissait  les  Chrétiens  se  réunir, 
pour  la  première  fois,  en  synode  général  à  Séleucie,  et  cela  sous  la 
présidence  d'un  évêque  sujet  de  Byzance  (février  410).  Il  laissait 
le   Catholicos  Jabhallâhâ  relever  l'église  de  Ktésiphon.   Il  em- 
ployait sans  scrupule  des  évoques  à  des  missions  diplomatiques, 
même  à  l'intérieur.  Socrate  (vu,  8)  conte  avec  attendrissement 
comment  Maruthas,  évêque   de  Mésopotamie,  avait  gagné  son 
cœur  en  le  délivrant  par  ses  prières  d'un  mal  de  tête  chronique 
dont  les  Mages  n'avaient  pu  le  guérir,  et  comment  le  saint  évêque 
tourna  à  leur  confusion  les  artifices   que  les  Mages  imaginaient 
pour  frapper  l'imagination  du  roi  et  ébranler  son  crédit  et  qui 

1  Caractère  qui  n'est  pas  rare  en  Orient.  Comparer  le  portrait  de  l'Emyr  Nyzarn, 
le  vertueux  vizir  du  présent  Shah,  dans  les  premières  années  de  son  règne  :  «  Le 
rare  mérite  que  l'on  ne  pouvait  méconnaître  dans  l'Emyr  Nyzam  s'alliait  à  une  ru- 
desse de  manières  peu  propre  à  faire  aimer  la  vertu.  De  son  côté,  cet  homme  si  rigide 
avait  certains  défauts  qui  irritaient  les  esprits.  Sa  sévérité  s'appuyait  sur  un  fond  de 
cruauté  native  ;  sa  dureté  à  jeter  à  la  face  de  tout  le  monde  des  accusations  d'ailleurs 
souvent  méritées,  résultait  d'une  insoutenable  satisfaction  de  lui-même  que  rien  ne 
pouvait'égaler.  C'était  un  de  ces  orgueils  furieux  et  délirants  comme  on  ne  les  con- 
naît guère  dans  nos  climats,  un  orgueil  d'Assuérus  et  d'Aman...  >  (Comte  de  Go- 
bineau, Trois  ans  en  Asie,  241). 

*  Anecdota  de  Land,  cité  par  Nœldeke,  Tabari,  p.  75  note. 


TEXTES  PEHLVIS  RELATIFS  AU  JUDAÏSME  45 

n'aboutirent  qu'à  les  faire  décimer  par  le  roi  irrité.  Peu  s'en  fallut 
que  Yazdegerd  ne  se  fit  chrétien  devant  un  nouveau  miracle 
opéré  par  Maruthas,  en  collaboration  avec  Abdas,  évoque  de 
Perse  :  à  eux  deux,  à  force  de  prières  et  de  jeûnes,  ils  avaient 
chassé  un  démon  qui  possédait  le  fils  du  roi.  Mais  la  mort  prévint 
la  conversion  de  Yazdegerd. 

Cependant  le  roi  n'avait  pas  tellement  aliéné  son  indépendance 
aux  Chrétiens  et  il  n'entendait  pas  plus  être  l'instrument  de  leur 
clergé  que  celui  des  Mages.  Vers  la  fin  de  son  règne,  les  Chré- 
tiens, croyant  leur  heure  venue,  remuèrent  et  voulurent  jouer  les 
Polyeucte.  L'évêque  d'Ahvâz,  Abdas,  le  collaborateur  en  miracles 
de  Maruthas,  incendia  un  temple  de  feu  :  Yazdegerd  lui  donna 
l'ordre  de  le  rebâtir  :  sur  le  refus  d'Abdas,  il  menaça  de  mettre  le 
feu  à  toutes  les  églises  de  Perse  et  une  persécution  commença. 
C'était  en  414,  l'année  même  où  la  populace  d'Alexandrie  égorgeait 
Hypatia.  Il  y  eut  un  martyr,  Abdas,  et  nombre  d'apostasies.  L'un 
des  martyrs  les  plus  célèbres  du  règne  suivant,  Jacques  «  le  dé- 
coupé »  (Jacobus  Intercisus),  avait  abjuré  sous  Yazdegerd. 

Ces  persécutions,  qui  étaient  plutôt  des  mesures  d'ordre  public 
que  des  persécutions  religieuses  proprement  dites,  ne  semblent 
pas  avoir  été  très  violentes  sous  Yazdegerd  —  elles  continuèrent, 
cette  fois,  avec  fureur,  sous  Bahrâm.  —  L'opinion  chrétienne  mo- 
dérée n'approuvait  d'ailleurs  point  Abdas.  Théodoret  (v,  38),  en 
admirant  le  martyre  d'Abdas,  qui  refusa  de  rebâtir  les  pyrées 
qu'il  avait  détruits  —  car  bâtir  un  pyrée,  c'était  autant  qu'adorer 
le  feu  — ,  le  blâme  de  les  avoir  détruits  :  saint  Paul,  dit-il,  quand  il 
vit  Athènes  pleine  d'idoles,  n'en  abattit  aucune  et  se  contenta  d'é- 
clairer les  idolâtres.  Aussi  l'on  comprend  que  les  sévérités  de 
Yazdegerd  n'aient  pas  suffi  à  lui  ramener  les  Mages.  Ils  sentaient 
bien  que  ce  n'était  pas  leur  esprit  qui  animait  la  répression. 

Un  roi  si  mal  pensant  devait  mal  finir.  «  Quand  les  grands  et 
les  nobles  virent  que  son  injustice  ne  faisait  qu'empirer,  ils  se 
plaignirent  à  Dieu  de  l'oppression,  s'humilièrent  devant  le  Sei- 
gneur et  le  supplièrent  de  les  délivrer  rapidement.  Or  le  roi,  ra- 
conte-t-on,  étant  en  Hyrcanie,  vit  un  jour  s'avancer  devant  son 
château  un  cheval  si  beau  qu'il  n'avait  jamais  vu  le  pareil.  Le 
cheval  vint  et  s'arrêta  devant  sa  porte.  Les  gens  admiraient,  car 
il  était  tout  à  fait  extraordinaire.  Yrazdegerd  donna  ordre  de  le 
seller,  de  le  brider  et  de  le  lui  amener  :  mais  quelque  peine  que  se 
donnassent  les  écuyers,  il  ne  se  laissait  manier  par  aucun  d'eux. 
On  annonça  au  roi  que  le  cheval  résistait  ;  alors  il  se  rendit  en 
personne  près  de  lui,  le  brida  de  sa  main,  lui  jeta  une  housse  sur 
le  dos,  mit  une  selle  par  dessus,  et  serra  les  courroies  sans  que  le 


46  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

cheval  bougeât  seulement.  Mais  quand  il  lui  leva  la  queue,  pour 
passer  en  dessous  la  croupière,  le  cheval  le  frappa  du  sabot  en 
plein  cœur,  le  tua  raide  mort  et  disparut.  Alors  les  sujets  déli- 
vrés dirent  :  «  Dieu  a  fait  cela  pour  nous  dans  sa  miséricorde  *.  » 


II 


Les  sources  juives  ne  sont  pas  moins  favorables  à  Yazdegerd 
que  les  sources  chrétiennes.  Elles  le  montrent  en  rapports  cor- 
diaux avec  les  Juifs  :  aux  jours  de  grande  réception,  les  trois 
représentants  du  judaïsme  babylonien,  R.  Ashi  pour  Sura,  Mar 
Zutra  pour  Pumbadita,  Amemar  pour  Nehardea,  étaient  invités  à 
sa  cour.  On  lui  prétait  un  langage  presque  judaïsant  :  «  J'étais  une 
fois  devant  Yazdegerd,  —  conte  Houna,  fils  de  Natan  ;  —  il  m'a 
arrangé  ma  ceinture  et  l'a  placée  plus  bas  qu'elle  n'était  en  me 
disant  :  Vous  autres  Juifs,  vous  êtes  une  nation  de  prêtres  et  un 
peuple  saint  -  ».  Il  est  probable  "que  Houna  ne  comprenait  pas 
toute  la  pensée  de  Yazdegerd  :  ce  n'était  pas  un  hommage  de 
gentil  s'inclinant  devant  les  représentants  d'une  foi  supérieure  : 
c'était  la  proclamation  de  l'égalité  de  deux  religions,  une  assimi- 
lation hardie  du  qadosh  et  de  ïashavan.  «  Les  Juifs  sont  un  peuple 
saint  »,  c'est-à-dire  sont  un  peuple  ftasliavan  ;  car  le  zend  asha- 
van,  l'épithète  que  doit  mériter  tout  vrai  fidèle,  répond  exacte- 
ment pour  le  sens  et  l'étendue  d'idéal  à  l'hébreu  qadosh  ;  les  Juifs 
sont  aussi  purs  que  le  meilleur  Zoroastrien  ;  ce  sont  des  Zoroas- 
triens  qui  n'en  ont  pas  le  nom  :  leur  ceinture  est  donc  un  hosti,  le 
symbole  sacré  qui  ne  quitte  jamais  le  fidèle  de  la  vraie  religion,  et 
il  convient  qu'ils  l'arrangent  à  la  façon  d'un  Bell  Dîn,  c'est-à-dire 
exactement  entre  la  partie  du  corps  qui  appartient  à  Ormazd  et 
celle  qui  appartient  à  Ahriman  3. 

Notre  texte  pehlvi  prend  à  présent  tout  le  caractère  d'un  texte 
historique  authentique.  Il  n'y  avait  rien  de  bien  étrange  que  l'ad- 
mirateur du  peuple  juif,  l'ami  de  Houna,  mît  la  couronne  sur  la 
tête  d'une  juive.  Cette  juive,  d'ailleurs,  étant  la  fille  du  Rêsh  Ga- 
lûtâ,  était  ia  première  des  jeunes  filles  juives  :  Je  Rêsh  Galûtâ, 
ou  chef  de  la  captivité,  était  un  des  grands  personnages  de  l'em- 


»  Tàbarû  tr.  Nœldeke,  p.  77. 
5  Graetz,  Histoire  des  Juifs,  2e  éd.,  IV,  382. 

*  Gujastah  Abâlish,  texte  pehlvi  publié  et   traduit  par  A.  Barthélémy,  p.  38  ;  cf. 
Israël  Lévi,  Bévue  des  Etudes  juives,  t.  XV,  p.  112. 


TEXTES  PEIILVIS  RELATIFS  AU  JUDAÏSME  47 

pire  perse  :  il  occupait  à  peu  près  le  rang  que  le  patriarche  grec 
ou  le  patriarche  arménien  occupent  dans  la  hiérarchie  otto- 
mane :  chef  de  nation,  c'était  une  sorte  de  vassal  de  la  couronne. 
Il  n'était  pas  à  la  nomination  du  Roi  des  Rois;  le  monarque  ne 
faisait  que  le  confirmer  dans  son  titre  royal  héréditaire,  étant 
fils  de  David,  ou  devant  l'être1.  Il  était  le  chef  moral,  non  seu- 
lement des  Juifs  de  l'Empire,  mais  de  tous  les  Juifs  dispersés  dans 
tout  l'univers. 

Il  est  regrettable  que  notre  texte,  en  donnant  le  nom  de  la  reine, 
dont  la  lecture  est  malheureusement  douteuse,  ne  donne  pas  le 
nom  de  son  père.  Peut-être  était-ce  le  Houna,  fils  de  Natan,  avec 
qui  nous  venons  de  faire  connaissance  :  car  un  Exilarque  de  ce 
nom  régna  sur  la  communauté  juive  de  410  à  448,  par  suite 
durant  les  dix  dernières  années  de  Yazdegerd.  Il  est  vrai  que 
Bâhrâm  Gôr  naquit  dans  la  huitième  année  de  Yazdegerd,  c'est-à- 
dire  en  408,  à  une  époque  où  Houna  n'était  pas  encore  Rêsh  Ga- 
lûtâ.  Peut-être  le  texte  lui  donne-t-il  ce  titre  par  avance,  ou  s'a- 
git-il de  son  prédécesseur  Kahana,  qui  régna  de  390  à  410  2. 

*  Serait-ce  à  Yazdegerd  que  songeait  le  sage  Sîn  essayant  de  pré- 
munir les  princes  contre  les  dangers  du  Judaïsme  :  «  Comme  la 
doctrine  du  Mazdéisme  fait  prospérer  le  monde  et  que  celle  du 
judaïsme  le  fait  périr,  il  faut  que  les  princes  gouvernent  suivant 
la  loi  pure  du  Mazdéisme  et  se  tiennent  éloignés  du  Judaïsme  3.  » 
A  tout  le  moins,  cet  exemple  prouve  que  le  conseil  avait  un  sens. 
Yazdegerd  trouvait  d'ailleurs  dans  ses  souvenirs  de  famille  directs 
un  exemple  qui  peut-être  ne  fut  pas  sans  influence  sur  son  libé- 
ralisme religieux.  Sa  grand'mère,  la  mère  de  Sapor,  fut,  si  Ton 
en  croit  le  Talmud,  une  amie  et  une  admiratrice  du  peuple  juif. 
C'est  la  fameuse  Ifrâ  Hormuzd,  la  protectrice  de  Raba,  qui  sauve- 
garda souvent  les  Juifs  contre  les  violences  de  Sapor  :  «  N'irrite 
pas  les  Juifs,  lui  disait-elle  ;  tout  ce  qu'ils  demandent,  Dieu  le  leur 
accorde  ».  Yazdegerd  ne  vit  point  sa  grand'mère  :  la  longueur  du 
règne  de  Sapor  rend  presque  impossible  qu'il  l'ait  connue,  encore 
moins  qu'elle  ait  eu  le  temps  d'avoir  une  influence  sur  lui;  mais  il 
entendit  parler  d'elle,  sans  doute,  et  les  Rabbins  durent  souvent 
lui  rappeler  ce  qu'Ifrâ  Hormuzd  avait  été  pour  eux. 

1  II  remontait  à  David,  par  Zerubabel.  Il  conservait  dans  Timagination  populaire 
un  prestige  légendaire.  Pour  être  nommé  Rêsh  Galûtâ,  il  fallait  être  comme  Bahman 
Dirâzdast,  l'Artaxerxès  longue-main  ;  il  fallait  avoir  les  bras  assez  longs  pour  at- 
teindre les  genoux,  étant  debout.  Ainsi  en  fut-il  plus  tard  d'Ali  et  des  Imams  (Albî- 
rûnî,  Chronology,  tr.  Sachau,  p.  69], 

'  Dr  N.  Brûll,  Jahrbiicher  fur  Jûdische  Geschichte  und  Literatu)',  t.  II,  p.  96. 

a  Voir  la  première  partie  de  cette  étude,  Revue,  t.  XVIII,  p.  3,  note  2. 


48  REVUE  DES  ETUDES  JUIVES 

Une  des  femmes  de  Sapor  II,  et  celle  qui  semble  avoir  été  sa 
femme  en  titre,  car  les  textes  lui  donnent  le  nom  de  reine,  fut 
également  judaïsante,  si  Ton  en  croit  les  Actes  des  Martyrs,  et  ce 
serait  à  son  instigation  qu'aurait  éclaté  la  troisième  persécution 
contre  les  Chrétiens,  celle  de  341.  «  Dans  ce  même  temps  (c'est-à- 
dire  après  le  martyre  de  saint  Siméon),  disent  les  Actes  syriaques 
des  Martyrs  de  Perse,  comme  si  c'eût  été  fait  par  le  diable,  la 
reine  tomba  malade  ;  et  comme  l'esprit  de  celle-ci  était  porté 
vers  les  Juifs,  les  ennemis  de  la  croix,  ceux-ci  lui  dirent  par  une 
vilaine  calomnie,  selon  leur  habitude  :  les  sœurs  de  Siméon  t'ont 
jeté  un  sort,  parce  que  leur  frère  a  été  tué  *.  »  Sainte  Tharba,  sa 
sœur  et  sa  servante,  furent  mises  à  mort  et  la  reine  recouvra  la 
santé  en  passant  entre  les  cadavres  mis  en  pièces.  Étant  donnée  la 
polygamie  persane  et  la  longue  vie  de  Sapor  II,  il  n'est  guère  pos- 
sible d'affirmer  que  Yazdegerd  I  fut  le  fils  de  la  reine  judaïsante 
et  de  voir  dans  son  mariage  avec  la  fille  du  chef  de  la  nation  juive 
une  action  directe  de  sa  mère  :  mais  il  ressort  suffisamment  et 
des  récits  du  Talmud  sur  la  reine  Ifra,  et  des  récits  syriaques  sur- 
les  persécutions  de  la  reine  judaïsante,  quelle  que  soit  la  valeur 
historique  de  ces  récits,  que  l'influence  juive  était  puissante 
dans  le  harem  de  Sapor  II  et  que  Yazdegerd  put  la  trouver  à  son 
berceau. 

'  Il  semble  difficile,  tout  d'abord,  de  retrouver  dans  l'histoire  ou 
plutôt  dans  la  légende  de  Bahrâm  Gôr  les  traces  de  son  origine 
demi-juive.  Bahrâm  Gôr,  le  fougueux  chasseur,  est,  à  l'inverse  de 
son  père,  le  héros  favori  de  la  légende  populaire.  Gomme  les 
enfants  de  Yazdegerd,  le  roi  maudit,  mouraient  tous  avant  l'âge, 
Bahrâm  est  élevé  dans  le  désert  parmi  les  Bédouins.  Il  remplit  le 
désert  du  bruit  de  ses  exploits  de  chasse,  et  à  la  mort  de  son  père 
conquiert  le  trône  qui  lui  est  disputé  en  allant  chercher  la  cou- 
ronne entre  deux  lions.  Il  va  déguisé  courir  les  aventures  dans 
l'Inde,  en  ramène  la  fille  du  roi  et  une  armée  de  dix  mille  musi- 


1  Je  dois  cette  traduction  à  l'obligeance  de  M.  Rubens  Duval.  —  L'histoire  ecclé- 
siastique de  Sozomène,  II,  12,  a  la  même  légende  :  la  reine  étant  tombée  malade,  conte- 
t-il,  après  l'exécution  de  l'évêque  Syméon,  on  arrêta  sa  sœur  Tarbula  (TapêovXa) 
avec  une  servante,  vierge  comme  elle,  et  une  autre  sœur  qui  était  veuve  :  c'était 
sur  la  délation  des  Juifs  qui  les  accusaient  d'avoir  jeté  un  maléfice  sur  la  reine  pour 
venger  la  mort  de  Syméon.  «  La  reine,  selon  la  disposition  des  malades  qui  prêtent 
volontiers  l'oreille  aux  suggestions  les  plus  abominables,  crut  à  la  délation,  surtout 
qu'elle  venait  des  Juifs  ;  car  elle  partageait  leurs  croyances,  vivait  à  la  façon  juive 
(èuei  xà  aùxwv  èçpovei,  xat  'IouoaTwç  èfSiw)  et  les  croyait  sincères  et  dévoués  à  son 
bien.  Par  conséquent,  les  Mages,  saisissant  Tarboula  et  les  deux  autres,  les  mettent 
à  mort,  les  scient  en  deux  et,  pour  cbasser  la  maladie,  font  passer  la  reine  entre  les 
pieux  qui  portaient  leurs  membres.  » 


TEXTES  PEHLVIS  RELATIFS  AU  JUDAÏSME  49 

ciens.  Ses  amours  inspirent  vingt  poètes  :  la  poésie  persane  même 
naît  de  ses  amours  avec  la  belle  Dil-ârâm  l. 

Aucune  des  sources  musulmanes  ne  connaît  son  origine  juive. 
Un  Juif  paraît  bien  dans  sa  légende  :  mais  c'est  le  riche,  avare 
et  dur,  Baraham,  qui  lui  refuse  l'hospitalité  et  qu'il  dépouille  de 
ses  richesses  en  faveur  du  pauvre  et  généreux  porteur  d'eau 
Lembek2. 

Peut-être  serait-il  trop  artificiel  de  voir  dans  cet  épisode  une 
protestation  de  la  légende  contre  la  tradition  historique  de  son 
origine  juive.  Mais  est-ce  par  hasard  si  dans  le  discours  que  lui 
fait  tenir  Firdousi,  il  se  rattache  à  une  reine  Schémiran  :  «  De- 
puis Schapour,  fils  de  Bahram,  jusqu'à  Ardeschir,  tous  les  rois, 
vieux  et  jeunes,  sont  de  père  en  fils  mes  ancêtres  et  mes  guides 
dans  la  foi  et  la  conduite,  et,  du  côté  de  ma  mère,  je  descends  de 
la  reine  Schémiran,  je  suis  de  sa  race  et  son  égal  en  intelli- 
gence 3?  »  Or  Schémiran  est  le  nom  persan  de  Sémiramis;  mais 
c'est  aussi,  avant  tout,  le  nom  de  la  Sémiramis  persane,  la  reine 
Hômâi,  la  grand'mère  légendaire  du  dernier  Darius,  laquelle  est 
d'origine  juive  : 

«  Hômâi  Gihrâzâd,  ou  Shamîrân,  fille  de  Bahman,  résidait 
dans  la  ville  de  Balkh.  Elle  envoya  ses  troupes  subjuguer  la 
Grèce,  d'où  elles  ramenèrent  de  nombreux  captifs,  parmi  eux 
des  artistes  excellents,  entre  autres  des  architectes  à  qui  elle  fit 
ériger  les  monuments  que  l'on  appelle  palais  d'Istakhar  (Persé- 
polis) 4.  »  Or  cette  Sémiramis  persane  a  du  sang  juif  :  car  son  père 
Bahman  l'a  eue  de  la  juive  Shahrâzâd  3  qu'il  avait  épousée  et  qui 
était  une  des  captives  amenées  de  Jérusalem  par  Bokhtnasr  (Na- 
buchodnosor) 6.  Selon  une  autre  version,  qui  conduit  d'ailleurs 
au  même  résultat,  c'est  Bahman  même  qui  était  d'origine  juive, 
étant  fils  de  la  juive  Astourieh  (Esther),  de  la  race  de  Saùl. 

Bahrâm  Gôr,  en  se  rattachant  à  Schémiran,  c'est-à-dire  à 
Hûmâi  Cihrâzâd,  proclame  ainsi  indirectement  son  origine  juive 
et  se  trouve  confirmer  le  témoignage  direct  du  texte  pehlvi,  qui  lui 
donne  pour  mère  l'héritière  du  sang  royal  de  Juda. 

Nous  verrons  plus  loin  les  conséquences  que  l'on  peut  tirer  de 
ces  faits  pour  la  formation  d'une  partie  des  conceptions  histo- 
riques des  anciens  chroniqueurs  perso-arabes. 

*  J.  Darmesteter,  Les  origines  de  la  poésie  persane,  p.  1. 

*  Le  livre  des  Boisy  tr.  Mohl,  V,  449  sq. 

3  Ibid.,  433. 

4  Hamzah  d'Ispahan,  pp.  38  (texte),  27  (traduction). 

5  Appelée  quelquefois  Dînâmd  (Masoudi,  II,  122). 

6  Masoudi,  II,  129,  123.  Voir  l'article  suivant. 

T.  XIX,  N°  37. 


50  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 


III 


Revenons  à  la  reine  Shasyân  et  à  ses  œuvres,  la  construction 
de  Shûs  et  de  Shûster  et  l'établissement  à  Gai  d'une  colonie  juive. 

La  nouvelle  Astourieh  devait  avoir  une  prédilection  particu- 
lière pour  Suse  (Slius),  la  capitale  de  la  reine  d'Assuérus.  Elle  ne 
bâtit  pas  la  ville  de  Suse,  qui  était  plus  ancienne  que  la  plus  an- 
cienne dynastie  perse  ;  mais  elle  put  la  rebâtir,  car  elle  avait  été 
détruite  de  nouveau,  un  demi-siècle  auparavant,  par  le  roi  Sapor 
qui,  pour  châtier  une  rébellion,  avait  fait  massacrer  toute  la  popu- 
lation et  écraser  la  ville  sous  les  pieds  de  trois  cents  éléphants  l. 
Peut-être,  plus  simplement  encore,  elle  y  bâtit.  Quand  un  géo- 
graphe persan  dit  que  telle  ville  a  été  bâtie  par  tel  roi,  cela 
signifie  seulement  que  ce  roi  y  a  fait  de  grandes  constructions. 
De  là  les  innombrables  concurrents  qui  se  présentent  pour 
chaque  ville  au  titre  de  fondateur.  Imaginez  dans  quelques  siècles 
les  chroniqueurs  français  faisant  fonder  Paris  les  uns  par  Phi- 
lippe-Auguste, les  autres  par  le  baron  Haussmann.  C'est  ainsi  que 
dans  un  autre  passage,  le  Shah  Nameh  pehlvi  fait  bâtir  par  notre 
même  Yazdegerd  Hamadan,  dont  Hérodote  contait  déjà  la  cons- 
truction par  Déjocés.  Suse  est  en  ruines  :  ce  sont  les  fameuses 
ruines  récemment  explorées  par  la  mission  Dieulafoy.^  L'autre 
ville,  dont  on  attribue  la  fondation  à  la  reine  Shasyân,  Shûster, 
est  plus  récente  que  Suse  et  subsiste  encore  :  mais  elle  est  anté- 
rieure, elle  aussi,  à  la  reine  juive  ;  car  Sapor  II  y  fit  bâtir  par  des 
prisonniers  romains  une  digue  gigantesque,  qui  subsiste  encore  2. 

La  colonie  juive  de  Gai  est  mentionnée   par  les   géographes 
arabes  et  persans. 
Gai  est  le  Djei  des  géographes  ;  c'est  un  des  noms  anciens 

1  Nœldeke,  Tabari,  p.  58,  note  1.  La  tradition  postérieure,  comme  nous  l'avons 
vu  plus  haut,  reporte  à  Alexandre  la  gloire  de  cet  exploit. 

2  Mentionnons,  pour  la  curiosité  de  la  chose,  l'étymologie  fantaisiste  donnée  par 
les  Arabes  des  noms  de  Suse  et  de  Shûster  :  c  Skousk,  dit  Hamzah  d'Ispahan,  est  la 
l'orme  arabe  donnée  au  nom  de  Sous. . .  Ce  mot  signifie  en  persan  une  chose  agréable, 
bonne,  aimable,  et  la  terminaison  ter  répond  à  la  forme  af^al  (comparatif  et  super- 
latif :  Yaqoul,  Dictionnaire  géographique  de  la  Perse,  tr.  Barbier  de  Meynard,  p.  136). 
Shoush  est  en  réalité  le  débris  du  vieux  nom  susien  ;  Shoushanq,  et  Shûstar  signifie 
«  situé  dans  la  direction  de  Suse  »  (comparer  le  zend  ushas-tara,  dans  la  direction  de 
l'aurore,  oriental;  Mûzandarân,  dans  la  situation  du  Mâzana)  :  Shûstar  est  situé  à 
quelques  milles  au  N.-E.  de  Suse.  Voir  la  description  de  la  ville  dans  le  Voyage  en 
Perse,  Susiane  et  Chaldée,  de  Mme  Jane  Dieulafoy,  691  sq. 


TEXTES  PEHLV1S  RELATIFS  AU  JUDMSME  ol 

dlspahan,  ou  plutôt  le  nom  d'une  partie  ancienne  d'Ispahan.  «  Is- 
pahan,  dit  Yaqout,  était  anciennement  la  ville  connue  sous  le  nom 
de  Djey,  sur  remplacement  de  laquelle  s'élève  maintenant  le 
Scheristân,  ou  ville  (medîna).  Bakht-en-nasr,  après  la  prise  de 
Jérusalem,  transporta  en  ce  lieu  tous  les  prisonniers  juifs. 
Ceux-ci  construisirent,  auprès  de  l'antique  ville  de  Djey,  un  quar- 
tier qu'ils  habitèrent  et  qui  reçut,  pour  cette  raison,  le  nom  de 
Yahoudieh,  la  juiverie.  Après  un  nombre  considérable  d'années, 
Djey  fut  ruiné  et  il  n'en  resta  qu'une  petite  portion,  tandis  que  la 
Yahoudieh  s'agrandit  et  devint  la  ville  moderne  dlspahan.  Ma- 
mour  ben  Bâdàn,  en  rapportant  ces  faits,  ajoute  :  «  Si  donc  l'on 
recherche  l'origine  des  plus  nobles  familles  parmi  les  grands  et 
les  riches  marchands,  il  est  impossible  qu'on  ne  trouve  pas 
comme  souche  de  ces  familles  quelque  idolâtre  ou  quelque  juif.  » 
«  Voici,  dit-il  ailleurs  2,  ce  qu'on  lit  dans  les  vieilles  chroniques  : 
«  Lorsque  les  Juifs  sortirent  de  Jérusalem,  sous  le  règne  Bokht- 
en-nasr,  et  furent  exilés  de  l'Iraq,  ils  emportèrent  avec  eux  de 
la  terre  et  de  l'eau  provenanl  de  Jérusalem.  Toutes  les  fois  qu'ils 
s'arrêtaient  dans  une  ville  ou  dans  une  bourgade,  ils  en  pesaient 
la  terre  et  l'eau.  Arrivés  à  Ispahan,  ils  campèrent  dans  un  lieu 
nommé  en  hébreu  Djira  (vitt  ?),ce  qui  signifie  descendez3  (enzelû). 
Us  en  pesèrent  l'eau  et  la  terre,  suivant  leur  coutume,  et  trou- 
vèrent qu'elles  avaient  exactement  le  même  poids  que  la  terre  et 
leau  de  leur  patrie.  Rassurés  par  cet  heureux  présage,  ils  s'éta- 
blirent dans  cet  endroit,  y  bâtirent  une  ville,  et  leur  race  s'y  mul- 
tiplia. Cette  ville  reçut  alors  le  nom  à'el  Yahoudieh  (la  juiverie). 
Elle  était  située  à  côté  de  l'ancienne  ville  d'Ispahan,  nommée 
Djey,  et  ces  deux  quartiers  se  touchaient;  ils  sont  séparés  main- 
tenant par  un  espace  couvert  de  ruines  et  le  quartier  de  Djey 
forme  un  faubourg  isolé  dont  la  plus  grande  partie  est  ruinée.  La 
ville  moderne  d'Ispahan  occupe  une  portion  de  l'emplacement 
de  Djey4.  » 

Sylvestre  de  Sacy  avait  déjà  fait  remarquer  que  la  colonie 
juive  d'Ispahan  doit  rabattre  de  ces  hautes  prétentions  d'anti- 
quité. Un  passage  de  Moïse  de  Chorène  nous  apprend  que  l'éta- 
blissement des  Juifs  à  Ispahan  est  postérieur  à  la  conquête  de 
l'Arménie  par  Sapor  II.  C'est  après  la  prise  d'Artisitas  qu'il  dé- 
porta à  Ispahan  les  Juifs  de  Van  s  :  ceux-ci  avaient  été  établis  du 

1  Trad.  Barbier  de  Meynard,  p.  45.  Cf.  l'article  Djey  (p.  188]. 

a  A  Particle  Yahoudieh,  p.  613. 

3  Etablissez-vous  ici. 

«  Cf.  Chardin,  éd.  Langlès,  VIII. 

5  Moïse,  III,  35.  Voici  la  traduction  littérale  du  passage,  que  je  dois  à  l'obligeance 


52  •      REVUE  DES  ETUDES  JUIVES 

temps  du  roi  Tigrane,  quarante  ans  avant  le  Christ,  par  le  géné- 
ral arménien  Barzafran  qui  les  enleva  de  Palestine,  de  la  ville  de 
Maschéra  ». 

De  ces  deux  données  de  l'historien  arménien,  l'une  sur  la  dé- 
portation des  Juifs  d'Arménie  à  Ispahan,  l'autre  sur  l'origine 
même  de  ces  Juifs  d'Arménie,  le  second  n'a  nulle  valeur.  Le 
récit  de  Moïse  est,  comme  nous  fait  observer  M.  Carrière,  une 
arménisation  hardie  du  récit  de  Joseph  sur  l'expédition  de  Pacore 
et  des  Parthes  en  Palestine  au  temps  d'Hyrcan.  Il  a  transformé 
purement  et  simplement  Barzafarnès,  le  lieutenant  de  Pacore, 
en  général  arménien,  et  Pacore  même  en  vassal  de  Tigrane,  à  la 
plus  grande  gloire  de  l'Arménie.  Il  ne  savait  comment  expliquer 
l'origine  des  Juifs  d1  Arménie  et  ne  trouvait  rien  de  plus  simple 
que  de  mettre  le  pavillon  arménien  à  l'expédition  des  Parthes, 
ajoutant  de  son  cru  la  déportation  de  Maschéra.  C'est,  on  sait,  la 
façon  ordinaire  dont  Moïse  de  Chorène  traite  les  parties  anciennes 
de  l'histoire  d'Arménie.  L'autre  donnée,  sur  la  déportation  des 
Juifs  d'Arménie  en  Perse,  porte  au  contraire  toutes  les  appa- 
rences d'une  donnée  historique  :  les  événements  dont  il  s'agit  ap- 
partiennent à  une  période  pleinement  historique  et  la  fantaisie 
n'avait  ici  nul  objet.  Il  est  donc  probable  qu'ici  encore  il  faut  inter- 
préter et  restreindre  l'expression  trop  large  de  notre  texte.  La 
reine  juive  n'a  pas  créé  la  colonie  juive  d'Ispahan  :  elle  était  déjà 
là  depuis  un  demi-siècle  :  mais  il  est  probable  que  sous  ses  aus- 
pices elle  prit  des  développements  qu'elle  n'avait  pas  eus  aupa- 
ravant et  tels  qu'elle  sembla  en  être  la  créatrice. 

L'histoire  de  cette  colonie  peut  se  suivre  jusqu'à  nos  jours. 
Quand  Benjamin  de  Tudèle  visita  Ispahan,  vers  1170,  environ 
cinquante  ans  avant  l'époque  où  écrivait  Yaqout,  il  y  avait  trouvé 
quinze  mille  Juifs  2.  Ils  y  étaient  si  nombreux  et  si  influents  que 
les  Musulmans  disaient  que  c'était  parmi  eux  que  devait  paraître 


de  M.  Carrière  :  «  En  ce  temps  là  arrive  Tordre  de  Chapouh  de  raser  les  fortifications 
»  de  toutes  les  villes  [d'Arménie]  et  d'emmener  en  captivité  les  Juifs  . .  .qui  habitaient 
i  Van  [dans  le  canton]  de  Tosp  où  ils  avaient  été  amenés  par  Barzaphran  Resch- 
•  touni.au  temps  de  Tigrane;  ceux-ci,  Chapouh  les  établit  à  Aspahan  (=  Ispahan).  » 
Tosp  est  la  Thospitis  de  Ptolémée,  canton  situé  sur  la  rive  orientale  du  lac  Van 
(Thospitis  lacus),  dans  la  province  arménienne  du  Vaspourakan.  (Note  de  M.  Car- 
rière.) 

1  Toute  cette  histoire  est  fabriquée  d'après  Josèphe,  Anliç.,  XIV,  xm,  et  Bell, 
Jud.,  I,  xm  (Carrière). 

2  Ch.  xv  ;  éd.  L'Empereur,  p.  96.  *  De  là  il  y  a  sept  journées  à  Ispahan  ;  c'est  la 
grande  ville,  la  capitale  du  royaume.  Elle  s'étend  sur  douze  milles,  et  il  y  a  là  environ 
quinze  mille  Israélites.  Ils  ont  pour  chef  Sar  Shalom,  que  le  Chef  de  la  Captivité  a 
préposé  sur  eux  et  sur  ceux  de  toutes  les  villes  de  Perse.  » 


TEXTES  PEHLVIS  RELATIFS  AU  JUDAÏSME  53 

Daddjal,  l'Antéchrist  :  on  montrait  sur  la  place  de  la  Yahoudieh 
l'endroit  d'où  il  devait  sortir  *. 

La  colonie  juive  d'Ispahan  est  à  présent  bien  réduite  :  elle  ne 
dépasse  pas  trois  cents  familles  2. 


LA  PRISE   DE  JÉRUSALEM  ET  LE  SYNCRÉTISME 
JUDÉO- PERSAN 


Le  livre  du  Minokhired,  énumérant  les  mérites  de  chacun  des 
rois  (légendaires)  de  la  Perse  ancienne,  arrivé  à  Lohrasp,  dit  : 

«  Et  les  mérites  de  Lohrasp  furent  ceux-ci  :  Qu'il  exerça  la 
»  royauté  vertueusement,  qu'il  se  montra  fidèle  envers  Dieu, 
»  qu'il  rasa  la  Jérusalem  des  Juifs,  détruisit  le  peuple  juif  et  le 
»  dispersa.  » 

Ce  Lohrasp,  successeur  du  roi  Khosrav,  est,  dans  la  légende 
zoroastrienne,  le  père  de  Gushtâsp,  sous  qui  Zoroastre  prêche  sa 
religion.  On  peut  s'étonner  d'abord  de  voir  la  tradition  persane 
revendiquer  pour  la  Perse  îa  conquête  de  Jérusalem.  Mais  étant 
donné  le  principe  de  la  souveraineté  universelle  de  la  Perse, 
toutes  les  grandes  choses  et  tous  les  grands  noms  devaient  aboutir 
à  elle  comme  à  leur  source.  Le  même  syncrétisme  qui,  dans 
l'ordre  religieux,  aboutit  en  Grèce  et  à  Rome  à  la  fusion  des 
dieux  de  toutes  les  grandes  religions,  des  Jupiter,  des  Zeus  et  des 
Sérapis  ;  des  Vénus,  des  Aphrodite  et  des  Astarté  ;  des  Apollon  et 

1  Moqadessi  {Revue  des  Études  juives,  1886,  XII,  259,  note).  —  Ispahaa  est  encore 
aujourd'hui  le  siège  caché  de  l'Antéchrist.  Il  y  a  quelques  années,  étant  à  Constanti- 
nople,  le  meilleur  lettré  persan  de  la  ville,  Habib  d'Ispahan,  me  conduisit  dans  un 
café  persan  et  me  montrant  le  propriétaire,  me  dit  devant  lui,  en  forme  de  plaisan- 
terie :  «  Défiez-vous  de  cet  homme,  le  puits  du  Deddjal  est  devant  sa  maison  à 
Ispahan  ».  L'Ispahanais  prolesta  vivement  et  s'écria  :  «  Il  n'en  est  rien,  le  puits  du 
Deddjal  est  à  plus  d'un  quart  d'heure  de  chez  moi.  »  11  existait  au  moyen  âge  (Ma- 
krizi,  .Chrestomathie  arabe  de  Sylvestre  de  Sacy,  I,  307)  une  secte  de  Juifs  nommés 
Ispahaniens,  et  leur  maître,  Abou  Mousa  Ispahani,  a  qui  s'arrogeait  la  qualité  de 
prophète,  voulut  faire  croire  qu'il  était  monté  au  ciel,  que  Dieu  lui  avait  touché  la 
tête  avec  la  main,  qu'il  avait  vu  Mahomet  et  qu'il  avait  cru  en  lui  ;  les  Juifs  d'Is- 
pahan disent  que  c'est  lui  qui  est  le  Daddjal  (l'Antéchrist),  et  qu'il  paraîtra  dans 
leur  pays  ». 

1  Renseignement  fourni  par  M.  Isidore  Loeh. 

J  u  Urîshalîm  i  Jahûtân  brâ  khafrûnt  u  Jahûtân  vashoft  u  parâgandak  kart  (Mi- 
nokhired pehlvi,  ch.  xxvn  ;  éd.  Andréas).  Cette  ligne  manque  dans  la  transcription 
pazende  du  Minokhired,  mais  cette  lacune  ne  prouve  pas  contre  l'authenticité. 


54  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

<les  Mithra  ;  dans  l'ordre  historique  aboutit  à  l'assimilation  ou  au 
inoins  à  la  subordination  des  grands  personnages  historiques.  Le^ 
grand  roi  aux  pouvoirs  surnaturels  de  la  légende  juive,  Salornon, 
s'assimila  ainsi  à  Jemshid;  Kei  Kaous,  révolté  contre  Dieu,  devint 
un  autre  nom  de  Nemrod  *.  Une  grande  cité,  comme  Jérusalem, 
dont  la  gloire  était  si  retentissante  dans  la  légende  juive  et  mu- 
sulmane, devait  être  tombée  sous  des  mains  perses.  On  imagina  dès 
lors  que  Sennachérib,  ou  Sanjarib,  était  le  lieutenant  de  Lohrasp 
dans  l'Irak,  qu'il  l'avait  envoyé  contre  Jérusalem,  mais  qu'il 
avait  été  repoussé;  que  là-dessus  Lohrasp  l'avait  remplacé  par 
Nabuchodnosor  ou  Bokhtnasar,  lequel  avait  pris  Jérusalem,  l'a- 
vait détruite  et  avait  emmené  les  Juifs  captifs  en  Orient.  Lohrasp 
avait  épousé  une  des  captives,  Dînâzâd,  et  en  avait  eu  Gùshtâsp, 
lequel,  en  faveur  de  sa  mère,  avait  disgracié  Nabuchodnosor,  et 
avait  nommé  à  sa  place  un  général,  nommé  Koresh  (Cyrus),  avec 
ordre  de  renvoyer  les  Juifs  en  Palestine  et  de  leur  donner  un  roi 
de  leur  ancienne  maison  royale. 

Ce  syncrétisme  fantaisiste  paraît  avec  beaucoup  de  variantes 
dans  le  détail,  dans  les  premiers  historiens  arabes,  ceux  du 
ive  siècle  de  l'Hégire,  Tabari,  Masoudi,  Hamzah  d'Ispahan2.  Mais 
il  appartient  déjà,  sans  doute,  à  l'époque  Sassanide,  si,  comme  on 
le  croit,  le  Minokhired  appartient  à  cette  période,  car  la  ligne  que 
nous  en  avons  citée  au  début  de  cet  article  en  suppose  l'existence. 
Il  se  serait  donc  formé  avant  la  conquête  arabe  et  avant  que  l'Islam 
eût  jeté  clans  la  Perse  toute  la  tradition  biblique,  telle  du  moins 
qu'elle  paraît  dans  sa  forme  arabe.  Ce  syncrétisme  se  serait  formé 
du  rapprochement  direct  de  la  tradition  juive  et  de  la  tradition 
persane,  sans  intermédiaire  étranger. 

Dans  ces  synthèses  hardies  qui  jetaient  l'ordre  dans  le  chaos 
discordant  des  diverses  traditions  nationales,  le  point  de  départ 
était  l'assimilation  ou  la  subordination  de  deux  personnages  ou 
de  deux  événements  offrant  dans  leur  légende  quelque  point  d'at- 
tache. 

Imaginons  à  présent  un  docteur  juif  et  un  historiographe  persan 
échangeant  leurs  idées  sur  l'histoire  ancienne  de  leur  nation. 

Nous  avons  été  conquis,  dit  le  Juif,  par  Nabuchodnosor,  roi  de 
Babylone,  emmenés  captifs  à  Babylone  et  délivrés  soixante-dix 
ans  plus  tard  par  Cyrus,  votre  grand  roi.  Ii  conte  aussi  l'histoire 
de  la  juive  Esther  que  le  roi  Assuérus  a  fait  monter  sur  le  trône. 

Le  Perse  sourit.  Il  sait  bien  qu'il  n'y  a  jamais  eu  de  roi  de 

1  J.  Darmesteter,  La  flèche  de  Nemrod  (Journal  asiatique,  1886). 

2  Tabari,  tr.  Zotenberg,  I,  488-503;  Masoudi,  tr.  Barbier  de  Meynard,  II,  120-128. 


TEXTES  PtfHLVIS  RELATIFS  AU  JUDAÏSME  ?5 

Babylone  nommé  Bokhtnasar  ;  s'il  avait  jamais  existé,  cela  se 
saurait,  et  les  Annales  du  Livre  des  Rois  en  parleraient  :  il  est 
clair  que  ce  Bokhtnasar  était  un  lieutenant  du  roi  de  Perse  en 
Irak.  Le  Koresh,  roi  de  Perse,  est  aussi  une  fantaisie  des  Juifs  ; 
car  le  document  authentique  de  l'histoire  perse,  le  Khudâi  Nâma, 
nous  donne  la  liste  suivante  des  rois  de  Perse  depuis  Lohrasp 
jusqu'à  Alexandre  : 

Lohrasp,  qui  a  régné  120  ans. 

Gûshtâsp,  qui  a  régné  120  ans  ;  c'est  sous  Vishtasp  que  le 
prophète  Zoroastre  est  venu  apporter  la  religion  d'Ormazd  ;  Vish- 
tasp avait  régné  30  ans  quand  parut  Zoroastre  ;  il  régna  encore 
90  ans  après. 

Bahman1,  fils  d'Isfandyâr,  fils  de  Gûshtâsp,  qui  régna  120  ans. 

Hômâi  Cîharâzât,  fille  de  Bahman,  qui  régna  30  ans. 

Dârâ,  fils  de  Hômâi,  qui  régna  12  ans. 

Dârâ,  fils  de  Dârâ,  qui  régna  14  ans. 

Alexandre,  le  Roumi,  qui  régna  14  ans. 

Dans  cette  série  authentique  des  grands  Rois,  point  de  Kôresh. 
C'est  donc  qu'ici  encore  les  Juifs  ont  pris  le  lieutenant  du  roi  pour 
le  roi.  Mais  de  qui  Bokhtnasar  et  Kôresh  étaient-ils  donc  les 
lieutenants?  Ici  le  nom  de  la  reine  Esther  (Astourieh)  est  pour  le 
savant  Perse  un  trait  de  lumière.  Quel  est  le  Roi  des  Rois  qui  a 
mis  une  juive  sur  le  trône  :  ce  ne  peut  être  que  Bahman2,  car  on 
sait  de  source  certaine  que  Gûshtâsp  avait  épousé  une  grecque. 
Donc  l'Esther  des  Juifs  est  la  Cîharâzâd  des  textes  Pehlvis  ;  car 
on  a  grand  tort  de  faire  Hômâi  Cîharâzâd  une  seule  et  même 
personne,  fille  de  Bahman  :  Hômâi,  fille  de  Cîharâzât,  faut-il  lire  3. 
A  défaut  de  Bahman,  il  se  pourrait  aussi  que  ce  fût  Lohrasp  qui 
aurait  épousé  la  captive  Esther4  ;  en  ce  cas,  Gûshtâsp  serait  fils  de 
la  Juive  et  c'est  lui  qui,  par  amour  pour  sa  mère,  aura  délivré  les 
Juifs.  Jérusalem  a  donc  été  conquise,  sous  les  ordres  de  Lohrasp, 
par  son  lieutenant  Nabuchodnosor  ;  et  les  Juifs  ont  été  renvoyés 
dans  leur  patrie,  sous  les  ordres  de  Gûshtâsp,  par  les  soins  de  son 
lieutenant  Cyrus. 

L'on  est  moins  étonné  à  présent  de  lire  dans  les  chroniqueurs 

1  Surnommé  plus  tard  Dirâzdast,  vague  souvenir  d'Artaxerxès  Longue-main. 

*  De  là  le  surnom  de  dirâzdast,  c  longue-main  »,  donné  à  Bahman,  Bahman  étant 
identifié,  par  son  mariage  avec  Esther,  avec  Assuérus,  que,  d'autre  part,  l'on  avait 
identifié  à  Artaxerxès  Longue-main. 

3  Le  patronymique  s'exprime  en  pehlvi  par  simple  juxtaposition  avec  le  particule  i 
sous-entendue.  Cîharâzâd  est  devenu,  par  l'intermédiaire  de  l'arabe,  Shehrâzâd  ; 
M.  de  Goeje  a  récemment  reconnu  dans  cette  sœur  d'Esther  la  Shehrazad  des  Mille 
et  Une  Nuits. 

4  Appelée  aussi  Dînâzàd  (voir  page  précédente). 


56  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

perso-arabes  que  Zoroastre  fut  un  disciple  de  Jérémie.  Zoroastre 
a  vécu  sous  Lohrâsp  et  Gûshtâsp  ;  et  c'est  précisément  l'époque 
de  la  captivité  des  Juifs.  Ce  rapprochement,  ce  ne  sont  point  sans 
doute  les  Mages  qui  l'ont  suggéré;  ce  sont  plutôt  leurs  interlocu- 
teurs juifs  :  mais  il  devait  faire  grande  fortune  chez  les  Persans 
islamisés.  On  raconte  que  Zoroastre  était  un  disciple  désobéis- 
sant du  prophète  'Azîz,  qui  est  Jérémie  ;  'Azîz  pria  Dieu,  qui  défi- 
gura Zoroastre;  les  enfants  d'Israël  le  chassèrent  d'au  milieu 
d'eux  et  le  firent  sortir  de  Jérusalem.  Il  alla  dans  l'Irak  et  de  là 
à  Balkh  et  se  présenta  comme  prophète  devant  le  roi  Gûshtâsp  *. 

Si  Ton  cherche  quelle  fut  l'époque  la  plus  favorable  pour  la 
formation  de  ce  syncrétisme  judéo-persan,  quasi-officiel,  il  ne 
s'en  présente  point  qui  soit  plus  naturellement  indiquée  que  celle 
de  la  reine  Shasyân,  fille  du  prince  de  l'exil. 

James  Darmesteter. 

*  Tabari,  tr.  Zotenberg,  I,  499. 


CE  QUE  TACITE  DIT  DES  JUIFS 

AU  COMMENCEMENT  DU  LIVRE  V  DES  HISTOIRES 


Ce  que  Tacite  dit  des  Juifs,  leur  passé,  leurs  coutumes,  leurs 
institutions,  leur  pays,  leur  histoire,  au  commencement  du  livre  V 
des  Histoires,  renferme  beaucoup  d'erreurs.  «  Le  triste  fragment 
du  cinquième  livre  des  Histoires  de  Tacite,  conservé  pour  son 
malheur  comme  le  reste  est  perdu  pour  le  nôtre,  est  un  monu- 
ment éternellement  honteux  de  l'historiographie  ancienne  *.  » 
«  Un  amas  d'impuretés,  d'inepties,  d'absurdités,  a-t-on  dit 2,  voilà 
ce  qu'est  le  mosaïsme  pour  les  hommes  les  plus  éclairés  du  temps 
de  Trajan  et  des  Antonins  3.  Les  Juifs  semblent  à  la  fois  su- 
perstitieux et  irréligieux,  athées  et  voués  aux  plus  grossières 
croyances4.  Leur  culte  paraît  un  monde  renversé,  un  défia  la 
raison,  une  gageure  de  contrarier  en  tout  les  coutumes  des  autres 
peuples 5.  Travestie  d'une  manière  grotesque,  leur  histoire  serf 
de  thème  à  des  plaisanteries  sans  fin  6  ;  on  y  voit  généralement 
une  forme  de  culte  de  Bacchus7.  Antiochus,  disait-on,  avait  es- 
sayé vainement  d'améliorer  cette  race  détestable. . .  s:  Une  accu- 
sation surtout,  celle  de  haïr  tout  ce  qui  n'était  pas  eux 9,  était 
meurtrière,  car  elle  reposait  sur  des  motifs  spécieux  et  de  nature 
à  égarer  l'opinion.  Plus  dangereuse  encore  était  l'idée  d'après 

1  Reuss,  Flavius  Joseph,  Nouvelle  Revue  de  Théologie,  novembre  et  décembre  1859, 
p.  302. 

8  Renan,  Les  Évangiles,  p.  391  sq. 

3  Instituta  sinistra,  fœda,  pravitate  valuere...  Pessimus  quisque...  Mos  absurdus 
sordidusque. . .  Teterrimam  gentem...  colluvie...  pervicacissimus  quisque.  Tac, 
Eist.,  V,  5,  8,  12. 

*  Tac,  Eist.,  V,  5,8,13. 

*  Tac,  Eist.,  V,  4. 

6  Tac,  Eist.,  V,  2,  4. 

7  Tac,  Eist.,  V,  5.  Cf.  Plutarque,  Quast.  conv.,  IV,  5  et  6. 

8  Tac,  Eist.,  V,  8. 

9  Tac,  Sist.}  V,  5. 


58  REVUE  DES  ETUDES  JUIVES 

laquelle  le  prosélyte  qui  s'attachait  au  mosaïsme  recevait  pour 
première  leçon  de  mépriser  les  dieux,  de  dépouiller  tout  senti- 
ment patriotique,  d'oublier  ses  parents,  ses  enfants,  ses  frères1. 
Leur  bienfaisance ,  disait-on ,  n'est  qu'égoïsme  ;  leur  moralité 
n'est  qu'apparente  ;  entre  eux  tout  est  permis 2.  » 

Si  Tacite  se  trompe  souvent  sur  les  Juifs,  c'est  qu'il  ne  remonte 
pas  aux  sources  véridiques.  On  a  plusieurs  fois  cherché  de  quels 
auteurs  avait  pu  s'inspirer  ici  Tacite3.  Les  uns  croient  que  Ta- 
cite copie  un  modèle  unique  ;  les  autres  qu'il  a  puisé  à  plusieurs 
sources.  La  première  opinion  est  soutenue  surtout  par  M.  H.  Nis- 
sen,  qui  a  cru  pouvoir  formuler  la  loi  de  l'historiographie  an- 
cienne4 :  tous  les  auteurs  conservés  reproduiraient,  à  un  moment 
déterminé,  un  ouvrage  unique  ;  ils  ne  fondraient  pas  ensemble 
plusieurs  récits,  de  façon  à  former  un  tout  nouveau,  mais  join- 
draient bout  à  bout  plusieurs  extraits,  d'où  une  œuvre  plus 
ou  moins  incohérente.  Nous  ne  voulons  pas  examiner  ici  cette 
théorie,  ce  qui  nous  entraînerait  dans  de  trop  longs  développe- 
ments. Qu'il  nous  suffise  de  dire  qu'elle  nous  semble  fortement 
exagérée,  et  qu'elle  ne  s'applique  qu'à  un  petit  nombre  de  cas. 

On  a  cru  trouver  dans  les  livres  de  Pline  l'Ancien,  A  fine  Au- 
fidii  Bassi,  l'ouvrage  reproduit  par  Tacite  dans  les  Histoires, 
particulièrement  dans  ce  qui  a  rapport  à  la  guerre  des  Juifs  et  à 
la  destruction  du  temple  de  Jérusalem5.  0.  Glason,  qui  n'admet 
qu'avec  des  restrictions  l'hypothèse  de  M.  Nissen  sur  les  sources 
des  historiens  anciens,  énumère  les  nombreuses  raisons  qui  font 
croire  que  Tacite  s'est  servi  de  Pline  6.  Ces  raisons  semblent  con- 
firmées par  le  fait  que  Piine  l'Ancien  était  sous-chef  d'état-major 
au  siège  de  Jérusalem7.  Mais  M.  Detlefsen,  éditeur  de  Y  Histoire 
naturelle  de  Pline,  a  montré  que  l'emploi  de  Pline  l'Ancien  par 
Tacite  était  bien  problématique  s. 

Tacite  ne  se  serait  donc  pas  servi  d'un  auteur  unique  pour  ce 
qu'il  dit  des  Juifs  au  commencement  du  livre  V  des  Histoires.  Il 
aurait  puisé  à  plusieurs  sources  différentes.  Cette  opinion  semble 
confirmée  parles  paroles  mômes  de  Tacite.  Dans  le  premier  cha- 

i  Tac,  Eist.,  V,  5. 

2  «   Inter  se  nihil  inlicilum   ».  Tac.,  Ilist.,  V)  6. 

3  Cf.  Hild,  Les  J tufs  devant  l'opinion  romaine.  Revue  des  éludes  juives,  1885,  II, 
p.  176  sqq. 

4  Kritische  Untersuchungen  iïber  die  Quellen  dev  merten  und  fânften  Dckade  des 
Livius,  Berlin,  1863,  p.  78. 

5  H.  Nissen,  Die  Historien  des  Plinius,  Rhein.  Mus.,  XXVI,  1871,  p.  497  sqq. 

6  Tocitus  und  Sueton,  p.  90  sqq. 

7  Cette  découverte  est  due  à  M.  Mommsen,  qui  a  restitué  le  nom  de  Pline  dans  une 
inscription  grecque  (Hermès,  XIX,  p.  644  sqq.). 

8  Philologus,  XXXIV,  p.  40  sqq. 


CE  QUE  TACITE  DIT  DES  JUIFS  59 

pitre,  où  il  parle  de  l'histoire  primitive  du  peuple  juif,  il  cite  en 
moins  d'une  page  quatre  témoignages  différents1.  Le  chapitre 
suivant  commence  par  la  mention  d'une  nouvelle  autorité2. 

Mais  Tacite  rapporte  des  détails  contradictoires.  On  le  lui  a 
reproché  amèrement  et  l'on  y  a  vu  la  preuve  de  son  animosité 
contre  les  Juifs3.  Ne  serait-ce  pas,  au  contraire,  une  marque  de 
son  impartialité?. La  contradiction  est  souvent  le  signe  de  la  vé- 
racité. Nous  ne  voulons  pas  dire  par  là  que  Tacite  n'avait  pas 
à  Tégard  des  Juifs  ses  préventions  et  ses  préjugés,  qui  étaient 
ceux  de  son  temps.  «  Trajan,  Adrien,  Antonin,  Marc-Aurèle  se 
tiennent,  à  l'égard  du  judaïsme  et  du  christianisme,  dans  une 
sorte  d'éloignement  hautain.  Ils  ne  les  connaissent  pas,  ne  se  sou- 
cient pas  de  les  étudier.  Tacite,  qui  écrit  pour  le  grand  monde, 
parle  des  Juifs  comme  d'une  curiosité  exotique,  totalement  igno- 
rée de  ceux  à  qui  il  s'adresse,  et  ses  erreurs  nous  surprennent. 
La  confiance  exclusive  de  ces  nobles  esprits  dans  la  discipline 
romaine  les  rendait  insouciants  d'une  doctrine  qui  se  présentait  à 
eux  comme  étrangère  et  absurde.  L'histoire  ne  doit  parler  qu'avec 
respect  des  politiques  honnêtes  et  courageux  qui  tirèrent  le  monde 
de  la  boue  où  l'avaient  jeté  le  dernier  Jules  et  le  dernier  Flavius  ; 
mais  ils  eurent  les  imperfections  qui  étaient  une  suite  naturelle 

1  Ilist.,  V,  2  :  t  Les  Juifs,  dit-on...,  Quelques-uns  prétendent. .. ,  Beaucoup  font 
des  Juifs. . .,  Il  en  est  enfin  qui. . .  (Traduction  Burnouf). 

*  «   La  plupart  des  auteurs  s'accordent  à  dire. . .    > 

3  M.  Hild,  Loc.  cit.,  p.  179  :  t  Tacite  ne  s'est  pas  même  préoccupé  des  contra- 
dictions flagrantes  qui  existent  entre  quelques-uns  de  ses  témoignages  [concernant 
les  Juifs).  On  dirait  qu'il  puise  au  hasard  dans  le  répertoire  connu,  laissant  au  lecteur 
le  soin  de  se  débrouiller,  s'il  le  croit  nécessaire  ;  plus  désireux  de  produire  une  impres- 
sion défavorable  que  de  se  conformer  à  la  vérité,  tout  au  moins  à  la  vraisemblance 
des  choses.  Ce  qu'il  dit  du  culte  de  la  tête  d'âne  est  inconciliable  avec  la  constatation 
d'une  religion  qui  a  pour  objet  la  divinité  rationnelle  et  invisible.  Affirmer  des  Juifs 
qu'ils  ne  reconnaissent  ni  patrie  ni  famille  rend  suspects  les  sentiments  de  solidarité, 
de  charité  mutuelle  qui  sont  constatés  ailleurs.  Y  a-t-il  un  payen  sensé  qui,  relevant 
chez  une  nation  la  croyance  à  l'immortalité  de  l'âme  et  à  l'existence  d'un  Dieu  unique, 
n'hésiterait  ensuite  à  accumuler  sur  elle  des  qualificatifs  infamants  comme  :  Instituta 
sinistra,  fœda. . .  Pessimus  çuisque...  Projectissima  ad  libidincm  gens...  Inter  se 
nihil  illicitum...  Judœorum  tnos  absurdus  sordidiesque.  Je  veux  bien  que,  dans  tout 
ce  tableau,  la  confusion  des  chrétiens  et  de  leur  détachement  des  choses  terrestres 
avec  les  Juifs  proprement  dits,  dont  la  pure  croyance  est  d'un  caractère  plus  positif, 
a  dû  embarrasser  un  payen  superficiel.  Mais  Tacite  en  est-il  plus  excusable  d'avoir 
négligé  des  renseignements  qui  étaient  sous  sa  main,  de  n'avoir  pas  fait  un  effort 
d'équité  pour  établir  les  choses  vraies,  en  supprimant  les  choses  contradictoires? 
Aussi  de  tous  les  écrivains  de  l'antiquité  gréco-latine,  sans  en  excepter  les  calom- 
niateurs de  profession,  comme  Apion,  dont  les  exagérations  tombaient  d'elles-mêmes, 
pas  un  n'a  parlé  des  Juifs  avec  un  dédain  plus  grand,  non  seulement  de  la  justice, 
mais  d'une  saine  méthode  historique.  Ajoutons  qu'il  a  aggravé  les  erreurs  des  autres 
par  le  ton  d'ardente  conviction  qu'il  apporte  à  l'expression  de  toutes  ses  idées.  A 
l'heure  où  les  Juifs  ont  à  se  défendre  et  contre  le  polythéisme,  surexcité  par  leur  résis- 
tance, et  contre  la  propagande  chrétienne,  qui  rompait  enfin  une  solidarité  compro- 
mettante, Tacite  jeta  ses  flétrissures  en  pâture  aux  passions  politiques  et  religieuses.  » 


60  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

de  leurs  qualités.  C'étaient  des  aristocrates,  des  hommes  à  tradi- 
tions, à  préjugés,  des  espèces  de  torys  anglais,  tirant  leur  force 
de  leurs  préjugés  mêmes.  Ils  furent  profondément  Romains.  Per- 
suadés que  quiconque  n'est  pas  riche  ou  bien  né  ne  saurait  être 
honnête  homme,  ils  ne  ressentaient  pas,  pour  les  doctrines  étran- 
gères, ces  faiblesses  dont  les  Flavius,  bien  plus  bourgeois,  ne  sa- 
vaient pas  se  défendre.  Leur  entourage,  la  société  qui  arrive  au 
pouvoir  avec  eux,  Tacite,  Pline,  ont  le  même  mépris  pour  ces  doc- 
trines barbares.  Un  fossé  semble  creusé  durant  tout  le  11e  siècle 
entre  le  christianisme  et  le  monde  officiel.  Les  quatre  grands  et 
bons  empereurs  y  sont  nettement  hostiles. . .  Les  défauts  de  ces 
vertueux  empereurs  sont  ceux  des  Romains  eux-mêmes  :  trop  de 
confiance  en  la  tradition  latine,  une  fâcheuse  obstination  à  ne  pas 
admettre  d'honneur  hors  de  Rome,  beaucoup  d'orgueil  et  de  du- 
reté pour  les  petits,  pour  les  pauvres,  pour  les  étrangers,  pour 
les  Syriens,  pour  tous  les  gens  qu'Auguste  appelait  dédaigneu- 
sement ce  les  Grecs  »,  et  à  qui  il  permettait  des  adulations  inter- 
dites aux  Italiotes  l.  » 

Aussi  bien  les  préventions  et  les  préjugés  contre  les  Juifs  n'ont 
pas  encore  complètement  disparu 2.  De  plus,  l'antipathie  de  Tacite 
était  justifiée,  dans  une  certaine  mesure,  par  la  conduite  d'Hé- 
rode  et  de  sa  famille. 

Le  principat  fondé  par  Auguste  avait  produit  une  transforma- 
tion dans  le  mode  d'exercice  de  la  politique  romaine,  transfor- 
mation qui  n'a  pas  échappé  aux  historiens  3.  Le  chef  de  la  dy- 
nastie qui  succéda  à  celle  des  Asmonéens,  Hérode  le  Grand,  avait 
bien  compris  le  changement  apporté  par  la  puissance  impériale  à 
Rome.  Après  avoir  embrassé  le  parti  de  Brutus  et  de  Gassius,  puis 
d'Antoine,  Hérode  avait  abandonné  celui-ci  après  Actium,  pour 
porter  ses  hommages  et  ses  flatteries  au  vainqueur.  Mais  il  savait 
admirablement  s'accommoder  au  caractère  de  l'homme  qu'il  vou- 
lait séduire.  Hérode  gagna  les  bonnes  grâces  d'Auguste  par  de 
solides  considérations  administratives  et  des  vues  politiques  éle- 
vées. Il  ne  négligea  rien  pour  conserver  et  augmenter  la  faveur 
qu'il  avait  conquise.  Pour  cela,  il  eut  recours  aux  moyens  qui 
sont  les  plus  puissants  auprès  d'un  gouvernement  monarchique, 

1  Renan,  Les  Evangiles,  p.  392  sqq. 

1  Cf.  Revue  scientifique,  1888,  II,  p.  386  sqq. 

3  Dion  Cassius,  LUI,  19  :  Autrefois  (avant  Auguste)  toutes  les  affaires,  quelque 
loin  que  la  chose  arrivât,  étaient  soumises  au  sénat  et  au  peuple,  et,  par  conséquent, 
tout  le  monde  les  connaissait  et  plusieurs  les  écrivaient.  Aussi  la  vérité  se  trouvait, 
jusqu'à  un  certain  point,  chez  les  historiens  et  dans  les  Actes  publics.  Mais  à  partir 
de  cette  époque  la  plupart  des  choses  commencèrent  à  se  faire  en  cachette  et  en 
secret. 


CE  QUE  TACITE  DIT  DES  JUIFS  61 

l'espionnage  et  l'intrigue.  «  Nous  savons  qu'Hérode  et  Salomé,  sa 
sœur  ,  entretenaient  avec  la  cour  une  correspondance  suivie  ; 
Salomé  était  au  mieux  avec  la  fameuse  Julie,  la  fille  d'Auguste  et 
la  future  femme  de  Tibère;  en  mourant,  elle  l'institua  son  héri- 
tière. Si  la  politique  faisait  le  thème  principal  des  lettres  d'Hérode 
à  l'empereur  et  à  son  entourage,  on  peut  conjecturer  qu'entre 
Salomé  et  Julie  s'échangeaient  des  confidences  d'une  nature  plus 
intime.  Tout  le  monde  connaît  l'histoire  d'Acmé,  cette  esclave 
d'origine  juive  qui,  sans  doute  par  ordre  et  en  vertu  d'un  plan 
combiné  à  Jérusalem,  se  trouvait  au  service  de  Julie.  Antipater, 
fils  d'Hérode  et  de  Doris,  l'avait  intéressée  à  sa  cause  ;  il  se  servit 
de  son  intermédiaire  pour  perdre  Salomé,  mais  ne  réussit  qu'à  se 
perdre  lui-même  et  elle  avec  lui1.  » 

On  disait  de  Messalla  qu'il  était  «  le  voltigeur  des  guerres  ci- 
viles »,  parce  qu'il  avait  successivement  abandonné  tous  les  partis 
jusqu'à  celui  qui  resta  définitivement  vainqueur;  on  aurait  pu 
dire  la  même  chose  d'Hérode  ;  seulement,  derrière  sa  souplesse 
il  y  eut  toujours  chez  lui  un  fond  de  caractère  sauvage,  qui  ne 
permettait  pas  d'oublier  qu'il  était  Iduméen2.  Il  fit  mourir  sa 
femme,  la  belle  Marianne,  la  dernière  descendante  du  sang  as- 
monéen  ;  il  fit  mourir  également  les  deux  fils  qu'elle  lui  avait 
donnés,  puis  un  troisième  fils,  cet  Antipater  dont  nous  parlions 
tout  à  l'heure.  «  Antipater,  qui  avait  beaucoup  contribué,  par  ses 
basses  délations,  à  la  fin  tragique  des  fils  de  Marianne,  fut  con- 
vaincu d'avoir  voulu  empoisonner  Hérode  et  périt  à  son  tour  sous 
la  main  du  bourreau.  C'est  à  cette  occasion,  et  non  à  celle  du 
massacre,  historiquement  controuvé,  des  enfants  de  Bethléem,  . 
qu'Auguste  aurait  dit,  par  allusion  à  l'un  des  préceptes  alimen- 
taires du  judaïsme  :  «  Il  vaut  mieux  être  le  porc  d'Hérode  que 
son  fils.  »  Le  vieux  tyran  ne  survécut  que  cinq  jours  à  son  fils 
Antipater  et  mourut,  âgé  de  soixante-dix  ans,  proférant  encore 
des  menaces  de  meurtre3.  » 

On  comprend  dès  lors  que  Tacite  résume  ainsi  l'histoire  des 
derniers  rois  de  Judée  :  Judœi,  Macedonibus  invalidis,  Parthis 
nondum  adultis  (  et  Romani  procul  erant  ) ,  sibi  ipsi  reges 
imposuere  ;  qui  mobïlitate  vidgi  expulsi,  resumpta  per  arma 
dominatione,  fugas  civium,  urbium  eversiones,  fralrum,  con- 
jugum,  parentum  neces  aliaque  solita  regibus  ausi,  supersti- 

1  Hild,  Loc.  cit.,  p.  28. 
*  Cf.  Jugurtha. 

3  A.  Réville,  Le  peuple  juif  sous  les  Asmonéens  et  les  Rérodes.  Revue  des  Deua- 
Mondesy  15  septembre  1867,  p.  339. 


62  REVUE  DES  ETUDES  JUIVES 

iionem  fovebant,  quia  honor  sacerdotii  firmamentitm  potentiœ 
asswnebatur l . 

On  pourrait  prétendre  que  ces  paroles  de  Tacite  s'appliquent  à 
une  époque  antérieure  à  celle  du  gouvernement  des  Césars  à 
Rome.  Mais  une  remarque  d'un  autre  historien  ne  saurait  être 
l'objet  d'une  semblable  critique.  Dans  son  histoire  du  règne  de 
Caligula,  Dion  Cassius  dit  :  «  Ces  misères  étaient  moins  pé- 
nibles que  l'attente  d'un  accroissement  de  cruauté  et  d'intempé- 
rance de  la  part  de  Caïus,  surtout  parce  qu'on  apprit  qu'il  était 
intimement  lié  avec  les  rois  Agrippa  et  Antiochus,  comme  avec 
des  professeurs  de  tyrannie.  »  Le  roi  Agrippa,  dont  parle  ici  Dion 
Cassius,  n'est  autre  qu'Hérode  Agrippa  Ier,  le  plus  illustre  des 
successeurs  d'Hérode  le  Grand.  Du  vivant  de  Tibère,  Agrippa 
était  le  flatteur  et  le  conseiller  de  Caligula  ;  il  lui  dit  un  jour  en 
parlant  de  l'empereur  :  «  Ce  vieillard  ne  mourra-t-il  pas  bientôt, 
vous  laissant  le  maître  ici?  »  Agrippa  se  montrait  ainsi  peu  re- 
connaissant pour  Tibère,  qui  lui  avait  prêté  de  l'argent.  Les  pa- 
roles d'Agrippa  auraient  pu  lui  coûter  la  vie  ;  Tibère  se  contenta 
de  faire  emprisonner  son  ingrat  débiteur. 

On  comprend  que  les  membres  de  l'aristocratie  romaine  qui, 
comme  Tacite,  supportaient  dans  le  gouvernement  des  Césars 
un  mal  nécessaire,  n'aient  ressenti  aucune  sympathie  pour  les 
rois  juifs  de  la  famille  d'Hérode.  Leur  aversion  dut  encore 
s'accroître  lorsqu'ils  virent  que  Titus,  le  vainqueur  de  Jérusalem, 
était  si  épris  de  la  reine  juive  Bérénice  qu'il  lui  avait  promis  de 
la  faire  monter  sur  le  trône  impérial,  comme  autrefois  Livie  et 
Agrippine.  Si  le  grand  César  s'était  laissé  séduire  par  Cléopâtre, 
du  moins  il  ne  lui  accordait  aucune  influence  dans  les  affaires 
publiques.  On  sait  combien  le  renvoi  d'Octavie,  sœur  d'Octave, 
par  Antoine,  qui  s'était  laissé  prendre  aux  mêmes  séductions  que 
César,  lui  nuisit  dans  l'opinion  à  Rome.  Aussi  bien  Bérénice  était 
peu  recommandable  par  elle-même.  Elle  était  aussi  impudique 
que  belle.  Elle  était  la  sœur  du  roi  juif  Agrippa  II,  qui  fut  accusé 
d'inceste  avec  elle.  «  Les  désordres  de  Bérénice,  dont  la  liste  est 
longue,  ne  l'empêchaient  pas  d'avoir  aussi  des  accès  de  dévotion. 
Quand  l'insurrection  éclata,  elle  était  à  Jérusalem,  occupée  à 
s'acquitter  d'un  vœu  de  naziréat  •»  2. 

Les  Romains,  surtout  ceux  de  la  haute  société,  ne  pouvaient 
comprendre  les  idées  judaïques.  C'est  ainsi  que  le   christianisme 

1  jSw*.,  V,  8,  à  la  fin. 

*  A.  Réville,  Loc.  cit.,  p.  341,  note.  «  Le  naziréen  était  un  homme  qui,  par  recon- 
naissance ou  repentir,  se  vouait  pendant  un  certain  temps  au  service  spécial  de 
Jéhovah,  et  s'astreignait  pour  cela  à  certaines  abstinences  [Id.y  ibid.,  p.  330).  > 


CE  QUE  TACITE  DIT  DES  JUIFS  63 

ne  fut  longtemps  pour  eux  qu'une  secte  insensée  et  déraisonnable. 
Les  procurateurs  venus  de  Rome  en  Judée  recevaient  «  l'ordre 
de  ménager  les  scrupules  religieux  des  Juifs,  et  ne  cessaient  de 
les  irriter,  moins  encore  de  propos  délibéré  que  par  ignorance  et 
maladresse  »  *.  Les  Juifs  faillirent  se  révolter  parce  que  Caligula 
voulait  qu'on  lui  élevât  une  statue  dans  le  temple  de  Jérusalem. 
Déjà  Pilate,  ramenant  les  troupes  romaines  de  Césarée  à  Jérusa- 
lem, fit  entrer  dans  la  ville  sainte  les  étendards,  sur  lesquels  était 
représentée  l'image  de  Tibère.*  Il  dut  les  éloigner,  devant  les  sup- 
plications menaçantes  des  Juifs.  Claude  v,r\it  être  agréable  aux 
Juifs  en  leur  donnant  pour  gouverneur  Tibère  Alexandre,  natif 
d'Alexandrie,  fils  du  célèbre  arabarque  Alexandre  Lysimaque,  et 
neveu  de  Philon  :  il  saurait  mieux  ménager  les  susceptibilités  de 
ses  anciens  coreligionnaires.  Mais  Tibère  Alexandre  était  un 
renégat  et  les  Juifs  eussent  mieux  aimé  être  gouvernés  par 
Belzébub  en  personne. 

Mais  il  y  avait  un  témoin  oculaire  et  un  acteur  dans  les  événe- 
ments, qui  avait  écrit  la  guerre  de  Judée  :  c'était  Josèphe.  On  a 
parfois  soutenu  que  Tacite  s'était  servi  de  lui2.  .Nipperdey  dit, 
avec  raison,  que  Tacite  n'a  pas  eu  recours  à  Josèphe,  et  qu'en 
général,  il  a  bien  fait 3.  Tacite  n'aimait  pas  les  affranchis.  C'est 
justement  à  propos  d'un  affranchi  de  Vespasien  qu'il  indique  son 
sentiment4.  L'auteur  des  Histoires  devait  donc  être  mal  disposé 
pour  Josèphe,  affranchi  de  Vespasien.  De  plus,  Josèphe  «  se 
montre  assez  favorable  à  Néron  ;  il  trouve  qu'on  l'a  calomnié,  il 
rejette  tous  ses  crimes  sur  son  mauvais  entourage.  Quant  à  Poppée, 
il  en  fait  une  pieuse  personne,  parce  qu'elle  était  favorable  aux 
Juifs,  qu'elle  appuyait  les  requêtes  des  zélés  et  peut-être  aussi 
parce  qu'elle  adopta  une  partie  de  leurs  rites  »  5.  Le  jugement  de 
Josèphe  sur  Néron  et  sur  Poppée  devait  rendre  suspecte  à  Tacite 
l'impartialité  de  Josèphe  ou  sa  clairvoyance. 

»  A.  Réville,  Loc.  cit.  p.  339. 

2  Lehmann,  Claudius  und  seine  Zeit,  p.  33  sqq.,  réfuté  par  C.  E.  Peter,  Flavius 
Josephus  und  der  jûdische  Krieg,  Perleberg,  1871,  p.  7  sq. 

3  7e  éd.  des  Annales,  Introd.,  p.  30.  Oq  peut  trouver  exagéré  le  reproche  que 
M.  Hild  adresse  à  Nipperdey.  «  Tacite^  dit-il  [Loc.  cit.,  p.  176),  a  négligé  de  recourir 
aux  ouvrages  de  Josèphe  et  de  Justus  de  Tibériade,  dont  il  n'avait  pu  cependant 
ignorer  l'existence,  puisque  les  premiers,  du  moins,  avaient  été  écrits  à  Rome  et 
soumis  à  l'approbation  de  Titus.  Il  les  a  dédaignés,  dit  un  critique  allemand,  parce 
qu'ils  étaient  d'un  juif  et  d'un  affranchi,  et,  s'il  en  faut  croire  ce  critique,  il  lit  bien 
d'en  user  ainsi.  Des  opinions  de  ce  genre  sont  jugées  quand  on  les  a  citées.   » 

4  Hist.,  III,  12  :  Exsoluta  statim  vincula  interventu  Hortni,  Casaris  liberti:  is 
quoque  inter  duces  habebatur.  Cf.  Hist.,  III,  28  :  Hormine  id  ingenium  (l'idée  de  pro- 
mettre aux  légions  le  sac  de  Crémone),  ut  Messalla  tradit,  an  potior  auctor  sit 
C.  Plinius,  qui  Antonium  incusat,  haud  facile  discreverim,  nisi  quod  neque  Antonius 
neque  Hormus  a  fama  vitaque  sua  quamvis  pessimo  flagitio  non  degeneravere. 

5  Renan,  L'Antéchrist, -p.  158. 


64  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

Une  preuve  décisive  que  Tacite  ne  s'est  pas  servi  de  Josèphe  a 
été  indiquée  par  Bernays.  Sulpicius  Sévère,  dans  sa  Chronique, 
s'est  servi  de  Tacite.  On  le  voit  en  rapprochant  le  passage  où  les 
deux  auteurs  parlent  du  mariage  de  Néron  avec  son  affranchi 
Pythagore. 

Sever.,  Chron.,  II,  28,  2.  Tacit.,  Ann.,  XV,  37. 

Post    etiam  Pythagorce  cuidam  . . .  Uni  ex  Mo  contaminatorum 

in  modum  solennium  conjugiorum  grege  (nomen  Pythagorce  fuit)  in 

nuberet  ;    inditumque    imper atori  modum     solennium     conjugiorum 

flammeum,  dos   et   genialis  torus  denupsisset.    Inditum    imper  atori 

et  faces  nuptiales,  cuncta  denique,  flammeum,  missi  auspices,  dos  et 

quœ  vel  in  feminis  non  sine  vere-  genialis   torus   et  faces  nuptiales, 

cundia  conspiciunlur ,  spectata,  cuncta  denique  spectata,  quœ  etiam 

in  femina  nox  operit. 

Le  passage  de  S.  Sévère  est  emprunté  textuellement  à  Tacite, 
à  part  deux  différences  ;  mais  on  voit  facilement  la  raison  de  celles- 
ci.  S.  Sévère  a  omis  les  mots  missi  auspices,  parce  que  ses  lecteurs 
n'avaient  pas  les  connaissances  nécessaires  pour  les  comprendre; 
l'expression  quœ  etiam  in  femina  noœ  operit  semblait  encore 
trop  nue  :  S.  Sévère  voile  l'idée  encore  davantage. 

On  peut  rapprocher  de  même  le  récit  sur  le  supplice  des  chré- 
tiens après  l'incendie  de  Rome  sous  Néron.  Nous  citerons  les  deux 
passages,  parce  qu7on  a  mis  en  doute  dans  ces  derniers  temps 
l'authenticité  du  chapitre  de  Tacite. 

Sever.,  Chron.,  II,  29, 1-3  Tacit.,  Ann.,  XV. 

Sed  opinio  omnium  inmdiam  G.  40 . . .  Videbaturque  Nero 
incendii  in  principem  retorquebat  condendœ  urbis  novae...  gloriam 
credebaturque  Imper ator    gloriam  quœrere. 

innovandœ  urbis  quœsisse.  Neque  G.  44  :  Sed  non  ope  humana,  non 
ulla  re  Nero  efficiebat  quin  ab  eo  lar gitionibus  principis  aut  deum 
jussum  incendiumputaretur.  Igitur  placamentis  decedebat  infamia  , 
vertit  invidiam  in  Christianos  quin  jussum  incendium  crederetur. 
actœque  in  innoxios  crudelissimœ  Ergo  abolendo  rumori  Nero  subdi- 
quœstiones;  quin  et  novae  mortes  dit  reos  et  quœsitissimis  pœnis 
excogitatœ ,  ut  ferarum  ter  gis  affecit  quos  per  flagitia  invisos 
contecti  laniatu  canum  interirent.  mlgus  Christianos  appellabat. . . 
Multi  crucibus  affixi  aut  flamma  Et  pereuntibus  addita  ludibria  ut 
usti.  Plerique  in  id  reservati  ut  cum  ferarum  ter  gis  contecti  laniatu 
defecisset  dies  in  usum  nocturni  canum  interirent,  aut  crucibus 
luminis  urerenlur.  affixi  aut   flammandi  atque   ubi 

defecisset  dies  in  usum   nocturni 
luminis  urerentur. 


CE  QUE  TACITE  DIT  DES  JUIFS  65 

Le  passage  de  S.  Sévère  est  emprunté  à  Tacite.  On  s'explique 
facilement,  dit  Bernays1,  les  changements  laits  par  S.  Sévère. 
Il  a  remplacé  condendœ  urbis  novœ  par  innovandœ  urbis,  parce 
que  l'expression  de  Tacite  en  dehors  du  contexte  pouvait  produire 
une  méprise  :  on  pouvait  croire  qu'il  s'agissait  de  fonder  une 
autre  ville,  dans  un  autre  endroit.  L'expression  per  flagitia  invisos 
est  changée  en  son  contraire  innoxios.  On  remarquera  qu'à  la  fin 
flammandi,  mot  rare  et  peu  usité,  est  remplacé  par  flamma  asti, 
ce  qui  fait  croire  que  S.  Sévère  avait  déjà  sous  les  yeux  le  même 
texte  que  nous.  On  ne  saurait  douter  dès  lors  que  le  passage  de 
Tacite  sur  le  supplice  des  chrétiens  accusés  de  l'incendie  de  Rome 
sous  Néron  ne  soit  authentique. 

Suivant  Josèphe  2,  Titus  ayant  réuni  un  conseil  de  guerre,  avant 
la  prise  de  Jérusalem,  pour  savoir  ce  qu'il  fallait  faire  du  temple, 
les  uns  disaient  qu'on  devait  user  de  tous  les  droits  de  la  guerre  : 
les  Juifs  ne  cesseraient  pas  de  songer  à  se  soulever  tant  que  le 
temple  resterait  debout  et  leur  servirait  de  point  de  ralliement  de 
toutes  les  parties  du  monde  ;  les  autres  pensaient  que  si  les  Juifs 
abandonnaient  le  temple  et  ne  le  défendaient  pas  les  armes  à  la 
main,  il  fallait  le  laisser  debout  ;  mais  s'ils  l'occupaient  et  en 
faisaient  le  centre  de  la  résistance,  il  fallait  le  brûler  ;  dans  ce  cas 
il  n'était  plus  un  temple,  mais  un  fort  ;  la  responsabilité  de  ce  qui 
arriverait  retomberait  non  sur  les  Romains,  mais  sur  ceux  qui  les 
auraient  contraints  à  agir  ainsi.  Titus  dit  que  même  alors  il  ne  se 
vengerait  pas  sur  des  choses  inanimées  et  qu'il  ne  brûlerait  pas  un 
si  bel  ouvrage  :  ce  serait  une  perte  pour  les  Romains,  tandis  que 
si  le  temple  subsistait,  il  serait  un  des  ornements  de  l'empire.  Trois 
des  six  membres  du  conseil  de  guerre  se  rangèrent  à  l'avis  de 
Titus,  qui  fut  adopté.  Deux  chapitres  plus  loin 3,  Josèphe  nous  dit 
que  le  temple  fut  brûlé  par  la  faute  des  Juifs.  Le  combat  ayant 
recommencé  entre  les  défenseurs  du  temple  et  les  Romains,  un 
légionnaire  saisit  un  tison  et,  sans  attendre  d'ordre,  poussé  par 
une  inspiration  divine,  il  se  fit  soulever  par  un  soldat  et  lança  ce 
brandon  enflammé  par  la  fenêtre  d'or.  Titus  ordonnait  de  la  main 
et  de  la  voix  aux  soldats  d'éteindre  l'incendie;  mais  sa  voix  fut 
étouffée  par  le  tumulte,  et,  dans  l'ardeur  du  combat,  on  ne  vit 
pas  les  signes  que  faisait  le  général. 

Le  récit  de  S.  Sévère  est  tout  autre.  Fertar  Titus  adhibito 
concilio  prius  délibérasse  an  templum  tanti  operis  everteret. 
Etenim  nonniillis  videbatar  aedeyn  sacratam  ultra  amnia  mor- 

1  Ueber  die  Chronik  des  Sulpicius  Severus,  p.  54. 
8  B.  «/.,  VI,  24. 
3  B.  «/.,  VI,  26. 

T.  XIX,  N°  37.  5 


66  REVUE  DES  ETUDES  JUIVES 

talia  illustrent  non  debere  deleri,  quœ  servata  modestiœ  Ro- 
mance testimonium,  dinda  perennem  crudelitatis  notam  prœ- 
beret.  At  contra  alii  et  Titus  ipse  evertendum  templum  impri- 
mis  censebant,  quo  plenius  Judœorum  et  Christianorum  religio 
tolleretur.  Quippe  has  religiones,  licet  contrarias  sibi,  iisdem 
tamen  auctoribus  profectas  ;  Christianos  ex  Jitdœis  exstitisse , 
radice  sublata  stirpem  facile  perituram.  lia  Bel  nu  tu  accensis 
omnium  animis  templum  dirutum  i . 

On  a  prétendu  2  que  l'hypothèse  de  Bernays,  suivant  laquelle 
Tacite  serait  la  source  de  S.  Sévère  pour  le  passage  sur  la  des- 
truction du  temple  de  Jérusalem,  était  invraisemblable,  parce  que 
la  petite  communauté  chrétienne  était  à  peine  connue  de  nom  par 
Titus  ;  par  conséquent  il  n'avait  pu  tenir  le  langage  que  lui  attri- 
bue S.  Sévère  3.  On  a  répondu  4  que  Néron  avait  déjà  persécuté 
les  chrétiens,  parce  qu'il  les  regardait  comme  redoutables.  On 
comprend  dès  lors  que  Titus  ait  voulu  détruire  les  chrétiens  avec 
les  Juifs.  On  voit  par  le  récit  de  Tacite  dans  les  Annales  5  qu'il 
regardait  les  chrétiens  comme  presque  identiques  avec  les  Juifs. 
Non- seulement  il  dit  que  la  religion  chrétienne  avait  pris  nais- 
sance en  Judée,  mais  encore  il  reproche  aux  Juifs  comme  aux 
chrétiens  une  superstition  indestructible  G. 

Une  autre  objection  de  Grsetz,  que  Titus  voulait  certainement 
épargner  le  temple  à  cause  de  Bérénice,  n'est  pas  plus  plausible  ; 
en  effet,  Bérénice,  la  sœur  du  roi  juif  Agrippa,  le  partisan  des 
Romains,  n'a  pas  dû  s'employer  beaucoup  auprès  de  Titus  en  fa- 
veur de  ses  compatriotes.  Aussi  bien,  dans  ce  cas  particulier,  elle 
n'aurait  rien  obtenu.  Que  Titus  ne  fut  pas  disposé  à  lui  accorder 
une  influence  quelconque  dans  les  affaires  d'État,  c'est  ce  que 
montre  sa  conduite  au  commencement  de  son  règne,  où  il  renvoya 
de  Rome  Bérénice,  quelque  douloureuse  que  fût  pour  lui  cette 
mesure. 

Non-seulement  la  résolution  de  Titus  de  détruire  le  temple  de 
Jérusalem  était  permise  ;  elle  était  encore  commandée  par  des  né- 
cessités politiques.  «  La  conservation  du  temple,  remarque  avec 
raison  Gfrôrer  7,  était  indigne  de  la  politique  romaine;  c'eût  été 
une  nouveauté  et  une  folie  philanthropique.  Pour  acquérir  un  re- 
nom éphémère  d'humanité,  on  se  serait  exposé,  eh  définitive,  au 

i  Chron.,  II,  30,  6. 

2  Greetz,  Gesch.  der  Juden,  III,  p.  403. 

3  At  contra  alii  et  Titus  ipse,  etc. 

4  C.  E.  Teter,  Op.  cit.,  p.  14. 
s  XV,  44. 

s  Hist.,  V,  13. 

7  Einkitung  m  der  Uebersetzung  der  Gesch.  des  jild.  Krieges,  p.  10. 


CE  QUE  TACITE  DIT  DES  JUIFS  G7 

renouvellement  d'une  semblable  révolte  et  de  semblables  cruau- 
tés. »  Épargner  des  villes  prises  d'assaut  n'était  pas  dans  le  carac- 
tère romain,  comme  le  montre  la  destruction  de  Corintlie  et  de 
Cartilage,  où  les  Romains,  dans  l'intérêt  de  leur  empire,  crurent 
ne  pas  devoir  laisser  une  pierre  sur  l'autre.  La  conservation  du 
temple  de  Jérusalem  aurait  donc  été  une  faute  politique.  Le  temple, 
dans  sa  magnificence  et  son  éclat,  aurait  continuellement  rappelé 
aux  Juifs  la  grandeur  de  leur  passé;  les  partis  se  seraient  rassem- 
blés autour  de  ce  sanctuaire  national,  si  une  occasion  avait  paru 
s'offrir  de  secouer  le  joug  romain  abhorré1. 

Le  récit  par  Josèphe  de  la  guerre  de  Judée  et  de  la  destruction 
du  temple  de  Jérusalem  ne  méritait  donc  pas  une  confiance  abso- 
lue. Josèphe  n'était  pas  le  seul  Juif  qui  eût  raconté  les  derniers 
instants  de  sa  patrie.  Nous  avons  vu  plus  haut  qu'on  reprochait  à 
Tacite  de  n'avoir  pas  consulté,  en  même  temps  que  les  ouvrages 
de  Josèphe,  ceux  de  Juste  de  Tibériade,  qui  avait,  lui  aussi,  écrit 
l'histoire  de  la  guerre  de  Judée.  Son  livre  pouvait  servir  à  contrô- 
ler celui  de  Josèphe,  car  Juste  était  l'ennemi  de  l'affranchi  de  Yes- 
pasien,  et  lui  reprochait  d'avoir  trahi  sa  patrie,  dans  son  gouver- 
nement de  Galilée,  et,  plus  tard,  sous  les  murs  de  Jérusalem. 
C'est  pour  répondre  à  ces  accusations  que  Josèphe  écrivit  sa  Bio- 
graphie,  qui,  dans  la  dernière  partie  surtout,  est  une  apologie 
personnelle  et  une  critique  de  l'histoire  de  Juste.  «  Il  faut  rendre 
cette  justice  à  Josèphe  qu'il  ne  fit  rien  pour  perdre  ce  dangereux 
rival,  ce  qui  lui  eût  été  facile,  vu  la  faveur  dont  il  jouissait  en 
haut  lieu.  Josèphe,  d'un  autre  côté,  est  assez  faible,  quand  il  se 
défend  contre  les  accusations  de  Juste,  en  invoquant  les  approba- 
tions officielles  de  Titus  et  d'Agrippa.  On  ne  peut  trop  regretter 
qu'un  écrit  qui  nous  eût  montré  l'histoire  de  la  guerre  de  Judée  au 
point  de  vue  révolutionnaire  soit  perdu  pour  nous.  Il  semble  du 
reste  que  les  témoins  de  cette  catastrophe  étrange  éprouvassent  le 
besoin  de  la  raconter.  Antonius  Julianus,  un  des  lieutenants  de 
Titus,  en  fit  un  récit  qui  servit  de  base  à  celui  de  Tacite,  et  que  le 
sort  nous  a  pareillement  envié  2.  » 

Bernays,  le  premier,  a  dit 3  qu'il  fallait  chercher  les  sources  du 
récit  de  S.  Sévère,  sur  la  destruction  du  temple  de  Jérusalem,  au 

1  C.  E.  Peter,  Op.  cit.,  p.  13.  Ces  réflexions  semblent  plus  justes  que  celles  de 
M.  Hild  [Loc.cit.,  p.  173)  :  «  Comme  on  avait  piétiné  sur  Carthage  jusqu'à  en  effacer 
les  dernières  traces,  comme  on  avait  traité  Vercingétorix  en  vulgaire  bandit,  ainsi  on 
s'acharna  sur  le  pays  de  Judée  et  sur  les  chefs  de  la  résistance...  L'écrasement 
matériel  des  Juifs  ne  suffit  pas  aux  rancunes  de  Rome  ;  elle  tenta  sur  eux  l'écrase- 
ment moral,  qu'elle  avait  épargné  à  tous  ses  vaincus,  sauf  à  Hannibal.  » 

2  Kenan,  Les  Évangiles,  p.  242  sq, 

3  Op.  cit.,  p.  56. 


68  REVUE  DES  ETUDES  JUIVES 

delà  de  Tacite,  jusque  devant  les  murs  de  la  ville  assiégée.  Ber- 
nays  fait  remarquer  que  Tacite,  plus  qu'aucun  autre  historien 
classique,  prend  plaisir  à  raconter  en  détail  les  discussions  dans  le 
conseil  de  guerre  la  veille  des  événements  décisifs1.  Déjà  Tille- 
mont  disait2  que  le  J'ulianus  dont  parle  Minucius  Félix3  était  le 
même  que  le  procurateur  de  Judée  nommé  par  Josèphe  4  comme 
un  des  six  membres  du  conseil  de  guerre  tenu  avant  la  prise  de 
Jérusalem,  et  qui  avait  voté  pour  la  destruction  du  temple.  Tacite 
aime  à  se  servir  des  mémoires  militaires,  comme  ceux  de  Corbu- 
lon  sur  ses  campagnes  en  Arménie,  et  ceux  de  Vipstanus  Messalla 
pour  la  campagne  de  Flaviens  contre  les  Vitelliens  dans  la  haute 
Italie.  A  propos  du  sac  de  Crémone  il  oppose  le  témoignage  de 
Messalla  à  celui  de  Pline  l'Ancien,  sans  donner  la  préférence  à  ce 
dernier3. 

Pour  la  guerre  de  Judée  et  la  destruction  du  temple  de  Jérusa- 
lem, Tacite  aurait  pu  se  servir  de  la  continuation  d'Aufidius  Bas- 
sus  par  Pline  l'Ancien.  En  effet,  celui-ci  avait  assisté  à  la  cam- 
pagne de  Titus  contre  les  Juifs,  et  il  avait  certainement  raconté 
ces  événements.  Mais  Tacite,  au  dernier  chapitre  du  livre  II  des 
Histoires,  nous  dit  que  ceux  qui  avaient  écrit  l'histoire  sous  les 
Flaviens  avaient  souvent  déguisé,  par  flatterie,  la  véritable  nature 
des  événements6.  Tacite  fait  cette  remarque  à  propos  de  Cécina, 
qui  avait  voulu  trahir  Vitellius  pour  Vespasien.  Cécina  fut  en 
grand  crédit  jusqu'à  la  fin  du  règne  de  Vespasien.  Alors  il  conspira 
contre  l'empereur.  Titus,  ayant  saisi  un  projet  de  proclamation 
aux  troupes  écrit  par  Cécina,  invita  le  conspirateur,  et  le  fit  poi- 
gnarder à  sa  propre  table.  Mais  cette  catastrophe  n'eut  lieu  que 
tout  à  fait  à  la  fin  de  la  vie  de  Pline  l'Ancien. 

Tacite  avait  probablement  en  vue  Pline  l'Ancien  dans  ce  qu'il  dit 
au  dernier  chapitre  du  livre  II  des  Histoires.  Mais  ces  paroles 
s'appliquaient  encore  mieux  à  Josèphe,  car  l'historien  juif, 
comme  nous  l'avons  vu  par  le  récit  du  conseil  de  guerre  devant 
Jérusalem,  n'avait  rien  dit  qui  déplût  au  vainqueur.  C'est  sans 
doute  pour  cela  que  Titus  voulait  qu'on  regardât  son  histoire 
comme  le  compte-rendu  officiel  de  la  guerre  de  Judée,  et  prescri- 

1  Cf.  Hist.,  II,  32;  82;  III,  2. 

2  Hist.  des  Empereurs,  I,  p.  1021. 

3  Oclav.,  33  :    Scripta  eorum  relege,   vel  si  Romanis  ma/jis  gaudes,  ut  transeamus 
veteres,  Flavii  Josepki  vel  Antonii  Juliani  de  Judceis  requirc.  Ce  passage  est  douteux» 
(Cf.  Halm). 

4  B.  T.,  VI,  4,  3  ou  24'. 

5  Hist.,  III,  28. 

6  tScriptores  temporum  qui,  potiente  rcrum  Flavia  domo,  monumenta  lelli  htjusce 
composuerunt,  curam  pacis  et  amorem  reipublicœ,  corruptas  in  adulationem  causas, 
tradidere. 


CE  QUE  TACITE  DIT  DES  JUIFS  69 

vait,  par  un  ordre  signé  de  sa  main,  de  placer  son  livre  dans 
toutes  les  bibliothèques  publiques  ». 

Tacite  n'avait  pas  pour  les  Flaviens  les  sentiments  de  Josèphe 
ou  de  Pline.  Celui-ci  avait  été  l'ami  et  le  ministre  de  Vespasien  et 
de  Titus.  Josèphe  jouissait,  de  plus,  de  la  faveur  de  Domitien. 
Tacite,  au  contraire,  accuse  le  dernier  Flavien  d'avoir  empoisonné 
son  beau-père  Agricola.  Nous  ne  savons  comment  Tacite  avait 
retracé,  dans  les  derniers  livres  des  Histoires,  le  règne  de  Domi- 
tien, puisque  nous  avons  perdu  le  récit  des  dernières  années  de 
Vespasien,  à  plus  forte  raison  les  règnes  de  Titus  et  de  Domitien. 
Mais  dans  ce  qui  reste  des  Histoires,  on  voit  que  Tacite  jugeait 
Vespasien  et  ses  deux  fils  avec  justice,  mais  sévérité  2.  Dès  lors, 
pour  le  conseil  de  guerre  devant  Jérusalem,  Tacite  avait  dû  préfé- 
rer le  récit  d'un  des  membres  de  ce  conseil  à  celui  d'un  flatteur  des 
Flaviens,  comme  Josèphe.  De  plus,  Antonius  Julianus  avait,  sans 
doute,  raconté  exactement  les  faits.  Ses  mémoires,  certainement 
en  latin,  s'adressaient  à  la  partie  de  l'empire  qui  approuvait  les 
vieilles  traditions  de  la  politique  romaine,  tandis  que  l'ouvrage  de 
Josèphe,  écrit  en  grec,  devait  être  lu  surtout  dans  la  partie  orien- 
tale de  l'empire  romain,  où  les  idées  helléniques  d'humanité  et  de 
tolérance  régnaient  presque  exclusivement. 

On  a  cru  que  Dion  Gassius,  qui  écrivit  en  grec  l'histoire  de 
Rome  depuis  la  fondation  de  la  ville  jusqu'à  son  époque,  reprodui- 
sait pour  la  guerre  des  Juifs  le  récit  des  Histoires  de  Tacite  3. 
Mais  on  peut  en  douter.  Pour  les  faits  racontés  dans  la  partie  qui 
reste  des  Histoires  de  Tacite,  Dion  Cassius  montre  beaucoup 
moins  de  critique  que  l'auteur  latin  ;  il  est  beaucoup  plus  favorable 
•que  lui  à  la  dynastie  flavienne.  Il  semble  que  Dion  se  soit  servi  de 
ces  historiens  qui  sont  accusés  de  partialité  par  Tacite.  C'est  ce 
qu'on  remarque  justement  pour  la  trahison  de  Cécina  et  pour  l'in- 
cendie du  Capitole4. 

On  ne  saurait  nier  toutefois  que  Dion  Cassius  se  soit  servi  de 
Tacite,  comme  on  le  voit  pour  le  1er  livre  des  Annales.  On  a 
prétendu  de  nos  jours  que  les  Annales  ont  été  fabriquées  par  le 

«  Josèphe,  Vit.,  G5. 

s  Cf.  C.  E.  Peter,  Op.  cit.,  p.  12  sq.  «  Tacite,  dit  M.  Hild  {Loc.  cit.,  p.  175), 
épouse  toutes  les  rancunes  des  Flavius  contre  les  empereurs  précédents.  »  MaisTacilc 
n'avait  pas  moins  de  rancunes  contre  les  Flavius  que  contre  les  Césars. 

3  C.  E.  Peter,  Op.  cit.,  p.  6  sq. 

4  L'incendie  du  Capitole  présente  de  grands  rapports  avec  celui  du  temple  de 
Jérusalem.  Suivant  Dion  (LXV,  17),  ce  furent  les  soldats  de  Vitellius  qui  brûlèrent 
le  Capitole,  où  ils  pillèrent  toutes  les  offrandes.  On  lit,  au  contraire,  dans  les  His- 
toires (III,  71):  Ambigitur  ignem  tectis  oppugnatores  injecerint,  an  obsessi,  quœ  cre- 
brior  fama,  dum  niteutes  ac  progresses  depcllunt...  Sic  Capitolium  clausis  foribus 
indefensum  et  indireptum  conflagravit. 


70  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

Pogge,  au  xve  siècle1.  Dans  cette  hypothèse  on  expliquerait  les 
ressemblances  entre  Tacite  et  Dion  en  disant  que  le  Pogge  s'est 
servi  de  Dion.  Mais  il  suffit  d'avoir  lu  quelques  livres  de  Dion 
pour  reconnaître  combien  l'historien  grec  est  au-dessous  de 
l'auteur  des  Annales.  Le  goût  seul  prouve  d'une  façon  irréfu- 
table que  les  Annales  ne  sauraient  être  l'œuvre  d'un  faussaire. 
Cette  opinion  ne  pouvait  guère  être  soutenue  que  dans  le  pays 
où  l'on  a  prétendu  que  les  tragédies  de  Shakspeare  étaient 
l'œuvre  de  Bacon. 

A  quelle  source  Tacite  a-Hl  puisé  les  détails  qu'il  nous  donne 
sur  la  Judée,  le  baume,  l'asphalte,  la  Mer  Morte?  On  a  cru  qu'il 
empruntait  ces  détails  à  Pline  l'Ancien,  curieux  de  ces  sortes  de 
choses.  Mais  les  rapports  entre  le  commencement  du  livre  V  des 
Histoires  de  Tacite  et  Y  Histoire  naturelle  de  Pline  sont  peu 
importants.  Tacite  a  moins  encore  copié  Josèphe  que  Pline 
l'Ancien.  On  a  essayé  d'expliquer  les  ressemblances  entre  Jo- 
sèphe et  Tacite  en  disant  que  tous  deux  s'étaient  servis  des 
Mémoires  de  Vespasien2.  Josèphe  aurait  même,  par  flatterie,  re- 
produit textuellement  de  longs  passages  de  ces  Mémoires.  Mais 
Vespasien  était  avant  tout  un  homme  pratique,  et  il  n'avait  dû 
composer  qu'une  sorte  de  journal,  où  il  notait  avec  brièveté  les 
faits  les  plus  importants.  Josèphe  nous  apprend  3  que,  dans  un 
voyage  à  la  Mer  Morte,  Vespasien  fit  jeter  dans  le  lac  des  soldats 
qui  ne  savaient  pas  nager  et  qui  avaient  les  mains  liées  derrière 
le  dos.  Ils  revinrent  à  la  surface  de  l'eau,  comme  sous  l'action 
d'un  souffle  puissant.  On  a  dit  que  Josèphe  mentionnait  ces  dé- 
tails parce  qu'il  avait  accompagné  Vespasien  à  la  Mer  Morte. 
Mais  il  la  connaissait  certainement  de  longue  date,  et  il  avait  pu, 
apprendre  ce  voyage  de  la  bouche  même  de  l'empereur.  On  a 
supposé,  avec  vraisemblance,  que  les  Mémoires  d'Antonius  Ju- 
lianus  sur  la  guerre  de  Judée  étaient  purement  militaires.  Il 
devait  en  être  de  même  de  ceux  de  Vespasien. 

Aussi  bien,  si  Tacite  a  consulté  Pline  l'Ancien  ou  Josèphe,  il 
ne  les  a  pas  copiés.  On  peut  tirer  de  ceci  une  conclusion  im- 
portante pour  la  façon  dont  l'auteur  des  Histoires  et  des  Annales 
employait  les  ouvrages  dont  il  se  servait.  11  ne  les  reproduisait 
pas  exactement,  comme  Tite-Live  a  fait  pour  Polybe.  Il  rendait 
dans  son  style  abrupt  et  sa  langue  concise  les  détails  qu'il  leur 
empruntait.  De  plus,  il  ne  consultait  que  les  livres  les  plus 
autorisés  et  les   plus  en  renom.   On   le  voit  pour  le   règne  de 

1  Ross,  Tacitus  and  Bracciolini,  London,  1878. 

2  C.  E.  Peter,  Op.  cit.,  p.  9. 
^  B.  /.,  IV,  8,  4. 


CE  QUE  TACITE  DIT  DES  JUIFS  71 

Néron,  où  il  cite  Pline  l'Ancien,  Fabius  Rusticus,  l'admirateur 
et  ami  de  Sénèque,  et  Gluvius  Rufus,  qui  avait  joui  d'une 
grande  faveur  auprès  du  prince,  mais  sans  avoir  jamais  fait 
métier  de  délation.  C'étaient  ici  les  représentants  des  trois  ten- 
dances particulières  dans  l'histoire  de  ce  règne  :  la  tendance 
néronienne,  anti-néronienne  et  flavienne.  De  même  pour  les 
Histoires,  Tacite  invoque  le  témoignage  de  Pline  l'Ancien,  qui 
avait  vu  ces  événements  et  y  avait  pris  part,  au  moins  en  partie, 
et  celui  de  Vipstanus  Messalla,  qui  commandait  une  légion  dans 
la  campagne  des  Flaviens  contre  les  Vitelliens  dans  la  haute 
Italie,  et  à  qui  Tacite  donne  ce  bel  éloge  qu'  «  il  était  le  seul  qui 
dans  cette  guerre  eût  apporté  des  sentiments  honorables1  ». 

On  a  dit  :  «  Tacite  compose  les  Annales  et  les  .Histoires  moins 
sur  la  foi  des  documents  originaux  qu'en  condensant  les  libelles, 
les  mémoires,  les  monographies  de  toute  sorte,  où  des  auteurs, 
pour  la  plupart  inconnus  aujourd'hui,  écrivaient  non  pas  tant 
sous  la  dictée  des  faits  que  sous  celles  de  leurs  rancunes  et  de 
leurs  intérêts2  ».  Ce  jugement  rappelle  certaines  opinions  du 
xviii6  siècle.  On  avait  répondu  indirectement ,  par  avance  : 
«  Les  gens  qui  n'aiment  pas  Tacite  l'appellent  un  pamphlétaire  ; 
jamais  nom  ne  fut  plus  mal  appliqué.  Ses  Histoires  et  ses 
Annales  ne  ressemblaient  en  rien  à  ces  livres  éphémères  des- 
tinés à  flatter  la  passion  du  moment  et  à  disparaître  avec  elle, 
ce  n'étaient  pas  de  ces  écrits  anonymes  et  désavoués  qui  se 
glissent  furtivement  dans  le  monde  et  tirent  leur  intérêt  de  leur 
mystère.  Ils  se  sont  produits  sans  gêne,  au  grand  jour;  attendus 
avec  impatience,  publiés  avec  éclat,  ils  furent  accueillis  sans 
contestation  et  regardés  dès  leur  apparition  comme  des  chefs- 
d'œuvre3  ».    • 

«  Il  y  a  trente  ans  encore,  dit-on  4,  les  procédés  de  critique 
admirative  dominant  dans  l'histoire  littéraire,  on  eût  été  mal 
venu  de  contester  la  bonne  foi  de  Tacite,  ou  même  d'accuser  sa 
partialité  inconsciente.  La  valeur  artistique  de  son  œuvre  faisait 
passer  condamnation  sur  toutes  les  exagérations  dans  le  blâme, 
sur  l'invraisemblance  de  certains  récits,  sur  les  contradictions 
et  les  absurdités  même  qu'il  était  possible  d'y  relever  quelque- 
fois. »  On  ne  connaît  plus  aujourd'hui  les  scrupules  qui  empê- 
chaient de  soumettre  une  grande  œuvre  à  une  critique  minutieuse 
et  sévère.  Il  semble  même  qu'on  prenne  plaisir  «  à  trouver  *le 

1  Hist.,  m,  9. 

*  Hild,  Loc.  cit.,  p.  173. 

3  G.  Boissier,  L  Opposition  sous  les  Césars,  2e  éd.,  p.  29G  sq. 

4  Hild,  Loc.  cit.,  p.  172  sq. 


72  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

côté  faible  de  la  grandeur  et  à  relever  des  excès  dans  la  louange, 
autant  que  des  torts  dans  la  gloire».  Tacite  a  résisté  à  toutes 
les  attaques  dirigées  contre  lui.  On  n'a  pu  prouver  qu'il  copiait 
les  historiens  antérieurs,  ou  qu'il  puisait  à  des  sources  suspectes 
et  malveillantes.  Tacite  a  seulement  les  défauts  de  son  peuple, 
de  son  temps,  de  sa  classe.  «  Tantôt  il  cède  aux  opinions  de  ceux 
qui  l'entourent  et  tantôt  il  leur  résiste,  mais  ces  alternatives 
même  font  voir  qu'il  n'avait  pas  pris  d'avance  la  résolution  de 
tout  approuver  chez  eux,  et  que  ce  n'était  pas,  comme  on  le 
prétend,  l'homme  d'un  parti.  En  réalité,  il  ne  leur  cède  que  par 
surprise  et  il  leur  résiste  par  raison l .  » 

Nous  avons  déjà  indiqué  comme  une  preuve  de  l'impartialité 
de  Tacite  les  témoignages  opposés  sur  les  Juifs  au  commencement 
du  livre  V  des  Histoires.  De  même,  pour  l'incendie  de  Rome 
sous  Néron  il  rapporte  deux  traditions  différentes  :  suivant  l'une, 
Néron  aurait  allumé  l'incendie,  tandis  que  l'autre  le  déclarait 
innocent.  On  peut  reprocher  à  ce  propos  à  Tacite  de  ne  pas  se 
décider  explicitement  pour  l'une  ou  l'autre  alternative,  quoiqu'il 
ne  soit  pas  difficile  de  reconnaître  pour  laquelle  il  penche2.  Ce 
tort,  chez  Tacite,  vient  de  ce  qu'il  ne  remonte  pas  aux  sources 
premières,  de  ce  que,  par  exemple,  il  ne  fait  pas  ou  presque  pas 
de  recherches  dans  les  archives. 

Dans  le  sujet  qui  nous  occupe  on  a  reproché  à  Tacite  de  n'avoir 
pas  consulté  les  Antiquités  judaïques  de  Josèphe  pour  l'histoire 
primitive  des  Juifs  3.  Mais  on  peut  douter  qu'il  y  eût  trouvé  la 
vérité  complète. 

Josèphe,  après  avoir  été  en  grand  honneur  jusqu'à  la  Renais- 
sance, a  depuis  lors  baissé  dans  l'estime  des  savants.  On  a  bien 
indiqué  de  nos  jours  quelles  qualités  avaient  fait  son  succès  à 
l'époque  où  il  écrivit  et  quels  défauts  expliquent  la  défiance  des 
modernes4.   Lorsqu'on  a  voulu  écrire   d'une   façon   scientifique 

1  G.  Boissier,  Op.  cit.,  p.  296. 

*  Ainsi  il  n'ose  pas  accuser  Pison  d'avoir  empoisonné  Germanicus  à  l'instigation 
de  Tibère  ;  mais  le  tour  qu'il  donne  à  son  récit  montre  qu'il  regarde  cette  supposition 
comme  l'ondée.  De  même,  il  ne  rend  pas  Néron  responsable  de  l'incendie  de  Rome  ; 
mais  il  dit  que  le  feu  recommença  dans  les  propriétés  de  Tigeliin,  le  tout-puissant 
ministre  de  l'empereur,  ce  qui  suffit  pour  inspirer  les  soupçons  les  plus  graves. 

3  Nipperdey,  7°  éd.  des  Annales,  Introd.  p.  30  :  t  Tacite,  pour  ce  qu'il  dit  des 
Juifs  [HisC,  V,  2  sqq.),  aurait  pu  apprendre  de  Josèphe  des  détails  plus  exacts.  » 

*  Renan,  Les  Evangiles,  p.  2o0:  Le  livre  de  Josèphe,  précieux  pour  le  savant,  ne 
dépasse  point  en  valeur,  aux  yeux  de  l'homme  de  goût,  une  de  ces  Bibles  fades  du 
xvme  siècle,  où  les  vieux  textes  les  plus  terribles  sont  traduits  en  une  langue  aca- 
démique et  décorés  de  vignettes  en  style  rococo.  »  Cf.  Reuss,  Loc.  cit.,  p.  274  : 
«  Jusqu'au  commencement  de  ce  siècle,  il  se  conserva  clans  bien  des  familles,  surtout 
le  long  du  Rhin,  un  exemplaire  de  quelque  vieux  Josephus,  orné  de  grossières  gra- 
vures sur  bois,  et  destiné,  si  ce  n'est  à  l'instruction  des  grands,  du  moins  à  l'amu- 


CE  QUE  TACITE  DIT  DES  JUIFS  73 

l'histoire  d'Israël,  on  a  dû  démontrer  que  Moïse  n'était  pas 
l'auteur  de  la  loi;  celle-ci  ne  fut  rédigée  et  promulguée  que  sous 
les  successeurs  de  Salomon,  les  rois  d'Israël  et  de  Juda.  Pour 
toute  cette  partie  Josèphe  se  contente  de  puiser  dans  la  Bible  et 
dans  les  interprétations  des  rabbins,  que  nous  possédons  encore  l, 
en  omettant  toutefois  ce  qui  rabaisserait  la  gloire  de  son  peuple 
et  pourrait  blesser  des  oreilles  profanes.  «  En  général,  l'exa- 
gération caractérise  le  récit  de  Josèphe  beaucoup  plus  que  la 
réserve  critique  qu'on  a  cru  remarquer  en  quelques  endroits.  Le 
public  pour  lequel  cette  histoire  des  Juifs  était  écrite,  tout 
incrédule  qu'il  était  dans  le  sens  religieux  de  ce  mot,  ne  l'était 
guère  en  face  du  miracle.  On  n'a  qu'à  lire,  pour  s'en  convaincre, 
les  récits  de  Tite-Live  et  mieux  encore  le  fameux  ouvrage  de 
Pline  l'Ancien,  qui  débite  avec  une  égale  gravité  les  trésors  de  sa 
science  et  les  absurdes  contes  de  la  superstition  populaire2.  » 
«  La  seule  explication  que  nous  puissions  admettre  pour  nous 
rendre  compte  des  déviations  réellement  arbitraires  que  Josèphe 
se  permet  à  l'égard  du  texte  canonique,  c'est  qu'il  était  et  qu'il 
voulait  être  le  panégyriste  de  sa  nation.  Exalter  ce  qu'il  y  avait 
d'honorable  pour  elle,  effacer  ce  qui  pouvait  ternir  sa  gloire, 
voilà  quelle  était  sa  préoccupation.  Les  preuves  directes  de 
cette  assertion  sont  tellement  abondantes  que  nous  n'avons 
que  l'embarras  du  choix  »  3.  Et  l'auteur  cite  à  ce  propos  de 
nombreux  exemples. 

Josèphe  est  précieux  pour  la  dernière  partie  de  l'histoire 
d'Israël,  où,  la  Bible  nous  manquant,  nous  n'avons  pas  d'autre 
témoignage  que  le  sien.  Mais  on  peut  douter  qu'ici  Josèphe  soit 
toujours  exact. 

Il  ne  l'est  certainement  pas  pour  les  époques  récentes.  «  Suétone, 
chroniqueur  si  exact  du  palais  impérial,  aurait  souri  peut-être 
s'il  eût  jamais  lu  dans  Josèphe  qu'Hérode  était,  après  Agrippa, 
le  meilleur  ami  de  César  (Auguste),  et,  après  César,  le  meilleur 


sèment  des  petits,  et,  aujourd'hui  encore,  plus  d'une  scène  de  l'histoire  d'Israël  ne  se 
présente  devant  l'imagination  de  l'auteur  de  cet  article  que  sous  la  forme  dont  il 
l'avait  trouvée  revêtue,  il  y  a  cinquante  ans,  dans  les  gravures  imparfaites  et  uséçs  du 
vénérable  in-folio.  » 

1  Cf.  Bloch,  Qucllen  des  Josephus  in  seincr  Archaologie,  Leipz.,  1879  ;  G.  Tachauer. 
Bas  Verhâltniss  von  Flavius  Josephus  zur  Bibel  und  Tradition,  ErlaDgen,  1871,  p. 
40  sqq. 

*  Keuss,  Loc.  cit.,  p.  292.  Cf.  Renan,  Les  Evangiles,  p.  245  :  «  Le  public  auquel 
s'adressait  Josèphe  était  superficiel  en  fait  d'érudition  ;  il  se  contentait  facilement  ;  la 
culture  rationnelle  du  temps  des  Césars  avait  disparu  ;  l'esprit  humain  baissait  rapi- 
dement et  offrait  à  tous  les  charlatanismes  une  proie  assurée.  > 

3  Reuss,  Loc.  cit.,  p.  293. 


74  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

ami  d'Agrippa1. . .  Josèphe  a  beau  redire  dans  ses  Antiquités  ce 
qu'il  a  dit  dans  la  Guerre  judaïque  sur  la  tendresse  d'Auguste  et 
d'Agrippa  pour  Hérode  ;  quand  il  nous  raconte  ensuite  les  longs 
et  pénibles  voyages  du  tyran  juif  au-devant  et  presque  à  la 
poursuite  de  son  puissant  ami,  on  voit  bien  que  cette  prétendue, 
amitié  n'était  de  la  part  d'Agrippa  qu'une  protection  dédaigneuse... 
Il  faut  lire  les  voyages  d'Hérode  et  de  ses  fils  en  Italie,  ces 
séances  du  conseil  privé  de  l'empereur  où  les  intérêts  de  deux  rois 
étaient  débattus  à  huis  clos  par  leurs  avocats,  quelquefois  en  leur 
présence,  et  se  décidaient  sans  appel  par  un  décret  de  l'empereur  ; 
ces  dispendieuses  flatteries  prodiguées  à  César,  à  ses  parents,  à 
ses  favoris  par  un  roi  qui  épuise  ses  propres  sujets  pour  répandre 
l'or  sur  les  avenues  du  palais  impérial,  ou  seulement  dans  les 
villes  protégées  du  maître  2.  » 

Pour  les  événements  qui  précédèrent  l'insurrection,  le  récit  de 
Josèphe  n'est  pas  d'accord  avec  celui  de  Tacite,  lequel  paraît 
plus  vraisemblable  3. 

Ce  que  rapporte  Tacite  sur  les  croyances  et  les  coutumes  des 
Juifs  n'était  pas  complètement  invraisemblable  pour  un  écrivain 
romain4.  Ses  erreurs  sont  le  résultat  de  sa  méthode,  qui  s'en  fie 
plus  au  bon  sens  qu'à  la  science  pure 5.  Tacite  est  un  Romain  et 
non  un  Grec,  il  poursuit  le  vraisemblable  plutôt  que  le  vrai, 
oubliant  que  parfois  le  vrai  n'est  pas  vraisemblable. 

G.  Thiaucourt. 

1  É.  Egger,  Examen  critique  des  historiens  anciens  de  la  vie  et  du  règne  d'Auguste, 
ch.  VIII:  Flavius  Josèphe,  p.  202. 

2  É.  Egger,  Loc.  cit.,  p.  204  sq.  On  a  repris  dans  ces  dernières  années  la  question 
de  savoir  si  les  Antiquités  judaïques  de  Josèphe  sont  exactes,  surtout  en  ce  qui 
concerne  les  nombreux  décrets  rendus  par  le  sénat,  par  les  consuls,  César,  les  trium- 
virs ou  les  empereurs  en  faveur  des  Juifs.  Cf.  F.  Rilschl,  Rhein.  Mus.,  XXVIII, 
1873,  p.  586-614;  XXX,  p.  337-334  ;  L.  JYIendelssohn,  De  senaticonsulti  Romanorum 
ab  Josepho  [Antiq.,  XXV.  8,  5)  relati  temporib us,  Leipz.,  1873;  De  senaticonsultis 
Romanorum  ab  Josepho  (Antiq.,  X\\\,  9,  2;  XIV,  10,  22)  relatis  comment atio,  Leipz., 
1874  ;  Senaticonsulia  Romanorum  que  sunt  in  Josephi  Antiquitatibus,  Acta  societatis 
philolog.  Lips.,  IV,  1875,  p.  87-288  ;  Th.  Mommsen,  Der  Senatsbeschluss  bei  Jose- 
phus  [Antiq.,  XIV,  8,  5),  Hermès,  IX,  1875,  p.  281-291;  B.  Niese,  Berner  kun  g  en  iïber 
die  Urkunden  bei  Josephus'  Archâologie,  B.  XIII,  XIV,  XVI,  Hermès,  XI,  1876, 
p.  466-488.  Cette  question  avait  déjà  été  examinée  auparavant  (cf.  les  auteurs  cités 
par  É.  Egger,  Loc.  cit.,  p.  193  sqq.),  et  Pon  avait  conclu  à  la  négligence,  sinon  à  la 
partialité,  de  Josèphe.  Il  semble  qu'on  doive  aboutir  de  nos  jours  au  même  résultat. 
Josèphe  a  été  trompé  par  les  secrétaires  (car  il  en  avait  :  Cont.  Ap.,  I,  9)  chargés 
de  lui  faire  des  extrails,  comme  Sénèque  par  les  siens. 

3  Cf.  Ann.,  XII,  54,  et  A.  J.,  XX,  5  et  6  ;  Hist.,  V,  13,  et  B.  /.,  VI,  5,  3. 

4  Cf.  Burnouf,  éd.  de  Tacite,  tome  V,  notes  du  Ve  livre  des  Histoires  ;  le  rabbin 
Moïse  Schuhl,  Les  préventions  des  Romains  contre  la  nation  juive,  Paris,  1882,  surtout 
p.  26  sqq. 

5  On  pouirait  comparer  la  méthode  historique  de  Tacite  à  la  méthode  exégétique  du 
xvj]i  'siècle   opposée  et  bien  inférieure  à  celle  du  xixe. 


INSCRIPTION  JUIVE  DE  NÂRBONNE 


L'inscription  dont  nous  donnons  ici  un  fac-similé,  exécuté  d'a- 
près un  moulage  du  musée  de  Saint- Germain,  est  conservée  au 
musée  de  Narbonne  ;  elle  provient  soit  de  cette  dernière  ville,  soit 
de  ses  environs  immédiats.  Le  texte  en  a  déjà  été  publié  plusieurs 
fois  :  par  M.  Tournai,  dans  son  Catalogue  du  musée  de  Nar- 


114  PAO 

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«  B  Vt 'F.'VW :1R  AN N« -5f  C vfj-ôo-o-Mi E  S  ION! : 

559-9 


MMtuM»»  ^Kmn(i»rifch|  |àti 


bonne,  p.  45;  par  M.  Le  Blant,  dans  ses  Inscriptions  chrétiennes 
de  la  Gaule  antérieures  au  vmc  stécJe  (tome  II,  p.  476,  n°  621,  et 
pi.  86,  fig.  511)  ;  par  M.  Lebègue,  dans  son  Èpigraphie  de  Nar- 
bonne (n°  1291,  p.  379-80),  qui  forme  le  premier  volume  de  la 
nouvelle  édition  de  Y  Histoire  générale  du  Languedoc  ;  enfin 
M.  Clrwolson  a  reproduit  la  partie  hébraïque  de  notre  inscription 
au  n°  33  (col.  H8-9)  de  son  Corpus  inscriptionum  hebraicarum 
(Saint-Pétersbourg,  1882).   Aucune  de  ces  transcriptions  n'est 


76  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

tout  à  fait  correcte  ;  celles  qui  sont  complètes  se  trouvent  d'ail- 
leurs dans  des  recueils  peu  accessibles  à  la  majorité  des  lecteurs 
de  la  Revue  des  Études  juives.  C'en  est  assez  pour  justifier  la 
présente  publication. 

Commençons  par  donner  la  transcription  en  caractères  ordi- 
naires et  la  traduction  de  notre  texte  : 

[Chandelier  a  sept  bras).  le  {hic)  requiescunt 
in  pace  bene  memori 
très  fili  dni  \domini)  Paragori 
de  filio-  condam  dnT  Sa- 
5      paudi,  id  est  Justus,  Ma- 
trona  et  Dulciorella,  qui 
vixserunt  Justus  aunos 
XXX,  Matrona  anns  XX,  Dulci- 
orela  annos  VIIII.  bfinïïM  b$  tnbtt. 
10      obveruur  (oMerunt)  anno  secundo  dmï  Egicani 
régis. 

«  Ici  reposent  en  paix  les  trois  enfants  d'heureuse  mémoire  du 
seigneur  Paragorus,  fils  du  défunt  seigneur  Sapaudus,  à  savoir 
Justus,  Matrona  et  Dulciorella,  qui  ont  vécu  Justus  trente  ans,  Ma- 
trona vingt  ans,  Dulciorella  neuf  ans.  Paix  sur  Israël  !  Ils  sont  dé- 
cédés dans  la  deuxième  année  du  seigneur  Egicanus,  roi.  » 

Nous  avons  ici  une  épitaphe  datée  avec  précision,  fait  toujours 
rare  et  précieux,  particulièrement  dans  l'épigraphie  juive.  L'ins- 
cription est  de  la  deuxième  année  du  roi  Wisigoth  Egica  (vidgo 
Egiza),  c'est-à-dire  —  puisque  ce  roi  succéda  à  son  beau-père 
Euric  le  24  novembre  687  -—  de  l'année  688  après  J.-C.  Est-ce, 
comme  le  croit  M.  Le  Blant,  le  plus  ancien  texte  de  ce  genre  con- 
servé en  France?  On  ne  peut  l'affirmer  avec  certitude,  car  il 
existe  deux  inscriptions  hébraïques  trouvées  l'une  à  Vienne, 
l'autre  dans  un  faubourg  d'Arles  (Ghwolson,  op.  cit.,  nos  51  et  94  ; 
col.  179-80)  qui  paraissent  appartenir  à  la  môme  époque,  ou  peut- 
être  même,  d'après  la  forme  de  certains  caractères,  remonter  un 
peu  plus  haut.  Disons  tout  de  suite  que  la  date  précise  de  notre 
inscription  donne  un  grand  intérêt  à  la  paléographie  de  la  partie 
hébraïque,  si  courte  qu'elle  soit.  On  remarquera  en  particulier  les 
formes  insolites  du  vav  et  du  mem  final  (semblable  à  un  bel) 
clans  le  mot  ûnbia.  M.  Chwolson,  qui  n'avait  sous  les  yeux  que  le 
fac-similé  dessiné  du  recueil  de  Le  Blant,  déclarait  ces  formes 
«  impossibles  »  ;  on  voit,  d'après  notre  photographie,  qu'elles  sont 
pourtant  bien  réelles.  Cependant  il  ne  faudrait  pas  se  hâter  d'en 
tirer  des  conclusions  paléographiques  trop  générales,  en  raison 


INSCRIPTION  JUIVE  DE  NARBONNE  77 

de  la  négligence  avec  laquelle  notre  texte  a  été  gravé  :  c'est  ainsi 
que  dans  le  mot  b&nEn  le  lapicide  a  complètement  omis  le  yod 
initial. 

Un  mot  seulement  sur  les  particularités  orthographiques  et 
grammaticales  de  la  partie  latine.  L'alphabet  est  un  curieux  mé- 
lange de  formes  capitales,  onciales  et  même  grecques  (le  D)  ;  on 
remarquera  que  les  lettres  G,  D,  G,  M,  N,  V  offrent  chacune  deux 
variétés,  que  dans  le  T  la  barre  transversale  est  souvent  si  courte 
que  la  lettre  se  confond  avec  un  I.  L'orthographe  n'est  pas  moins 
capricieuse  que  l'écriture  :  on  trouve  Dulciorella  à  côté  de  Dul- 
ciorela,  viœserunt  pour  vixerunt,  obuerunt  (et  même,  par  une 
étourderie  du  graveur,  obuerunr)  pour  obierurd;  hic  est  écrit  sans 
h,  quondam  par  un  c.  Ce  dernier  mot  est  pris  dans  le  sens  de 
«  feu  »,  comme  déjà  dans  certaines  inscriptions  païennes  de  la  dé- 
cadence (Orelli,  Inscriptiones  seleclœ,  nos  3550,  4229,  4825,  etc.). 
En  revanche,  l'adjectif  benememorius  est  un  barbarisme  qui  ne 
se  rencontre  pas  avant  l'époque  chrétienne  (Le  Blant,  n°  59,  et  les 
exemples  cités  sous  cet  article)  ;  on  le  trouve  aussi  dans  la  cu- 
rieuse inscription  juive  trilingue  de  Tortose  publiée  par  MM.  Re- 
nan et  Le  Blant  [Revue  archéologique,  1860,  p.  344) l  :  beneme- 
moria  Meliosa  filia  Judanti  ;  les  deux  inscriptions  paraissent  à 
peu  près  contemporaines.  Notons  encore,  comme  un  exemple  de 
barbarie  envahissante,  la  singulière  apposition  de  la  1.  4  :  Para- 
gori  de  filio. . .  SapaudL  Le  rédacteur  hésite  entre  les  anciennes 
formes  de  la  déclinaison  latine  et  les  nouvelles  formations  pré- 
positionnelles, qui  remplaceront  la  déclinaison  dans  les  langues 
romanes  ;  c'est  un  des  traits  caractéristiques  de  la  grammaire 
mérovingienne. 

Je  crois  inutile  de  démontrer  longuement  l'origine  juive  de 
l'inscription.  Elle  résulte  suffisamment  :  1°  de  la  présence  du 
chandelier  à  sept  bras  —  exactement  à  cinq  bras  2  —  gravé  en 
tête  de  la  première  ligne,  à  la  place  qu'occupe  la  croix  dans  les 
inscriptions  tumulaires  chrétiennes.  Malgré  les  doutes  récemment 
exprimés  à  ce  sujet,  il  faut  maintenir  ferme  le  caractère  exclusi- 
vement juif  de  ce  symbole  (en  ce  sens:  Martigny,  Dictionnaire  des 
antiquités  chrétiennes,  article  Candélabre)  ;  2°  des  trois  mots 
hébreux  qui  se  lisent  à  la  ligne  10.  Ces  mots  sont  extraits  d'un 


1  Elle  a  été  reproduite  par  E.  Hûbner,  Inscriptiones  Hispaniœ  christianœ  (Berlin, 
1871),  n»  186,  et  (la  partie  hébraïque  seulement)  par  Chwolson,  op.  cit.,  col.  167 
suiv. 

2  Des  chandeliers  semblables  se  sont  rencontrés  sur  les  épitaphes  de  la  presqu'île 
de  Taman,  dans  la  Russie  méridionale  (Ghwolson,  col.  138,  note  1),  et  sans  doute 
ailleurs. 


78  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

verset  des  Psaumes  (Ps.  125,  5,  et  128,  6)  ;  ils  se  retrouvent  fré- 
quemment sur  les  épitaphes  juives  des  premiers  temps  du  moyen 
âge,  par  exemple  à  Rome  (Clrwolson,  n°  23),  à  Venouse  (Ascoli, 
n°  16  =  Clrwolson,  n°  24)  et  dans  l'inscription  trilingue  de  Tortose, 
^citée  plus  haut. 

L'intérêt  principal  de  notre  inscription  réside  dans  les  noms 
propres,  au  nombre  de  cinq  ;  nous  allons  les  examiner  successi- 
vement et  tâcher  d'en  déterminer  l'étymologie  et  la  provenance. 

1.  Paragoms.  Tous  nos  prédécesseurs  ont  lu  ce  nom  Paratori 
«  pour  Parât oris  »,  de  Parator;  mais  cette  lecture  est  inadmis- 
sible. D'abord,  il  n'existe  pas,  à  notre  connaissance,  de  nom  tel 
que  Parator  ou  Paratorius  dans  l'onomastique  juive  ou  même 
chrétienne  ;  ensuite,  le  prétendu  T  offre  à  sa  haste  verticale  un 
crochet  bien  accusé,  où  il  est  impossible  de  voir  un  simple  acci- 
dent de  gravure.  En  rapprochant  cette  lettre  du  G  dans  les  mots 
Egicani  régis,  à  la  fin  de  l'inscription,  on  soupçonne  tout  de 
suite  qu'elle  représente  également  un  G  ;  un  G  tout  à  fait  iden- 
tique est  donné  par  Natalis  de  AVailly  dans  les  paradigmes  de  ses 
Eléments  de  paléographie  (tome  II,  p.  244,  pi.  I)  l.  Il  faut  donc  lire 
Paragori. 

Aussi  bien,  ce  n'est  pas  la  première  fois,  que  ce  nom  se  ren- 
contre dans  la  littérature  juive.  Le  Talmud  de  Jérusalem,  traité 
Teruma,  11,  2,  mentionne  déjà  un  rabbin  DWns,  de  l'école  de 
Césarée  ;  un  autre  rabbin  du  même  nom  passa  de  France  eh 
Espagne  l'an  1035,  au  témoignage  d'Abraham  ibn  Daud,  Se  fer 
haccabala,  p.  74&.Ces  renseignements  sont  fournis  par  Zunz, 
dans  sa  dissertation  classique  sur  les  noms  des  Juifs2,  p.  9  et  34. 
Zunz  cite  encore  d'autres  exemples  du  nom  Paregorus,  au 
xie  siècle  (à  Worms),  au  xme  et  au  xive;  mais  je  crains  que  dans 
certains  cas  il  ne  se  soit  établi  une  confusion  entre  Paregorns  et 
Perigors,  «  originaire  de  Périgueux  ».  Quoi  qu'il  en  soit,  c'est 
bien  Paregoms  ou  Paragoms  qu'il  faut  transcrire  et  non,  avec 
Cassel 3,  Paragoras.  Cette  dernière  forme  équivaudrait  au  grec 
napaydpaç,  «  le  marchand  »,  nom  rare,  qui,  à  ma  connaissance,  ne 
s'est  rencontré  jusque  présent  qu'une  fois,  sur  une  inscription 
archaïque  du  Bruttium  (Bœckh,  Corpus  inscr.  grœc,  n°  4)  ;  il 

1  M.  Deloche  me  signale  au  dernier  moment  un  G  semblable  à  celui  de  notre  ins- 
cription sur  une  boucle  de  ceinture  d'époque  mérovingienne,  qui  porle  la  légende 
Rcgnoveus  (voir  Revue  archéologique,  1886,  I,  p.  221). 

2  Namen  der  Juden,  Leipzig,  1837  ;  réimprimé  et  augmenté  dans  Gesammelte 
Schrifteti,  tome  II  (Berlin,  1876). 

3  Cassel,  art.  Juden  dans  l'Encyclopédie  Ersch  et  Gruber,  p.  26,  note  50,  et  p.  29, 
note  80. 


INSCRIPTION  JUIVE  DE  NARBONNE  79 

n'y  a  pas  à  penser  à  la  survivance  de  ce  nom  insolite,  surtout  en 
présence  de  la  forme  Paregorus,  par  un  e  long,  comme  dans  cette 
dédicace  d'une  statuette  de  bronze  conservée  au  musée  de  Tou- 
louse (Corpus  inscr.  latin.,  XII,  5690,  n°  101)  Paregorus  Coeli(dd) 
avitœ,  et  dans  l'épitaphe  de  Grenoble  (C.  I.  L.,  XII,  2230)  où  ligure 
une  Paregoria,  dont  le  nom  a  été  fort  maltraité  par  les  éditeurs 
(on  a  lu,  à  cause  d'une  cassure  accidentelle  de  la  pierre,  Pategoria, 
Partegoria ,  etc.,  formes  également  impossibles).  En  réalité, 
Thébreu  DTU'nD,  comme  le  latin  Paragorus,  représente  le  grec 
napYïyopoç,  «  celui  qui  adoucit,  le  consolateur  ».  Je  ne  connais  pas 
d'autre  exemple  de  l'emploi  de  ce  mot  comme  nom  propre  à 
l'époque  païenne,  car  la  déesse  nap-^yopoç,  dont  il  existait  à  Mégare 
une  statue,  œuvre  de  Praxitèle  (  Pausanias,  1,  43,  6),  n'est 
évidemment  qu'une  allégorie.  En  revanche ,  à  l'époque  chré- 
tienne, on  rencontre  plusieurs  personnages  du  nom  de  napn>poç  ou 
napriyoptoç ,  notamment  un  hérésiarque  de  l'école  d'Apollinaire 
(voir  Fabricius,  BiUiotheca  grœca,  éd.  Harles,  VIII,  591,  note). 
Paragorus,  avec  l'a  long,  résulte  de  nap^opoç  par  un  phénomène 
d'assimilation  dont  il  y  a  beaucoup  d'exemples  ;  c'est  ainsi  que 
dans  la  langue  ecclésiastique  et  médicale  du  moyen  âge  on  trouve 
les  formes  paragorizare,  paragoricus  (Du  Gange,  Glossarnim, 
s.  v.),  et  non  paregorizare,  paregoricus. 

Si  le  nom  Paregorus  ne  commence  à  être  d'un  usage  habituel 
qu'à  l'époque  chrétienne,  c'est  peut-être  que  ce  nom,  malgré  son 
étymologie  grecque,  cache  en  réalité  un  nom  juif.  Effectivement, 
Zunz  a  déjà  remarqué  que  nap^yopo?  correspond  exactement,  pour 
le  sens,  à  l'hébreu  ûrott,  Menahem.  Nous  pouvons  en  conclure, 
sans  trop  de  hardiesse,  que  les  personnages  juifs  ou  judéo-chré- 
tiens appelés  Paregorus  s'appelaient  primitivement  Menahem,  et 
qu'en  particulier  le  Paragorus  de  notre  inscription  portait,  dans 
ses  rapports  avec  la  synagogue,  le  nom  de  Menahem.  Le  phé- 
nomène des  doubles  noms  chez  les  Juifs  est  trop  connu  pour  qu'il 
soit  nécessaire  d'en  donner  ici  des  exemples  ;  on  en  trouvera  un 
grand  nombre  dans  le  travail  déjà  cité  de  Zunz,  p.  15  suiv. 

2.  Sapaudus.  k  la  différence  du  précédent,  ce  nom  est  d'ori- 
gine gallo-romaine.  Le  plus  ancien  exemple  que  j'en  connaisse  1 

1  Disons  ici,  à  l'usage  de  ceux  de  nos  lecteurs  qui  sont  étrangers  aux  études  de 
philologie  classique,  qu'il  est  actuellement  très  difficile  ou,  pour  mieux  dire,  impos- 
sible de  reconstituer  l'histoire  d'un  nom  propre  latin  commençant  par  une  lettre  d'un 
rang  plus  élevé  que  le  M  ;  c'est  à  cette  lettre,  en  elfet,  que  s'arrête  pour  le  moment 
Y Onomasticum  de  Vincent  de  Vit,  le  seul  répertoire  de  ce  genre  qui  existe. 


80  REVUE  DES  ETUDES  JUIVES 

est  du  ve  siècle;  le  nom  est  alors  porté  par  un  professeur  gallo- 
romain  de  Vienne,  correspondant  de  Sidoine  Apollinaire  et  de 
Mamert  Glaudien  [Sld.  Apoll.  Epist.,  v,  10;  Glaudien  chez  Migne, 
Pairologie,  lui,  784).  Un  enfant  nommé  Sapaudus  figure  sur  une 
inscription  du  vie  ou  du  vne  siècle,  qu'on  a  rangée,  peut-être  à 
tort,  parmi  les  inscriptions  chrétiennes  de  la  Gaule  (Le  Blant, 
n°  460  A;  Corpus  inscr.  lat.,  XII,  2033) ;  nous  en  reparlerons 
plus  loin.  Dans  une  autre  inscription  [C.  I.  L.,  XII,  1838,  Vienne), 
le  nom  est  écrit  Sapauidus.  Chez  Grégoire  de  Tours  (iv,  30,  et 
vin,  38)  on  trouve  la  fofrne  Sabaudus,  nom  d'un  évêque  d'Arles. 
L'étymologie  du  nom  Sapandus  est  inconnue.  Sapaudus 
vient-il  de  Sapaitdia,  nom  de  la  Savoie,  qui  se  rencontre  déjà 
chez  Ammien  Marcellin  (XV,  n,  17)  à  la  fin  du  ive  siècle,  et  dans 
la  Notitia  dignitalum,  ou,  au  contraire,  le  nom  de  la  province 
viendrait-il  d'un  chef  allobroge  Sapaudus,  d'ailleurs  inconnu? 
Les  deux  noms  se  rattachent-ils  à  la  racine  sapo  (savon),  mot 
d'origine  gauloise  comme  la  chose  elle-même  (Pline,  xxvm,  12)? 
Je  n'ose  rien  décider  à  cet  égard  l.  Si  les  personnages  appelés  Sa- 
paudus tirent  leur  origine  du  pays  de  Savoie  -—  et  cela  est  pro- 
bable pour  le  Sapaudus,  ami  de  Sidoine  Apollinaire,  qui  demeu- 
rait à  Vienne,  comme  pour  le  Sapauidus  de  l'inscription  vien- 
noise — ,  on  peut  en  conclure  que  les  familles  juives  où  se  ren- 
contre ce  nom  étaient  elles-mêmes  originaires  de  ce  pays.  Le 
Sapaudus  de  notre  inscription  attesterait  alors  existence  d'une 
communauté  juive  en  Savoie  dès  le  vu0  siècle.  Ordinairement 
on  ne  fait  remonter  l'établissement  des  Juifs  en  Savoie  qu'au 
xme  siècle  2  (Gerson,  Revue,  VIII,  235;  Loeb,  ib.,  X,  32). 

3.  Justus.  Après  un  nom  grec  et  un  nom  gaulois,  voici  un  nom 
purement  latin.  Très  usité  comme  cognomen  à  l'époque  impé- 
riale, Juslus  est  encore  plus  fréquent  dans  la  littérature  et  l'épi- 
graphie  chrétiennes;  il  en  est  de  même  de  son  équivalent  grec 
A(xaioç  (voir  sur  ce  dernier  Ramsay,  Revue  des  Éludes  grecques, 
II,  p.  35-36).  Justus  paraît  aussi  de  bonne  heure  chez  les  Juifs  : 
tout  le  monde  connaît  l'historien  Justus,  fils  de  Pistos  (autre  nom 
symbolique),  de  Tibériade,  contemporain  et  rival  de  Flavius  Jo- 

»  Comparez  sur  ces  mots  Zeuss,  Grammatica  ccltica,  2*  édition  (1871),  pages  161 
et  790. 

2  On  pourrait  prétendre  que  la  Sapaudia  de  l'époque  franque  avait  un  sens  plus 
coropréhensif  que  la  Savoie  moderne  ;  mais  cette  opinion,  fondée  sur  un  passage 
d'Ennodius  [Vie  de  saint  Épiphane,  chez  Dom  Bouquet,  III,  371)  paraît  devoir  être 
reietée  (Menke,  préface  de  la  3e  édition  de  Y  Atlas  ISpruner  pour  le  moyen  âge  et  les 
temps  modernes,  p.  15).  On  voit  par  le  texte  cité  d'Ammien  que  la  Sapaudia  était  un 
petit  canton,  le  long  du  Rhône,  peu  après  sa  sortie  du  lac  Léman. 


INSCRIPTION  JUIVE  DE  NARBONNE  81 

sèphe1.  Gomme  exemple  épigraphique,  contentons-nous  de  citer 
Pépitaphe  de  Vienne  (Chwolson,  ne  51)  déjà  mentionnée  plus  haut 
parmi  les  plus  anciens  textes  hébraïques  de  France.  Elle  est  ainsi 
conçue  : 

«  Samuel  bar-Justu.  » 

in'^T"  est  pour  DirtiDr  soit  par  une  simple  erreur  du  lapicide,  soit, 
comme  l'a  supposé  M.  Loeb,  par  une  imitation  de  la  prononcia- 
tion vulgaire  où  Ys  final  de  Jus  tus  disparaissait  sous  l'influence 
de  l'accent  tonique  de  la  première  syllabe. 

Le  nom  Juslus  correspond  pour  le  sens  à  l'hébreu  Çaddih, 
p*%,  comme  Zunz  en  a  fait  l'observation  (op.  cit.,  p.  16).  On  se- 
rait tenté  d'en  conclure  que  toutes  les  fois  qu'un  Juif  s'appelle 
Justus,  il  portait  dans  ses  rapports  avec  la  synagogue  le .  nom 
Çaddih.  Effectivement,  M.  Loeb  m'apprend  qu'au  xvii0  siècle  un 
Juif  d'Amsterdam  Jacob  Çaddih  publia  sous  le  nom  de  Justus  sa 
Chorographie  de  la  Palestine  (Amsterdam,  1631).  Mais  cette  assi- 
milation, si  séduisante  qu'elle  paraisse,  semble  n'avoir  été  faite 
qu'à  une  époque  tardive.  Dans  un  texte  du  Midrasch  Schïr  Ilas- 
chirim  Rahba,  récemment  rappelé  par  M.  Fùrst  (Revue,  XVIII, 
300),  on  voit,  au  contraire,  que  le  nom  Juslus  était  censé  cor- 
respondre à  Joseph,  sans  doute  à  cause  de  la  consonance  approxi- 
mative des  premières  syllabes.  Il  est  vrai  que  le  texte  du  Mi- 
drasch est  corrompu  et  qu'au  lieu  de  Juslus  on  a  proposé  de  lire 
Lestés  (Hamburger,  art.  Namen  dans  la  Real  Encyclopàdie  fur 
Dibel  and  Talmud,  tome  II,  Strélitz,  1883)  ;  mais  quelle  appa- 
rence que  beaucoup  de  Juifs  aient  pris  le  nom  de  «  brigand  »  ?  A 
l'appui  de  la  lecture  Juslus  on  peut  citer  ce  fait  qu'un  personnage 
mentionné  dans  les  Actes  des  apôtres  (i,  23)  s'appelait  Joseph 
Barsabas,  surnommé  Justus  ('iwrij?  tôv  xaXoûpsvov  Baprafâv,  N  iicexkftv 
'loimoç)  :  c'est  un  exemple  de  l'équivalence  Joseph  =  Justus.  D'autre 
part,  YEpîlre  aux  Colossiens,  iv,  11,  mentionne  parmi  les  colla- 
borateurs de  Paul  un  certain  Jésus,  dit  «  Justus  »,  'hjoouç  ô  Xeydjuvoç 
'loGrcoç  ;  ici  encore,  l'équivalence  paraît  avoir  été  dictée  par  des  rai- 
sons de  simple  consonance. 

En  résumé,  il  ne  me  paraît  pas  possible  de  décider  quel  nom 
hébreu  portait  l'historien  Justus  de  Tibériade,  ni  à  plus  forte 


1  Autres  exemples  de  ce  nom  fjerus.  Erabin,  6,  4  ;  Me  g  Ma,  1,1,  etc.)  chez  Zunz, 
op.  cit.,  p.  11. 

T.  XIX,  n°  37.  6 


82  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

raison  le  Justus  de  notre  inscription  ;  on  peut  hésiter  entre  Jo- 
seph, Çaddik,  etc. 

4.  Malrona.  Ce  nom  de  femme  se  rencontre  fréquemment, 
comme  cognomen,  dans  l'épigraphie  latine  impériale;  par  exemple 
Corpus  inscr.  lat.,  II,  4370  (Tarragone)  ;  XII,  684  (Arles)  ;  Ephe- 
meris  epigraphica,  IV,  p.  300,  n°  873.  Le  christianisme  ne  devait 
pas  hésiter  à  l'adopter,  et  c'est  ainsi  que  des  Malrona  figurent  sur 
des  inscriptions  chrétiennes  de  la  Gaule  (Le  Blant,  nos  423,  468  == 
Corp.  inscr.  lat.,  XII,  2188).  Chez  les  Juifs,  le  plus  ancien  exemple 
cité  par  Zunz  (op.  cit.,  p.  46)  se  trouve  à  Worms,  au  xie  siècle  ;  il 
s'agit,  sans  aucun  doute,  ainsi  que  me  le  fait  remarquer  M.  Loeb  *, 
de  la  Malrona  portée  sur  la  liste  des  martyrs  juifs,  à  Worms,  en 
1096,  lors  de  la  première  croisade  (Ad.  Jellinek,  Worms  und 
Wien,  Vienne,  1880,  p.  1).  Notre  Malrona  est  plus  ancienne  de 
quatre  siècles.  J'ignore  quel  peut  être  l'équivalent  hébreu  de 
ce  nom. 

5.  Dulciorella.  Les  noms  masculins  ou  féminins  dérivés  de 
l'adjectif  Dulcis  (en  grec  rXuxo?)  sont  particuliers  à  l'onomastique 
chrétienne  ;  on  trouve  en  Gaule  Dulcisius  (Le  Blant,  n°  405  A), 
Dulcitius  (ib.,  466),  Dulcitia  (ii>.,  406);  on  peut  voir  d'autres 
exemples  dans  VOnomaslicum  de  De  Vit.  C'est  sans  doute  aux 
chrétiens  que  les  Juifs  ont  emprunté  l'usage  de  ces  noms,  en  les 
restreignant,  cependant,  au  beau  sexe.;  nous  avons  déjà  ren- 
contré Dolça  ou  Douce  [Revue,  XVI,  40),  Dulcia  (il).,  Y,  287, 
288),  Dolzetta  (Zunz,  op.  cit.,  p.  45).  Quant  à  la  forme  Dulciorella 
de  notre  épitaphe,  forme  à  la  lois  augmentative  et  diminutive,  je 
n'en  connais  pas  d'autre  exemple.  M.  Renan  a  proposé  de  voir 
dans  ce  nom,  ou  plus  généralement  dans  tous  les  noms  féminins 
dérivés  de  Dulcis,  l'équivalent  de  l'hébreu  Noémi.,  raw,  de  la 
racine  ù?3.  C'est  une  explication  très  plausible. 

Avant  de  quitter  l'inscription  de  Narbonne,  il  me  reste  à  dire 
un  mot  de  son  sens  général.  Il  est  assurément  très  triste  et  très 
insolite  de  voir  un  père  ensevelir,  comme  ici,  ses  trois  enfants,  en 
une  même  année,  surtout  lorsque  ces  enfants  sont  d'âges  si  diffé- 
rents. Les  éditeurs  qui  m'ont  précédé  ont  été  si  frappés  de  cette 
anomalie  qu'ils  se  sont  efforcés  d'en  chercher  l'explication,  les 

1  M.  Locb  soupçonne  également  la  Maronne  de  la  liste  des  juifs  de  Paris,  en  1296 
[Revue,  I,  69)  d'être  une  corruption  ou  une  forme  vulgaire  pour  Matrona.  Je  saisis 
cette  occasion  de  remercier  vivement  mon  cher  ami  et  collaborateur  des  nombreux  et 
précieux  renseignements  qu'il  a  bien  voulu  me  fournir  pour  le  présent  article. 


INSCRIPTION  JUIVE  DE  NARBONNE  83 

uns  dans  une  de  ces  épidémies  terribles,  telles  que  la  France  du 
moyen  âge  en  a  tant  connues,  les  autres,  dans  un  fait  de  persécu- 
tion religieuse,  comme  les  rois  Wisigoths  en  ont  commis  à  mainte 
reprise,  sous  la  pression  des  évêques.  Je  dois  dire,  toutefois,  que 
les  documents  n'autorisent  aucune  de  ces  deux  hypothèses.  On 
ne  trouve  pas  d'épidémie  mentionnée  sous  l'année  688  dans  la 
Septimanie,  et  les  persécutions  religieuses  du  roi  Egiza  ne  com- 
mencent qu'en  l'an  694  (Graetz,  Geschichte  der  Juden,  V,  148). 
D'ailleurs,  quelle  vraisemblance  qu'un  roi  fanatique  eût  immolé 
les  trois  enfants  et  laissé  vivre  le  père?  Il  vaut  donc  mieux  épar- 
gner à  la  mémoire  déjà  suffisamment  chargée  d'Égiza  le  soupçon 
d'une  nouvelle  barbarie  que  rien  ne  justifie;  naccusons  de  la 
mort  des  trois  enfants  de  Paragorus  que  quelque  coup  du  destin 
ou  la  mauvaise  hygiène  de  l'époque.  L'inscription  suivante, 
trouvée  à  Sainte-Colombe,  et  classée  parmi  les  inscriptions  chré- 
tiennes de  la  Gaule,  quoiqu'elle  soit  dénuée  de  tout  symbole  reli- 
gieux (Le  Blant,  n°  4G0  A;  Corp.  inscr.  lai.,  XII,  2033)  fournit 
d'ailleurs  un  parallèle  curieux  à  l'inscription  de  Narbonne  ;  je  la 
reproduis  d'autant  plus  volontiers  que  les  deux  textes  ont  un 
nom,  Sapaudus,  en  commun,  et  qu'on  pourrait  être  tenté  d'as- 
signer également  à  l'inscription  de  Sainte-Colombe  une  origine 
juive.  Yoici  cette  inscription  :  Ego  pater  VUalinus  (Hayem?)  et 
mater  Martina  scripsimus  non  grandem  gloriam  sed  dolum 
(=dolorem)  filiorum.  Très  filiosin  diebus  XXVII hic posuîmus : 
Sapaudum  (ilium  qui  vixit  annos  VII  et  dies  XXVI,  Rnsticam 
filiam  qui  (sic)  vixit  annos  IV et  dies  XX,  Rnsticula  fitia  (sic) 
gui  vixit  annos  III  et  dies  XXXIII. 

Théodore  Reinach. 


GLOSES  D'ABOU  ZAKARIYA  BEN  BILAM 

SUR  ISAÏE 

(suite1) 


rpw   >s   «in    ♦  13/13  :.hw   masbi   p«   'ppn    o^ppinn    *in    1 

$>t  n^i  pn^K  tj  ^j?  ^kid*6k  «m  j-ono^  \r6«  TKntb^Ki  qidiS« 
triK^K  yii  ha  prtëa  ipi  n^i  pio  filant  ITO3  r6ip  «in  ^y 
»r&3  4  id^ôh  n:«D  2Kdd  >d  KrraJiK  ja  kb*d  *6i  dkj^  n^ia^K 
*6np  pypn  kidk  priin  ddj«  s6k  ♦  Ad»  n^m  nnm  tdk  nnn  ris 
*6  mil  7  tnxn  oip'  >^a^  [«^  mn  êd^  ton  y/ik/i  *Ai 
j^5/i  byz>  bïpnun  m6  lai  >niK  ^ria  iscp^a  ^k^si  jâ»  .nai»  î3 


Ghap.  X. 

4.  ...û^ppnin  ^in.  Il  s'agit  de  ceux  qui  faussent  les  écritures  et 
les  actes,  afin  d'extorquer  par  là  les  biens,  contre  le  droit.  Ce  qui 
prouve  ce  sens,  ce  sont  les  mots  maïlb,  etc.  du  verset  suivant.  On 
parle  ensuite  de  ceux  qui  émettent  des  opinions  qui  égarent  les 
hommes,  surtout  de  ceux  qui  les  fixent  par  écrit,  car  ceux-là  com- 
mettent la  plus  grande  injustice. 

4.  . . .  3>"D  ^nba  :  «  Seulement  vous  serez  courbés  comme  des  pri- 
sonniers et  vous  tomberez  frappés  à  mort.  »  Le  mot  nnn  est  sans 
emploi,  puisque  le  sens  est  complet  sans  lui. 

7.  r^"1  :  «  Il  suppose  »;  le  sens  primitif  est  «  avoir  l'intention  j>  ; 
cf.  Juges,  xx,  5.  C'est  un  futur  du  piel. 

)  Voyez  Revue,  t.  XVH,  p.  172,  et  t.  XVIII,  p.  71. 


GLOSES  D'ABOU  ZAKARIYA  BEN  BILAM  SUR  ISAIE  85 

tpTDWl  dbtfïT  ^SDDS  D^Wl  Itt'K  TT  .}ratfûl  D^ITQ  DiT^DDI     1<> 

byo  wsûfl  tti  bria  can*  ♦  vw»  ba  m  »*'  jhkp  '3  rrni  ^ 
bti  £M8ta  *:s?o  'fi  bapriD»  •dw  r^nj  ypki  '3  t^p/i  bnpriDû 
n&uyûi  iKibisn  ^pJ^K  ;d  *â«û  vwïem  »vww  DrrnHinm  rvby 
:  fiiKaybK  DÊys  Sns  .  M«n*  TOK3  mm  :  ffuj?  ii^bai  nr-«DriD«^« 
»W  «b  njo  p]»b3^k  ;«b  bpKD  «b  nba  *on  nu  ♦*]£  ii:  rrn  «bi  4  4 
b^urr  dk  15  î'p?ba  brwo  byo  p  vn  bbp  wna  p#3  d^shi  n^/ioi 
>#'  nbty  p^  I6  t*^iflw  >&  mj»a  d^i  *  nmoa  ip  .uraa  by  w»n 
rbvtin  p  pbtnpabK  }K  »$>«  w  ptpi  jeh  p  ffeï  .  pn  rjo^aa  jti*03é 
•jbo  rutra  itn  tjbï  b*n  in^  bi  inrn  n^tpsi  TKiJK^tf)  batûnaba  Hiao 
p  msta  ma  didqd  kbk  mrt^K  awrta  ♦ddu  did»d  rrm  ^   t  in?* 

10.  bblDYT*a  dîTVwi,  etc.  c'est-à-dire  dblûYii  ib^S&a  ù^m  dïl  *W3a, 
«  qui  sont  plus  nombreux  que  les  idoles  de  Jérusalem  et  de  Sa- 
marie  ». 

12.  3?£a*>  :  «  Il  achèvera  »  ;  cf.  Zaeharie,  iv,  9.  C'est  un  futur  de  la 
forme  lourde. 

13.  . ..TDK1.  C'est  un  futur  avec  le  sens  du  parfait,  comme  le 
prouve  le  mot  VTODTO.  Ce  dernier  mot  est  un  parfait  de  la  forme  pôel, 
qui  signifie  «  s'emparer  d'une  propriété  et  la  prendre  de  force». 
. .  .THIKI  :  «  j'abaisserai  ses  principaux  habitants  ». 

14.  112  est  ici  un  qualificatif  et  non  un  participe,  parce  que  le  qal 
de  ce  verbe  n'est  pas  transitif,  cf.  d^UtSSI  [Ezéch.,  i,  7)  ;  ce  mot  dérive 
d'un  verbe  à  la  seconde  radicale  faible. 

15.  ...TNDaîT  J'ai  expliqué  ce  mot  à  l'occasion  de  înaaa  (II  Sam., 
xn,  31). 

1C.  T»Ma©)33.  C'est  un  qualificatif  dans  le  sens  de  jWi  (Is.,  xxx, 
23)  ;  il  indique  par  ce  mot  que  les  hommes  tués  étaient  les  héros  et 
les  princes,  comme  on  le  voit  par  II  Chron.,  xxxir,  21. 

18.  DD3  ODttn  :  «  Comme  le  départ  du  fuyard  »  ;  le  premier  de  ces 

1  II  faudrait  :  d'une  racine  géminée.  Ibn  Ezra  considère  115  comme  étant  ici  tran- 
sitif par  exception  ;  mais  Kamchi  regarde  h  5  5  comme  un  terme  circonstanciel. 

2  B.  Bilam   n'explique  pas  à  cet  endroit  ""|Y£>3,  mais  ÏT1573,.  Voici  ce  qu'il  dit  : 

Bnbajnort  ^p*i  VwiKb»  daba  ^d  Trù  im  ^«©attbN  !twm  n^osm 
anba*  *jk  abN  ttnna  ttboa  bha  dON  im  irnaaa  "mai  anbap  ba^ba  rmi 
•û"obn  ^d  n-oiioi  ïmiiaa  nrmia  ^aaabN  ^  ba*fioan  -nSn  «b 

«  STMa  signifie  r  la  scie  »  ;  le  mot  est  fréquent  chez  les  docteurs  ;  ils  emploient  la 
racine  comme  verbe  dans  "mil.  ÎT")553  est  un  nom  de  la  forme  ttboa,  ÏTfifiai 
seulement  le  resch  ne  peut  pas  recevoir  de  daghesch  ;  ce  mot  est  employé  à  propos 
des  constructions  (I  Rois,  vu,  9]  ;  j'en  parlerai  à  cet  endroit  ».  En  effet,  B.  Bilam 
remarque,  à  l'occasion  de  ce  verset  : 

sfcnp»  brs  ym  ^rn-m  "ma  \n  bjas  y-inai  n^na  snaaa  mhniw 

«  mTnaa  est  le  participe  de  1^115,  dénominatif  de  ÎTUtt,  qui  est  le  nom  de  la 
scie.  »  Nous  n'avons  rencontré  dans  la  Mischna  que  le  singulier  Ttà"1,  Para,  II,  2. 


86  REVUE  DES  ETUDES  JUIVES 

^«B^«     DDK    [1flfi    CDU    *tt3Kl]    DJM    aa^>    Dai     >#a    >D    tftôb»    DDD 

p  twi«]  }«i  '[•»♦•]  ^pi  .13'  fbrwi  »«  tin  nDDu  »"*  mu  p  pntpo 
♦  aaro»  tni  m  ibdo  njr  py  ikem  ^  tKantuyai  «onôD^»  a-iap/i^  p^K 
W  oyai  fhfo  kw?k  "dra  natpa^K  anmo  naoy  frpa  tt 
anaia  oip»  fet^K  {«  DnnnKrai  onttëp  p  *k  toi»  rforn  «jkih  aana> 
£  ntuya  ♦npia  *p&>  pm  p^a  ia  aw  -iKt»  22  ♦  «irm^a  o^ar  ^« 
fhap  WD  p  td^k  ns«n^«  *6«  orna  pa>  d^>  to^k  ^ai3  aiao 
kuîo  [«i  p*W  h'ôit  ^s&k  p  pnm  «anaa  *pu*  '«  p]«5t3«a  dhsw 
î^aDtf  tfarn  naimi  rta  >o  [jara^K  ^aD  6?  -my»  d/î  tiki  »#a  >e 
•a  23  :  "  n^Ji  p w  iai  nao:  ruvn  >a  r^/iai  frrra  natnnai  *d  pa^«i 
criûpD  *bki  wn  rfca  rrnpn  ♦  on^tan  bv  >dki  ayn  rhs\  nyra  tapa  tu 
Dnn«^a]  j?a  o^^an  ^  \wai  .dt  man  w  ^ria  ffaoa^K  «»  rua 
Dm  }aa>  >aiu  }«  *a  n^a  p  n^an  ^jia.r6a  p  ddk  w  DTiutDi] 
rnya^K  *o  n3;aa  î»aD  ^y  tt  •anaa  ^îia  ikew  2^   jonn^e»  kîk 

deux  mots  est  l'infinitif  de  DS?û  au  qal,  dans  le  sens  de  ott'n  (Jos., 
vu,  5)  ;  le  second  est  un  participe  dans  le  sens  de  iiDDli  (îs.,  lix, 
19),  qui  signifie  :  emportant.  On  dit  que  ces  deux  mots  ont  été 
réunis,  bien  qu'ils  diffèrent  de  racine,  parce  qu'ils  se  rapprochent  et 
par  leur  prononciation  et  par  leur  signification. 

19.  .  .  ."îKIDl.  C'est-à-dire  le  reste  de  l'armée  de  Sennachérib,  qui 
était  comparée  aux  arbres  de  la  forêt  à  cause  de  son  grand  nombre. 
Les  mots  «  et  un  enfant  les  inscrira  »  expriment  la  facilité  et  le  peu 
de  peine  ;  le  sens  est  que  l'armée  sera  si  peu  nombreuse  et  tellement 
réduite  qu'un  enfant  sera  capable  d'en  faire  le  recensement  sur  les 
tablettes  de  comptes. 

22.  . .  ."WD.  Le  sens  est  :  «  S'ils  étaient  même  comme  le  sable  de  la 
mer,  il  n'en  resterait  que  fort  peu  de  chose,  par  suite  d'une  ruine 
absolue,  qui  les  entraînera  avec  justice,  c'est-à-dire  pour  exercer 
la  justice  sur  eux  ».  —  ynn  dérive  d'un  verbe  et  qualifie  '{"pbiD, 
quoique  ces  deux  mots  aient  la  même  signification.  Ensuite  comme 
explication,  le  texte  répète  :  ïii^tn  ï"îbs  ■©,  qui  sont  deux  noms, 
dont  le  second  est  formé  par  l'addition  d'un  noun,  comme  ï"D03 
(II  Chr.,  x,  15)  et  nbi  (Is.,  xxx,  12). 

25.  &?ï  est  pour  Wr,  le  suffixe  yod  est  tombé  comme  dans  rrran 
(Ex.,  xv,  2).  dmbarrb*  signifie  :  «  avec  leur  destruction  et  leur 
anéantissement  »  ;  le  nom  est  tiré  de  ïibn,  comme  mbsn  de  ïibi.  Le 
sens  est  :  «  Ma  colère  s'apaisera  et  aura  un  terme  quand  je  les  aurai 
anéantis  ». 

26.  tmtt'E  ^p^s.  C'est-à-dire  «  comme  il  a  agi  envers  les  Egyp- 
tiens »  ;  il  entend  par  là  la  perte  et  la  destruction.  La  même  explica- 

1  Le  mot  qui  manque  est  peut-être  N^fail. 

2  La  citation  est  inexacte,  elle  provient  d'une  confusion  de  Isaïe,  lix,  13,  avec 
xxx,  12. 


GLOSES  D'ABOU  ZAKARIYA  BKM  BILAM  SUR  ISA1E  87 

■pa  ybv  kp*  ™ai  «"in  ^ap  îAip  T^tei  rnaa^Ki  ytbrhtt  tt 
na#  aa^r  «la^on  np  ;«a  |«i  inSn^K  «in  toa  ^3?  ii5jv  an^ra 
pa  ♦£#  màJfai  «a  ^iîa  jikbî6k  ja  arr^  n^«  tjtd  pnua^K  tobun 
*b»  fîDKi«^«  ^ap  in  ."|aatp  ^ra  i^d  hd^  27  îan^ap  onita  ^j?ï 
\iDa  hy  î?âm  tmaan^a  rrôy  aiWi  iki^«  wûddkd  '  ^ïaaTBi^K 
••  Wi  ami  >a  w  ;^ !  :  '  amaay  Baya  K:ca  anmpi  b,tok  iwi  ♦  |a^ 
wa  n\a  ^p/i  p«a  ^pa  rua  «an  pstn^Ki  y*6p^K  ^«  KiaijKi  kïibj 
pn#a  ^b  ♦  nanyaa  rtntffi  ^aa  M  jnyna  -ppa  n«  vyn  nbw  *b  îm 
irtn  ma  »b  aij^a  ^ipm  }*««*&«  yûp'  m'  ;tfsn*6K  M  >r&«  nwo  ja 
pjpii  3*  ifrp^K  rouya  bbk  nuirai  ♦  anJKaip  nyûp  »«  aia^a  naâp 
^Kp  "iBKa^«  ppK^a  aiy^K  a^a  »bi  iBpy  a^n  mai  yop»  ♦ijrn  'aaa 
rbfà  Knrt  *rpi  naaa  ^  3bù:n  rp*u  t6k  j-ikibb  ^  amyrop 
nwfeto  pian  ^«  tw  ira  h^k  tbîAso  ^b^k  «b  ppb  p:^i 
fta&*  b«5«i  piiïib^  pjnno  Wi^  bkb$>k  tt  ^b»  "hks  pja^m 

♦  ^  t-tk  pua  ^«p  mao  na«pa 

tion  s'applique  au  verset  24.  e  Bien  que  les  Assyriens  aient  été  vos 
maîtres,  comme  l'avaient  été  les  Egyptiens,  Dieu  suscitera  contre 
eux  des  plaies,  comme  auparavant  il  en  avait  suscité  contre  Midian 
et  l'Egypte.  » 

27.  "îbaa.  Avant  d'être  pourvu  d'un  suffixe,  le  mot  était  btop,  et  on 
a  supprimé  le  vav  et  on  en  a  conservé  l'influence  dans  le  hateph 
qames  (qui  se  trouve  sous  le  bel).  —  . .  .bnm  :  «  le  joug  qu'ils  impo- 
sent ainsi  que  leur  force  disparaîtront  par  la  destruction  du  gros  de 
leur  armée.  » 

31.  lïVïi  :  «  Ils  ont  fui  et,  en  fuyant,  se  sont  réunis  dans  les  cita- 
delles et  les  forteresses  ».  Le  verbe  est  un  hiphil  intransitif,  mais  il 
est  transitif  dans  T2!"»  (Exode,  ix,  19). 

33.  tp'D'a  est  un  dénominatif  de  î-pDVO  (Is.,  xxvir,  40),  6  les  bran- 
ches »,  et  signifie  :  c  il  coupe  les  branches  ».  Les  Arabes  disent  de 
même  n^p,  dans  le  sens  de  :  «  il  a  taillé  les  sarments  (ïNaitp)  des 
vignes  ».  —  ï"ï£i:?73  est  un  nom  signifiant  a  force  ». 

34.  5]pDl  :  «  il  coupera  »;  cf.  iDp^  (Is.,  xxix,  4).  En  arabe,  E|p&«bN 
veut  dire  «  celui  qui  brise  ».  Un  de  leurs  poètes  a  dit  :  «  Au  proprié- 
taire des  acacias  de  la  tribu,  qui  coupe  les  coloquintes.  »  Nous  avons 
déjà  mentionné  des  exemples  pareils.  Le  noun  de  £|p3l  est  la  pre- 
mière radicale;  ce  mot  a  pour  sujet  ^Ifctti  du  verset  précédent. — 
THK3,  Il  veut  dire  :  «  Par  la  hache  puissante  ».  Le  nom  qualifié 
est  supprimé  et  le  qualificatif  a  pris  sa  place  ;  c'est  comme  si  le  texte 
portait  :  bc  thk  jnaa. 


1  Ms.  baïa.  Mais  voyez  Ous.,  c.  473,  1.  22. 

*  B.  B.  aurait-il  pensé  pour  VjBft  au  sens  que  ÏIjS  a  quelquefois  en  hébreu  ? 
Pour  •jfàia,  voyez  ci-dessus,  v.  16. 
3  Le  mèlre  est  tawil. 


88  REVUE  DES  ETUDES  JUIVES 


K* 


yip  *w  wi#a  litii  :a«  rraî»  nea  piûû  own  .lan  «in  1 
flinorfaia  pttfot  oin  j«  wiœa   *s  niA«  jkdi  syna  iiua  n^/ioi 

♦  mrr  nava  înnm  3  :«D«D5nD«  j>ap^K  bd3:k&  np^tntp  yaj  ru*6 
naam  ripa:  [«  >«  dkip^k  sraia  dkdh*6k  ^«  rre  î?d!h«i  db^k  n^H 
ja  *j-6k  DKin^K  ny^iûn  «aa  "ttw  *6  rrmi  n^«  ynn  \\y  «a)« 
tt  ♦  jn>n  mr  met?  nnai  *   :taW«iwûm^K  «ri^y  ^>t  j«  «n:«^ 

♦  }nD  nin  ^y  py*  jwœi  s  :  bnpbtt  pnnDa^K  ^np>  nw  }o  io«a 
maa  hn  :  rw  «an  dd^k  nK\m*6  ay^Ki  in^K  n«:ro  wai  î#s 
•by  |«i?p«i  î«od«  aam  Konio  pic  *6  ^ya^a  >d  un  bnn  .wcaj 
}o  «n^a  înaa  ptnDa^K  fhm  '*  cntpa  ma  ^p  mai  j«ayjî^«  mi 
^na  nybyv  on:«  »jy«  *]H  to  bx  îtb  parrv  ^"r  j^i*6kï  •*£« 
{KDa^a  >ao  ^Wn  n«^«  >d  omtaK  »pii>K  thûj  }«  payn  na  natr^  m« 
tpe  win»  nï«tr  Rôd^  ;nvi  rr  ^i»a  t  «mto  ^ao  ^p  *nm  ontpa  nw 


Chap.  XL 

1.  ^lan.  C'est  le  targum  de  fiatt  (Nomb.,  xvn,  17).  ...littl  :  «  un 
rejeton  a  ;  cf.  xiv,  4  9.  Le  sc/m&  de  Y»«5*fl8îa  devrait  avoir  un  qames 
hatouph,  puisque  c'est  le  pluriel  de  WD  (ci-dessous  v.  4  0)  ;  mais  on 
a  donné  au  quames  un  son  plus  large  pour  en  faciliter  la  pronon- 
ciation. 

3.  WiîTî.  Le  mot  primitivement  s'applique  à  l'odorat,  mais  il  a  été 
étendu  aux  perceptions  de  tous  les  sens.  Le  verset  signifie  :  son  in- 
telligence et  son  discernement  ne  proviennent  que  de  la  crainte  de 
Dieu,  et  son  inspiration  ne  dépend  pas  de  ce  que  montrent  les  sens, 
qui,  par  leur  nature,  sont  envahis  par  l'illusion  et  l'erreur. 

4.  ..  .nvm.  Il  veut  dire  que  par  un  ordre  de  sa  part  il  tue  celui 
qui  mérite  la  mort. 

8.  yw®\  Verbe  quadrilitère,  qui  signifie  «  s'amuser,  jouer  », 
parce  que  l'âme  s'épanouit,  lorsqu'elle  est  en  joie.  —  rHIÈtta  a  le 
même  sens  que  mn  «  trou  »,  sans  aucune  différence  entre  les  deux 
mots;  ces  deux  noms  s'emploient  pour  l'antre  du  serpent.  Delà  le 
nom  de  û^UiS  *m,  c'est-à-dire  la  plaiue  encaissée  des  Chaldéens, 
avec  permutation  de  l'aleph  pour  le  het.  Les  docteurs  ont  à  cet  égard 
une  opinion  différente  et  donnent  à  *n&*  le  sens  de  feu,  comme  dans 
Is.,  xlvii.4  4.  C'est  qu'ils  prétendent  que  Nemrod  a  jeté  Abraham 
dans  le  feu,  et  l'endroit  aurait  été  appelé  pour  cette  raison  tik 
D-^tta  ;  c'est  du  midrasch.  —  m-  est  un  verbe  rare  de  la  forme  ÏTE52, 
etc.  Il  semble  avoir  le  sens  de  a  s'adonner  et  s'amuser  ». 


GLOSES  D'ABOU  ZAKARIYA  BEN  B1LAM  SUR  ISAIE  89 

xb  mw  *3  tiybbm  yW«  »jjn3  p  psn  ;k  m&n  rua  rw  ^/io 
**Trik  ru  n^rioi  p^/ia  n  p  ^pnos  ^ya  najp  ♦onsa  n«  ra? 
pa*  p?  [nii$>Ki]  p»Di&&  rmû  >fi  pi*  ♦ras»  o\nt^D  ^jim  idjn  'i 
par  utf  :  nn  «od  w  d^d  ff&«à*6«  ^in  p  mjrn  n»n  pjna  ^iia 
■rai  ^j?  it  ppm  <  s  :  qnyûœo  ^k  non  rwiai  dtwpkb  .  drwwa 
»^i«  tdw&*  irrt  nw  rao^i  naS:i  p  p5ea .  .Ta  nos   .  înn  o*ya 

"p  w  ♦tt^W,  ynm  tannp  jkdb  rr*6«  p  frwa  *ki  nn  pma 


i*îo^ô^«  in  *fat  p]t^i  p  Dip  npnwx  *d:  ikb>  nstPJ  in  hy   2 
d^x?o  [«sa  »$>«  aiwa  n:«  n«  Ka*i  ♦  'bxy  bai  »a  D»e#  p  rua  ^*pi 
mai  nbipa  wd^«  ïto  nos  •D»a»ia  tob  iwi  j*]eu  nn  bs?  ^p  Kan 
rfawi  iRij»  ^KûaK  i»ww  *n^p  3  tlyy  tm  nwiDa   nnB3ji« 
iron  tik  ^iia  rioa  îm  fiîpK 

43.  ■Vttfci  :  «  Il  traitera  en  ennemi  »  ;  futur  d'une  racine  géminée  ;  cf. 
Ps.,  xxiii,  5. 

4  4.  ..  .1321  :  a  Ils  tourneront  sur  les  côtés  de  la  Philistée  ».  —  t|rù 
devrait  avoir  la  même  ponctuation  que  dans  I  Rois,  vi,  8,  à  cause  de 
l'état  d'annexion,  mais  il  est  resté  invariable,  comme  tu  le  vois.  — 
dn*)3izJ73  :  «  leur  obéissent  »,  de  même  I  Sam.,  xxn,  44. 

45.  lim  d"3>a.  (Saadia)  a  traduit:  dans  l'ardeur  de  sa  colère  ;  pour 
cette  traduction  il  aurait  mieux  fait,  à  mon  avis,  de  se  taire  ;  car 
bva  est  un  mot  dont  on  ne  connaît  pas  le  sens  ;  mais  si  l'on  disait 
que  inn  d^n  signifie  «  par  la  force  du  vent  »,  on  s'approcherait  de 
la  vérité.  —  "p-nirï  etc.  :  a  II  fera  un  chemin  (""p*!)  qui  sera  foulé  par 
les  chaussures  ». 


Ghap.  XIII. 

2.  !"UHZ53.  Certaines  gens  l'ont  dérivé  de  SpBS,  qui  est  l'obscurité  ; 
d'autres  ont  comparé  d"«BTB  et  traduisent  :  «  sur  une  montagne  éle- 
vée ».  Quant  à  moi,  je  crois  qu'il  s'agit  d'un  endroit  déterminé, 
comme  S|tt»  "nïi  (Jér.;  xin,  46).—  *nnd.  On  l'a  traduit  par  épées, 
comme  Michée,  v,  5  ;  c'est  possible. 

3.  ipb*  :  «  Les  héros  et  les  braves  ».  Le  sens  provient  de  l'idée  de 
force  que  renferme  le  mot  et  c'est  un  adjectif,  comme  "Vin  et 
d'autres ' 

»  Le  traducteur  est  ici  Ibn  Djanah  ;  voy.  Oms.,  c.  594,  1.  10.  —  Ms.  t]"0. 


90  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

'je  t  py^K  hrwn  b'pf\  p  ÇopriDa  pyiw  n«wa  &ffrh*  n-i^VDi  8  ♦  ♦  . 
3.-6  fnam  aninyn  »n^«  /ikd*6k  p  d.toï  Hiai  m&>  ♦  d.tjb  ttsrfe 

in«1   3313    DDK   p^K  >B  K3KJ  ^K    ♦  D:T^D3Ï   DW1    '3313  '"°    nK^K 

}«  -jt?  *6b  p^«3  j^e»  ^no  t>«p»  Kxrs  îm  ^dsi  nao  rw  ^P3 
^pnoa  bj?a  .  mia  An*  $6  t  d^d3  Knaaoi  33Kï3^k  p  htjj  rrèa  dS» 
:{kjjû^k  rmai-mi  btf  »a  m«  n«i«  dk  n^ftai  ;^iia^«  riKVi  ^p/i  p 
pimdi  Tta^K  ^p/i^«  p  ^3pnoa  ^  *6  >k  icd*  *6  •vn*  nu»  *6  rm 
ora  ta  »i*bi«  Droa  dtki  rca  îpuk  vpiK  12  tu»  rua  fan  ^n  pj 
MnaK  oro^i  ^D3  am  >natp  dk  n^ip  ^«  nn  *6k  arrtW?  }«ao« 
pair  arua  \s  ry^a  n«ij?ai  ^p/&«  Tpin  p  tonoa  vpw  ♦  TOsa 
D«an  »e  p^«"7DD^  ^3?  did^  ii:«3  fo»pAn  rrtm  ♦  orna  ^np^K  fft/ba 
ru3Ki  nstrrs'DJ  N^n  »b  h:d  p^ao  ^«as  ^3  "ûhï313J  Tan  12^3  n^a 
:03m  ipBK  rw  D>j?3tt>  ^33^  n*6a  ^  ^3  ^«p  rw  rua*  p«i 
n^  ybx  *j^a  ^iia  rma  n^w  mn  p  ^psa  ♦ma  »3io  rrm  u 
^peia  *3in3  ^  néon  ^31  ^  :*6^ki  s^r^K  ntuyai  ♦-j^na  nfetoi 
^d^«3  nma  «aj«  nn:a  j?ûp*  -p  ^3i  >k  y«ûp:«^«i  p«pi:«^«  n*uy» 

8.  *jnb^rr*  signifie  :  «  ils  souffriront  »  ;  c'est  un  futur  d'une  forms 
lourde  d'un  verbe  à  la  seconde  radicale  faible.  —  «.-.'Qfi.  La  rougeur 
de  leur  face,  qui  provient  des  malheurs  qui  leur  arrivent,  est  com- 
parée à  la  rougeur  de  la  flamme  du  feu. 

9.  dï"pb^05i.  Dans  les  textes  que  nous  possédons,  b'OS  est  le  nom 
d'une  seule  étoile  (Amos,  v,  8)  ;  c'est,  d'après  ce  qu'on  dit,  le  Ganopus, 
qui  se  lève  au  sud;  sans  doute  on  y  a  joint  d'autres  étoiles,  qui  en- 
semble sont  nommées  tpb^OS.  —  ibîrp  est  un  futur  d'une  forme  lourde 
d'une  racine  géminée,  qui  signifie  «  briller  »  ;  cf.  Job,  xxxi,  26.  — 
•W1  :  «n'éclairera  pas  »,  c'est-à-dire  ne  donnera  pas  de  lumière; 
futur  hifil  avec  première  radicale  nun  ;  comme  on  le  voit  par  !"tt3, 
Job,  xxn,  28. 

12.  .  ..T^DIN  ûro  et  îd  sont  deux  noms  pour  l'or,  comme  on  le 
voit  ibid.,  xxxi,  24.  T^plN  est  un  futur  du  hifil  et  signifie  «  rendre 
rare  ».  Il  veut  dire  :  «  Les  hommes  manqueront,  tant  on  en  aura 
tué  ».  Cette  défaite  a  été  infligée  par  les  Perses  aux  Ghaldéens  à  la 
fin  du  règne  de  Balthasar,  descendant  de  Nabuchodonosor,  après  l'a- 
chèvement des  soixante-dix  ans  de  la  dynastie  de  Nabuchodonosor, 
de  son  fils  et  de  son  petit-fils  ;  c'est  à  cela  que  se  rapporte  la  parole 
de  Jér.,  xxix,  10. 

14.  m tt  est  le  participe  passif  de  IT^ïl  ;  la  forme  primitive  est 
mttWa,  comme  ^btitt  (II  Sam.,  xx,  21)  =  ^bt^tt.  Le  mot  désigne  la 
ruine  et  la  perte. 

15.  !"»2D3  est  un  participe  nifal,  qui  signifie  «  être  écrasé  et  exter- 
miné ».  Le  sens  est  :  «  Quiconque  d'entre  eux  sera  retranché  ne 
mourra  que  par  l'épée  et  non  autrement  ». 


GLOSES  D'ABOU  ZAKARIYA  BEN  BILAM  SUU  1SAIE  91 

rpwpi  ,8  i^db^hi  "pflwAK  '^a  *d  ♦  iwt>  crr^m  i6  fM  16 
f«  rfow  ♦  'ny  d#  ^,t  *6i  23    îqid  ns  dt^k  nos™  nnvn  nsii 

m«    *6«  '#»$>«   *S    D13K   ^"IK'l    [^/I31    ^pflDS    ^fi    .13*6  Ç>r!K'   Jt3» 

paipn  ■pun  û'5'  *6i  nnrsinrn  ♦  nao   m&k  pfîm  «n^«  [Tïûi   ^ptf 

1DB    ♦  W .  r\Ul    t  b'bï    [H    DlûJ^K   rt»u    1DD    DT1KÏ    flïXC^K    'fi    'n^K 

Vi  mirÙK  Ptô  *sï  bwb*  vn  ^ai^«  îi:j>  ♦  dip  npT  D'YyBn  :  d«î?^«  rvo 

♦  DHTISÉp  *fi  1  KB^K  11^1   ♦  ï'flUû^Kn  Q"tf  nJJN   -  î  '  CUT^tf  IDC  Kû-D  lpK 

pm  ^jio  *o:6k  in  nwi  w  .Dwp  .Ta  '^y  iran  nw  psi  B»*ti 
*6  «i  p  r6*na  vrvDiAso  *b  d*A?ki  .ni  ïw  "im  'iy  ono  oni» 
131  kû'B  -nii^Ki  ïa-i^K  ra  idd  .^y  ^m  D'jm  :ain  vj  pu' 
j«  ni'  *6ï  n«3^«  n'Jï^K  iru  's  frir&o  n'Ti  jkit6k  skjid  snaa 
rt  fwn  p**  v»  pnu  tfton  ^  is^n  D'jn  d:  nîipi  «rrmc  son  py 

46.  iiaa-p  signifie  «  être  déchiré  et  être  mis  en  pièces  ». 

48.  ...mntDpn,  Le  sujet  du  verbe  est  mnttîp,  et  le  complément 
direct  est  b'i'W,  qui  est  entre  le  sujet  et  le  verbe  ;  c'est-à-dire  que 
les  arcs  les  viseront  et  les  feront  périr. 

49.  . .  .îirPîn  comme  s'il  y  avait:  Babylone  qui  était  l'ornement  des 
royaumes;  l'attribut  de  ïimïn  est  rû&ïtaîD. 

20.  biTV  Il  devait  y  avoir  bîTK\  car  c'est  un  futur,  dans  le  même 
sens  que  bïifin  (Gen.,  xin,  48)  ;  mais  c'est  un  hifil  dont  on  a  retran- 
ché la  première  radicale.  Il  faut  traduire  :  «  Un  Arabe  n'y  dressera 
pas  sa  tente  ». 

21.  d"^.  Ce  sont  des  animaux  ;  leur  nom  se  rapporte  à  Ï"PSS  «  dé- 
sert ».  —  û^ritf  a  été  traduit  par  Saadia  furet,  mais  sans  preuve. 
—  !W>  rvttîa.  Saadia  traduit  :  «  autruches  ».  —  ÛTJiD.  Ce  sont  les 
chèvres  de  la  montagne  ou  les  antilopes  ;  dans  le  langage  du  Penta- 
teuque,  cet  animal  est  appelé  ipN  (Deut.,  xiv,  5j,  d'après  la  version 
du  Targum. 

22.  ...îWi:  «  L'oiseau  chantera  dans  leurs  châteaux  ».  —  d""in 
est  un  pluriel  irrégulier  de  ll^N  (Lév.,  xr,  44).  —  Ï153>  signifie 
«  chanter  »,  comme  Ex.,  xv,  21,  et  Nombres,  xxi,  17.  —  Le  lamed  de 
TmattbN  est  nécessairement  pour  le  resch.  —  û^m.  Saadia  l'a  tra- 
duit par  Hrbidd.  Mais,  d'après  l'auteur  du  livre  des  animaux,  l'irbidd 
est  un  serpent  qui  s'enroule,  et  qui  a  une  longueur  d'environ  trois 
empans  ;  il  n'est  donc  pas  possible  que  ce  soient  les  û^n,  dont  il  est 
dit  :  «  Ils  découvrent  leurs  mamelles...  »  (Lam.,  iv,  3).  Il  s'agit  donc 
d'un  quadrupède.  On  ne  rencontre  pas  le  singulier  de  tPSn,  mais  on 

1  Le  Targum  porte,  en  elfet,  frô^. 


92  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

n;î  ^y  mu  ik  d»jj  npai  *fat  p  fût  ^y  }n  "inai^  pa»  jk  nat^n 


t 

am  owfl  p  n^Ki  '  fraa&a  j^aa  ♦  namo  nnatp  twu  na#  7»  4 
>;6a  nao  «  :  ryz  vri  ^«  p  k.-6k  ^na  nasno  ni»  ^pi  «am  in  n^« 
rrèn  nnK  d:i  *°  pji^  rw  jn«  dk  bf\n  n'D«i«^«  R»acai  ^y  »mo 
•pnrm  ii  tria  »"*  r£n  "ïtt>K  *rrèn  r£n  p  r6î?KB  dd»'d^  ^d  ♦  uiaa 
1»k  ..13  nr&a  "|nnn  bhb  nnoi-iri  nbj?«o  od>  d^  ^jjd  .noi  w 
TO^aa  nii^K  k.tk  k>  nnoiini  fies  ♦  to>  p  ^ti  dwb  rta: 
}*6  iJriw  iya  iu^p  ybvr\  [Diia  ■£«  ni*6  w  p  .-ikbd  kûjm 
^y  t^in  p*6  nylip  *  n«a^«  «mâa  dbe^k  arrûjn  «n^ .  H^«n^« 
bip  p  mk  ^pi  »^3?  troia  «5  (W  swirr  t^m  p  ^«û  ♦  cru 
ort^ipa  on^y  snnp»  î«a  rua  *k  cwTpn  ^y  on^n  p^isa  Vî  ;^i*6& 

trouve  aussi  le  pluriel  en  ôt  (Mal.,  i,  3).  Le  singulier  paraît  être  'jn, 
comme  p,  dont  le  pluriel  est  d^l,  ou  ï"ttn  sur  la  forme  de  fttt,  et 


Chap.  XIV. 

4.  ïiaî"ffiO  iirûttï  :  «  La  perception  du  tribut  a  cessé  ».  FDîTTB  dé- 
rive du  Targum  frOï^n  =  snï.  D'autres  disent  que  FDïTiE  est  pour 
;~:3N"jfa  «  affliction  »,  par  un  changement  de  l'alef  en  hé,  mais  c'est 
peu  probable. 

6.  n^tt  a  la  forme  de  l'état  construit,  comme  n^  (Ps.,  cxxxii,  4). 

4  0.  rnbfi  est  un  passif  du  piel  (Deut.,  xxix,  21). 

44.  .  .."pnnnMfc'*  est  un  passif.  La  traduction  est  :  «  On  a  étendu 
sous  toi  les  vers  »  (en  guise  de  tapis). 

4  3.  bb^ï-j  est  un  qualificatif.  Traduisez  :  a  0  toi  qui  brilles  le  ma- 
tin ».  Il  est  surnommé  ">ntï5  *p,  parce  que  c'est  le  dernier  des  astres 
qui  apparaissent  à  notre  horizon  après  le  point  du  jour,  car  ceux 
qui  le  suivent  sont  éclipsés  par  la  lumière  éclatante  du  soleil.  — 
ttîblrt  est  le  participe  de  tDbfPI  (Ex.,  xvji,  4  3),  bien  qu'il  soit  construit 
avec  hy.  D'autres  disent  qu'il  a  le  sens  du  mot  ù^ttîbn  employé  par  les 
docteurs*(Sabbat,  xxm,  2)  ;  c'est-à-dire  que  le  roi  de  Babylone  jetait 
le  sort  sur  les  nations,  cf.  Ez.,  xxi,  37. 

1  C'est  la  version  de  Saadîa. 


GLOSES  D'ABOU  ZAKARIYA  BEN  B1LAM  SUR  ISA1E  93 

bbibm  bxynzx  bapnoa  .\vbyb  naia  <4  x&b&r?  ODpn  rwi  iran 
hj?jv  abi  naty/iba  naopai  .  >rmtp  bn  rm«  biia  pyb«  ffw  ^bi  »by 
xv5>  j«  ih  .  b«  frawi  ^a  bai  »iwwi  ^ab  b*p  ban  ik  cabbio  vhvt 
^•îa  ptfbi»  «0  uritei  e*Di  ;n  fûbba  nii  onb^aynDa  na  «wb« 

Wîa  barbai  JiKDnbtfbK  najya  •in,j^»i'^  T**"1  16  îl*™  ^w 
rb«  pianai  biia  iwa  nmps  *  ♦uaïaiv  *pb«  ttrawi  irûtp  psaa 
pa  KamnK  [Kâcb  ptb  yania  Kaa  ♦d^d  d*u  ^nba  bs  ^  npaa 
idd  ♦•papa  wb^n  nnai  ^  rwnwi  ina  mx^  »*»  n«  noabK  \v 
»jt*o  bip  n:ai  "ttp  no  "]b  n^n  *3  nbipa  d:ji  "pirp  jo  rima  n»fi 
biii  pn  »d  ™p  ;a  e^j  bs  b^pi  'pma  piutpa  »k  iéwi  nnnp  dwi 
nnaiin  îaiba  T?a  b>p/i  bys  ja  biysa^nn  ^îtoa  nima  did^k 
>:i?abKi  «nba  rrabs  b'pàba  [a  biysa  ♦  D3ia  uas  :  *pb«3  piimaba 
anya  yanin  **b  .  rrnapa  on«  Ttn  sb  20  $ !  ^p  o^  «rn  ;a  D*nb« 
onnab  wn  bip  mai  byabK  «o  in  «nbxi  anba  p  nb«  pbba  psob« 

4  4.  ïittTN  est  le  futur  du  hitpael,  ce  qui  est  prouvé  par  le  dagesch 
de  la  seconde  radicale,  comme  rtTW  (Is.,  xxxvm,  15);  le  sens  est 
«  ressembler  »,  ce  verbe  se  construit  avec  le  lamed  ou  btf  ([s.,  xlvi, 
5,  et  xl,  18).  Il  faut  considérer  comme  une  faute  l'emploi  que  fout 
de  ce  mot  les  poètes  sans  l'intermédiaire  d'une  préposition,  et  ce- 
pendant ils  agissent  ainsi  souvent  par  négligence  et  oubli. 

16.  i'rp-fll)\  Ce  verbe  signifie  :  «  examiner  et  considérer  »,  comme 
Ps.,  xxxiii,  14.  —  liïia^  a  le  même  sens,  cf.  I  Rois,  m,  %\. 

18.  bs  ...ûVd.  On  a  réuni  deux  mots  dont  l'un  suffirait,  comme 
nNet  in»  (Is.,  vin,  13). 

19.  ^nnp?^.  Ou  a  traduit  :  «  Tu  as  été  jeté  hors  de  ton  château  », 
en  comparant  Is.,  xxn,  16.  Le  même  sens  se  retrouve  dans  Eccl., 
vin,  10,  où  tm*np  signifie  «  gardés  dans  leur  château  ».  D'autres  di- 
sent que  le  roi  de  Babylone  fut  même  arrache  de  sa  tombe  au  mo- 
ment où  les  Perses  entrèrent  à  Bagdad.  —  Wûîa  est  un  participe 
passif  d'une  forme  lourde  avec  addition  du  vav  (pôel).  Le  sens  est 
«  transpercés  par  l'épée  ».  —  03110.  Participe  passif  du  hifil,  qui 
signifie  «  fouler  aux  pieds  »,  comme  Ps.,  lx,  14. 

20.  . .  .Tnn  Nb  :  «  Tu  ne. seras  pas  réuni  avec  eux  ».  La  quiescente 
douce  qui  est  entre  le  tav  et  le  net  représente  la  première  radicale  ; 
dans  le  même  sens  on  trouve  (Ez  ,  xxxvn,  17)  :  tnntfb  VÏT1  «  Les 
deux  bois  s'unifieront.  > 

1  B.  B.  donne  ici  à  ^2p  un  sens  spécial,  et  rattache  ce  verset  à  celui  qui  le  pré- 
cède et  qu'il  a  compris  comme  s'il  s'agissait  de  rois  dormant  tranquillement  chacun 
dans  son  palais.  L'explication  est  surtout  ingénieuse  pour  le  passage  de  l'Ecclé- 
siaste.  L*exégète  cilé  ne  peut  pas  être  ici  Saadia,  qui  traduit  IDp  ici,  comme  par- 
tout, par  tombeau. 

2  11  faut  1jT"]£  ;  Ben  Bilam  a  confondu  ce  mot  avec  Ps.,  xliv,  6. 


94  REVUE  DES  ETUDES  JUIVES 

TDsn  p  dkAk  aijp  ♦  ony  ^an  >jb  i«^oi  21  jfhnna  tha  *k  ^ra 
î?a^>K  fnfiaa  FhKûj^K  *i«  Tiaa  n#  im  *ny*6*$  ony  ^b  nos  je 
^d:^«  on  ♦  *dh  pu  iKtan  d#  ^aa^>  *mam  22  ♦  nyiiûa  pnw  na  ^i« 
na^i  wAi  nh&a  nrya  nW«  p  î«a  «oam  t^k  nya  *rw  n^K 
.tb  idd  .iTBp  wy\vb  rrriDEn  23  :  jkbdk  8»ni  na  na^i  nafe  nouim 
«a  twiai  n^tf  "n^a  Tja  ;«rn  m  pi?i*6K  nay  ytob  n^na  m  nsap^ 
.yb  idd  ♦  nwn  «û«aoa  .tjikekbi  taw^a  nj^rè»  ona^N  ^b  pa> 
♦  ruvnp'nw  i^m^ok  24  ♦^am  ^s  im  -tkb^k  n'Diaaa  «nwaK 
urm  ^n  «in  ♦  spw»  ?pw  mai  29  ♦  ^n^  10*7  via  r6/ioi  map  «aa 
mmbx  }o  pkt^k  n^i  j«  >k  nei^o  *ptf  nsi  nnpj£Ki  nmb  pn« 
;^n  'fra^K  p  wb&  jk  any^«  ^ipn  «in  $>/ia  >bï  rirat^**  ffr&H 
pa*o  n:«  *:x?oa  ma  ;a  îrrpm  ^8  sina  ikbm  »fhn  *6«  h'm^«  n^n 
nyiai  jy  yibjb  *6*  .  mjjiûa  nma  pai  '  31  ♦  n»a«  p  n'KBi  n^«  na^y 
txi  ^  nia  ^ria  mai  ♦  nsmaïaj  yy  n:v  in«  ^5iv  «^  >« 

21 .  d^^.  On  est  surpris  qu'un  traducteur  ait  rendu  d^l*  par  les 
ennemis,  ce  qui,  à  mon  avis,  est  très  faible,  parce  qu'un  repeuple- 
ment par  les  gens  nobles  convient  davantage  et  s'adapte  mieux  au 
contexte. 

22.  TOI  V3-  Ce  sont  les  générations  qui  viennent  après  les  enfants. 
Peut-être  ]"0  désigne-t-il  l'enfant  lui-même,  comme  dans  Gen.,  xxi, 
13,  où  le  Targurn  traduit  :  «  à  mon  fils  et  à  mon  petit-fils  »  ;  et  ce 
sont  deux  noms. 

23.  YiBp.  Saadia  a  traduit  TOp  «  hérisson  ».  Il  était  connu  chez 
les  docteurs  sous  ce  nom  ;  c'est  un  petit  animal  dont  la  peau  est  cou- 
verte d'épines,  et  qu'on  trouve  souvent  dans  les  vignes,  parce  qu'il 
aime  le  raisin.  . .  .\nN::NLn.  Saadia  traduit  :  «  Je  le  balaierai  avec  le 
bal3i  de  l'extermination  ».  C'est  un  quadrilitère. 

24.  TTW  TiLèO  :  «  Comme  je  m'étais  proposé  »  ;  cf.  Juges,  xx,  S. 
29.   . .  .Yn».  C'est  comme  "pN  îmm  (Gen.,  i,  24),  c'est  comme  s'il 

y  avait  tptïî  "HB1  ;  c'est-à-dire  le  petit  du  serpent  brûlant  sera  le  ser- 
pent volant.  De  même  les  Arabes  disent  :  «  Le  bâton  ne  peut  venir 
que  d'un  petit  bâton  »  et  «  jamais  un  serpent  n'engendre  autre  chose 
qu'un  serpent  ».  Il  fait  allusion  par  là  à  Ezéchias  fils  d'Achaz,  vou- 
lant dire  :  «  Il  sera  plus  intraitable  pour  vous  que  son  père  ». 

31.  . .  .Ym  —  *pKl  :  «  Personne  ne  se  détachera  de  ses  réunions  »  ; 
c'est-à-dire  «  personne  ne  restera  en  arrière  de  lui  »  (Nabuchodo- 
nosor),  vm  a  le  même  sens  que  Ps.,  en,  8. 

1  Voyez  Proverbes  arabes,  I,  p.  17. 
»  Ibid.t  II,  p.  582. 


GLOSES  D'ABOU  ZAKARJYA  BEN  BILAM  SUtt  ISAIE  % 


nyp  wsj  *   1H*b^k  «b  in  d*6^ki  fratàto  k^k  p  *fàK  p^K 

pn^«D^«  *k  kh^d  .  iî;^  ij?  rprrn   s    ♦  risyii  nwi  m  njm   ♦  é 

j?ti  »jya  p  tp*  [«]  ito  îkj  «ami  ^sys*  rum  .tkd  p  rirons 
ja  ^y  7  ns^  rna^K  «in  ^  nJîii  wi  p  «arèpa  |«i  oyn 
ftpatai  îvi*6k  p  ns^ôn  «a  tkdi  p:n^«  tt  ♦  ampoi  rw  rnjr 
:3i?Kûpa6a  n*»ya  no«  ♦  /tibdu  pan  ty  jwk  *3  9  tKipa«  >r6« 
ffrip:a  awa  na*^  »fî  h^k  n*bh&  \)y  {«  pa>  ♦  ma  n«ia  nis^D^ 
anaa  rAe»  p  >«  m&6  naia  jib^b  -mpn^  pr  >nn  ma  p 
cnriK^D^  d6  }k  >k  nnii  >hv  \\y  ;«  pa*i  ♦  y« sd^ki  id*6k  anonncn 

Chap.  XV. 

3.  b^\  Le  yod  du  futur  yêlil  a  été  redoublé,  puisque  la  quiescente 
douce  qui  se  trouve  entre  le  second  yod  et  le  lamed  est  la  première 
radicale. 

4.  ïtjh.  Comme  l'arabe  3>m  «  être  saisi  de  terreur  »,  c'est-à-dire  : 
«  elle  devient  lâche  et  faible  ». 

5.  ïTVPia  :  «  Ceux  qui  ont  été  mis  en  déroute  »,  c'est-à-dire  : 
«  ceux  qui  ont  échappé  à  la  défaite  ».  —  "i"W<  a  le  sens  d'  «  exciter, 
mettre  en  mouvement  »  ;  la  première  radicale  est  donc  redoublée,  et 
la  forme  est  alors  nba3>D\  Peut-être  se  peut-il  qu'il  soit  de  la  même 
racine  que  sn'n  (Jos.,  vi,  20),  et  il  y  aurait  une  transposition  de 
1W1T,  et  le  type  serait  de  cette  façon  "iDb3>b\ 

7.  ...p  bs\  On  entend  par  là  les  enfants  et  tout  ce  qu'ils  avaient 
abandonné  de  leur  famille,  et  le  reste  qu'ils  ont  laissé. 

9.  mDOTB.  C'est  un  nom,  dans  le  sens  d'extermination.  —  . .  .n^bab. 
Il  se  peut  que  le  lamed  de  nû^beb  soit  transporté  du  mot  miN, 
comme  s'il  y  avait  :  rmtfb  SNito  ntrbs,  c'est-à-dire  :  «  les  Moabites 
qui  s'échapperont  seront  déchirés  par  les  lions  et  les  bêtes  féroces  ». 
Il  se  peut  aussi  que  le  lamed  soit  à  sa  place,  et  on  traduira  :  «  Pour 
les  fuyards,  il  ne  restera  que  les  bêtes  féroces  »;  le  sens  est  le  même. 

1  Ibn  Djanah  soutient  la  même  opinion  contre  celle  de  Hayyoudj  ;  v.  Zuma,  p.  61 , 
270  et  282. 

*  Ces  deux  mots  représentent  le  texte  analogue  de  Jérémie,  xlviii,  5. 
3  B.  B.  a  donné  à  Êpi  ici  le  sens  de  Ï1DD;  cf.  Saadia,  ad  Inc. 


96  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 


no 


«rwi  p*6«  ^a-  ns«3  fwo  nViD^»  *pK  ^io  13  in^tr  * 
saro  >d  rron  npi  .ffou  rrtm  '«nie  *6»:i  pinato  h«ûd  npi  *ra 
in*o  nv  sd  rima?**  ^«  «:a  p  ri:  >by  yap  *6ii  ;k  "fanait*  «io« 
pwi  ircaba  hjj«  n«ss^«  oprn  *  dkw  tfatw  ^j>  ?r:  fîDKDa  mi  or  f  jni 
3^p^«  npmi  nmei?^  -j^d  naao  «D3«  ai^Kp  d^kï  ans  nn«i  13 
i«iriD«  [a  nnD  ^»  prr  ^s  Wd  vpip  3  :dkdi^«3  rrav  ffîm 
[pntria  vn  r6  fp  fur  j&  ]6f\rbx  mfi  jo  noa  ♦  pan  ddk  ra   4   »  Dm 

tiki  }aœn  ïwb  ^k  ntri  wi  dd^k  >&   [♦  w  ffea  :  rua  pn/ion 

Chap.  XVI. 

4.  . .  .nïtbiû.  (Le  ni  est  appelé  ynN  bttltt),  parce  que,  à  cause  de  la 
rapidité  de  sa  course,  il  est  comme  s'il  possédait  la  terre  et  l'enrou- 
lait sous  ses  pas  ;  les  anciens  ont  appelé  le  dromadaire  nïtid  Nb»a 
(chameau  volant).  J'ai  vu  dans  le  livre  des  Emirs  de  Médine  qu'un 
homme  a  franchi  sur  un  chameau  de  race  la  distance  de  Mina  (loca- 
lité située  près  de  la  Mecque  que  les  pèlerins  étaient  obligés  de  vi- 
siter) à  Médine  en  un  jour  et  quelques  heures  ;  or,  c'est  une  route  de 
plus  de  dix  jours.  Les  Chrétiens  prétendent  qu'il  s'agit  du  Messie,  et 
ils  prennent  -D  pour  le  singulier  de  û^D  (Ez.,  xxvn,  21) ,  ils  ont  dit 
que  le  Messie  a  été  ainsi  nommé  à  cause  de  sa  douceur  et  de  sa  rési- 
gnation ;  mais  c'est  presque  du  délire. 

3.  . ..ViiiS.  (Le  prophète)  engage  (les  Moabites)  à  cacher  ceux  qui 
cherchent  un  refuge  auprès  d'eux. 

4.  ynTi  est  un  nom  d'une  racine  géminée  sur  le  type  de  "jp  (Ps., 
lxxxiv,  4)  ;  il  est  dérivé  du  verbe  l£ftn  (Is.,  lxvi,  41),  c'est-à-dire  : 
«  Il  n'y  a  plus  de  quoi  savourer  ni  moyen  de  faire  couler  la  boisson 
dont  vous  vous  désaltériez  ».  —  iffi  ïibi*!.  «  La  graisse  a  disparu  ». 
THÎ5  et  1D  (Nombres,  xi,  8)  ont  le  même  sens,  comme  1M  et  ""D,  et 

1  Yebamot,  116  a. 

a  II  s'agit  probablement  du  livre  intitulé  ï^j^l^bN  IN^iN  de  Bachia  ben  Djaa- 
far  ;  voy.  Hadji  Khalfa,  Lexique  bibliographique,  t.  I,  p.  190  ;  II,  p.  144.  M.  Wùs- 
teniéld  [Geschichte  der  Stadt  Médina,  1860,  p.  6)  cite  parmi  les  sources  de  l'Histoire 
de  Médine  de  Samhoûdi  un  ouvrage  de  ce  Bachia  (mort  en  297  de  l'hégire),  qu'il 
nomme   le    «    Stammvater  der   Emire   von  Médina   ».    Nous    soupçonnons   fort   que 

M.  Wùstenfeld  a  traduit  ainsi  les  mots  ÏTO^^îabN  ^OfaiX    3nN£,   qui  signifieraient 
plutôt  :  «  L'auteur  des  Emirs  de  Médine.  » 

1  Voy.  saint  Jérôme,  Comm.  in  Isaiam,  éd.  Vallarsius,  t.  IV,  p.  189. 


GLOSES  D'ABOU  ZAKARIYA  BEN  BILAM  SUR  1SA1E  97 

j«3  h^«  Di*n$»«  on  *Y™n  P  Dû1  1ari  *nmo1  npi  nni  m  bnn 
>B  in«o  .  pTi:  mai  s  :  mx-r  *D"i3  >by  nypK  h^k  "j^to  osdvp 
yïio  -idid  aim  n^rioi  p]Kïh*6kï  biybw  tYmn^K  ^d  pria  '«  î>*njAK 
by  bf\n  nau  rpe  rùhm  n»*6  pfm  •  ikd  «j  (>  *  nB«à«^«  Y\sn  >fa  mi 
♦   ,   ♦  ♦   i    .  d  11  n»j  " 

\nib  nt^tPK  p&j  }«3  A  \xb  minbi*  paie  ns^a  kdk  *  f  *  *  7 
«:n  ♦  raitîn  8  :  &2W  »œnp«  >an8ï  ^ria  ai  p^>  rm&WK3  'jïdûd  bàn 
rwtà  kbjki  mw  moiPûi  d^dj  chd  jsjb  »a  n^rioi  nvyz  cd^k  in 
»:d^  n$>ip  iïbvbis  jn?i>8  nop  ^  naw  rAip  -d  n:*6  «jn  ^îpa 
j«  npn  ♦  ina  îyn  wn  w  "W  t  «îrap  n^aao  ysp  j«  ^p  ^«  nop 
ri1?»  k^«  p  fcé  n«o«^«  ftbr\wh$  b&yz&bx  p  yoi^«  ;*6  jn^»  pr 
rpm  i^  wa  yjpb  own  î^Aq  m*ai  «ein  ik  ^a  îy^  *ft«  pr  ;«  *6k 
•maa  ^n  nnii  ^y  «i  h^k  nn  &b&  '  *pô^K  ppn  m  œaa-i^K  ma 
^Jîa  Ttaks  rnnKJm  kiyda  .w  rup  ipéh  rwim^  t^m  pa^a 
p  ^apnoa  yriK  nîi^M  a^pa  ♦  wbï  *]in«  9  :  nn^tsji .  ™a^n 
»n  ,  *]Yasp  *?jn  "p'p  by  :  fnKj;i?K  YJ  ^y  *6a«a  «ii  n^a^a  ^pr6« 

nous  en  avons  déjà  parlé.  —  .  .  ."ittn.  L'oppresseur  qui  vous  oppri- 
mait a  fini,  grâce  au  roi  qui  a  été  placé  sur  le  trône  de  David. 

5.  .  .."lï-itoi  :  «  Habile  à  agir  avec  équité  »  ;  c'est-à-dire  :  «  qui  ad- 
ministre bien,  avec  équité  et  justice  »  ;  le  sens  est  le  même  que 
*Tï"573  dans  Ezra,  vu,  6  ;  mais  il  est  changé  par  l'état  construit. 

6.  a«.  La  troisième  radicale  est  retranchée  ;  il  devrait  y  avoir  MM, 
comme  Is.,  n,  12. 

7.  . .  .'tD'toK  est  le  pluriel  d'un  masculin,  car  si  c'était  le  pluriel  de 
ma^tf,  il  faudrait  nwnb»,  Cant.,  n,  5  ;  mais  il  a  la  même  forme  que 
Osée,  ni,  1. 

8.  n"Wniî  est  ici  la  vigne  elle-même,  comme  Deut.,  xxxi,  32.  Je  dis 
ici,  parce  que  dans  Is.,  xxxvu,  27,  il  signifie  «  la  semence  »,  comme 
on  le  voit  par  les  mots  iittp  ^&b,  qui  signifient  :  «  avant  que  l'épi 
soit  debout  ».  Le  mot  devrait  avoir  l'accent  sur  l'ultième,  car  le  plu- 
riel des  verbes  à  troisième  radicale  faible  a  toujours  l'accent  sur  l'ul- 
tième, à  moins  que  le  mot  suivant  n'ait  l'accent  sur  la  pénultième  ou 
soit  monosyllabique,  comme  Ez.,  xxvn,  5.  On  a  retranché,  après  "\yn, 
la  préposition,  c'est-à-dire  le  Mt,  comme  on  le  voit  régulièrement 
employé  dans  Ps.,  cvn,  4.  —  1115133  :  «  On  les  a  laissées  aller  et  elles 
ont  traversé  la  mer  »;  c'est  dans  le  sens  de  tinïîaan,  Ex.,  xxm,  14. 

9.  ^THN.  Il  y  a  transposition  ;  car  il  faudrait  '■plN,  qui  est  le  futur 
du  piel  ;  contrairement  à  l'habitude,  ce  verbe  se  présente  complet. 
—  ^srp  désigne  les  fruits  de  l'été,  et  Tvsrp  les  céréales  ;  cf.  Is., 
xvni,  5. 

1  C'est  le  nom  que  les  grammairiens  donnent  à  la  préposition  n.  V.  Zumct,  p.  66, 
1.  21. 

T.  XIX,  n°  37.  7 


98  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

fcpttJI  *0  ♦  niB  D«  Y5Ép  ^  >3  r£ip3  jn^K  fl  TVXfn  *»pAii  nsaio 
DTpn^  T^i  jks  «ami  jvjkjW  wk  kh^k  .uo  n^po  »^  nnot? 
*fea  «3»ï  ^iio  ftnpruAn  ^kj?b*6k  >b  ffyKoi^a  ikï  papo*  «od  ^î?d^« 
«oh«^kd  dd'  d^  j*6ye  ♦  yyv  vb  pv  *6  0*01331  $  Wp  rfeitoi  d^:k 
ni*  *6i  oyn  jm  [o  nsbb&  *|j?Kio  yym  •  fla&frw  rorsAa  kohkwoi 
dd^d^  «o  ^y  p]wo  hm&  pir  ir  ^o  a^pnoo  vbyt  py  }« 
pDini^n  «rAip*  fofe  m  ♦»fl»n  Tm  iiA/to  m«  ip  *6o  n^wo 
h  A  >ai  as^«  p  flronriDKi  hwbx  'by  mmu  fnb*  ^ao   ^$ 


ptWDi  ffnn  p  Jio^  3hïo  t«î>3  »a  fhp  rtfn  >w  ny  xrcroy  2 

♦    * ♦  ♦  ♦   2  nwo  paw  np  }a  ^«  arrt  kojk 

ton  nefu  na  tt  rtto  n^/io  mrt  ipi  t  •  ♦  »  ♦  3d^oj;j^bj]  40 

40.  .  ..tpwi.  Le  hé  du  féminin  est  tombé,  et  peut-être  cela  pro- 
vient-il de  ce  que  le  verbe  précède,  comme  on  laisse  tomber  le  vav 
du  pluriel  quand  le  verbe  est  en  tête,  comme  dans  Ez.,  xiv,  1  ;  les 
exemples  sont  rares.  —  13  *p  et  3W  sont  deux  verbes  au  passif  qui 
signifient  «  crier,  vociférer  »  ;  dans  le  dernier,  la  troisième  radicale 
est  redoublée  ;  tandis  qu'elle  est  simple  dans  JH^i  (Jos.,  vi,  20)  ;  il  est 
impossible  de  le  prendre  pour  un  futur  (actif)  comme  pio^  (Is.,  lxii, 
7),  parce  qu'il  est  joint  à  un  passif  et  doit  sans  aucun  doute  lui  res- 
sembler. —  TPÏ1  est  une  interjection  qu'emploient  ceux  qui  foulent 
les  raisins  pour  s'exciter  au  travail  et  se  soulager  de  leur  peine.  En 
arabe  c'est  àêd  hêd* 


Chap.  XVII. 

2.  "W.  C'est  une  ville  dans  le  pays  de  Moab  ;  elle  ne  fait  pas 
partie  du  territoire  de  Damas.  Le  prophète  a  voulu  dire  seulement 
que  les  villes  de  Damas  deviendraient  [abandonnées  comme  Aroer 
dans  le  pays  de  Moab]. 

40.  [tPDftj^    r^3] Nous  avons   déjà    mentionné   beaucoup 

d'exemples  pareils.  Il  entend  par  là  de  belles  plantations.  La  racine 

1  Les  grammairiens  arabes  ajoutent  13  "^3>fà3. 

x  Le  ms.  présente  ici  une  lacune  qui  va  jusqu'au  verset  10.  La  phrase  interrompue 
se  terminait  probablement  par  ^V^HV  b'r\12.  C'est  l'explication  de  Saadia  et  d'ibn 
Djanah,  Luma,  c.  295,  1.  8. 

3  Nous  avons  complété  ce  passage,  dans  notre  traduction,  d'après  Zuma,  p.  223, 
1.  18. 


GLOSES  D'ABOU  ZAKARIYA  BEN  BILAM  SUR  ISAIE  99 

}«3a  ♦  wwi  i?  ffiian  :  najn  *a  tn«n  jikï  ja  n^«i  m  rra  p^ai 
ipaai  <townwi  "]j>bj  or3  m  :Dirw^3  jnr>  vb  foik*  \vb  uyan 
rp?«sna  bf\n  D>a  »{*a  in»  rw  tn^i  ja  Ppaina  h?B  •  •nnwi  *]jn? 
ip  "P")3  j«  ^  tiô  }«  n:«  ^  înp^a  «in  TOai]  nyn  ja  rriyrioa 
♦  ♦  ♦  ♦  .  b*]  rhum  NûJ«D  nynoa  larit^K  rai  "i«n  yyin  jnen 
«in  Wa  *d  aiy^K  ^ipJii  2[ni?r«o]  ^  ttnjKi  'o^ia  jrôm 
n«ao  D3K^>k  twr6«  in  ♦nsio  ^  W:dï  13  :d^  ^aa  d^k  vu 
^t>h  #p3  ^^3  îajw  v£k  n^/iai  tifiatwta  n«n^K3  ni*inini>  3^n3 
mnb  nraii  maîw  œmîtt  rnupa  *nrrè>3  nam  aiy-nj^  u  :nn 

•nircÀ  ré»  «in  tria  mi  ww 

est  û3>5,  comme  dans  Gen.,  xlix,  15,  et  le  nun  est  ajouté.  —  IsyiTn 
est  pour  Wttn,  parce  que  les  sarments  ne  se  sèment  pas,  mais  se 
plantent. 

44.  ijKZiïttDn  est  une  forme  redoublée  de  îlàtf)  (Job.,  vin,  44),  comme 
ynynft'D  est  redoublé  de  !i3>n  (Gen.,  xxvn,  4  2).  Ce  verset  signifie  : 
«  S'il  t'a  semblé  que  ta  plantation  avait  déjà  produit  des  rameaux, 
était  arrivée  à  maturité  et  que  ses  fruits  s'étaient  augmentés  rapi- 
dement, le  résultat  n'en  sera  pas  moins et  une  douleur  cui- 
sante ».  —  ilîiDtf  est  un  adjectif  dans  le  sens  d'un  participe  actif;  les 
Arabes  emploient  de  même  l'adjectif  tnbtt  dans  le  sens  de  ûb"i». 

43.  baba  est  l'herbe  sèche,  nommée  ainsi  parce  qu'elle  est  roulée 
par  les  vents  violents  ;  baba  est  employé  de  même  Ps.  lxxxiii,  4  4. 

4  4.  ïittba.  Le  sens  est  :  «  La  surprise  et  la  stupéfaction  »  ;  le  plu- 
riel est  mïiba  (Ez.,  xxvi,  21),  ïibm  (Is.,  lxv,  23)  a  la  même  signifi- 
cation. 

J.  Derenbotjrg» 
(A  suivre.) 

1  Ce  passage  présente  plusieurs  lacunes,  mais  îe  sens  n'est  pas  douteux.  Dans  le 
verset  de  Job  qu'il  cite,  B.  B.  paraît  avoir  lu  Ïiai3'\  avec  hê%  comme  dans  plu- 
sieurs mss. 

2  Cette  addition  est  justifiée  par  Ous.,  c.  60, 1.  14. 

3  II  faut  probablement  ajouter  ÎTfàOn. 


CHANDELIERS  A  SEPT  BRANCHES 


Le  chandelier  que  nous  reproduisons  ici  est  un  des  plus  intéres- 
sants que  nous  connaissions,  soit  par  les  feuillages  et  autres  or- 
nements qui  en  forment  le  cadre  et  les  accessoires,  soit  par  le 
dessin  du  chandelier  lui-même,  dont  les  lignes  sont  faites  de  suites 
de  petits  ronds  creusés  dans  la  pierre.  Ce  chandelier  est  sculpté 
sur  une  colonne  de  la  mosquée  de  Gazza  appelée  Djami  El  Kebir. 
Nous  en  avons  reçu  un  estampage  par  M.  Nissim  Behar,  direc- 
teur de  l'école  de  Y  Alliance  israélile  à  Jérusalem.  L'original  a  37 
centimètres  de  haut  (non  compris  le  cartouche  avec  l'inscription) 
et  28  à  29  centimètres  de  diamètre  (cercle  du  feuillage).  Les  em- 
blèmes qui  se  trouvent  dans  le  cercle  sont,  à  droite,  un  schofar;  à 
gauche,  une  amphore  d'huile  (l'huile  qu'on  verse  dans  les  petites 
lampes  placées  au  haut  du  chandelier).  A  côté  de  cette  amphore 
se  trouve  un  corps  à  peu  près  rond,  qui  semble  être  un  elrog  ou 
une  grenade,  et  peut-être  même  les  branches  du  chandelier  sont- 
elles  construites  avec  le  même  fruit. 

L'inscription  porte  le  nom  de  Hanania,  fils  de  Jacob;  elle  est 
en  hébreu  et  en  grec  : 

np2-<  p  sran 
ANANIA 
TIOO    IAKIO 

Les  deux  triangles  placés  à  droite  et  à  gauche  du  cartouche 
portent  des  branches  qui  pourraient  être  des  branches  de  lulab. 

Nous  ne  voyons  pas  de  raison  pour  ne  pas  attribuer  ce  monu- 
ment à  un  Juif,  peut-être  de  l'époque  du  second  temple.  La  forme 
ûeYoméga  (CO  et  non  n)  montre,  comme  nous  le  dit  M.  S.  Rei- 
nach,  que  dans  tous  les  cas  notre  chandelier  n'est  pas  antérieur  à 
l'époque  où  les  Romains  sont  venus  en  Palestine  ;  leur  première 
apparition  dans  ce  pays  date  de  Pompée. 


102  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

Nous  rattachons  à  la  description  de  ce  chandelier  l'analyse  d'une 
note  publiée  par  M.  de  Vogué  dans  la  Revue  archéologique,  3e  série, 
tome  XII,  mars-avril  1889,  p.  163  et  suiv.,  sur  des  dessins  de 


chandeliers  juifs  découverts  parle  P.  Delattre  dans  la  nécropole  de 
Gamart  ou  Qumart,  cimetière  creusé  dans  le  flanc  du  Djebel 
Khawi,  au  nord  de  Carthage,  sur  le  bord  de  la  mer.  L'un  de  ces 


iïrz 

dessins  se  trouve  sur  une  lampe  (n°  1  ci-dessus),  nous  le  repro- 
duisons ici  très  sommairement  d'après  la  photogravure  de  la 
Revue  archéologique  ;  l'autre  (n°  2),  reproduit  également  d'après 


CHANDELIERS  A  SEPT  BRANCHES  103 

la  môme  Revue*,  est  gravé  sur  pierre.  Sur  la  lampe  (fig.  n°  1)  se 
trouve  le  Christ  d'un  côté,  et  d'autre  part,  lui  faisant  face,  le  chan- 
delier. La  pierre  (fig.  n°  2)  paraît  porter,  à  côté  du  chandelier,  les 


ir°3 

lettres  [û]ibta.  Une  autre  pierre  (n°  3),  de  môme  provenance  (fbid.), 
porte  également  le  mot  dbra  pour  ûibio.  Nous  ne  savons  ce  que 


Kl/Cl/E  IN  PACE 


WJ 


(,«£ 


%& 


w 


'jr°4 


c'est  que  le  signe  que  porte  cette  pierre  au-dessus  de  ce  mot. 
Nous  ajoutons  trois  dessins  graffltti  de  même  provenance  [Revue 


1  Même  numéro. 


104  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

archéol.,  ibid.)  envoyés  à  M.  de  Vogué  par  le  P.  Delattre  (n°  4), 
et  enfin  le  dessin  d'une  lampe  trouvée  à  Carthage  par  le  P.  De- 
lattre et  reproduit  ici  (n°  5)  d'après  son  travail  intitulé  :  Lampes 
chrétiennes  de  Carthage,  Lyon,  1880,  p,  38.  La  lampe  de  notre 
figure  n°  1  a  donné  lieu  à  un  échange  d'observations  dont  on  se 
fera  une  idée  suffisante  par  la  lettre  ci-dessous  de  M.  Salomon 
Reinach,  insérée  dans  la  Revue  archéologique  de  juillet-août 
1889.  M.  Reinach  nous  a  prié  de  supprimer,  dans  la  dernière 
partie  de  cette  lettre,  une  phrase  dont  l'expression  dépassait  sa 
pensée,  et  il  a  ajouté  en  note  quelques  lignes  qui  sont  destinées  à 
la  rétablir. 

Monsieur  le  Directeur, 

M.  de  Vogué  a  publié  dans  la  Revue  (mars-avril  1889,  pi.  VIII,  fig. 
33)  une  lampe  en  terre  cuite  découverte  à  Carthage  où  figure  le  Christ 
écrasant  le  serpent;  à  cette  représentation  est  opposé,  du  côté  du 
bec  de  la  lampe,  un  chandelier  à  sept  branches.  M.  de  Vogue, 
d'accord  avec  le  R.  P.  Delattre  et  M.  le  Blant,  qui  avait  déjà  entretenu 
de  cet  objet  l'Académie  des  Inscriptions  [Comptes  rendus,  4  888,  p.  445), 
y  reconnaît  «  le.  chandelier  à  sept  branches  renversé  et  foulé  aux 
»  pieds  en  même  temps  que  le  serpent  infernal,  par  le  Christ  vain- 
»  queur  ». 

Permettez-moi  de  m'inscrire  en  faux  contre  cette  interprétation.  Si 
l'on  regarde  avec  attention  l'héliogravure  publiée  dans  la  Revue,  on 
se  convaincra  que  le  chandelier  à  sept  branches  n'est  nullement 
foulé  aux  pieds  par  le  Christ.  La  figure  crucigère  est  debout  sur  la 
base  du  candélabre,  qui  lui  est  exactement  opposée  ;  si  cette  double 
image  devait  être  interprétée  rigoureusement,  elle  représenterait 
bien  plutôt  la  nouvelle  loi  appuyée  sur  l'ancienne,  suivant  le  mot  de 
J.-C.  :  «  Ne  pensez  pas  que  je  sois  venu  abolir  la  loi  ou  les  prophètes; 
»  je  ne  suis  pas  venu  abolir,  mais  accomplir.  »  {Saint  Mathieu,  v,  17, 
4  8.)  Je  crois  cependant  qu'il  vaut  mieux  ne  pas  chercher  si  loin.  Sur 
une  lampe  africaine  publiée  par  Y  Annuaire  de  Constantine  (1862,  pi. 
IX)  et  rééditée  par  Martigny  (p.  408),  on  voit  deux  agneaux  debout 
sur  des  croix  gemmées  ;  il  ne  s'agit  pas  là,  évidemment,  de  l'agneau 
qui  écrase  la  croix,  ni  de  l'agneau  immolé  sur  la  croix,  selon  la  trop 
ingénieuse  hypothèse  de  Martigny  :  c'est  la  juxtaposition  de  deux 
symboles  chrétiens.  La  lampe  de  Carthage  comporte  une  explication 
analogue  ;  le  candélabre  a,  en  effet,  été  regardé  par  les  Pères  comme 
le  symbole  de  J.-C,  de  la  croix  et  même  de  l'Église  tout  entière 
(textes  dans  Martigny,  p.  115) l, 

1  II  est  vrai  que  le  chandelier  ne  se  rencontre  dans  les  Catacombes  que  sur  des 
objets  mobiliers  qui  ont  pu  être  fabriqués  pour  des  Juifs  ;  cela  tient  sans  doute  à  ce 
que  le  symbole,  ayant  été  de  bonne  heure  adopté  par  les  Juifs,  était  évité  par  les 
chrétiens,  qui  Pauront   considéré  comme  équivoque.   Les  textes  cités  par  Martigny 


CHANDELIERS  A  SEPT  BRANCHES  105 

J'ajoute  que  je  n'admets  nullement,  avec  le  R.  P.  Delattre,  que  la 
nécropole  de  Gamart  soit  exclusivement  judaïque:  elle  est  judéo- 
chrétienne.  M.  dp  Vogué  a  d'ailleurs  senti  la  nécessité  d'une  réserve 
à  cet  égard  {Revue,  p.  185). 

Salomon  Reinach. 

Nous  ajoutons  enfin  deux  dessins  de  chandeliers  (nos  6  et  *7) 


JTTG 


2?:2 


trouvés  dans  le  Khurbet  Summâkha  du  mont  Carmel  et  publiés 
dans  le  Quarterly  Stalement  du  Palestine  Exploration  Fimd, 
1884,  p.  41,  et  1886,  p.  8. 

Isidore  Loeb. 


prouvent  cependant  qu'ils  n'y  voyaient  pas  un  symbole  hostile,  et  l'on  comprend,  dès 
lors,  qu'il  puisse  se  rencontrer,  bien  qu'à  titre  exceptionnel,  sur  un  objet  certaine- 
ment chrétien  comme  la  lampe  de  Carthage. 


BUT  RÉEL  DE  LA  CORRESPONDANCE 

ÉCHANGÉE  VERS  LA  FIN  DU  XVe  SIÈCLE 

ENTRE  LES  JUIFS  ESPAGNOLS  ET  PROVENÇAUX 
ET  LES  JUIFS  DE  GONSTANTINOPLE 


Le  regretté  Arsène  Darmesteter  a  appelé  l'attention,  il  y  a 
maintenant  neuf  ans  [Revue,  I,  119),  sur  de  prétendues  lettres 
échangées  vers  la  fin  du  xv°  siècle,  entre  les  Juifs  de  l'Europe 
occidentale  et  ceux  de  Gonstantinople,  et  dans  lesquelles  les  pre- 
miers exposaient  leurs  souffrances  et  les  seconds  leur  donnaient 
des  conseils.  La  communication  de  M.  Darmesteter  ne  nous  avait 
rien  appris  de  complètement  nouveau.  Les  deux  lettres,  comme 
l'a  fort  bien  remarqué  M.  Morel-Fatio  (it>.,  p.  302),  avaient,  en 
effet,  déjà  été  publiées  plusieurs  fois,  et  par  M.  Amador  de  los 
Rios,  et  par  M.  Adolpho  de  Castro  et  par  M.  Kayserling.  Elles 
existent  en  manuscrit  dans  plusieurs  bibliothèques  espagnoles 
ainsi  qu'à  la  Bibliothèque  nationale  de  Paris  (z*&.,p.  303).  M.  Morel- 
Fatio  les  a  également  trouvées  imprimées  dans  une  sorte  de  recueil 
d'anecdotes,  de  Julien  de  Medrano,  La  Silva  curiosa,  édité  à 
Paris,  en  1583. 

M.  Darmesteter  nous  avait  cependant  fait  connaître  quelque 
chose  de  nouveau  et  d'intéressant  ;  il  nous  avait  montré  que  la 
première  de  ces  deux  lettres  existe  en  langue  provençale  et  pré- 
sente des  variantes  importantes.  Jusque-là,  cette  correspondance 
n'était  connue  qu'en  langue  espagnole.  La  version  provençale  n'a 
pas  encore  été  signalée  ailleurs  que  dans  l'ouvrage  de  J.  Bouis,  et 
l'on  ignore  si  elle  existe  également  en  manuscrit. 

Aujourd'hui,  personne  ne  doute  plus  de  l'inauthenticité  de  ces 
deux  lettres.  Du  reste,  M.  Isidore  Loeb  a  montré  surabondamment 
(dans  Revue,  XV,  p.  262)  les  nombreuses  maladresses  qu'elles  con- 
tiennent. On  admet  également  que  la  version  espagnole  de  la  lettre 


BUT  RÉEL  D'UNE  CORRESPONDANCE  DU  XV  SIÈCLE  107 

soi-disant  écrite  par  les  Juifs  d'Espagne  est  plus  ancienne  que 
la  version  provençale  publiée  par  Bouis  et  qu'il»  attribue  aux 
Juifs  d'Arles.  On  est  moins  d'accord  sur  le  caractère  ou  la  ten- 
dance de  cette  correspondance.  M.  Amador  de  los  Rios  croit 
qu'elle  visait  un  but  sérieux,  qu'elle  cherchait  à  rendre  suspects 
les  néo- chrétiens  d'Espagne,  en  faisant  supposer  que  leur  piété 
était  simulée  et  qu'ils  poursuivaient,  en  réalité,  la  destruction  des 
chrétiens  et  du  christianisme.  MM.  Morel-Fatio,  Darmesteter  et 
Loeb  pensent,  au  contraire,  que  ces  lettres  sont  l'œuvre  d'un  plai- 
sant juif  ou  chrétien,  et  ils  appuient  leur  hypothèse  sur  le  nom  de 
Chamorro  ou  Chamorra,  'principe  de  los  Judeos  de  Espana, 
qui  forme  la  signature  de  la  première  lettre  :  le  nom  de  a  Cha- 
morro »  rappelle,  en  effet,  le  mot  hébreu  Chamor  «  âne  »,  ou  peut 
signifier  «  tête  de  chou  ».  A  notre  avis,  ce  nom  même,  quoique 
fictif,  prouve  que  ces  lettres  avaient  un  but  pratique.  Des  docu- 
ments qu'on  n'a  pas  utilisés  jusqu'à  présent  montrent  d'une  façon 
certaine  que  cette  correspondance  n'était  pas  une  simple  plaisan- 
terie. 

Ces  deux  lettres  se  trouvent  comme  appendice  dans  un  ouvrage 
remarquable,  Le  livre  vert  d'Aragon  (el  Libro  verde  de  Aragon), 
publié  en  150*7,  par  le  secrétaire  de  l'Inquisition  Juan  de  Anchi- 
sas,  et  qui  donne  la  généalogie  et  les  diverses  branches  des  fa- 
milles néo-chrétiennes  pour  empêcher  les  vieux  chrétiens  de 
s'allier  avec  elles.  Ce  livre  a  été  détruit  sous  Philippe  IV,  et,  au- 
tant que  l'on  sait,  il  n'en  existe  plus  qu'un  seul  exemplaire.  Sen. 
Rodrigo  de  los  Rios  a  fait  réimprimer  cet  exemplaire  dans  la 
Revista  de  Espana  (année  XVILI,  tome  105  et  106)  ;  les  deux 
lettres  se  trouvent  au  tome  106,  p.  568.  Le  texte  diffère  peu  de 
celui  qui  a  été  publié  dans  la  Revue  (tome  XV,  p.  263  et,  par 
fragments,  tome  I,  p.  121  et  302)  *.  Ces  deux  lettres  sont  accom- 
pagnées, dans  le  Livre  vert,  d'une  préface  et  d'un  épilogue  qui 
en  font  connaître  clairement  la  tendance.  Ils  montrent,  en  effet, 
qu'elles  ont  été  fabriquées  pour  engager  le  pape  Paul  III  à  ne 
confier  aucun  poste  dans  la  grande  église  de  Tolède  à  des  ecclé- 
siastiques d'origine  marranite. 

1  Deux  variantes  sont  particulièrement  importantes  et  méritent  d'être  notées.  Dans 
tous  les  exemplaires  espagnols,  on  a  omis  le  passage  où  les  Juifs  sont  engagés  à 
accepter  le  baptême.  Ce  passage  est  conservé  dans  Bouis  {Bévue,  I,  l.  c.)  :  t  qu'ils 
se  lassent  baptiser,  dit-il,  mais  que  leur  cœur  reste  juif  •.  —  Voici  une  autre  variante 
importante:  «  Hazed  vustros  hisos  canonicos  y  clericos  y  tbeologos  para  que  los  pro- 
fanen  y  destruyen  su  religion  y  templos  ».  Ce  passage  n'est  complet  dans  aucun 
texte,  il  contient  cependant  une  pointe  contre  les  Juifs,  en  faisant  dire  aux  Juifs  de 
Constantinople  que  les  fils  des  marranos  élevés  et  préparés  pour  des  fonctions  ecclé- 
siastiques doivent  profaner  leurs  fonctions  et  détruire  ainsi  la  religion  chrétienne  et 
l'Église. 


1C8  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

Voici  la  traduction  littérale  de  ces  deux  morceaux  l  : 

«  Le  Maître  Siliceo,  archevêque  de  Tolède,  était  fils  de  parents  vieux 
chrétiens  (de  padres  limpios),  mais  il  était  pauvre.  C'est  pourquoi 
les  Juifs,  qui  étaient  les  maîtres  (satrapas)  et  chefs  dans  la  grande 
église  de  Tolède  et  qui,  conformément  à  leur  nature,  considéraient 
comme  une  affaire  importante  de  persécuter  des  gens  comme  lui,  se 
mirent  à  l'outrager  par  des  pasquinades  et  des  paroles  injurieuses, 
et  allèrent  si  loin  dans  cette  voie  qu'ils  l'obligèrent  de  donner  satis- 
faction aux  exigences  de  son  honneur,  d'ouvrir  une  enquête  sur  la 
vie,  la  façon  d'agir  et  les  habitudes  des  Juifs  et  de  faire  connaître  par 
son  témoignage  leurs  inclinations  diaboliques,  afin  que  tous  les 
hidalgos,  dont  les  sentiments  sont  si  purs  et  si  élevés,  fussent  avertis 
et  ne  pussent  plus  être  trompés  par  eux.  Il  arriva  qu'un  jour,  en 
cherchant  de  vieux  documents  dans  les  archives  de  Tolède,  il  découvrit 
une  pièce  scandaleuse  et  honteuse,  c'est  à  savoir  la  copie  et  la  tra- 
duction d'une  lettre  que  les  Juifs  d'Espagne  envoyèrent  aux  Juifs  de 
Constantinople  lorsque  le  roi  Don  Hernando,  de  bienheureuse  mé- 
moire, inspiré  par  le  divin  Consistoire,  les  expulsa  d'Espagne.  Dans 
cette  lettre,  ils  priaient  leurs  coreligionnaires  de  Constantinople  de 
les  guider  et  de  leur  donner  des  conseils  satisfaisants. 

Cette  préface  seule  indique  déjà  la  tendance  des  deux  lettres, 
mais  l'épilogue  est  encore  plus  explicite  sous  ce  rapport.  En  voici 
la  traduction  : 

1  Comme  ces  documents,  ajoutés  en  appendice  dans  El  Libro  Verde  ne  se  trouvent 
imprimés  que  dans  la  Revista  et  que  cette  publication  est  assez  rare,  il  me  paraît  utile 
de  les  donner  ici  en  espagnol  : 

I.  El  Maestro  Siliceo,  Arçobispo  de  Toledo,  fué  hijo  de  padres  limpios,  aunque 
pobres,  por  la  quai,  correspondiendo  à  su  natural  inclinacion,  los  judios  que  se 
hallaron  satrapas  y  canonigos  de  la  Iglesia  mayor  de  Toledo,  haziendo  su  officio  de 
perseguir  a  los  taies,  intentaron,  y  de  hecho  pusieron  en  execucion,  afrentarle  con 
pasquines  y  palabras  injuriosas,  hasta  obligarle  a  satisfacer  su  honra  y  bacer  inqui- 
sicion  de  la  vida,  tratos  y  costumbres  de  los  judios  y  dexar  un  exemplar  y  testi- 
monio  de  su  daîiada  inclinacion,  para  que  lodos  los  hidalgos,  por  su  pura  y  sincera 
condiçion,  estuviesen  tan  prevenidos  y  que  no  pudiesen  scr  enganados  de  los  taies  ; 
y  assi,  entre  otros  que  hallo  en  un  vituperio  y  vilipendio  dellos,  fué,  que  un  dia, 
reuoluiendo  unas  antiquissimas  scripturas  en  el  Archivo  de  Toledo,  hallô  una  copia  y 
traslado  de  una  carta  original,  la  quai  inuiaron  los  judios  de  Espana  a  los  judios  de 
Constantinopla,  quando  el  Rey  de  felice  memoria  don  Hernando,  inspirado  del  divino 
Consistorio,  los  desterro  de  Espana,  en  la  quai  les  consultauan  el  caso  y  rogaban  les 
diessen  el  consejo  y  acuerdo  que  mas   les  conuiniera,  lo  quai  es  del  ténor  siguiente. 

IL  Estas  cartas  fueron  en  parte  causa  que  el  dicho  Arçobispo  Siliceo  recavase  con  el 
Padre  Santo,  Papa  Paulo  tercero,  que  ningun  çonfesso  pudiese  obtener  beneficio 
alguno  en  la  Iglesia  mayor  de  Toledo,  porque  el  Padre  Santo  lo  rehusaba  mucho  por 
lo  mucho  que  podian  los  judios  en  dicha  Iglesia,  que  casi  toda  estava  en  poder  dellos 
por  la  mayor  parte,  como  sus  Arziprestazgos  y  Canonicatos  y  otras  dignidades  ;  pero 
vistas  por  el  padre  santo  estas  cartas  y  otras  infinitas  scripturas,  que  descubrian  la 
malicia  é  maidad  dellos,  concediô  al  dicho  Arzobispo  que  contésso  alguno  no  pudiese 
tener  canonicato  ni  beneficio  alguno,  como  lo  vemos  por  experiencia,  que  para  hauer 
de  servir  por  escolano  en  alguna  capilla  de  la  dicha  Iglesia,  se  haze  probança  de  como 
es  Christiano  viejo,  tan  auténticamente  como  se  puede  hazer  para  ser  officiai  del 
Santo  Officio. 


BUT  RÉEL  D'UNE  CORRESPONDANCE  DU  XV8  SIÈCLE  109 

C'est  en  partie  grâce  à  ces  lettres  que  l'archevêque  Siliceo  obtint 
du  Saint -Père  Paul  III  que  nul  juif  converti  au  christianisme 
(confesso)  ne  pût  recevoir  de  bénéfice  dans  la  grande  église  de  Tolède. 
Le  Saint-Père  avait  déjà  repoussé  plusieurs  fois  cette  requête,  et  les 
Juifs,  qui  avaient  entre  leurs  mains  presque  toute  cette  église,  pou- 
vaient y  être  nommés  archiprètres,  y  obtenir  des  canonicats  ou  d'au- 
tres diguités.  Mais  quand  le  Saint-Père  eut  vu  ces  lettres  avec  d'autres 
documents  qui  révélaient  leur  ignominie  et  leur  méchanceté,  il  con- 
céda à  l'archevêque  Siliceo  que  nul  juif  converti  ne  pourrait  recevoir 
de  canonicat  ou  quelque  autre  bénéfice.  Nous  savons,  en  effet,  par 
expérience  que  celui  qui  désire  être  nommé  simple  chapelain  dans 
une  chapelle  de  cette  église  est  obligé  de  démontrer  par  pièces 
authentiques  qu'il  descend  de  vieux  chrétiens,  aussi  bien  que  s'il 
voulait  se  faire  attacher  comme  officiai  au  Saint-Office. 

Le  prologue  et  l'épilogue  semblent  donner  un  renseignement 
réellement  historique,  ils  constatent  comme  un  fait  certain  que 
l'archevêque  de  Tolède  a  fait  parvenir  ses  lettres  à  Paul  III  pour  lui 
faire  adopter  sa  proposition  et  empêcher  les  néo-chrétiens  d'être 
appelés  à  une  dignité  quelconque,  au  moins  dans  la  riche  église  de 
Tolède.  Les  deux  lettres,  la  question  comme  la  réponse,  sont  rédi- 
gées avec  assez  d'habileté  pour  produire  l'effet  qu'on  en  attendait; 
elles  devaient  convaincre  Paul  III  que  la  conversion  de  tant 
de  Juifs  au  christianisme  n'était  qu'une  comédie  pour  détruire 
l'Église.  Paul  III  protégeait  efficacement  les  marranos,  il  s'était 
opposé  pendant  longtemps  à  l'établissement  de  l'Inquisition  en 
Portugal,  avait  toléré  le  séjour  des  marranos  à  Ancône  et  fermé 
les  yeux  sur  leur  tendance  à  pratiquer  le  judaïsme.  Comme  le 
montre  le  prologue,  il  s'était  refusé  à  déclarer  les  néo-chrétiens 
impropres  aux  fonctions  ecclésiastiques.  La  prétendue  corres- 
pondance échangée  entre  les  Juifs  d'Espagne' et  ceux  de  la  Tur- 
quie devait  lui  prouver  combien  il  serait  dangereux  pour  le  chris- 
tianisme de  confier  à  de  faux  chrétiens  des  fonctions  sacerdotales. 
C'est,  sans  conteste,  dans  ce  but  que  ces  lettres  ont  été  fabriquées. 

Du  reste,  l'archevêque  Siliceo  dut  compter  sur  la  crédulité  du 
pape  pour  lui  faire  admettre  que  ces  lettres  avaient  été  décou- 
vertes dans  les  archives.  Car  il  parait  singulier  que  les  marranos 
les  y  aient  déposées,  au  risque  de  révéler  leurs  mauvais  desseins  à 
toute  la  chrétienté  '  :  d'habitude,  on  prend  plus  de  soin  de  cacher 
des  pièces  aussi  compromettantes.  Quant  aux  faits  mêmes  rap- 
portés par  le  prologue  et  l'épilogue,  on  peut  d'autant  moins  en 

1  L'auteur  de  la  Silva  curiosa  a  accepté  légèrement  et  répandu  l'affirmation  de 
Siliceo,  qui  déclarait  que  ces  lettres  avaient  été  trouvées  dans  les  Archives.  11  a  fait 
précéder  ces  lettres  de  ces  mots  :  Este  caria  siguiente  lue  hallada  por  el  Eremitano 
de  Salamanca  en  los  Archivos  de  Toledo  [Revue,  I,  p.  303  ;  XV,  p.  263). 


HO  REVUE  DES  ETUDES  JUIVES 

douter  qu'il  fallait,  en  effet,  prouver  son  origine  purement  chré- 
tienne pour  être  appelé  à  une  fonction  ecclésiastique  à  la  cathé- 
drale de  Tolède.  Cette  obligation,  qui  n'existe  pas  dans  les  autres 
églises,  n'a  pu  être  prescrite  que  par  un  bref  du  pape. 

Mais,  s'il  est  certain  que  ces  deux  lettres  ont  été  fabriquées  dans 
un  but  déterminé,  il  ne  Test  pas  moins  que  le  falsificateur  était 
l'archevêque  Siliceo  lui-même  ou,  comme  on  l'appelait  aussi,  le 
cardinal  Juan  Martinez  Guijarro.  Il  avait  composé,  en  1547,  un 
écrit  intitulé  :  E statut o  de  limpieza,  c'est-à-dire  «  Statut  pour 
démontrer  la  descendance  sans  tache  d'ancêtres  vieux-chré- 
tiens ».  Cet  écrit  avait  également  pour  but  de  faire  refuser  les  pré- 
bendes et  bénéfices  dans  la  cathédrale  de  Tolède  à  ceux  qui 
n'avaient  pas  une  origine  purement  chrétienne.  M.  Adolfo  de  Cas- 
tro avait  déjà  fait  valoir  l'argument  que  nous  venons  d'invoquer. 
Dans  ce  Statut,  dont  le  P.  Fidel  Fita  a  publié  un  extrait  [Boletin 
de  la  real  Academia  de  la  hisloria,  1887),  Siliceo  ne  s'est  pas 
gêné  de  commettre  une  erreur  historique.  Après  avoir  affirmé 
que  les  Juifs  ont  été  les  plus  grands  ennemis  du  Christ,  que  leur 
haine  contre  lui  et  ses  serviteurs  (les  prêtres)  s'est  perpétuée  jus- 
qu'au temps  présent  et  que  la  sainte  Inquisition  doit  brûler  tous 
les  ans,  dans  ces  pays,  ces  faux  chrétiens  et  leur  imposer  des 
expiations  et  des  mortifications,  il  ajoute  qu'il  n'y  a  pas  long- 
temps qu'à  La  Guardia,  un  enfant  d'environ  huit  ans  a  été  cru- 
cifié par  une  tourbe  d'hérétiques1.  C'est  volontairement  cer- 
tainement qu'il  donne  ici  une  date  fausse,  car  le  procès  relatif  à 
l'enfant  de  La  Guardia  avait  eu  lieu  vers  1490-91,  c'est-à-dire 
depuis  plus  d'un  demi-siècle.  L'archevêque-cardinal  ne  l'ignorait 
certainement  pas,  car  les  pièces  du  procès  devaient  alors  encore 
exister.  Il  avait  donc  l'intention  de  tromper  le  lecteur,  de  lui 
faire  accroire  que  ce  crime  avait  été  commis  tout  récemment  par 
des  néo-chrétiens  et  qu'il  pourrait  se  renouveler  chaque  jour.  Si- 
liceo s'était  servi  de  l'affaire  de  La  Guardia  comme  argument 
contre  des  membres  estimés  du  chapitre  de  Tolède  qui  s'oppo- 
saient à  l'exclusion  des  ecclésiastiques  d'origine  marranite.  La 
polémique  soulevée  sur  Cette  question  ainsi  que  la  lettre  de 
Paul  III,  qui  intervint  dans  cette  affaire,  se  trouvent  dans  un 
ms.  (Fidel  Fita,  ib.).  Or,  celui  qui,  dans  un  but  de  polémique,  n'a 
pas  craint  de  falsifier  un  fait  historique,  peut  parfaitement  avoir 
été  capable,  dans  un  but  analogue,  de  fabriquer  ces  deux  lettres. 
Que  dit  le  prologue?  Que  Siliceo  a  recherché  des  documents  pour 
se  venger  «  des  satrapes  et  des  chanoines  »  de  l'église  qui  étaient 

1  É  de  poco  tiempo  aca...   crucificiaron   â    un  nino.  . .    circa  de   la    villa  de  la 
Guardia. 


BUT  RÉEL  D'UNE  CORRESPONDANCE  DU  XV  SIÈCLE  111 

d'origine  juive,  qui  l'avaient  injurié  et  avaient  composé  des  pas- 
quinades  contre  lui.  Cette  correspondance  était  également  une 
espèce  de  pasquinade  contre  les  faux  chrétiens,  ses  ennemis  : 
œil  pour  œil,  dent  pour  dent. 

La  méchanceté  de  cette  falsification  se  fait  jour  dans  le  choix  du 
nom  de  Chamorro,  dont  la  première  lettre  est  signée.  Ce  n'est  pas 
du  tout  un  nom  de  fantaisie,  c'est  le  nom  d'une  famille  marranite, 
comme  le  prouve  clairement  le  Livre  vert.  La  famille  néo-chré- 
tienne Clémente,  très  estimée  dans  l'Aragon,  avait  pour  aïeul 
Moïse  Chamorro.  Un  des  fils,  Felipe  Clémente,  était  protonotaire 
du  roi  catholique  d'Aragon,  et  il  avait  eu  un  fils,  Miguel  Velasquez 
Clémente,  qui  lui  avait  succédé,  à  la  cour,  dans  sa  dignité.  Felipe 
Clémente  fut  jeté  en  prison  par  l'Inquisition,  qui  l'obligea  à  faire 
pénitence  le  30  juin  1503  l.  Ce  fait  est  rapporté  également  par  le 
cardinal  Mendoza  y  Boabdil,  auteur  du  livre  El  Tizon  de  la 
noUeza  de  Espana.  Dans  cet  ouvrage,  le  cardinal  montre  que 
bien  des  familles  nobles  d'Espagne  sont  d'origine  juive,  et  il  dit  : 
«  A  cette  cour  se  trouvent  des  petits-fils  de  Felipe  Clémente,  qui 
était  un  fils  de  Moïse  Chamorro,  qui  lui-même  était  un  converti.  » 
Ainsi,  des  descendants  de  Chamorro  étaient  encore  au  xvie  siècle 
dignitaires  de  la  cour.  Cette  circonstance  a  dû  engager  le  falsifica- 
teur à  signer  la  première  lettre  du  nom  de  «  Chamorro,  prince 
des  Juifs.  »  Il  voulait  ainsi  prouver  que  même  les  membres  de  la 
famille  Clémente,  qui  étaient  regardés  à  la  cour  comme  des  chré- 
tiens orthodoxes,  étaient  aussi  faux  que  tous  les  autres  néo-chré- 
tiens. D'après  ces  lettres,  en  effet,  leur  aïeul  se  serait  plaint  que  lui 
et  ses  coreligionnaires  eussent  été  contraints  d'accepter  le  chris- 
tianisme, et  il  aurait  reçu  du  représentant  des  Juifs  de  Constanti- 
nople  le  conseil  de  se  convertir  en  apparence  au  christianisme  ou 
plutôt  de  se  faire  chrétiens  dans  le  seul  but  de  profaner  et  de 
ruiner  l'Eglise  et,  en  général,  de  nuire  au  christianisme.  Donc,  si 
Chamorro  a  accepté  le  baptême,  c'est  dans  une  intention  crimi- 
nelle et,  comme  le  prouve  la  lettre  de  Constantinople,  il  a  légué  à 
ses  enfants  l'ordre  de  faire  du  mal  aux  chrétiens  par  toute  sorte 
de  moyens,  comme  médecins,  pharmaciens,  commerçants,  ecclé- 
siastiques et  notaires.  Le  choix  du  nom  de  Chamorro  était  cer- 
tainement un  trait  habile.  La  fin  de  la  réponse  est  également  très 
adroite  :  «  Ne  vous  écartez  pas  des  conseils  que  nous  vous  don- 

1  ~El  Libro  Vcrde,  dans  la  Eevista,  ib.y  p.  256:  Mosseh  Chamorro,  judio  de  Çara- 
goça,  el  y  su  niujer  se  hicieron  Christianos  y  huvieron  un  hijo,  entre  otros,  clamado 
Felipe  Clémente,  el  quefue  Protonotario  del  rey  catholico  el  quai  huvo  un  hijo  olmado 
Miguel  Velasquez  Clémente  que  succedio  en  la  casa  y  en  el  oficio  de  su  padre.  El 
Protonotario  Felipe  Clémente  estuvo  preso  por  la  Inquisicion  y  fue  penitenciado  en 
a  seo  de  Çaragoça  a  30  de  junio  1503. 


112  REVUE  DES  ETUDES  JUIVES 

nons.  Vous  verrez  que  vous  vous  élèverez  ainsi  de  l'abaissement  à 
la  considération  ». 

Il  est  donc  évident  que  ces  lettres  ont  été  fabriquées  en  Es- 
pagne. Tous  les  points  traités  dans  cette  correspondance  ne  s'ap- 
pliquent, en  effet,  qu'à  ce  pays,  où  les  Juifs  avaient  le  choix 
entre  la  conversion  et  l'expulsion, où  ils  sont  parvenus  comme  nou- 
veaux-chrétiens à  amasser  des  richesses,  à  exercer  la  médecine, 
à  devenir  prêtres,  avocats  et  notaires.  L'époque  est  également 
choisie  avec  habileté,  c'est  le  moment  où  Ferdinand  le  Catho- 
lique a  expulsé  (1492)  ou  se  prépare  à  expulser  les  Juifs  et  pense 
ainsi  d'un  côté  à  les  pousser  au  baptême  et,  d'autre  part,  à  s'em- 
parer facilement  de  leurs  richesses.  On  sait,  en  effet,  qu'ils  ne 
purent  emporter  ni  or,  ni  argent. 

Il  est  permis  de  conclure  de  ce  qui  précède  que  les  lettres  pu- 
bliées par  Bouis  et  écrites  dans  l'idiome  d'Arles  ne  sont  conformes 
ni  à  la  vérité  historique  ni  à  la  situation  des  Juifs  de  cette  con- 
trée. Comme  la  réponse  est  la  même  dans  les  deux  textes  et  que 
la  demande  est  identique  dans  bien  des  parties,  un  de  ces  textes 
est  certainement  l'original  et  l'autre  la  copie.  Or  il  me  semble 
hors  de  doute  que  la  version  d'Arles  a  été  faite  d'après  le  texte 
espagnol.  Le  texte  d'Arles  se  trahit  comme  une  simple  copie  par 
l'addition  faite  au  nom  de  Chamorro  des  mots  de  :  RabMn  des 
Iuzions  de  Arler  lou  13  de  Sabbath  1489.  Y  avait-il  donc  égale- 
ment un  Chamorro  à  Arles  ?  Y  était-il  rabbin  ?  Dans  le  texte  es- 
pagnol, ce  Chamorro  n'est  pas  rabbin,  mais  «  principe  »  des  Juifs 
d'Espagne.  Il  semble  donc  évident  que  la  version  d'Arles  a  tout 
simplement  conservé  le  nom  de  l'original  espagnol.  D'ailleurs,  ce 
que  les  lettres  disent  de  la  contrainte  imposée  aux  Juifs  pour  se 
faire  baptiser  et  des  fonctions  élevées,  même  ecclésiastiques, 
dont  les  nouveaux  convertis  étaient  revêtus,  ne  peut  s'appliquer 
ni  à  la  France  ni  à  la  Provence.  Et  quel  est  le  roi  de  France  qui 
aurait  obligé  les  Juifs  d'Arles  à  se  convertir?  Toutes  ces  cir- 
constances prouvent  que  la  version  d'Arles  n'est  qu'une  repro- 
duction provençale  du  texte  espagnol. 

Dans  le  livre  de  Bouis,  cette  correspondance  est  également  pré- 
cédée d'une  préface  qui  en  explique  l'origine  par  un  événement 
historique.  Mais  c'est  un  pur  anachronisme.  La  préface  dit,  en 
effet,  «  que  les  chrétiens  d'Arles,  exaspérés  contre  les  Juifs,  les 
menacèrent  de  les  jeter  dans  le  Rhône.  Pour  gagner  les  bonnes 
grâces  des  habitants  de  cette  ville,  le  roi  Charles  VIII  expulsa 
en  1493  la  race  maudite  du  territoire.  »  Cette  dernière  date  aussi 
est  fausse,  car  les  historiens  de  la  Provence  placent  l'expulsion 
des  Juifs  de  cette  région  en  l'année  1498  (Depping,  Les  Juifs  dans 


BUT  RÉEL  D'UNE  CORRESPONDANCE  DU  XVe  SIÈCLE  113 

le  moyen  âge,  p.  209).  La  préface  ajoute  que  déjà  deux  ans  aupa- 
ravant, et  même  plus  tôt,  sous  le  règne  de  Louis  XI,  qui  les 
chassa  également  de  son  royaume,  avant  qu'il  ne  fût  encore  de- 
venu comte  de  Provence,  les  Juifs,  se  sentant  menacés  d'expulsion, 
avaient  demandé  conseil  à  leurs  coreligionnaires  de  Constanti- 
nople.  Au  point  de  vue  chronologique,  toutes  ces  assertions  sont 
absurdes.  Deux  ans  avant  leur  expulsion  de  la  Provence,  c'est-à- 
dire,  d'après  la  préface,  deux  ans  avant  1493,  on  est  en  1491. 
Mais  alors  comment  auraient-ils  pu  demander  déjà  conseil  en 
1489?  Et  que  vient  faire  ici  Louis  XI?  Ce  roi  ne  vivait  plus  à 
cette  époque  :  il  est  mort  en  1483  et  il  n'avait  eu  la  Provence 
qu'après  la  mort  du  roi  René,  en  1481.  Mais  la  date  indiquée 
dans  la  correspondance  même  est  fausse  également,  car  le  roi 
qui  a  eu  la  Provence  ne  peut  être  que  Louis  XI.  Or,  ce  roi  n'a 
nullement  chassé  les  Juifs  de  la  Provence,  ils  n'ont  été  expulsés 
de  cette  contrée  que  par  son  fils  Charles  VIII,  en  1498.  Mais  alors, 
à  quelle  époque  les  Juifs  d'Arles  ont-ils  été  poussés  par  les  me- 
naces d'une  expulsion  à  s'adresser  aux  Juifs  de  Constantinople  ? 
Le  texte  d'Arles  présente  encore  d'autres  inexactitudes  histo- 
riques. D'abord  il  raconte  que  le  roi  leur  a  donné  le  choix  entre 
la  conversion  et  l'exil,  et  ensuite  il  dit  que  les  chrétiens  d'Arles, 
d'Aix  et  de  Marseille  leur  ont  pris  leurs  biens,  ont  détruit  leurs 
synagogues  et  leur  ont  infligé  toutes  sortes  de  mauvais  traite- 
ments. 

Il  résulte  de  toutes  ces  erreurs  de  faits  et  de  dates  contenues 
dans  la  version  d'Arles  qu'un  Provençal,  ayant  sous  les  yeux  le 
texte  espagnol,  l'a  copié  et  a  placé  per  fas  et  nefas  les  événe- 
ments qu'il  relate  à  Arles  ou  en  Provence.  C'est  ainsi  que  le  roi 
d'Espagne  est  devenu  un  roi  de  France.  Mais  comme  Charles  VIII 
se  montra  assez  indulgent  pour  les  Juifs  lors  de  leur  expulsion 
de  la  Provence  et  que,  par  conséquent,  on  ne  pouvait  pas  lui 
appliquer  le  passage  relatif  au  roi  dans  le  texte  espagnol,  on 
ajouta  dans  la  copie  que  les  habitants  d'Arles,  etc.,  commirent 
des  violences  à  l'égard  des  Juifs. 

Apparemment,  les  deux  textes  ne  contiennent  que  des  pièces 
fabriquées,  mais  tout  indique  que  c'est  la  version  espagnole  qui 
est  l'original.  Les  griefs  énumérés  s'appliquent  parfaitement  au 
roi  d'Espagne,  qui  oblige,  en  effet,  les  Juifs  à  choisir  entre  le 
baptême  et  l'exil,  leur  ravit  leurs  biens,  détruit  leurs  synagogues 
et  leur  fait  endurer  encore  d'autres  souffrances.  Ces  plaintes  ne 
sont  formulées  dans  la  première  lettre  que  pour  permettre  au 
falsificateur  de  mettre  les  conseils  abominables  de  la  réponse  dans 
la  bouche  des  Juifs  baptisés. 

T.  XIX,  N°  37.  8 


114  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

La  version  d'Arles  ne  pouvait  certainement  pas  avoir  la  même 
tendance  que  le  texte  espagnol.  Dans  quel  but  a-t-elle  été  fabri- 
quée ?  pourquoi  diffère-t-elle  en  partie  de  la  version  espagnole. 
Celle-ci,  on  le  sait,  a  été  rédigée  pour  être  remise  au  pape 
Paul  III  et  lui  arracher  des  mesures  d'exception  contre  les  ecclé- 
siastiques d'origine  juive.  Rien  de  pareil  n'a  certes  donné  nais- 
sance à  la  copie  d'Arles.  Il  est  à  remarquer  que  le  livre  de  Bouis, 
où  la  première  des  deux  lettres  est  écrite  en  provençal,  a  été  im- 
primé par  un  ecclésiastique  à  Avignon  en  1641.  Les  variantes 
que  présente  cette  lettre  semblent  avoir  été  inspirées  parla  situation 
particulière  des  Juifs  dans  le  territoire  d'Avignon.  Par  suite  d'une 
inconséquence,  les  papes  toléraient  encore  des  Juifs  à  Avignon 
alors  que  ceux-ci  avaient  déjà  été  chassés  deux  fois  de  la  France 
et,  en  1498,  de  la  Provence.  Cette  tolérance  froissait  certains 
ecclésiastiques,  et  les  plus  fanatiques  d'entre  eux  ont  sans  doute 
pensé  qu'il  était  de  leur  devoir  de  la  faire  cesser.  C'est  pour  cela 
que  la  falsification  espagnole  a  été  falsifiée  à  son  tour  à  Avignon. 
La  correspondance  avait  pour  but  de  montrer  la  méchanceté  des 
Juifs  et  la  haine  dont  ils  étaient  poursuivis  par  les  chrétiens  de 
Provence,  elle  devait  engager  le  pape  à  traiter  les  Juifs  d'Avignon, 
ce  blasphème  vivant  contre  le  christianisme,  comme  ils  avaient 
été  traités  par  le  roi  de  Provence  et  la  population  d'Arles. 

Bouis,  l'éditeur  de  cette  lettre,  paraît  aussi  être  l'auteur  des 
variantes.  Il  n'a  pas  manqué  de  parler,  dans  son  livre,  de  l'expul- 
sion des  Juifs  de  la  France  et  d'une  partie  de  l'Allemagne,  et  de 
rappeler  que  les  Juifs  avaient  crucifié  un  enfant  chrétien  à  Trente 
en  1474  et  un  autre  à  Venise  en  1477  {Revue,  I,  p.  123).  Par 
erreur,  il  donne  le  nom  de  Simon  à  l'enfant  tué  à  Venise,  tandis 
que  ce  nom  appartient  à  l'enfant  assassiné  à  Trente.  Il  écrit  ceci 
à  la  fin  :  «  Et  le  pape  Sixte  IV mit  cet  enfant,  qui  s'appelait  Simon, 
au  nombre  des  saints  martirs.  »  Le  pape  a,  au  contraire,  défendu 
la  canonisation  de  cet  enfant  «  Sixtus  quintus  encyclis  per 
Italiam  datis  vetuit  ne  puer  Simon  pro  sancto  haberetur  et  cole- 
retur  »  (Annales  ecclesiastici,  de  l'année  1475).  Un  menteur  est 
bien  capable  de  falsifier.  Bouis  a  probablement  falsifié  la  première 
lettre  de  la  version  d'Arles  de  même  que  Siliceo  a  fabriqué  toute 
la  correspondance  du  texte  espagnol.  Par  noUle  fratrum.  Ils 
ont  un  autre  trait  de  ressemblance.  L'archevêque  de  Tolède  a 
cité  comme  preuve  de  la  méchanceté  des  Juifs  le  prétendu 
meurtre  de  l'enfant  de  La  Guardia,  et  le  prêtre  d'Avignon  a  rap- 
pelé contre  eux  le  non  moins  prétendu  meurtre  de  l'enfant  Simon 
de  Trente. 

H.  Graetz. 


EXTRAITS 


DE 


L'ANCIEN  LIVRE  DE  LA  COMMUNAUTÉ  DE  METZ 


Le  catalogue  des  manuscrits  de  Carmoly,  2°,  n»  18,  contient  une 
sèche  indication  disant  que  le  Livre  de  la  communauté  israélite 
de  Metz  se  trouvait  dans  la  bibliothèque  qu'il  a  laissée.  Grâce  à 
l'obligeance  du  possesseur  actuel  du  manuscrit,  M.  Salomon 
Schloss,  de  Londres,  j'ai  pu  réaliser  mon  vif  désir  de  voir  ce  mo- 
nument historique.  Il  est  vrai,  ce  que  j'ai  eu  sous  les  yeux  n'est 
qu'un  misérable  fragment  de  ce  qui  a  dû  former  autrefois  le  con- 
tenu de  ce  Livre,  mais  toutefois  ces  débris  contiennent  encore  des 
renseignements  suffisants  pour  augmenter  et  confirmer  les  notices 
que  nous  possédons  sur  plusieurs  points  importants  de  l'histoire 
de  la  communauté  israélite  de  Metz.  De  l'ancien  in-folio,  il  n'est 
parvenu  à  M.  Carmoly  que  treize  feuillets  écrits  souvent  sur  le 
recto  seulement  et  même  quelques-uns  seulement  sur  une  partie 
du  recto.  Des  procès-verbaux  des  élections  il  n'est  resté  qu'un 
feuillet,  dont  le  texte  commence  au  milieu  d'un  procès-verbal. 
Les  feuillets  blancs,  entre  lesquels  M.  Carmoly  a  fait  insérer  les 
pages  du  manuscrit,  ne  sont  là  que  pour  nous  rappeler  la  perte 
irréparable  de  ce  qui  manque. 

Le  temps,  l'affaissement  produit  par  les  persécutions  et  l'igno- 
rance, qui  semblent  avoir  conspiré  contre  les  monuments  de  notre 
histoire,  ont  exercé  surtout  leurs  ravages  contre  les  anciens 
livres  des  communautés.  On  avait  consigné  dans  leurs  pages,  avec 
un  soin  qui  dénote  presque  un  sens  historique  parfaitement  cul- 
tivé, tous  les  incidents  de  la  vie  communale,  tous  les  événements 
historiques,  les  fluctuations  les  plus  légères  comme  les  courants 
les  plus  puissants  de  l'histoire  contemporaine.  Les  Archives  de  la 
communauté  étaient  leur  ictvaÇ   opîs,   le   Livre  par   excellence. 


116  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

Mais  au  lieu  de  conserver  celui-ci  avec  le  même  soin  qu'on  mettait 
à  le  rédiger,  on  le  laissait  tomber  en  ruines,  pourrir  jusqu'à 
destruction  complète,  dès  qu'on  l'avait  remplacé  par  un  nouveau. 
Il  en  fut  de  même  pour  les  MemorUœh.  De  là  vient  qu'un  peuple 
qui  aurait  dû  posséder  plus  que  tout  autre  des  inventaires  spéciaux 
et  des  sources  historiques,  est  devenu  si  pauvre  en  matériaux 
historiques. 


LA   CONSTITUTION   DE   LA  COMMUNAUTÉ   DE  METZ   1699-1702. 


S'il  était  permis  de  reconstituer  l'organisation  de  la  commu- 
nauté de  Metz  d'après  l'unique  page  qui  nous  a  été  conservée  des 
procès-verbaux  électoraux  de  l'ancien  Livre  de  la  communauté, 
voici  à  peu  près  le  tableau  qu'il  faudrait  en  tracer  : 

«  Un  collège  électoral  de  quarante  membres  était  nommé  par  les 
contribuables  de  la  communauté.  Ceux-ci  choisissaient  dans  leur 
sein  un  corps  électoral  de  onze  membres  qui  nommaient,  ordi- 
nairement à  la  fin  du  mois  d'Ab,  pour  une  durée  de  trois  ans, 
l'Administration  delà  communauté.  Celle-ci  se  composait  de  douze 
membres,  cinq  administrateurs  et  sept  assesseurs.  A  partir  de 
l'an  1702,  ce  nombre  paraît  avoir  été  réduit  à  neuf;  dès  lors  on 
ne  nomma  plus  que  quatre  administrateurs  et  cinq  assesseurs.  En 
cas  de  décès  dans  le  cours  d'un  exercice,  les  onze  électeurs  se 
réunissaient  trente  jours  après  la  mort  pour  élire  un  remplaçant. 
Le  serment  que  prêtaient  les  élus  lors  de  l'entrée  en  fonction 
portait  aussi  sur  les  statuts  de  la  communauté  auxquels  il  leur 
était  défendu  de  toucher.  Seul  le  collège  des  quarante  pouvait 
établir  de  nouveaux  statuts.  Une  commission  spéciale  de  neuf 
membres  était  chargée  d'y  veiller.  L'exécution  des  statuts  était 
confiée  à  un  comité  de  cinq  personnes,  qui  semblent  avoir  été 
chargées  en  même  temps  du  contrôle  des  comptes  de  la  commu- 
nauté i. 

Les  deux  collèges  avaient  pleins  pouvoirs  pour  l'exécution  de 
leurs  décisions  et  l'Administration  était  obligée  de  les  seconder  à 
cet  égard,  sans  restriction. 

1  Primitivement  il  y  avait  aussi  un  comité  de  rédaction  des  statuts,  composé  de 
douze  personnes  et  un  comité  exécutif  de  neuf  membres.  Ab.  Cahen,  Annuaire  de  la 
Soc.  des  É.  J„  I,  97,  note  2  ;  Revue,  VIII,  257  et  258,  note  1. 


EXTRAITS  DE  L'ANCIEN  LIVRE  DE  LA  COMMUNAUTÉ  DE  METZ       117 

ïl  y  avait  aussi  une  commission  spécialement  instituée  pour  la 
protection  de  ceux  des  membres  de  la  communauté  qui  n'avaient 
pas  encore  acquis  le  droit  de  séjour  ;  cette  commission  comptait 
sept  membres. 

Quand  des  nominations  extraordinaires  étaient  nécessaires, 
par  exemple  quand  il  s'agissait  de  désigner  quelque  personnalité 
influente  ou  une  députation  devant  intervenir  auprès  des  auto- 
rités ou  à  la  Cour  royale  de  Paris,  les  membres  de  l'Administra- 
tion étaient  tenus  de  s'adjoindre,  lors  des  séances  qui  avaient  lieu 
en  vue  de  ces  nominations,  quelques  membres  pris  dans  le  sein  de 
la  communauté.  Celui  qui  était  désigné  par  l'élection  était  obligé 
d'accepter  le  mandat  ;  on  n'accueillait  jamais  de  refus  en  pareil 
cas.  Aucune  indemnité  ne  pouvait  être  réclamée  pour  la  perte 
de  temps  et  les  efforts  déployés. 

Quoique  la  période  que  ces  procès-verbaux  électoraux  nous 
permettent  d'étudier  soit  fort  courte,  il  nous  est  cependant  pos- 
sible de  reconnaître  une  certaine  fixité  dans  les  élections.  Isak 
Ahron,  que  nous  trouvons  en  tête  des  élus,  est  Aron  Worms,  le 
rabbin  de  Neuf-Brisach  et  de  Mannheim  qui  plus  tard  s'était  fixé 
à  Metz,  où  il  acquit  une  position  très  influente  dans  la  commu- 
nauté, dont  il  devint  l'administrateur.  Son  érudition  lui  valut 
plusieurs  fois  l'honneur  de  devenir  le  suppléant  du  rabbin1. 

Abraham  b.  Meïr  Schwab  ou  Schwob,  appelé  aussi  Grumbach, 
était  sans  doute  le  plus  riche  et  le  plus  influent  parmi  les  Juifs  de 
Metz.  Il  était  le  gendre  d'Élia  Gomperz  d'Emmerich,  le  fondateur 
de  l'école  talmudique  de  Metz.  —  Jacob  b.  Mardochée  Israël  est  le 
fils  de  ce  Mordechaï  qui  se  distinguait  à  la  fois  par  son  érudition 
et  sa  grande  fortune  et  dont  le  vrai  nom  était  Sùsskind  Israël, 
mort  au  commencement  de  l'année  1640  2. 

L'administrateur  Abraham  Speier  est  aussi  mentionné  dans  les 
mémoires  de  Glùckel  Hameln  3.  Quand  elle  se  rendit  de  Francfort 
à  Metz,  en  l'an  1700,  pour  y  épouser  en  secondes  noces  Hirtz 
Lévy,  Liebermann  Halberstadt  était  un  de  ses  compagnons  de 
voyage  ;  ce  dernier  allait  rendre  visite  à  son  vieux  père  Abraham 
Speier,  administrateur  de  la  communauté. 

mb^nran  rsra  inabï-n  toTi-fà  wn  wvd  uns   fcjpDirt  nwr  û5 
iravïN  nstrrm  'idn  '"nna  hiaipaa  in  î-id  yn  nainbfipa   s-mab 
irnbnpT    s"n    BjTVxm    'w    bnpn    rpo^n    Yvwn    !"i""P    ^b^n 

1  Kaufmann,  Samson  Werthcimer,  90,  note   1,  et  Die  letzte   Vertreibung  dcr  Judeii 
ans  Wien,  p.  225,  note  1. 
*  Revue,  VII,  217. 
3  Cod.  Merzbacher,  91,  164  b. 


118  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

Birth   nwnrcîi  ma^ODb  a^aian  avaria  ftr»«  aiirria  î-mn  *îwqp 

fczniaa  in  s-nb^nn  taitfîa  ibttînm  bab  itûviû  irna  b3?  baitt 
t]M  tanrna  *na*  nm  t-iûvio  '^a»  ïws  ^ba  tannai  n"n  awo 
ù"sri   biba   i-i"-«"j   'n  tzm    taaoïri  ai.  *j53T  imab   y*in   'Wtt    taa 

.b"Dïi  p"ab 

a'nittN  «"•«ïi  MWia  nanij  p"ab  ûwan  bnba  a"">  'n  ar>  d"pna  pa 
aTa  mbssn  issm  'n  n^3>  nsm  m^i^a-i  wia  ïiiattb  a-nattii 
broa  nhu^p  hiw  ^tw  *itt)3>  a*w  aïrb*  ttrap'w  ta^isn  V: 
n^STO  bvwtt  a-iii  ij^îti  trôna  twan  J-na^n  antt  ïsï-m  aro 
■Y'ntta  «yOTn  y""1  na^au;  tai-na**  Ynrtà  tt^fli  Via  ■pïia 
n"-iïia  y^pm  b"sa  y-nn  *bnto  Tnna  tokti  *"©  y^ft  -is©^ 
Yhïta  tpbNn  imbtip  ^aiu  *towa  TOaiai  ^"të  'pEï-u  tamaa 
patpïn  *nb  ap3>^  Ynîra  rpbNi-n  n^tio  ban^  "Witt  i"nïn!Qa  apjn 
p^brau**  "ï'nïia  rpbNî-n  y"->  ■jna  ^a^n  t'-iïts  Epbam  -nb  btv  ies 
uauînabîi  apt»  n"irta  tpb«n  *"©  *\^ny  apjn  i"nna  tpbaïii  b";o 
lynbiTp  ^aia  win  ^att  hwapiri  b"5M  ta^a:nan  msiafi  iba  ■»"© 
WW  w  Mr»m  l»t  'pu»  b?  ^nDTTp  tabla  irrott  ^ma  T-nani 
'rt  yanm  biiaafc  baïï  n*\ï2W  dion  b"3>an  a"on  nan  rï'n  ns^i 
i*">  ï-wmph  bïipn  spwib  arriî  y^an  caaab  piwm  rréMœ  a^a 
ï-r-iï-î^a  bfiniai  wa  yaip^a  ^  ûïts  n«  yw  Nbn  v»«*  tarrba 
ta-na^  s-win'  ï-irasab  ta^innii  w  'wbïti  '**05na!n  pK  ir^a 
n^aa  w^tt  pi&a  njaiaan  b"3r:  rvfittrwi  ûîT»b3>  ibapi  w*pi  dren 
'*  tzn-»  n^3>5  b-«3?b  nanwa  m^aarirn  d^ipTin  ba    n^  r-isi^Nai 

,p"ab  -j"3n  bib«  a"-> 

j<  i   ^finbôCT   i^3>id   nna^na   p"ab  a"on  t=n3?a   Y'^  'a  7t»  'i^5 

bt^a  î^uj^p  ï-n3>M  ^^U55  nywnn  tar;">b^  •frrwp'w  fcpttœn  p 
n'^in^  bm^irt  a-iM  îï^m  'iomb  '"«©ïn  ran^  tz:^^  î^!-m  ^ia 
aiiiaN  *i"*#b  yinpm  y"^  in^du:  anna^  n^-ina  »«»id,<ti  ma  in!i« 
■^arj  '^3^03  ï-itï^m  y^  "jïia  uja^n  n7/nna  ^ib^m  ■»"«  -jNaaiia 
C|ib«m  >*«ttt  b^-iu:^  ^n»  n^nirr^a  ap^^  n"nïtt  r^nb^rr  i^nbnp 
n"ina  tjibHni  v*»  ^^^r  ap^  n"nna  rjnbNï-r  b"5o  p^bpta^a  "V-ina 
"iDiia  ^a-i^n  ib«  ^'-îû  '^ïtssm  y^~  n"»s  Bpbwn  LûLD^-iabn  apr 
Jrm^n  ^nna  mani  i^nbnp  ">aita  "t3>ti—  lait:^  ntonMi  b"aîi 
b'^arr  rt"on  T^n  n"-i  t^a^n  anjnœ  ^  pî  ^uj^d  br  ta^i^p  abia 
V72^n  aaab  pnn^i  n^b^û  a^^a  'n  yanrn  bnuja^  ba?j  uikw  tau:n 
n?<  ttîqi  e^bi  i^^duj^  tsïr^bN  i"**'  i-i©T7prt  bïipn  a^ïisinb  ta^iiV 
.  173ô<  iawa  innn^a  bisn^-«  ini3  yanp^tu  *iy  an^a 


1  =  ïl^^ïl  "W^p,  d'après  Nombr.,  i,  16  ;  dans  les  écrits  du  xvii6  siècle  et  plus 
lard,  le  yod,  à  la  fin  des  mots,  est  très  souvent  remplacé  par  un  h€. 


EXTRAITS  DE  L'ANCIEN  LIVRE  DE  LA  COMMUNAUTÉ  DE  METZ       119 

imaw)  irafc  '^inn  '"ninafcîn  nar  '"nûà*  n""1  '^baii  ^sto  dddin 
bdtt  innn    ta'nna  iManai    tzanar^a    lasamaiû  Va*"1    Nattai   '^da^s 
n"oii  mwripa   P  twnpatt   nan  baa  nwi*  dïïiptta  ùmaa  aip^a 
TNttd  i-n^pi-ï   inb   'w  ï— tuDnnpî-ï    ^Nffia    in    a-nna  mmpba   in 

.  tnptti 

taa^pb  fcananata  fin  bibab  V'sri  lû"ia  "ifiibafi  fca^iniï  aa 
fca-nttd  ta-^aa  s-ianttn  B"a*  lapine  trsipnït  ba  ptnbi  nuîNbi 
in  tanaa  na*!  av^a  taïTS  inns-»  a*bn  Y'sr  twipn  ^ba>a  a^iato 
^dibwxn  wia  -oa  ittï^S'û  d^anpnïi  ^3  na*  ntû^ra  dnbid  d^anpn  1:0 
iniN  ba>  rwœi-jb  tsntïd  d'naaa*  ï-73>aia  larron  Y'ar  ûtos»  d^ana 
■wn  taan^a  J-nu^n  "isanh  wi  ia*a  Fï^wa»  rnptn  fca^b  ■pwa 
™ttnrr  in  w»»  d^aipn  ^bj>a  yn  fcaîrd  na*  Frnsa'nD  ■*»«  ma^awi 
bp?a  taîib  'TH  tMipnïi  bd  ba>  maras-ib  î-raitab  lattmra  tar^aa 
iza,o,nn»  m-na  £|nd  \rrm  ^  bdb  fc-ntûwi  nrsaa  rpab  S-wism 
iba?a  d"a»  dot  nu:a*  d^aian  t-iTsairs  bd  y-w^b-i  prnb  fao  ta"ia!-r 
■ppTi  toiw  ad^b   na^i  taïus  -na^r  j^bi  b"aa  taa^îrpaîUfc  in  ta^anpn 

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an^atpïri  ^enb^ln  itfa  'ba"dn  dria^a  Va  •ji'ûîN'nïn  d"p  ïitïi  di^di 
toïrba»  ibapT  i?a^p"i  dnan   ù^i^i  t-iiain    ï— rcatt    d^mn  n"a^  û"ib 
b"ai-:  bd  na  ■nuJNbr  d^pb   i-ran?aNai  pniia  ia>au5ai   b"aii  s-nsttnnn 
.  1»n  mE  b^î^^ab  iab  '^n^  d^ït  ti^n   t]pm  bda 
,  b"T  banu^  qav  i"mïi»3  n^driïi  a^n  N"aba  i^^n  pn^  d^a 
nN^au)  b7,24t  ntiît1  praf  ^"nîinîa  "ja   d!-naa  rpM 
aNnia  b"t  n^N)a  n"n  |a  dïrnaN  d^a 
y^a)a  y7,a  «a^i  ^in  ppîi  d^a 
fcnttt  ^"n  b"T  bNTia^  ^di^^a  n',fcîïntt  "jin^^î  i7aN"Nb  p   api>-> 

3  a7/dn 
V'TlV^p  tjor  'n^bN  ^"nii  «"«a  dip^b^ 

1  d^anm  d'Wns. 

8  La  forme  imta  =  'b^Ip!^  "'aiU  et,  ainsi  la  lecture  bîlpÏT  ^lÛNI  au  lieu  du 
bilpîn  IdN1!  est  parfaitement  juste  et  prouvée  par  la  prononciation.  Chaque  individu 
était  désigné  par  le  nom  de  sa  classe  ou  de  sa  catégorie.  C'est  pour  cela  que  chaque 
membre  d'une  communauté  exilée  signait  :  itfJTiaiQ  ou  ^ttTna/Qft,  ^blA  ou  iblSE- 

3  C'est  une  coutume  assez  répandue  d'ajouter  l'année  de  la  signature  au  nom  du 
signataire. 


120  REVUE  DES  ETUDES  JUIVES 

b"ï   ^pifc*  )W^  Y'nï-î  N"Nbn  ypy* 


II 

R.    ABRAHAM    BRODA,    RABBIN    DE   METZ. 


Je  savais  déjà  (v.  Samson  Wertheimer,  p.  89,  note  2)  que 
R.  Abraham  Broda  était  encore  rabbin  à  Prague  en  1*709  '  et  qu'il 
n'occupa  son  nouveau  poste  de  rabbin  de  Metz  que  vers  le  milieu 
de  cette  année.  La  certitude  absolue  sur  ce  point  nous  est  fournie, 
d'une  manière  aussi  décisive  qu'inattendue,  par  le  contrat  ou 
décret  conférant  cet  emploi,  document  qu'un  heureux  hasard  a 
conservé  dans  le  fragment  de  l'ancien  livre  de  la  communauté  de 
Metz.  Nous  y  voyons  d'abord  que  le  contrat  entre  la  communauté 
de  Metz  et  son  rabbin  R.  Abraham  Broda  n'a  été  conclu  que  le 
17  Hesvan  1708.  Par  l'énumération  des  conditions  du  contrat,  ce 
document  nous  donne  de  la  mission,  de  la  sphère  d'action  et  de  la 
position  du  rabbin  de  Metz  un  tableau  si  précis  qu'il  en  acquiert 
une  valeur  historique  très  grande,  non  seulement  au  point  de  vue 
de  l'histoire  de  la  communauté,  mais  de  l'époque  elle-même.    . 

En  effet,  la  communauté  accorde  tout  d'abord  au  rabbin 
R.  Abraham  Broda,  nommé  par  le  libre  choix  des  80  membres  de 
la  communauté  ayant  voix  élective,  la  pleine  juridiction  rabbi- 
nique.  Il  avait  le  droit  de  faire  admonester  publiquement  à  la  syna- 
gogue ceux  qui  étaient  rebelles  à  ses  ordres.  Toutefois  il  ne 
pouvait  user  des  moyens  coercitifs  de  l'interdit  qu'après  entente 
avec  l'administration,  qui  s'engageait  à  donner  force  légale  à  ses 
ordres  et  à  ses  décisions. 

Le  traitement  annuel  du  rabbin  s'élevait  à  750  livres  ou  250 
thalers. 

Pour  chaque  contrat  de  mariage  il  était  dû  au  rabbin,  tant  par 
le  fiancé  que  par  la  fiancée,  1  thaler,  n'importe  l'endroit  où  le 
contrat  avait  été  rédigé,  et  quel  que  fût  le  rédacteur. 

Pour  tout  mariage  de  gens  appartenant  à  la  communauté  de 
Metz,  sur  une  dot  s'élevant  jusqu'à  400  thalers,  il  recevait  2  tha- 


1  Lel6Iyar  1709,  il  donnait  encore  à  Prague  son  approbation  aux  tp"p  ttîN"!  n'YtÛi 
Francf.  s.  O.,  1709. 


EXTRAITS  DE  L'ANCIEN  LIVRE  DE  LA  COMMUNAUTÉ  DE  METZ       121 

lers  ;  sur  une  dot  de  400  thalers  et  au-dessus,  il  recevait  4  thalers. 

Pour  la  remise  de  leur  douaire  aux  veuves,  le  rabbin  recevait, 
pour  le  serment  préalable,  sur  une  somme  de  1,000  thalers, 
3  thalers  ;  sur  une  somme  de  1,000  à  2,000,  6  thalers,  et  sur  des 
sommes  plus  fortes  encore,  8  thalers. 

Pour  les  divorces  et  les  renonciations  au  lévirat,  outre  la  taxe 
précitée  fixée  pour  la  prestation  du  serment,  il  y  avait  encore  à 
payer  au  rabbin  10  thalers. 

Pour  l'audition  des  témoins  dans  les  procès  civils,  chacune  des 
deux  parties  avait  à  verser  3/4  de  thaler. 

Pour  la  collation  de  la  dignité  de  Haber,  qui  ne  pouvait  avoir 
lieu  qu'avec  l'accord  préalable  de  l'administration  de  la  commu- 
nauté, il  fallait  lui  payer  6  thalers.  Cependant  dans  certains  cas  la 
communauté  pouvait  réduire  cette  taxe. 

Cette  dignité  ne  pouvait  être  conférée  à  personne  que  deux  ans 
après  son  mariage,  afin  d'assurer  ainsi  la  continuité  du  zèle  dans 
les  études.  Même  ceux  qui  avaient  déjà  reçu  ce  titre  de  rabbins 
allemands  ou  polonais  ne  pouvaient  en  obtenir  la  reconnaissance 
officielle  avant  ce  délai  et  devaient  payer  la  même  taxe  au  rabbin. 

La  communauté  fournissait  au  rabbin  et  à  sa  famille  un  loge- 
ment convenable,  digne  de  ses  fonctions,  et  l'exemptait  de  toutes 
contributions  et  de  tous  impôts  à  payer,  soit  à  l'État  soit  à  la  com- 
munauté. 

La  communauté  s'engageait  aussi  éventuellement  à  laisser  le 
logement,  en  cas  de  décès,  à  sa  veuve  et  à  sa  famille,  qui  jouis- 
saient aussi  du  bénéfice  de  l'exemption  d'impôts.  En  même  temps, 
la  communauté  s'engageait  à  garantir  solidairement  le  rabbin 
contre  tous  attaques  et  risques'pouvant  le  menacer  par  le  fait  de 
son  entrée  en  fonctions.  Sans  son  consentement,  la  communauté  ne 
pouvait  permettre  ni  à  un  étranger  ni  à  un  indigène  de  prêcher, 
de  même  il  ne  pouvait  donner  lui-même  cette  autorisation  sans 
l'assentiment  de  l'administration. 

Dans  les  procès  civils  et  les  procès  pour  injures,  le  plaignant  et 
l'accusé  ont  le  droit  de  récuser  le  rabbin  comme  président  du  tri- 
bunal, même  quand  il  s'agit  d'orphelins  et  de  veuves.  En  ce  cas 
le  plaignant  n'a  pas  besoin  de  s'adresser  au  rabbin,  il  demande  à 
l'administrateur  de  service  du  mois  ou  aux  autres  administrateurs 
de  faire  comparaître  son  adversaire. 

Cependant  il  peut  demander  au  rabbin  de  faire  citer  son  adver- 
saire par  le  bedeau  de  la  communauté,  devant  un  autre  tribunal, 
et  le  rabbin  est  forcé  d'y  prêter  la  main.  Si  l'accusé  ne  veut  pas 
que  le  procès  soit  plaidé  devant  lé  rabbin,  il  faut  qu'il  le  déclare 
de  suite  au  bedeau  qui  le  cite  à  comparaître.  Une  fois  que  le  rab- 


122  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

bin  a  été  accepté,  il  ne  peut  plus  être  récusé.  De  même  le  rabbin 
ne  peut  plus  être  récusé  quand  on  lui  a  demandé  de  faire  compa- 
raître la  partie  adverse,  sans  mentionner  que  le  procès  doit  avoir 
lieu  devant  un  autre  tribunal. 

Les  contrats  s'élevant  j  usqu'à  25  thalers  sont  j  ugés  par  le  rabbin 
seul,  sans  qu'aucune  des  parties  puisse  lui  adjoindre  un  assesseur. 
De  même,  les  parties  ne  peuvent  le  récuser,  à  moins  que  le  rabbin 
ne  soit  leur  ennemi  déclaré  au  su  de  tout  le  monde.  Les  frais  du 
jugement  ne  sont  payés  par  les  parties  qu'après  l'expédition  du 
jugement. 

Lors  de  l'établissement  de  nouvelles  institutions  qu'il  faut  pu- 
blier en  édictant  la  peine  de  l'interdit  contre  les  transgresseurs,  il 
faut  que  le  rabbin  ait  pour  cela  l'assentiment  préalable  de  l'admi- 
nistration. 

Lors  des  jugements  prononcés  avec  l'assistance  de  deux  asses- 
seurs, les  frais  du  jugement  qui  n'étaient  payables  qu'après  la  ré- 
daction du  jugement  sont  partagés  en  trois  parties  égales. 

Pour  les  transferts  de  maison  et  pour  les  significations  d'actes 
on  paie  3  livres  ;  pour  des  places  au  temple,  un  demi-thaler.  Les 
transferts  sont  faits  par  le  rabbin  et  deux  administrateurs.  Cepen- 
dant il  n'est  pas  délivré  d'actes  à  ce  sujet,  on  se  borne  à  faire 
apporter  par  le  bedeau  de  la  communauté  le  livre  foncier  où  les 
droits  des  intéressés  sont  déclarés  abolis,  en  vertu  de  leur  signa- 
ture, ou  par  le  tribunal l. 

Le  rabbin  doit  être  le  père  des  orphelins  et  des  veuves  jusqu'au 
moment  où,  après  entente  avec  l'administration,  un  tuteur  aura 
été  institué,  ce  qui  doit  avoir  lieu  dans  le  délai  strict  de  trois  mois. 
Lorsqu'il  était  stipulé  expressément  dans  un  testament  que  le  rab- 
bin et  l'administration  ne  devaient  pas  s'ingérer  dans  les  affaires 
des  veuves  et  des  orphelins,  le  testament  était  exécuté  sans  que 
l'administration  pût  y  rien  changer. 

Contre  ceux  qui  sont  rebelles  à  ses  ordres  ou  qui  agissent  contre 
sa  volonté  au  sujet  des  décisions  prises  par  lui,  ou  par  son  tribu- 
nal ou  tout  autre  tribunal,  le  rabbin  a  le  pouvoir  exécutif  et 
fait  proclamer  publiquement  les  arrêts  à  la  synagogue.  Cepen- 
dant il' ne  peut  recourir  à  l'excommunication  qu'après  entente 
avec  l'administration. 

Le  rabbin  est  tenu  de  faire  ses  conférences  d'école  aussitôt  après 

1  Dans  les  grandes  communautés,  il  existait  autrefois  de  ces  livres  fonciers  synago- 
gaux  dans  lesquels  les  possesseurs  des  places  du  temple  étaient  indiqués.  Un  frag- 
ment.d'un  de  ces  livres,  se  trouvant  en  possession  de  la  coinmuaauté  de  Prossnitz, 
en  Moravie,  date  du  milieu  du  xviie  siècle.  Voir  Kaufmann,  p.  186,  n.  4. 


EXTRAITS  DE  L'ANCIEN  LIVRE  DE  LA  COMMUNAUTÉ  DE  METZ      123 

les  offices  du  temple,  pour  permettre  aux  membres  de  la  commu- 
nauté d'y  assister. 

Pour  faciliter  l'étude  des  Saintes-Ecritures,  la  communauté  en- 
tretient un  certain  nombre  d'étudiants  talmudistes  dont  le  nombre 
est  fixé  chaque  année  par  l'administration. 

Le  rabbin  est  également  tenu  de  réciter  tous  les  jours  de  se- 
maine, après  l'office  du  soir  et  le  samedi  après  l'office  de  Mous- 
saph,  un  chapitre  de  la  Mischna. 

Le  rabbin  a  pour  mission  de  veiller  avec  soin  à  toutes  les  ques- 
tions religieuses  et  rituelles  intéressant  la  communauté,  de  guider 
et  de  maintenir  la  communauté  dans  le  vrai  chemin  de  la  loi 
mosaïque.  Chaque  semaine  il  doit  examiner  les  enfants  de  l'école, 
inspecter  les  maîtres;  tous  les  deux  mois,  le  sabbat  où  on  pro- 
clame la  néoménie,  il  doit  prononcer  un  sermon,  outre  les  ser- 
mons des  fêtes  et  les  discours  de  circonstances.  Enfin  il  doit  faire 
avec  assiduité  les  conférences  journalières. 

Les  honoraires  du  rabbin,  son  traitement  annuel  ainsi  que  ses 
autres  recettes  ne  peuvent  être  augmentés  ni  par  l'administration 
ni  par  le  Comité  électoral,  sous  peine  d'une  amende  de  200  louis 
d'or  et  de  l'excommunication  majeure.  La  même  peine  est  encou- 
rue par  toute  administration  ou  tout  comité  qui  proposerait  seule- 
ment cette  augmentation. 

Quant  à  une  nomination  pour  une  durée  de  trois  ans  seulement, 
nomination  renouvelable,  par  conséquent,  après  cette  période,  le 
contrat  n'en  dit  pas  un  mot  (V.  Catien,  Revue,  VIII,  261). 

Comme  nous  le  rapporte  Glùckel  de  Hameln,  dans  le  VII0  livre 
de  ses  Mémoires,  R.  Abraham  Broda  n'exerça  ses  fonctions  à  Metz 
que  peu  de  temps,  mais  d'une  façon  très  brillante.  Son  activité  ne 
démentit  pas  la  renommée  qui  l'avait  précédé.  Même  ses  adver- 
saires, qui  tenaient  pour  R.  Gabriel  Eschkeles,'passèrent  avec  en- 
thousiasme de  son  côté.  On  lui  avait  fait  une  réception  si  extraor- 
dinaire que  Glùckel  Hameln  en  parle  comme  d'un  événement 
notoire.  Pour  le  loger  convenablement  lui  et  les  siens,  on  lui  fit 
bâtir  une  maison  neuve,  dans  iaquelle  il  faisait  aussi  ses  confé- 
rences talmudiques.  Glùckel  n'a  pas  cru  devoir  en  dire  davantage 
de  sa  personnalité,  de  son  érudition  et  de  ses  bonnes  œuvres, 
parce  que  tout  le  monde  les  connaissait  suffisamment.  Il  imprima 
à  l'étude  du  Talmud  dans  la  communauté  de  Metz  une  impulsion 
toute  nouvelle  et  fit  de  la  diffusion  de  la  science  juive  sa  tâche 
la  plus  chère,  même  sa  tâche  exclusive.  Il  prit  sous  sa  surveil- 
lance les  enfants  qui  n'avaient  rien  appris  et  les  instruisit  d'une 
manière  vraiment  remarquable.  En  voyant  cette  entente  parfaite 
existant  entre  le  rabbin  et  la  communauté,  résultat   des  services 


124  REVUE  DES  ETUDES  JUIVES 

rendus  et  des  témoignages  d'égards  mutuels,  nous  ne  pourrions 
guère  nous  expliquer  la  résolution  subite  prise  par  R.  Abraham, 
après  une  période  si  courte,  si  le  fragment  de  l'ancien  livre  de  la 
communauté  de  Metz  ne  nous  apprenait  que  ce  tableau  plein  de 
lumière  et  d'éclat  avait  aussi  ses  ombres.  La  décision  de  la  com- 
munauté du  1er  Adar  I  de  Tan  1712  contre  le  misérable  insulteur 
du  rabbin  honoré  de  tous,  Meïr  b.  Juda  Loeb  Bonn,  montre  que 
les  avanies  ne  manquèrent  pas  à  R.  Abraham  Broda  de  la  part 
de  ses  adversaires.  Cette  agression  contre  le  rabbin  fut  res- 
sentie comme  un  crime  pesant  sur  la  communauté  entière. 
L'administration,  composée  de  neuf  des  principaux  membres  de 
la  communauté,  se  réunit  en  conseil  avec  dix  des  plus  érudits 
talmudistes  pour  décider  de  quelle  manière  cette  faute  devait 
être  réparée  par  le  délinquant.  Meïr  Bonn  était  confus  et  repen- 
tant; néanmoins  il  fut  condamné  à  la  privation  de  toute  fonction 
pendant  dix  ans  ;  il  lui  fut  défendu  d'exercer  pendant  trois  ans  la 
juridiction  rabbinique  et  il  dut  pendant  un  an  occuper  une  place 
au  temple  au-dessous  de  l'Almemor.  Au  lieu  de  la  condamnation 
méritée  à  trente-neuf  coups  de  fouets,  il  fut  condamné,  en  outre, 
à  payer  39  thalers.  Ce  qui  fut  le  plus  pénible,  ce  fut  l'insertion 
de  cette  décision  dans  le  livre  de  la  communauté,  où  elle  s'est 
conservée  avec  les  dix-neuf  signatures  des  juges.  C'est  cet  évé- 
nement qui  a  dû  provoquer  chez  R.  Abraham  Broda  la  réso- 
lution d'accepter  les  fonctions  qui  lui  étaient  offertes  par  une 
autre  communauté.  Dès  l'année  suivante,  il  se  trouvait  à  Franc- 
for  t-sur-Mein  *. 


A. 


a"a  ta^OT  tampr?  'isiafcp  rpT^a  l:"is  n'"n  im  ■mbanîia 
nmnbnp1-!  ETipïi  û?  nnpa  ^npD  by  tm&vïi  y*n  p"?  n'ar  imb^pi 
\vstxn  "pa  am  pfc  an  Var  bnpn  ba  nttaotta  why  -Dbap  Y'ati 
sa&n  T&na  tzimaa  -i"-nrr:  pnanftïi  ann  fcMnttïi  ."Htti  t^ba^r; 
cnbsn  babi  y"]>  "wnbi  ijb  rnrnb  y"sh  sans  ^"pi  na-rai 
tnvïibi  )^  ipT  ïrrm  ïttp  y"Ebi  f<na\-itt  taanbi  Y'a&ô  i^b 
i*nn*  ta?  abn?  ^vzv  TWîib  ^pbN  i-reafci  ma  tarbraitt  aau: 
saiarab  ùw  fc-mnb  ttbttttfcïn  n*îi  nb  i-jwi  a^aaMn  'np*in  i-mn 
naa  -ib^aanb  -lansn  r-iN  ia^!-ib  î-ia  iab">  a^p^ar  ^p*1  nmttbi 
iB^n  îtyib  unia  nns  'w  ibi    î-flonptt  nsvmn  ni  i&a  *nbb?:o 

1  Horovitz,  Frankfurter  Rabbinen,  II,  79  et  s. 


EXTRAITS  DE  L'ANCIEN  LIVRE  DE  LA  COMMUNAUTÉ  DE  METZ       125 

bapb  ïNE-n  wn  va  nx  m^-n  rm»  bnpb  3>a^  ab  iibn  naa>bn 
ifta-n»  "no  Tbabi  p*wn  bwoïti  "pnrt  a"3>  vba»  riunïi  niBN  man 
r|-i=)b  iTa  fwam  bp7û  -ib  'w  nb  yna  ■*»  naba  aiianb  lawri 
r*<b  ta^arj  ^112  Y5n  l3^  1N  ^"^  irnarj  laai^a  nm«  îanaabn 
^aab  wai  bvrafi  nann  nan  far  ;a"ia  irnaDOiia  K"a  bba  fca-nm 
a^inai  ûïtto  man  ^aa  iaDiaz»  pi  nb  TO3H  &Î71  Y'afci  S-mantt 
ta^ana^b  iï3i^3bi.  spab  ^obi  wb  ib  r-ivnb  Y'^  wzî^p  îmanrj 
taaabai  ûirsa  i"n  nnmo  Sjna  wn  -mai  ba  anaia  vibab  vwa 
banic  bai  numpn  wrrvin  ma  3*aiatt  amba»  win  tjîn  baa  mia^b 

.ma»  ï*rpp  Nbi  larm  ^»w» 

•paan  ï-iaiiab  la^ba»  iabap  nu:^  mayiïi  bia  moaaïiii  p    "îbao 
ahmnb  b"DD  nnwsorfti  a  a»  b"Dn  an*na  arma  i"mns  a»*™?!  bnaïi 
î-refrwp  t^in  mû"i  ba    î-iiattb   maantt   fc-ioaana  "pnftrt   a"n  bâta 

nsnat  'nt^b 
î-iatta  Ï-T3U)  "h^d  aiatp  naia    piib"  &a*nrw  Y'afci    bnpn  rï»»8n 

nsnix  "wnb   a^mam  mkm   n^atj  naia  bab 
t^ir;   amaia  p  Tbarcai-n  ina  te  baa  fcraan  na^na  naia 
nb^DN  'wuj    "«a    '"«ir    inbnî  "  "îanaaia  is    fcr&tanfl   maaai  ï»:ifca*a 
p"p  na  r-na-ra»  taattb  «i  ait™  p  nnat  taip^a  a^ann  nanaa  un 

ab  in  'pn 
ta"n  s-nsa  a»ans  ^aiian  caa  "pa  P"P  ^D  'WE  ■paroan   baa 
mû"-\    ms»    a»an«    "jai  a"n  "aia    ïmb   aa^a-nna    bbaa    mm    "ri 
aaipaa  in  pa  na  ttnnnrt   'Wia  p  ta"n  ranj*  aabij>  ^3>  nb^^bi 

na  mavrtf  antîib  'w  un  nn« 
bbaa  t]b«i  ia"n  t]b^    13»    Snannars    '^ît^  taa«  îna"sna  m^a^r: 
^i  tî"n  nu5TZ3  bbaa  ^^i   a"n  a^ab»   'a  ^^    qb»  i^"1  ia"n  ïitDba 
ï-r^'iaorr  p  nnaaa  mihxnv  C]nt   u"-i  ï-raaia  r-ib^i   sas^abwN  'a 
tab^b  na^in?û  i^aa  nw*  nptn  Mb  uj*1  a  a  'wo  •jdin  MT^a 

b"aa 
bia  yaibusnîi  nab^    n^bL]^a^-i   î-inïîa'   s-iaf»bn    in   1^^   nau: 

b"aa  mina  nwïttiïi 

■ji-t  i^anb  ^^n   ya    mbam  n\aia  nan  bs>  mi3>  n^aa  baa 
m^an  nobo  ib  rrîr  ta^n^   ^"^   in  m^n  "i^aara»n  t^siri  !ia^^ 
"»ît  ab  i2"i2  vnwn  hy   rm$  rpja  maab   r>^n  ^as  bao  rça  r:"n 

irr*  a^ni^  ^a©5a  v"n  niy^an  'an  inr  ib 
i»*pYi   '^ïr  tamnabn    a"ab   p  nan  r-na^ûO    b^ia  ïn-ia^  n^a>b 
^nna  î<i-  ûnt  ^"n  Miaia  'ym   maoi    i"ati  brtpn  a-n  m^ûaaï-îa 
■^aa  m^aujn  'ûvnh  f  ati  bnpïi  va  ^>i  ^bD-i^b  aamam   ania  aman 

ûïr^av  m  ni 

nan  ni^-ta^a  a^-nnan  ^DMb  Vati  bnpi  n"aNr:  n-^a  rmbn  yxi 
r-nanb  a-iu:n  mna  ib^aN  anb\a  ï-rainn  "ihn  taa^aua   ^aw  mba  Ta» 


126  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

nan  ma^aa  aitan  "iim  ï-ira  >*a*<  un  ib^sai  a™ba  iTttmra 
tara  a  !-mnb  fcarfcnpa  tît  tfb  tt"7a  *pbia  n«  îaataa  iaa"itt  dnm 
nncaa*   *ia\a  taabu:bi    aïibta  ^ainn    "ina  d^ata  ^ata  mba  i*   nan 

Y'*tf     Y'attb    b"aa 

Vati  Y'aN  ^at-ib  vnaa  ^b  î-w  Y»tt*>rb  a^irra  Y'aa^  bïipn 
D^Nnti  nvamto  d^ato  ba?a  aana  irmabi  inasbi  dana  ima  laabi 
î-td™  î-ie  batt  aYa^n  aa-^tai  dY^an  ûYaia>  "piaa  abtai  "piaa 
ïi"n^  rmtanb  in  fir*  bnpb  yn  .  nmnb  absn  nanb  bar 
toa*  Ifniaa'iïi  "întaab  *jnYa  n*ar  bnpri  ta^arrna  m?aa  abi  ^na 
i-ïarinto  V3^  ^  '^n  w  ^  Tiaaa  ïw  rtmaab»  wtt  a"a  ba 
tD^p?a    ba>3   î-rm^sbi    iTisaïab    tana-nma  taaai    "pïï   p"p  me  "inb 

b"aa  nraman 
d^-nanan  dYnaiaa  baiï  fw   a-in  pbab  amarra  1"&  bttpfi  dan 
i"£i   bnpm   i^a  s-naann  n>artf3  rba»  laïa-na  Y'n  mp^tti  s-naaon 

nîb  ï-ît  d^aia»  art 
atam  in  rm«  fcntab  mta"i  }mb  î"^  ^P^  n"i^"i  î-W1  ab 
Y'a^  Yaab  r-ntm  î-nm  ab  aai  Y'a&tti  niffll  ^ba  ta-^a^a  ta-nnb 
far  bnpn  m«n  Y:  a  a™  ditab  d^a-ia  ta-mb  "jmb 
a-£p  ab  Va^b  "ittYa  tfanaii  in  a>ainn  pi  nns  ba  Ta  mttTïi 
fnatttt  wa  -jn  i-nattban  û^w  ^3  Ya->aa  ta^bta  nri-ib  rba'  f^a 
bicaYa  arma  ia^  Y'awïi  rb'a>  auî-»  abtû  nttiN  jainn  dNi  m»ia  in 
a^aana  "nwa  *pa  1*  'tftoîi  Va  p-i  *pb  -i^i-art  'paînia  i"afi«a  miûn 
Y'ab  r^arnb  ta  m  ■*"*  Y'awa  mtm  np^b  ma  mtzîn  aai  d^taan 
•j-iib  nz^  Nbta  'hwin  banane  dwsai  rrrcn  In^b  a^in^  Y'aNSm  nn^ 
Misna  dNa  pis  ta7atab  t]a\n  ina>1  mbab  a^in»  ^tn  Y'na  Y'aa  ^aab 
tana  np^b  d^  taai  nboab  bia^  ia\N  aiia  Y'aaï-ï  taan^ba»  ibapta 
•jTib  ïirhffl  î-ibnn  a>^in  r<bi  ynb  i^an  "pftïï-ib  shiusn  T'asïa 
la^btab  ipin  mmb  ^Ntan  na^N  aita  ^rtN  l'a  ^aab 
na:  taaita  ysi  ^m  'ji'ib  ^"a^ï-î  a^in»  ta"-i  s-nasam  d^ntra»  ^a» 
t^b  dN  nbaab  bia^  iaa  d^  ^n  taaa  ib^N  )^i  tar^  a^iïib  bia-> 
paaM   -«ni  |mb  £2"»a^n7a  ywi  ^ba^arr  ■j-'jsn  iwNai^  ^imuj    aa-naTata 

paa^  dnnvT  ana^u:  "ir 
in  t^nbtt  "îiattb  Niiita  ^aipn  tpn   ipnb  d^i"i  Y'^   bnpn   dN 
d^aortb  a^iriTa  anna  dii^aa^  d^aa"1  Y'-ia   iwawD  dimi  ^tidn»  rçD*nwi 
diN  dita  d^nnbT  miab  m\a-i  i"aNb  y^i   dïi^a>  dinnb   dai  hr^y 

Y'3ti  bnprî   rDaaana  aa  ^a 
d^paaïi  1731  pbrt^  ibara   a^a^i  ^ata  da»    pia  aayp  i"aNttï  a^a 
poan  i»i  tabtab  û^a^-inîa  p*»n  ^ba^a  ji«i  ïntaa  ït«b  a^pbn  ntabtab 
d^a^iïi  ba?a  ainm  anna  paari  n^n^ia  v 
-atn  ^"aa  n"!73ip73  V3">  ^^^   /;;    ^^pîni  taa^na    nrjbn  -ia\a. 

1  =iaTinoa-ian. 


EXTRAITS  DE  L'ANCIEN  LIVRE  DE  LA  COMMUNAUTÉ  DE  METZ       127 

lA^tttttt  b'niûa  a^  as>    Ta^rt  "paon   nfcnnrp  rrcabniiii  ban'  a"n 

■ttrm  iNiai    tamatottïi   dn   ^a    încabn    ai\a   pi   xbn   ï'ar   vnbïnp 
in    i»s*a   ~\y~\ym    bra    'V'j-q  tnwiarn    ba    ipbasffi   apaarr    ib 

Ta   *"9 

lattrvta  i^  anpaa>  b:>  matûiib  maTabai  a^irv  ia«  '^v  faNfi 
t<b  tavaa  ba  ban  far  bnpii  sp^vata  va  b:>  taioBViBB»  taiib 
fcaa  inbiï  aiar^at*  t-nvab  tzpavn?.]  tww  Snrobtt  ^inno  imN"1 
mauanb  n'ar  bnp  in  -fa»  a*nab  nvm  'ijt  aôia  irvab  a  in  mar 
pn  vpa^a  bba  rrsiaî-ib  r-nian  ib  "p«  -»tn  vrvattban  vttirv  ^para 
1»   nai  taaiia   t-naïab   mim  aïib    "p**  b"ibïi   ta:n   tramn   avp^ 

ttN-nazn 
•pnb  aab  ana*na  ittb^&n  "pTa^a  tpab  îwarn  bp?a  **rv  Y'aab 
nbaza  vai  'lira  ar^n  a*  p  T733fc*a  rjui  fna  p  paan  a^pb  in 
tnvBai  mia-aa  ba  t-ma^b  nna<  Y'aa  poaan  paan  d^pb  "pna  ffl 
b"aa  i*ati  b-prt  aii  nwia  a"a  ana  BTta  d"nm  ab  "pa  nnana 
fc-wap  nna  spTi  b^n  ba  b^a  ^b^b  arma  ma  Y'a&tfi  ■paar: 
anfctab  a^arnta  a^Taib  d\na  iba>an  asu:  ^a  wfcbn  na^icb  n"a?a 
vbe  niTabb  n*n  anapb  d^bia->  d^n  ErpbN  "nai  vbm 
^aa  *ût*  bripr?  d"j>  'tv  n"^n  irnbnpa  p*nrpia  n^n  -mna  n^a 

'•^ijoibi  smn  p-tnïib  ïi*idïi  ^sbi  )i2tn  ^aa  ban   ûïtw  nwi 
mb^an  nna<  spn  nvaraw  "ina  pns  insabb  V'na  Vaan   ann»   aa 

cpva  mb^an  ara  nnaô  tp^n  p"u;  avai  i»va  dr  ^5a  n^V 
bbaa  ta^ra^  ba  b*  t-i^ana  înrau:ïi  in^b  a^nn»  V'na  ^"a^sn 
nn^'m  ma\s  ■niOKtt  "na-naab  rjo^prt  nrn-rn  m^ib  jr^»n  Lnam 
liTibnp  aijronbi  V3T">  n^  "^  rtbioan  [i.  bpabi]  pbabi  n^^  nn^ab 
ainnio  aa  bônt5ii  r-natt  ma  irrmn  m*i  ^9  b*  t=ujn  ^nia  n"^"1 
rr^a  b©  mpnrm  an^an  bia  a^papa  im-nbi  mpnb  n^iao  baa 
to^in  ira  ba  to^a-ia  tainnb  t=ai  ■yTil  ^npa  b^  n^'anb-i  "jan 
•jiïîrn  ûtïi  tniannb  antD  rmiamn  ^aba  la^in  ©Ni  ^ssbuî  naïaa 
nan  ntai  bN-iu:^a  mir  y^anïib  "na  ta  va  av  ^»  ïia-»\a^a  TOnnbi 

n'^a  i?3N  bNvrr  n^ab 
■•«•np  a"a  >p*y»aa  n"^  lû"id  a^aiban  ^aa  aaain  b"an  ba  b:n 
1*5^  la^nbrtp  mip^  a"a  a^aaia  Ejio^ln  a"3>  n-i^ainu:  n"^  î-n» 
nvr^attîn  ipnaa  b^  ib  tpainb  l'w  qia\Nb  in  bnpb  mian  ^»w 
■«me  ^Nia  b^  tr^ainb  in  ï-raiaa  t-iatta  iin«  ipnaa  ^aiarj  p  b"ar-r 
aïob  van  n"nai  înpTatb  nfin  \sib  mara  ^au:  aapa  b"an  ca^nam 
b"aa  na'r  im^a  nai  dnu:  na^ib  rjia^N  d"iu:b  in  Sis  "nsia  in  n"na 
^b  a*im  tannn  n«  mcas"1  Nb  aapn  i2'"n  b"aa  tannai  aapa 
u"id  !-i"ï-ï  "^d^  kèi  b"a-  ba  aayb  bav  in^  aaprr  trou  mcaD"» 
a"a   tjioiNn    17a  ■nnaimo   tavTaa   a^aN    n'^-j  n^n  t]in^a  Y'ar 

»  =  T>  n?a->nna. 


128  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

■pian    arj    wm    'i*  i"£i    ttinbïipi   a''a    rnp^»    tars^p    tardais- 
^icris  b"3£î  ■'ibrr  m  1211a    a"ab  p   fnaa  «b  a"on 

«"•Ta  b''at  ap*i  aroa  i"iîia  rrwan  a"aa  pin»  pnar  ppîi 

"j'en 


B. 


^•nia  ^iiaaa  b-iîbt  xo  a^b  wrtiv  i"i!ia  i^aa  Ynïib©  maa 
1"aa  i"13  r^nia  taiiia^  i"ima  t3aoiisa;i  busn  "paun  iî^n 
ira  '^biîbn  taui  ù^iaia  pn  ^baa  vd  i3>di  i"ri  i3Tibiipi  a"m 
isa-ani  pa  ,  aabua  fints  3>atta  abi  i^pîi  b?  imbamb  ^ini  «b 
nwar  nbnpn  'w^a  ^ons  israp  "arn  '^snbNïî  n"n  aaïaab  masa 
ysbn  *pia  i"ina  spbtfii  is^iii  i"ki  i^nbnp  ^iaib  SjTman 
i"ina  jpbNm  "vun  apan  i"iîia  ïpbNm  "nb  -oiia  i"in2  ïpbfittn 
misa^b  p^a  i"iîia  spbN!-n  pa  ^»na  Yina  spbwn  ya^a  yi^ 
ïpbaim  "aanta  l'wa  i"iïia  Bpbaïn  baniana  22!ii2N  i"ina  spbNïri 
p'-ipibi  yub  ,y33>baNp  iya«  i"iro  tpbKï-n  22123?  yi^n  i"irra 
hy  rainbi  rbb:*a   "nsa  ib^aanbi  b"3ïi  lia  i\sa  i"iïia  biû   is^a 

U5133>b  11K1Î1    la    '""Ml    W122    Ni!"!   1*1132^    1"13    13^211     13^1»     1122 

?32r-na  13^1  iraa  ^n  naïab  b2i->  Nb  ira  a^ap  22^23122  im« 
i"a  "ja  D"WD  !ia2  rtnna  rap^ai  'irnanm  a-nnan  13322  lab  hN 
-«D2  nibav  biaab  aistt  i3ina  nast*  b3>  ba^p  dm  i"i3  ^"aa  "p^ii 
nui  an  io''3>  i3D5<a  Karn  10312a  isbpn  2"r  a"n  isnaa  ns*  ira 
r^îbi  navibïipa  ^i3^a  taira  ib  '*tv  s^bo  b"3ïi  yo  i\Na  i"iïia  b:* 
-paaa  manpara  121  aairab  t^bi  bripr»  pora  lai  aaitab  spnst? 
nït  Nbi  .  2^3U5  siï5b«5  ^u:a2  tfùrn  miûb  N2^  Nbi  .  ûi^na  û^ïj  nnu^y 
na^ab^na  rrjab  pi  la^ab^ïi  ia  nb3>ab  2"m  diuj2  2^^b  niasi  ib 
jm  aa  ♦  2^212  tzionsb  nia  m^D32  "»naa  1^12^  a^  .  tzrna  nn»  n3t5 
CDmai  .  i^T-ip  ï-iïîan  a"n  ba  -û"-\  î-iy«rn  d^^b©  mpba  ii^isb 
Tda  bp  112^^1  n^ii  i"n  t=N2  iaui  Mima  b"3M  i^a  i"itd 
Mi3U  vhy  ib^b^-«  ^tn  i"i3  bilan  *jiN:n  bu:  111222  n?  t2i^Db 
raiD">  3»nau)  taNi  .MNu:b  bai^  rxb  ion  d^p  a^D3ua  ta^i^ixi 
■jiiïîni  niN  n"i  'a   'vb  ms  b"32  rt^oKa  ma23  niawîii  .ib  tz^si^ 

.  p"Db   n"->a  V'u  l'^n 

iT^ai^n  iin«  prûf  di^3 

y^aa  y7,2  oa^i  ^iin   ppn  diéo 

^ib  p^bu^s. 

a'^n   u^oiabM  ap^"> 

b"2it  N-na  ap3>^  i"iina  N"Na  li^po^T    tiuj 

b'^î  «^iï!""  t|DT»  i,/nna2  ibn&a 

ûû^bo  ^ibrr  £]Dr  i"a   yi^m 

ina  *;abT  nabo 


EXTRAITS  DE  L'ANCIEN  LiVRE  DE  LA  COMMUNAUTÉ  DE  METZ       129 

b"T  nsii©  bifrnaM  n"nrn?D  p  tup»  -3N 

■pçbn  V't   tmwt  dîtd«  *p  'JTp 
b":o  b"T  rp-p  '^ba  n"nn   n'n  p  wro 
KTW1  b"Kï  bafâTO  n"nr;  K"«ba  ap:p 
y^to  b"r  ■d©**  n"nn  n"îa  a"Nb  p  y-p-  ""brisa' 
ca^bjos   .  .   y"D  oa^i  ni»  n"nr:  p  ïi©-iît  dïtok 
s  "m 
jmMrb  ■ps^a  TO73  tpT  nn  para  pnsf 
bamB'na  û^bo  kyiït  nn  dïma 
b"^T  to»  s|ot^  13  ypn  •in&a  fp?i  '«a 
*r»«îfl   ûïvdn  ppr: 
n"rn 

b"£T   BPÎtt    SpJT  .^bM3    nw"Tït3    m553f!    K"«3    ya3>ba«p    )WnW    'p~ 

a"2n 


III. 


FRAGMENT   D'UN   PLUS   ANCIEN   LIVRE  DU   LA  COMMUNAUTE   DE    METZ. 

Le  fragment  du  livre  de  la  communauté  de  Metz  nous  a  conservé 
un  petit  extrait  d'un  livre  plus  ancien,  qui,  outre  l'intérêt  et  la 
valeur  qu'il  offre  par  lui-môme,  montre  en  même  temps  quelle 
mine  de  documents  historiques  a  été  perdue  par  la  disparition 
d'un  pareil  livre.  Cet  extrait  consiste  en  une  décision  des  admi- 
nistrateurs de  la  communauté  de  la  fin  de  l'année  1645,  consignée 
sur  le  verso  du  procès-verbal  de  réception  du  lundi  rrYn  yvctm 
nos  btD  de  l'an  1717.  en  vertu  duquel  Salomon  b.  Mosé  de  Fùrth 
fut  nommé  premier  ministre-officiant  de  la  communauté  messine. 
Sans  doute  en  répétant  cette  ancienne  ordonnance,  on  voulait  lui 
donner  une  nouvelle  vigueur. 

Grâce  à  l'admirable  et  ancienne  coutume  du  judaïsme  ordonnant 
de  secourir  les  nécessiteux  sans  enquête  approfondie  de  la  part  de 
la  communauté,  il  peut  arriver  facilement  qu'on  abuse  delà  charité 
publique  et  cela  du  fait  de  gens  qui  peuvent  se  suffire.  Aussi,  en 
1G45,  fallut-il  édicter  que  les  héritiers  de  ceux  qui  auraient  eu 
recours  sans  nécessité  aux  sociétés  de  bienfaisance  de  la  commu- 
nauté seraient  obligés  de  rembourser  les  sommes  indûment  reçues 
par  le  défunt.  Par  l'auteur  de  ce  règlement,  nous  savons  le  nom 
du  rabbin  de  cette  époque  :  Saùl  Juda  b.  Mosé  Naftali.  Dans  l'his- 
toire du  rabbinat  de  Metz  de  M.  Abraham  Calien  (Revue,  VU,  210), 

T.  XIX,  N°  37.  9 


130  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

le  nom  de  ce  rabbin,  que  Carmoly  avait  déjà  cité  à  sa  véritable 
place,  dans  les  Annales  de  Jost,  If,  76,  manque;  cependant  Car- 
moly ne  le  connaissait  que  par  le  Memorbuch  de  Mayence  où  Saùl 
Juda  exerça  plus  tard  les  fonctions  de  rabbin  et  où  il  mourut.  Le 
passage  de  l'ancien  livre  de  la  communauté  de  Metz  qui  nous  a 
été  ainsi  conservé  nous  fournit  le  premier  témoignage  de  l'acti- 
vité que  ce  rabbin  a  déployée  à  Metz  ;  c'est  en  qualité  de  rabbin 
de  cette  communauté  qu'il  signa  ladite  ordonnance,  vers  la  fin 
de  l'année  1645. 

p"Db  Y'n  ma  '-j  '«  d*n»  i^i3  \&  1**1  hïrpï-i  op3D  \n  pn^rt 
baa  nnNtt  nasn  137321  l'w  d^msai  'widïi  im  WTina  :  naitob  nn 
nsas*  b^nb  '■pstaa  Nin  p  maia  un  ^pna  fw  ib  d^ama  t  a^isn 
fa  1)3  1N5  bapa  ta  baa  tabia  m^aoïm  r-rb*  a"^  t=p-ina  b? 
■pata  in  1&0  rYW*  ib  a^a  in  rîsbm  drrna  op^a  "waa  1?:  in 
ib  a^a  imn  nnab  asja'n  nwpa  in  tainaï  in  isa  n^inv  ib 
ba»  s-iano  taia  aaiia  np^  ï^b  nnaab   iN.YWnb  rvw  ta"<oa:: 

SWW    EariE    ba^pia    S— 173    bD     Op*>D    1833P1    y"&    JWffl    IV    Y»OM 

ûrr«n  ■na  tanb  j^a  a-nriN  bwp  aba  jeun  imn  av  i*  rï«brn 

•vnnaorm  b"3n  bD  r-naabria  naw 

:  yw  riD  nainn  n"nbï  ■'brisa  nasa  n"nrî  a"«ba  anv  bi«a  '«a 

•  lanab  i«a  w 

David  Kaufmann. 


DOCUMENTS 


SUR 


LES  JUIFS  DES  ETATS  PONTIFICAUX 


Les  recherches  auxquelles  nous  nous  livrons  sur  les  Juifs  des 
Etats  romains  nous  amènent  quelquefois  à  la  découverte  de 
documents  très  curieux.  Le  texte  suivant,  concernant  la  permis- 
sion accordée  à  un  Juif  de  Ferrare  d'épouser  deux  femmes,  nous 
paraît  intéressant  à  connaître. 

Henricus  etc  Camerarius. 

«  Tibi  Moysi  Merlino  hebreo  in  civitate  Ferrariensi  commoranti 
viam  veritatis  agnoscere  et  agnitam  custodire  Sancta  Mater  Ecclesia 
hebreos  in  memoriam  Passionis  Domiaiea)  inter  Cristianos  versari 
suisque  ritibus  et  moribus  uti  tolérât  ut  aliquando  resipiscentes 
judaica  cecitate  abiecta  ad  verarn  Gristi  lucem  convertantur;  cum 
itaque  iuxta  eorum  consuetudinem  ab  immeiisurabili  tempore  citra 
observata  de  qua  nobis  sut'ficienter  constitit,  liceat  hebreis  qui  cum 
sua  uxore  per  deceonium  permanserunt  et  ex  ea  filios  non  susce- 
perunt  illa  vivente  aliam  superducere,  Tu  qui  ut  asseris  cum 
Morosilla  tua  uxore  non  solum  per  decem,  sed  per  viginti  circiter 
annos  permansisti  et  ex  ea  nunquam  filios  procreasti,  minusque  ob 
ejus  sterilitatem  procreare  speras  et  juxta  dictam  consuetudinem  ea 
vivente  ac  et  ut  dicilur  consentiente  aliam  uxorem  ducere  illamque 
una  cum  ipsa  Morosilla  retinere  cupias  ne  propterea  te  dcsuper  a 
judicibus  chrislianis  moleslari  contiagat  nobis  humiliter  supplicari 
fecisti  ut  tibi  super  hoc  de  opportuno  remedio  providere  dignaremur, 
nos  itaque  tuis  huiusmodi  supplicationibus  inclinati  de  maodalo 
Sanctissimi,  et  auctoritate  etc. 

Tibi  ut  etiam  eadem  Morosilla  vivente  matrimonium  cum  alia 
muliere  hebrea  juxta  hebreorum  ritum,  morem  et  consuetudinem 
hujusmodi  contrahere  et  iu  illo  remanere  libère  valeas,  nec  proplerea 


132  REVUE  DES  ETUDES  JUIVES 

realiter  vel  personaliter  a  quoque  molestari  queas  per  présentes 
quantum  cum  Deo  et  sine  peccato  possumus  tolleramus  et  tollerari 
debere  mandamus,  stricte  propterea  inhibendo  mandantes  Reve- 
rendis  Prioribus  Dominis  ejusdem  civitatis  Ferrariensis  ac  quibus- 
vis  aliis  episcopis  eorumque  in  spiritualibus  vicariis  nec  non 
Gubernatoribus  presentibus  et  aliis  tam  ecclesiaslicis  quam  secula- 
ribus  et  temporalibus  judicibus  officialibusque  Barisellis  executo- 
ribus,  subexecutoribus  aliisque  quibuscumque  justitiee  ministris 
sub  mille  ducatorum  auri  Caméras  Apostolicee  inferendorum  et  in 
subsidium  exeommunicationis  et  censuris  ecclesiasticis  aliisque  nostri 
arbitrii  pœnis  ne  te  autsecundam  quam  ducisuxorem  preemissorum 
occasione  quomolibet  impediant  removentur  vel  molestent  vel  in- 
quiètent. Alioquin  etc.  Irritum  nihilominus  decernentes  quicquid 
secus  fiet  super  his  a  quoque  quavis  auctoritate  scienter  vel  igno- 
ranter  attentari  contingerit,  non  obstantibus  constitutionibus  et 
ordinationibus  apostolicis  ac  legibus  imperialibus  ceterisque  in  con- 
trarium  facientibus  quibuscumque.  Datum  Romse  in  Caméra  Aposto- 
lica  die  septima  mensis  decembris  1590.  Pontificatus  sanctissimi  in 
Christo  Patris  et  D.  N.  D.  Gregorii  XIII  Papse  Anno  Primo. 

Henricus  '  Cardinalis  Camerarius  2.  » 

Cette  autorisation  n'est  pas  un  fait  isolé  ;  on  en  trouve  beaucoup 
d'autres  du  même  genre.  Nous  en  reproduisons  une  ci-dessous, 
qui  se  trouve  dans  un  chirographe  de  Grégoire  XV,  du  12  mai 
1623. 

e  Ci  ha  fatto  esporre  Salomone  del  quondan  Giuseppe  Toscano  e- 
breo  in  Roma,  cbe,  avendo  egli  facoltâ  di  qualcLe  considerazione  e  non 
avendo  nessun  figliuolo,  nemmeno  da  venti  anni  in  qua  ne  ha  fatti 
Giammilla  sua  moglie,  desidcra  per  aver  successione  di  pigliare 
altra  moglie  etiam  viventedetta  Giammilla.  E  perô  ci  ha  anco  fatto 
supplicare  a  volergliene  concedere  licenza  e  venendoei  riferto  esserc 
stato  fatto  per  ilpassato  da  atcuni  altri  ebrei,  con  la  présente  ordi- 
niamo  a  voi  che  concediate  a  detto  Salomone  la  licenza  di  poter  pi- 
gliare un'  altra  moglie,  vivente  la  prima,  etiam  senza  consenso  di 
detta  prima,  purche  la  seconda  che  piglierà  si  ritenga  fuoridi  Roma, 
mentre  vivra  la  detta  prima,  e  questo  con  le  clausole  solite  apporsi 
in  simil  licenza,  sopra  di  che  gliene  spedirete  le  patenti  opportune, 
non  ostante  qualiasi  costituzione  e  ordinazione  apostolica  e  ogni 
altra  cosa  che  facesse  in  contrario  a  quali  tutte  per  questa  nostra 
deroghiamo.  Dato  nel  nostro  palazzo  di  Montecavallo  il  12  maggio 
1623,  Gregorius  Papa  XV.  » 

Le   chirographe  ci-dessus  mentionné  a  été  expédié  au  pro- 

1  Cet  Henri  est  le  camerlingue  et  cardinal  Caetani. 

a  Archives  des  États  romains.  Diversorum  del  camerlingo,  vol.  XXXI,  fol.  28. 


DOCUMENTS  SUR  LES  JUIFS  DES  ÉTATS  PONTIFICAUX  133 

camerlingue  cardinal  Marc-Antonio  Gozzadini,  qui  rédigea  les 
patentes  d'exécution,  le  19  mai  1623,  en  édictant  une  amende  de 
1,000  ducats  d'or  contre  quiconque  mettrait  empêchement  à  l'exé- 
cution dudit  ordre.  Le  document  se  trouve  à  la  page  102  des 
Diversorum  de  1623  (Archives  des  Etats  de  Rome). 

Derrière  la  signature  de  Gozzadini,  sont  apposées  les  signatures 
suivantes  :  «  Domenico  Cecciiini,  auditeur  ;  Fonchia,  secré- 
taire ». 

Ces  pièces  n'indiquent  pas  la  somme  exigée  pour  ces  sortes 
d'autorisation,  mais  il  est  certain  qu'il  fallait  payer  pour  les 
obtenir. 

Les  Juifs,  à  cette  époque,  s'occupaient  spécialement  de  prêts 
d'argent  et  de  prêts  sur  gages.  A  Rome,  il  y  en  avait  plus  de 
soixante  qui  jouissaient  de  ce  privilège  ;  en  vertu  de  ce  privilège, 
ils  n'étaient  justiciables  d'aucun  tribunal,  excepté  de  celui  du 
camerlingue.  La  formule  de  l'autorisation  d'exercer  le  prêt  sur 
gages  était  la  suivante  : 

a  Henricus  etc.  Camerarius. 

«  Sanctissimo  et  Reverendissimo  Domino  meo  sanctissimi  D.  N. 
Papee  in  aima  Urbe  ejusque  districtu  Vicario  et  illius  vicegerentibus 
ac  locumtenentibus  nec  non  reverendissimis  patribus  Dominis 
almee  Urbis  preedictee  Gubernatori  et  vicecamerario,  curiarum  came- 
ree  apostolica3  generali  auditori,  nostris  eorumque  locumtenentibus 
et  ejusdem  urbi  senatori  et  cameree  ipsius  urbis  conservatoribus 
curieeque  Gapitolii  et  appellationum  capitaneo  nec  non  Ripee,  Ri- 
pettee,  Burgi,  Turris  nonee  et  de  Sabellis  ceterarumque  dictée  urbis 
curiarum  judicibus  ordinariis  et  extraordinariis  nec  non  gabellario 
maiori  nuncupato  ejusque  officialibus  et  ministris  ac  Dohanarum 
Ripee,  Ripettee,  grasciee,  et  mercium  dictée  urbis  Dohaneriis  ac  vice- 
dohaneriis  administratoribus  et  ministris  dictarum  curiarum  nota- 
riis  nec  non  Barisellis,  capitaneis  executoribus  et  Justitiee  ministris 
ceterisque  ad  quos  spectat  et  présentes  nostree  exbibitee  vel  ostentee 
fuerint.  De  mandato  etc.  et  auctoritate  etc.  Ac  ex  mero  officio  nostro 
tenore  presentium  sub  mille  ducatorum  auri  Gameree  apostolicee 
inferendorum  et  mandati  executivi  ac  in  juris  subsidium  sub  cen- 
suris  ecclesiasticis  aliisque  nostro  arbitrio  pœnis  stricte  inhibemus 
et  inhibendo  expresse  precipimus  et  mandamus  ne  abhinc  deinceps 
audeatis  seu  presumatis  aut  aliquis  vestrum  audeat  seu  présumât 
in  quibusvis  causis  ad  cuiuscumque  personee  etiam  fisci  instantiam 
contra  Danielem  quondam  Moyis  de  Tybure  hebreum  bancherium  in 
urbe  commorantem  aut  ejus  filios  ejusque  agentes  factores  famulos 
et  ministros  seu  aliquem  ex  eis  ratione  exercitii  fenoris  et  pecu- 
niarum  pereos  seu  aliquem  ex  eis  tam  super  pignoribus  quam  ad 
scriptura  sub  fenore  mutuatarum   et  mutuandarum  ac  pignorum 


734  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

quorumcumque  per  eos  pro  eorum  pecuniis  ad  fenus  ut  prœfatur 
mutuatis  et  mutuandis  receptorum  et  recipiendorum  ac  rerum  qua- 
rumcunque  eorum  bancum  feneralitium  aut  ferions  exercitium  et 
pignora  huiusmodi  quomolibet  concernentia  sive  ab  eis  dependentia 
et  emergentia  tam  civiliter  quam  criminaliter  motis  et  movendis 
etiam  sub  eo  quod  executionem  obligationum  in  forma  cameree  de- 
super  factarum  et  faciendarum  contra  eorum  debitores  coram  nobis 
pétant  et  consequi  curent  et  consequentur  et  ex  officio  vestro  aut 
aliter  quomolibet  procedere  seu  vos  ingerere  intromittere  aut  raan- 
datum  aliquod  in  personis  seu  bonis  contra  preedictum  Danielem 
ejusque  filios  et  alios  prœdictos  aut  aliquem  ex  eis  relaxare  sive 
eos  super  premissis  aut  sub  pretextum  assertee  pense  per  eos  aut 
aliquem  ex  eis  ut  a  vobis  forsan  pretenditur  incursee  vel  incurrendee 
ex  eoque  non  tenuerint  sive  non  teneant  bilancias  mercium  pondéra 
etstateras  ad  quasvis  mensuras  et  quantus  teneant  aut  tenerevelint 
pro  eorum  scandalio  sub  pretextu  quod  non  sint  sigillatse  sigillo 
dicti  gabellarii  aut  alio  quovis  pretextu  et  quovi  colore  per  vos  vel 
alium  seu  alios  et  vigore  cuiusvis  mandati  ad  instantiam  fisci  seu 
partis  vel  ex  officio  aut  alias  desuper  relaxati  vel  relaxandi  realiler 
nec  personaliter  aut  alio  quovis  modo  molestare  vel  executionem 
aliquam  realem  vel  personalem  contra  eos  facere  audiat.  Prœdictus 
Daniel  Moysis  praedicti  ac  omnes  alii  bebrei  bancherii  in  urbe  rési- 
dentes ratione  pramissorum  sunt  soli  nostree  jurisdictioni  subiecti 
et  a  cujusvis  alterius  judicis  et  tribunalis  juris  dictione  liberi  et 
exemptietut  nobis  exposuerunt  huiusmodi  bilancias,  marcos,  sta- 
teras  et  pondéra  non  nisi  pro  eorum  scandalio  retinere  et  cum  eis 
nec  vendere  nec  emere  oonsueverunt  et  propterea  ad  illa  retinenda 
non  tenentur.  In  quorum  etc.  Datum  Romse  in  Caméra  apostolica 
die  prima  aprilis  4591,  Pontificatus  S.  D.  N.  Gregorii  papae  XIII  anno 
prima. 

Henrigus,  Gardinalis  camerarius  l.  » 

Pour  les  Juifs  établis  hors  de  Rome,  la  concession  était  ordi- 
nairement faite  pour  une  durée  de  dix.  ans  ;  pour  les  Juifs  de 
Rome,  le  temps  n'était  pas  fixé  et  l'autorisation  devait  être  renou- 
velée fréquemment. 

Beaucoup  de  Juifs  se  distinguèrent  dans  l'exercice  de  la  méde- 
cine. La  patente  suivante  est  très  instructive  à  ce  sujet  : 

«  Licentia  medendi* 

«  Tibi  Moysi  Alatino  spoletano  tuoque  filio  Bonaiuto  hebreis 
artium  et  medicinee  doctoribus  veram  fidei  agnitionem  et  sanioris 
consilii  spiritum  humilibus  nomine  vestro  nuper  nobis  porrectis 
precibus  inclinati  ac  de  fide  idoneitate  et  experientia  vestra  quo  ad 

1  L.  c,  vol.  XXXI. 


DOCUMENTS  SUR  LES  JUIFS  DES  ÉTATS  PONTIFICAUX  135 

a  ne  m  medendi  fatis  super  quod  informati  ac  et  moti  leslimonio 
Reverendissimi  Domini  vicarii  episcopi  nec  non  et  jumi  Pretoris 
Givitatis  Ferrarise  nonnullorumque  nobilium  et  fide  dignorum 
virorum  ejusdem  ci vitatis  vobis  propterea  specialem  gratiam  facere 
volentes,  de  mandato  et  auctoritate  etc.  vobis  qui  publicœ  Christia- 
norum  utilitati  in  Themistii  versione  olim  incubuistis  ac  nunc  et  in 
canonis  Avicennœ  versione  assidue  incumbetis  artemque  mcdiciuœ 
et  medendi  multis  jam  retroactis  annis  probe  et  diligenter  (utacci- 
pimus)  exercuistis  et  quam  plures  infirmos  vestra  opéra  et  industria 
altissimo  Favente  ad  sanitatem  restituistis  ut  egrotantibus  in  vobis 
confîdentibus  tam  Christianis  quamHebreis  in  dicta  Givitate  totoque 
Dominio  serenissimi  Ducis  Ferrarise,  ipsius  Ducis  ad  hoc  accedente 
consensu  medelas  ad  eorum  sanitatem  profuturas  dare  et  prestare 
possitis  et  valeatis  indulgemus  ac  licentiam  et  facultatem  conce- 
demus  et  impartimur  stricte  propterea  inhibendo  mandantes  Rmo 
Domino  dictée  civitatis  Ferrariœ  episcopo  ejusque  in  spiritualibus 
et  temporalibus  vicario  generali  omnibusque  aliis  ad  quos  spectat 
seu  spectabit  quomodolibet  in  futurum  ne  sub  mille  ducatorùm  auri 
Caméra)  apostolicee  inferendorum  et  in  subsidium  sub  censuris 
ecclesiasticis  aliisque  nostri  arbitrii  pénis  vos  super  huiusmodi 
medendi  exercitio  sub  pretextis  quod  in  Christianos  infirmos  curam 
geritis  vel  alias  contra  presentium  literarum  forma  ipsos  Christianos 
infirmos  vestree  curas  comendatos  ad  quorumvis  etiam  medicorum 
chiistianorum  vel  aliorum  instantiam  quomodo  libet  realiter  vel 
personaliter  molestare,  inquitare,  vexare,  perturbare  vel  remorari 
audeant  vel  présumant  aut  eorum  aliquis  audeat  vel  présumât  sed 
eos  licite  et  absque  ullo  scrupulo  a  vobis  curari  posse  volumus  et 
mandamus,  alioquin  etc.,  quibusvis  Constitutionibus  et  ordina- 
tionibus  apostolicis  ceterisque  contrariis  non  obstanlibus  quibus- 
cumque.  In  quorum,  fidem  etc.  Datum  Romse  in  Caméra  apos- 
tolica,  die  sexto  mensisjulii  4592  pontificatusClementis  papee8  anno 
primo. 
Henricus  cardinalis  camerarius,  auditormartini  l.  » 

On  sait  que  la  communauté  juive  de  Rome  devait  payer  au 
Capitole  une  taxe  annuelle  de  1,130  florins,  à  l'occasion  de  cer- 
taines fêtes  athlétiques,  en  compensation  de  la  dispense  accordée 
aux  Juifs  de  l'obligation  de  se  livrer  à  des  courses  pendant  les 
réjouissances  populaires.  Toutes  les  communautés  moins  impor- 
tantes des  États  pontificaux  devaient  contribuer  à  cette  taxe, 
ainsi  que  les  Juifs  d'Avignon,  de  Carpentras,  de  Liste  et  de 
Cavaillon.  Ceux-ci  refusèrent  plusieurs  fois  de  payer  leur  quote- 
part.  La  lettre  suivante  explique  la  manière  dont  se  faisait  la 
perception  de  cette  taxe  : 

1  Arch.  de  l'État  romain.  Divasorum,  vol.  XXXIV,  1°  32. 


136  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 


«  Federicus  etc.  Procamerarius 


«  Universis  etc.  salutem  in  Domino. 

Noveritis  nuper  nobis  in  Caméra  apostolica  expositum  fuisse  pro 
parte  Universitatis  hebreorum  almee  Urbis  commorantium  quod  li- 
cet  ad  solutionem  summee  pecuniarum  quam  ipsi  singulis  annis 
senatui,  Populoque  Romano  pro  festo  Testacci  et  Agonis  ut  moris 
est  solverint  universi  et  singuli  ulriusque  sexus  hebrei  in  statu 
Ecclesiastico  ;  et  prœsertim  in  Givitale  Avenioni,  Garpentratii,  Lilla, 
etGaviglione  degentes  pro  eorum  rata,  seu  quarta  contribuere  et 
concurrere  consueverint ,  tamen  nonnulli  ex  ipsis  diversimodo 
subterfugientes  eorum  quarta  seu  rata  contribuere  récusant,  seu 
diflerunt  et  prolrahunt,  quod  factum  est  ut  pro  consequendis  pecu- 
niis  huiusmodi  Isach  de  Ariccia  et  Raphaelem  pariter  de  Ariccia 
hebreos  presentium  ostensores  eorumque  nuucios  ad  hoc  expresse 
destinare  cogantur. 

Et  propterea  cupientes  pecunias-  pra)dictas  quanto  citius  mi- 
norique  fieri  possit  dispendio  consequi,  nobis  humiliter  supplicari 
fecerunt  ut  eis  in  prœmissis  opportune  providere  dignaremur.  Nos 
itaque  huiusmodi  precibus  moti  considérantes  eosdem  exponentes 
difficiliter  ut  prœfertur  solvere  posse,  nisi  ipsi  etiam  ab  aliis  ut 
consueverunt  exigant  propriœque  eorum  indemnitati  et  commoditati 
ut  par  est  providere  volentes,  de  mandato  et  auctoritate  etc. 

Vobis  omnibus  et  singulis  supradictis  et  vestrum  cuilibet  in  soli- 
dum  habere  série  precipimus,  et  sub  500  ducatos  auri  Cameree  apos- 
tolicse  applicandos  aliisque  ecclesiasticis  sententiis  censuris  etpœnis 
stricte  precipiendo  mandamus. . .  et  post  quam  pro  parte  dictœ  Uni- 
versitatis per  eosdem  Isach  et  Raphaelem  de  Ariccia  latores  presen- 
tium super  hoc  fueritis  requisiti,  aut  aliquis  vestrum  fuerit  requi- 
situm,  universos  et  singulos  hebreos  in  locis  Jurisdictionis  vestrre 
et  cujuslibet  vestrum  subiectos  degentes  ad  prsedictEe  Universitatis  et 
pro  ea  preefatis  Isach  et  Raphaeli  presentium  ostensoribus  ratam, 
seu  quartam  pecuniarum  per  Universitates  seu  hebreos  eorumdem 
locorum  dicta  de  causa  respective  solvi  solitam  etiam  summarie 
simpliciter  et  de  piano  absque  aliqua  tela  judiciaria  cum  effectu  sol- 
vere omnibus  viis,  factis,  et  facti  remediis  opportunis,  etiam  per 
segregationem  a  sinagoga,  carcerationem  et  arrestationem,  et  si 
hebrei  ipsi  in  huiusmodi  solutione  morosi  fuerint,  Universitas  he- 
breorum cujuslibet  loci  quee  morosa  fuerit  eisdem  ostensoribus  pro 
expensis  victus  julios  quinque  pro  quolibet  die  si  Universitas  ipsa 
sive  Givitatis  sive  Oppidi  aut  alterius  inferioris  loci  fuerit,  qua? 
ultra  scula  quinque  solvere  debueri t. 

Si  vero  minus  scutorum  quinque  preedictos  solvere  debuerit  pro 
uno  die,  tantum  postquam  présentes  nostrse  eis  per  eosdem  osten- 
sores intimatœ  fuerint  re  ipsa,  et  cum  effectu  ad  solvendum  cogatis 


DOCUMENTS  SUU  LES  JUIFS  DES  ETATS  PONTIFICAUX  i:.7 

et  compellatis  etc.  Alioquin  elc.  Datum   hoc  die  20  octobis   1647. 
Jacobus  Antonius.   Serperius   Auditor1.   » 

Le  camerlingue  nommé  ci-dessus  était  le  cardinal  Frédéric 
Slbrza. 

Dans  la  collection  que  nous  compulsons,  nous  trouvons  aussi 
une  lettre  d'absolution,  pièce  très  curieuse,  en  latin,  que  nous 
donnons  ci-dessous  en  abrégé  : 

«  Par  ordre  exprès  du  pape,  nous  absolvons  les  Juifs  de  Rome 
de  tout  crime,  excès,  transgression  et  délit,  grave  et  énorme,  en 
exceptant  seulement  ceux  de  lèse -majesté,  homicide,  faux- 
monnayage,  comme  des  contraventions  aux  lettres  et  bulles  apos- 
toliques; nous  voulons  que  personne  ne  les  moleste,  en  réservant 
le  droit  d'agir  civilement  à  la  partie  lésée.  Les  ministres  et  prévôts 
de  Rome  sont  tenus,  sous  peine  de  1,000  ducats  d'or  et  d'autres 
peines,  d'observer  ces  ordres.  —  Rome,  5  septembre  1622.  — 
Pour  le  camerlingue,  le  cardinal  M. -A.  Gozzadini  2.  » 

Quelquefois,  ces  lettres  d'absolution  étaient  nominatives  et 
avaient  le  caractère  de  sauf-conduit.  On  les  appelait  non  gravelur. 
Nous  en  donnons  un  spécimen  ci-dessous  : 

«  Sotto  pena  di  ducati  100  e  di  altre  pêne,  si  proibisca  di  moleslare 
personalmente  e  realmente  Salomone  Toscano  ebreo  banchiere  m 
Roma  e  stimatore  degli  spogli  délia  Caméra  apostolica.  Elia  e  Guiseppe 
suoi  figli,  Angelo  Toscano  suo  fratello  parimenti  ebrei  banchieri. 
Niuno  perciô  deve  osare  di  molestarli  con  esecuzioni  o  altro  tanto 
pei  béni  quanto  per  le  persone.  Poichè  il  detto  Salomone,  oltre  di 
essêre  banchiere,  è  pure  estimatore  degli  spogli,  e  trovasi  eseute 
dalle  altre  giuridizioni  e  solo  è  soggetto  alla  giuridizione  nostra. 
Roma  14  gennaro  1623.  Per  in  Camerlengo,  il  card.  M.  A.  Gozzadini.  » 

On  appelle  Spogli,  les  objets  d'habillement,  l'argenterie  et  le 
mobilier  que  laissaient  en  mourant  les  évoques  et  les  autres  prélats 
ayant  charge  d'âmes.  Ces  Spogli  revenaient  à  la  chambre  aposto- 
lique, et,  comme  on  voit,  l'expert  chargé  de  les  estimer  était 
un  Juif. 

La  communauté  de  Rome  avait  le  monopole  des  pains  azymes. 
Voici  un  document  à  l'appui  : 

«  Ad  istanza  dei  camerlenghi  délia  université  ebraica  di  Roma, 
Sabato  Segni,  Leone  Bisissa,  Isacco  Trêves,  si  proibisce  a  Beniamino 
Veneto  ebreo  dimorante  in  Roma  e  a  tutti  gli  altri  di  fare  e  cuocere 

1  Diversorum  de  1646. 

2  Diversorum  de  1622. 


138  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

pani  azzimi  tanto  di  grano  proprio  quanto  di  grano  di  altri  ebrei, 
escluso  ogui  preteslo  di  forno  proprio,  ecc.  Poichè  la  confezione 
degli  azzimi  solo  spetta  air  uaiversita,  di  che  sopra  per  servizio  e 
comodo  suo.  Roma  28  Marzo  1624.  G.  Naro,  prefetLo  delr"  annoaa.  Pel 
notaio  Dom.  Fonchia,  Stefano  Spada.  » 

Quant  aux  taxes  que  les  Juifs  avaient  à  payer  à  la  communauté, 
celle-ci  disposait  de  tous  les  moyens  de  coercition  en  vue  de  la 
perception,  avec  la  faculté  de  saisir  des  gages.  A  preuve,  le  docu- 
ment suivant  : 

<f  Goncediamo  licenza  ad  Isach  Todesco  ed  altri  fattori  dell'  uni- 
versita' delli  ebrei  che  saranno  pro  tempore  che  possino  far  vendere 
li  pegni  presi  ad  altri  ebrei  per  pagare  li  pesi  camerali  e  altre  cose 
spettanti  ail'  universita'  dei  medemi  ebrei,  senza  portarli  in  deposi- 
teria  conforme  al  solito  e  in  fede  ecc.  Di  casa  45  di  luglio  4  631. 
Fulvio  Benigni  auditore.  Giulio  Donati  notaro  *.  » 

En  sautant  des  xvi°  et  xvir3  siècles  au  siècle  actuel,  ou  au  temps 
de  Grégoire  XVI,  nous  trouvons  encore  un  document  qui  mérite 
d'être  cité  ;  en  effet,  tout  en  relatant  le  règlement  du  présent,  il 
rappelle  aussi  les  règlements  et  coutumes  remontant  à  Fan  1690. 
Ce  document  concerne  les  Juifs  d'Ancône  et  est  ainsi  conçu  : 

«  Notificazione.  Antonio  del  titolo  di  S.  Pietro  in  Montorio  délia 
S.  R  G.  Prête  cardinale  Tosti,  délia  santitâ  di  N.  S.  e  délia  R.  G.  A. 
Pro  tesoriere  générale. 

»  Degnatasi  la  Santità  di  N.  S.  papa  Gregorio  XVI  di  prorogare  per 
altri  12  anni,  a  contare  dal  13  settembe  1843,  a  favore  dell'  universita' 
degli  ebrei  di  Ancona  la  facoltà,  di  cui  la  medesima  per  concessione 
di  Alessandro  ottavo  incominciô  a  godere  fin  dall  anno  1690,  ad  esi- 
gere  una  certa  determinata  tassa  sopra  le  merci  degli  ebrei  forestieri, 
corne  da  chirografo  sanctissimo  in  data  29  novembre  4843,  sia  a  tutti 
noto  che  nella  présente  notificazione  viene  richiamato  in  ogni  sua 
parte  ad  esecuzione  l'editto  ail'  occasione  délie  antecedenti  proroghe 
pubblicato  dalla  chiara  memoria  del  card.  Lante  li  48  juglk>1806, 
e  dalla  chiara  memoria  del  Cardinale  Gristaldi  li  3  aprile  482I, 
ambidue  già  tesorieri  generali  del  tenore  che  segue. 

»  Editto 

»  Per  Tesigenza  délia  tassa  imposta  sopra  le  merci  degli  ebrei 
forestieri  e  prorogata  a  favore  delF  université  degli  ebrei  di  Ancona 
per  dodici  anni. 

»  Alessando  Lante  ecc. 

»  Avendo  la  Santita  di  N.  S.  papa  Pio  settimo  felicemente  régnante 

1  Diversorum  de  l'année  1620  à  1631  ;  volume  non  numéroté. 


DOCUMENTS  SUR  LES  JUIFS  DES  ETATS  PONTIFICAUX  139 

con  suo  spécial  chirografo  segnato  sotto  li  12  marzo  prossimo 
passalo  prorogata  a  favore  dell'  université  degli  ebrei  d'Ancona  per 
altri  anni  dodici  la  facoltà  già  conceduta  alla  detta  università  sin 
dair  anno  1G90  dalla  S.  M.  d'Alessandro  VIII  c  successivamente 
dagli  altri  sommi  pontefici  di  tempo  in  tempo  prorogata,  d'esigere 
baiocchi  25  per  ogni  scudi  cento  sopra  tutte  e  singole  merci  che 
dagli  ebrei  forestieri  si  manderanno  a  vendere,  o  a  comprare  nella 
detta  città  d'Ancona  e  d'altri  baiocchi  12  1/2  per  ogni  cento  scudi 
sopra  quelle  merci  ohe  li  detti  ebrei  porteranno  essi  medesimi  a 
vendere  o  compreranno  nella  città  suddetta,  affine  di  potere  con  il 
ritratto  di  taie  esigenza  corrispondere  al  pagamento  dei  pesi  ca- 
merali  ed  altre  occorenze  délia  istessa  università,  e  volendo  noi  che 
la  mente  di  N.  S.  si  renda  a  tutti  nota  ed  abbia  la  sua  totale  e 
pronta  esecuzione  ;  perciô  col  présente  nostro  editto,  coll'  autorità 
del  nostro  officio  e  coll'  oracolo  datoci  in  voce  dalla  Santita  di  N.  S. 
ordiniamo  e  comandiamo  a  tutti  e  singoli  ebrei  forestieri,  che  in 
qualunque  maniera  manderanno  a  comprare  e  rispettivamente  a 
vendere  qualunque  sorta  di  merci  nella  detta  città  d'Ancona  siano  in 
avenire  tenuti  di  pagare  alla  detta  università  degli  ebrei  di  detta 
citta  baiocchi  25  per  ogni  scudi  cento  sopra  il  prezzo  di  detta 
merci,  comme  ancora  baiocchi  12  1/2  per  ogni  cento  scudi  sopra  il 
prezzo  di  tutte  e  singole  merci  che  i  detti  ebrei  porteranno  essi  me- 
desimi a  vendere  o  compreranno  nelle  città  suddelte  ;  e  mancando 
di  fare  detti  pagamenti,  incorrano  nella  perdita  délia  roba  ed  a  tutte 
le  pêne  imposte  alli  fraudatori,  da  applicarsi  per  un  terzo  ail'  accu- 
satore,  per  altro  terzo  alla  Reverenda  Caméra  ed  il  resto  a  favore  di 
detta  università.  » 

a  Per  evitare  poi  le  fraudi,  che  potessero  comettersi  vogliamo  ed 
ordiniamo  cheli  detti  ebrei  forestieri  portando  loro  istessi  o  mandando 
a  vendere  e  rispettivamente  comprare  in  Ancona  mercanzie  di 
qualunque  sorta  sieno  tenuti  ed  obbligati  dare  nota  distinta  di  tutte 
le  dette  merci  in  mano  degli  esattori  o  massari,  che  a  tal  effetto  si 
deputeranno  da  detta  università,  ed  in  caso  di  contravenzioni,  oltre 
al  duplicato  pagamento  a  favore  délia  medesima  università,  restino 
soggetti  anche  alla  pena  di  scudi  10  perciascuna  mancanza  da  appli- 
carsi in  tutto  e  per  tutto  corne  sopra  ». 

«  Ed  acciô  la  istessa  università  possa  godere  gli  effetti  délia 
grazia  accordata  senza  esser  defraudata  nelle  tasse,  che  dalli  detti 
ebrei  forestieri  di  tempo  in  tempo  in  consequeranno  alli  detti  fat- 
tori  o  massari  da  deputarsi  corne  sopra,  ordiniamo  a  tutti  e  singoli 
i  ministri  délia  dogana  d'Ancona  in  quali  spetta  :  che  ad  ogni 
richiesta  di  detti  Fattori  o  massari  debbano  dare  ai  medesimi^le  note 
délie  rispettive  compre  e  vendite,  che  da  detti  ebrei  si  faranno  o  si 
manderanno  a  fare  in  detta  città,  acciè  li  medesimi  possano  regotarsi 
nella  esigenza  délia  suddetta  tassa  corne  sopra  accordata  a  detta  uni- 
versità, corne  ancora  ai  sensali  cristiani  ed  ebrei  dovranno  dare  le 
note  a  detti  massari  délie  mercanzie,  che  saranno  proviste  o  venute 


140  REVUE  DES  ETUDES  JUIVES 

per  gli  ebrei  forestieri,  e  finalmente  gli  ebrei  abilanti  in  Ancona 
dovranno  aggiungere  nel  di  loro  conto  dell'  vendite,  o  compre  dell' 
mercanzie  che  si  fararmo  per  gli  ebrei  forestieri,  li  importi  di 
questa  imposizione,  ritenendo  aggresso  di  tutta  précisa  quantité  di 
essa  per  pagarla  alli  detti  massari  destinati  dall'  universita  sotto 
la  pena  di  scudi  dieci  comminata  corne  sopra.  » 

»  Avverta  pertanto  ciascuno  di  non  contravenire  a  quanto  si  pre- 
scrive nel  présente  nostro  editto  mentre  si  procédera  contro  ai  tras- 
gressori,  anche  ex  officio  per  inquisizione,  e  col  detto  di  un  sol  tes- 
timonio  sulla  cui  fede  si  darannole  pêne,  corne  sopra  comminate. 
Volendo  e  decretando  che  il  présente  editto  afïisso  e  pubblicato  nei 
modi  soliti  délia  città  d'Ancona,  astringa  ciascuno,  come  se  perso- 
nalmente  gli  sie  stato  intimato.  Dato  dalla  nostra  solita  residenza 
nel  palazzo  di  Montecitorio  questo  di  18  juglio  1806. 

»  Alessandro  Lan  te  Tesoriere  gererace. 

9  Nicolas  Nicolai  commissario  générale  délia  R.  C.  A. 

»  Luigi  Salvatori  seg.  e  cancelliere  délia  R.  C.  A  1. 

Ciascuno  pertanto  opérera  quanto  sopra  in  forza  dell'  ennunciata 
proroga,  quale  si  intende  ad  ognuno  personalmente  intimata  dopo  la 
pubblicazione  délia  présente. 

Data  dalla  solita  residenza  di  Montecavallo,  20  gemaio  1844.  — 
A  Gard.  Tosti  Pro  Tesoriere  générale.  Angelo  Maria  Yannini,  com- 
missario générale  délia  R.  C.  A. 

Nous  ne  nous  livrerons  à  aucun  commentaire  au  sujet  de  ce 
privilège  accordé  à  la  communauté  d'Ancône  (privilège  consistant 
à  prélever  une  taxe  sur  les  marchandises  achetées  ou  vendues  à 
Ancône  par  des  Juifs  du  dehors  ou  pour  leur  compte).  Nous  ferons 
seulement  remarquer  que  cette  faveur  était  accordée  à  cette  der- 
nière afin  de  la  mettre  en  état  de  payer  à  la  chambre  apostolique 
les  différents  impôts  qu'on  exigeait  des  Juifs  d'Ancône. 

Nous  avons  sous  les  yeux  d'autres  documents  inédits,  que  nous 
publierons  dans  un  prochain  travail. 

Rome,  août  1888. 

P.-L.  Bruzzone. 

1  Archives  des  États  romains.  Leggi  gregorianus. 


LES  JUIFS  AU  PIÉMONT 


Si  quelqu'un  voulait  entreprendre  des  études  généalogiques  sur 
les  familles  juives  du  Piémont,  il  pourrait  utiliser  en  partie  les 
présentes  notes  tirées  de  documents  authentiques.  Elles  fournis- 
sent aussi  des  indications  sur  les  principales  professions  exer- 
cées en  Italie  par  les  Juifs  au  xvie  siècle,  et  montrent  combien  ils 
étaient  répandus  sur  le  territoire  sub-alpin. 

Nous  trouvons  d'abord  le  texte  d'une  permission  accordée  au 
juif  Lazzarino  Pogietto  d'exercer  le  prêt  à  intérêt  et  de  tenir  une 
banque  à  Asti  et  à  Canelli  ;  permission  valable  pour  dix  ans. 
Donnée  à  Rome,  le  25  octobre  1584  ;  an  XIII  du  pontificat  de  N.  S. 
Grégoire  XIII.  Filippo  Vastavillani,  cardinal  camerlingue.  Andréa 
Martini,  notaire  '. 

Cette  pièce  est  suivie  des  notes  suivantes  : 

La  même  permission  est  accordée  : 

A  Abramo  Palestrio,  pour  deux  banques  à  Susa  et  à  A\i- 
gliana; 

A  Mosé  Melgo,  pour  deux  banques  à  Pignerol  et  à  Rivarolo 
Torinese  ; 

A  Meyer  de  Benedetti,  pour  trois  banques  dans  les  com- 
munes de  Cherasco,  Brà,  Fossano  ; 

A  Benedetto  Pogetto  ,  pour  deux  banques  à  Crescentino 
Canale  Vercellese  ; 

A  David  Nicese,  pour  deux  banques  à  Garignano  et  à  Villa- 
franca  et  à  Torinese. 

Le  tout  à  la  même  date  que  ci-dessus. 

Nous  trouvons  ensuite,  f°  133  des  Diversontm  cités,  une  autre 
lettre  semblable  à  celle  qui  est  adressée  à  Lazzarino  Poggetto. 
Elle  est  écrite  en  faveur  de  Gresino  Tosaio,  juif,  demeurant 

1  Archives  des  États  romains,  Diversontm,  vol.  X.VI. 


142  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

à  Arborio  Vercellese.  C'est  une  permission  d'exercer  le  prêt  à 
intérêt  pendant  dix  ans,  datée  du  25  octobre  1584,  avec  la  signa- 
tare  de  S.  Émin.  le  cardinal  Vastavillani. 
Suit  la  liste  d'autres  Juifs,  favorisés  du  même  privilège  : 

Mosè  Trabozi,  pour  une  banque  à  Rivoli  ; 

Emannuele  Golegna,  pour  une  banque  à  Ghieri  ; 

Abramo  Nicese,  pour  une  banque  à  Chieri  ; 

Fortunio  Lattes,  —  à  Cunéo  ; 

Giuseppe  Bassano,  à  Gavaglià  Vercellese  ; 

Leone  Segre,  à  Gavallermaggiore  ; 

Alessandro  Lattes,  à  Cavour  Torinese  ; 

Gabriele  Viverio,  juif,  à  Ghivasso  ; 

Benedetto  Soavero,  à  Cigliano  Vercellese; 

Oiacobbe  Abibio,  à  Poirino  ; 

Emannuelle  Lattes,  à  Fossano  ; 

Leone  Ulmo,  à  Fossano  ; 

Fabio  Trêves,  à  Sommariva  Torinese  ; 

Benedetto  Sacerdote,  à  Montechiaro  d'Asti  ; 

Aronne  Sacerdote,  à  Mondovi  ; 

Simone  Viverio,  à  Moncalieri  ; 

Vitale  Trêves,  à  Lanzo  Torinese; 

Guiseppe  Segré,  à  Villanova  d'Asti  ; 

Gabriele  Norcio,  à  Vercelli  ; 

Anselmo  Carmio,  à  Vercelli  ; 

Ismaele  de  Belzion,  à  Gassino  Torinese  ; 

Lazzaro  Levi,  à  Gattinara  ; 

Michèle  Trêves,  à  Burgo  Allessii,  diocèse  de  Vercelli  ; 

Giacobbo  Avigdor,  à  Barge  ; 

Angelo  Trabozi,  à  Cunéo  ; 

Clémente  Alfano,  à  Ivrée  ; 

Elia  Nicese,  à  Asti  ; 

Angelino  Pogetto,  à  Asti  ; 

David  Lanternari,  à  Castelnuovo  d'Asti  ; 

Angelo  Poloni,  à  Ceva  ; 

Abramo  Segre,  à  Nice,  diocèse  d'Alba  ; 

David  Roveria,  à  Cortemiglia. 

Une  autre  lettre  de  privilège  est  adressée  à  Giulio  et  aux  frères 
Iona,  demeurant  à  Biella,  diocèse  de  Vercelli,  accordant  la  per- 
mission de  tenir  une  banque  et  de  pratiquer  le  prêt  à  intérêt  pen- 
dant dix  ans.  Donné  le  25  octobre  1581,  portant  la  signature  du 
même  cardinal. 


LES  JUIFS  AU  PIÉMONT  143 

Sait  la  liste  d'autres  Juifs  qui  obtinrent  la  môme  faveur,  à  la 
même  date.  Voici  cette  liste  : 

Graziadio  et  les  frères  Trêves,    à  Gherasco ,  diocèse  de 

Turin  ; 
Leone  Ascoli  et  Bena,  à  S.  Agata. 
Mosè  et  les  frères  Veronesi,  à  Corgné  ; 
Mosè  et  les  frères  Lattes,  à  Guneo  ;     ■ 
Les  fils  et  héritiers  de  feu  Jacob  Momelliani,  à  Busca  ; 
Matasio  et  les  frères  Trêves,  à  Vigone,  diocèse  de  Turin  ; 
Aronne  et  les  frères  Segré,  à  Bene,  diocèse  de  Mondovi. 

Autre  lettre  de  privilège  du  même  genre,  en  faveur  de  Elzafan 
Sacerdote,  juif,  demeurant  à  Casai  Monferrat,  États  du  duc  de 
Mantoue.  La  permission  est  valable  pour  dix  ans  ;  elle  porte  la 
signature  du  cardinal  Enrico,  camerlingue,  et  du  notaire  Andréa 
Martini,  avec  date  du  2  avril  1593,  II0  année  du  pontificat  de 
Clément  Y1II1. 

La  lettre  est  suivie  de  la  liste  suivante  de  concessions  sem- 
blables : 

Vito  Pogetti  et  Simone  Cofa,  juifs,  pour  une  banque  à 
Tonco,  diocèse  de  Casale,  pour  vingt-deux  années.  Datée 
du  15  mars  1594  ; 

Clémente  Pavese,  juif  de  Casale,  pour  une  banque  à  Bis- 
tagno.  Pour  une  durée  de  dix  ans.  Donné  le  7  février 
1594; 

Giosuô  alias  Susone,  juif  de  Cunéo,  pour  une  banque  à 
Cunéo,  pour  une  durée  de  dix  ans.  Donné  le  10  fé- 
vrier 1596  ; 

Aronne  Sacerdote  et  Viviano  de  Angeli ,  associés  pour 
une  banque  à  S.  Stefano  Belbo,  pour  dix  ans.  Donné  le 
25  mars  1599. 

Il  y  a  une  autre  lettre  de  privilège  en  faveur  de  Laudadio 
Mutmen,  juif,  demeurant  à  Cunéo,  lui  accordant  la  permission  de 
tenir  une  banque  de  prêt  à  Cunéo,  pendant  dix  ans,  avec  les 
mêmes  faveurs  accordées  précédemment  aux  autres  Juifs,  ban- 
quiers des  États  Pontificaux.  Donnée  le  28  janvier  1595  et  signée 
par  le  cardinal  camerlingue  Enrico  Caetani. 

Le  même  privilège  a  été  accordé  à  la  même  date  à  Mario  Lattes 
pour  Cunéo. 

Autre   lettre  accordant  la   même   permission  à  Savigliano,  à 

1  Archives  des  États  romains,  Diversorum,  vol.  LX. 


m  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

Emannuele  Lattes,  juif.  La  concession  est  de  dix.  ans.  Datée  de 
Rome  du  25  février  1598  ;  signée  par  le  cardinal  camerlingue 
Enrico  Gaetani. 

Cette  lettre  est  suivie  d'une  liste  de  personnes  ayant  obtenu  le 
même  privilège  : 

Angelo  Poggetto,  pour  tenir  une  banque  à  Asti  ad  decem 

annos  ; 
Aronne  et  Gaiseppe  Sacerdote,  juifs,  pour  une  banque  à 

Vercelli,  pendant  dix  ans  ; 
Alessandro  Lattes,  une  banque  à  Savigliano; 
Les  fils  et  héritiers  de  Raffaele  et  Michèle  de  Rimini,  pour 

une  banque  à  Verceil  ; 
Angelo  et  Gabriele  de  Jona,  pour  deux  banques  à  Ivrée 

et  à  Biella  ; 
Vita  Poggetto,  pour  deux  banques  à  Asti  ; 
Mosè  Muli  pour  une  banque  à  Pignerol  ; 
Les  héritiers  de  M^ir  Benedetti,  pour  deux  banques  à  Che- 

rasco  ; 
Israele  Trêves,  pour  une  banque  à  Ciriè  ; 
Fortunio  Lattes,  pour  une  banque  à  Gunéo  ; 
Emilio  Trêves,  pour  une  banque  à  Savigliano  ; 
Mosè  et  frères  de  Verona,  pour  une  banque  à  Corgné  ; 
Emannuele  Colegna,  pour  une  banque  à  Chieri  ; 
David  Rovera  et  Ventura  Bacco,  pour  une  banque  à  Cor- 

temiglia  ; 
Mosè  Riglieri,  pour  une  banque  à  Verceil; 
David  Lanternaro  pour  une  banque  à  Castelnovo  d'Asti  ; 
Giulio  et  Jona  frères,  pour   une  banque  à  Rivarolo  Ca- 

navese  ; 
Jacob  Uelmo,  pour  une  banque  à  Fossano  ; 
Vitale  Trêves,  une  banque  à  Moncalieri. 

Toutes  ces  concessions  sont  également  de  dix'ans,  mais  la  date 
en  est  différente. 

Giacobe  et  Concilio  de  Levitis,  une  banque  à  Arborio  Ver- 

cellese;  datée  du  4  mai  1598  ; 
Mataxià  et  Vitale  Trêves,  une  banque  à  Finale,  G  mai  1598  ; 
Salomone  Cresca,  une  banque  à  Nizza  (Nice),  15  juin  1598; 
Guiseppe  Stella,  une  banque  à  Nice,  31  août  1598. 

Nous  publions  intégralement  la  lettre  suivante  qui  contient  des 
renseignements  relatifs  aux  titres  de  suzeraineté  : 


LES  JUIFS  AU  PIÉMONT  14S 

«  A  vous  Simone  Milli,  Abramo  Iona  et  Michèle  Ottolenghi, 
juifs,  qui  désirez  établir  une  banque  de  prêt  à  Sassello,  diocèse 
d'Acqui,  Etats  du  domaine  impérial  des  illustrissimes  seigneurs 
E.  B.  Carretti,  comte  de  Millésime,  et  Bartolomeo  Beccaria,  baron 
de  Marbello,  comme  commissaires  de  S.  M.  impériale,  nous  concé- 
dons votre  demande  et  par  les  présentes  nous  ordonnons  que  les- 
dits  comte  et  baron  et  leurs  officiers  permettent  tout  ce  qui  est 
ci-dessus,  à  Sassello,  pendant  dix  ans. 

»  Rome,  12  octobre  1599,  8e  année  du  pontificat  de  Clément  VIII. 
Signé:  le  cardinal  camerlingue  Enrico  Coelani  ;  Luigi  Martini, 
notaire  de  la  Chambre  ». 

Voici  d'autre  part,  une  lettre  d'absolution  qui  certes  a  dû  coûter 
gros  et  qui  mérite  d'être  citée  : 

«  A  toi  Simone  Jerach,  juif  d'Asti.  Nous  étant  disposé  à  favo- 
riser ta  demande,  nous  donnons  absolution  de  tous  les  crimes 
excès,  transgressions  et  délits,  môme  graves  et  énormes,  pourvu 
qu'il  ne  s'agisse  pas  de  choses  condamnées  par  le  Saint-Office,  et 
nous  ordonnons  qu'en  aucune  manière  tu  ne  sois  molesté,  toi,  tes 
agents  ou  tes  parents  et  ordonnons  que  l'évêque  et  le  vicaire  d'Asti 
observent  les  présentes  et  que  le  contrevenant  soit  puni  d'une 
amende  de  mille  ducats  d'or  à  verser  à  la  chambre  apostolique. 
Rome,  le  22  mars  1603. 

»  Pietro  Aldobrandini  cardinal  camerlingue. 

»  Cesare,  évêque  de  Forli,  auditeur,  Scanardi  notaire  ». 

Nous  empruntons  aux  mêmes  sources  les  notes  suivantes  : 

a  A  Donato  et  Emannuele  Bacchi,  juifs  d'Acqui,  est  accordé  le 
privilège  de  tenir  une  banque  à  Millesimo,  terre  impériale,  appar- 
tenant aux  seigneurs  illustrissimes  E.  Battista  et  Prospero  de  Car- 
retti,  et  il  est  ordonné  qu'ils  jouissent  des  tolérances  et  privilèges 
accordés  à  d'autres  en  pareil  cas.  Pietro  Aldobrandini,  cardinal 
camerlingue,  le  20  novembre  1610. 

»  Semblable  permission  a  été  accordée  aux  héritiers  d'Aronne 
Sacerdote  de  Mondovi,  pour  tenir  une  banque  à  Volpiano,  dans  le 
Monferrat,  diocèse  de  Milan,  Etats  du  sérénissime  duc  de  Man- 
toue;  le  4  janvier  1611. 

»  Au  juif  Mosè  Antom,  permission  de  tenir  une  banque  de  prêt 
à  Tassarolo,  terre  impériale  de  l'illustrissime  comte  Agostino  Spi- 
nola,  diocèse  de  Genova  (Gênes).  Le  concessionnaire  est  favorisé 
de  tous  les  privilèges  que  comporte  le  prêt  à  usure  pour  une  durée 
de  sept  ans.  Août  1611. 

T.  XIX,  n°  37.  10 


146  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

»  P.  Aldobrandini,  cardin.  cam.  Le  même  privilège  pour  huit 
ans  est  accordé  à  Duiele  Sacerdote,  à  Cortemiglia; 

»  A  Davide  Sacerdote,  pour  une  banque  à  Settebrio,  diocèse 
d'Acqui,  Etats  du  duc  de  Savoie,  juridiction  du  marquis  Jérôme 
Serra.  Le  privilège  est  pour  une  durée  de  huit  ans.  15  novembre 
1611  ». 

Dans  ces  concessions  de  banque  de  prêt,  le  taux  de  l'intérêt 
n'est  pas  stipulé  mais  ce  dernier  était  admis  au  chiffre  de  10,  quel- 
quefois de  18  0/0,  selon  les  temps  et  circonstances. 

A  mesure  que  nous  nous  éloignons  de  l'époque  de  Sixte  V,  les 
faveurs  accordées  aux  Juifs  vont  toujours  en  diminuant. 

Nous  citerons  encore  au  sujet  des  Juifs  une  note  trouvée  dans  le 
Mémorial  du  grand  prince  Charles  Emanuel  II  : 

«  Le  duc  de  Florence  étant  mort  et  son  successeur  n'aimant  pas 
les  Juifs  auxquels  il  impose  des  taxes,  il  faudrait  envoyer  le 
Morena  pour  engager  quelqu'un  des  plus  riches  parmi  eux  à  faire 
des  maisons  dans  le  port  de  Villafranca  1  ». 

Le  duc  ennemi  des  Juifs  de  Toscane,  c'était  Ferdinand  II,  monté 
sur  le  trône  au  mois  de  mai  1670. 

Parmi  les  documents  curieux  nous  en  trouvons  encore  un  très 
intéressant  relatif  à  un  juif  de  Gunéo  qui  eut  la  permission  de 
prendre  une  seconde  femme,  du  vivant  de  la  première,  frappée  de 
stérilité. 

P.  L.  Bruzzone. 

1  Publication  de  Gaudenzio  Claretta,  1879. 


NOTES  ET  MÉLANGES 


MELANGES    LEX1COGRAPHIQUES 


I. 

Dans  le  Midrasch  Esther,  s.  v.  ntti  D"id  b^n ,  il  est  dit  : 
ïmn  wa  "iriN  moins  mSbttîi  pn  nbn^p^  *sb  ons  ïim«  fnip  ïifcb 
IêoStin  wn  nruNv  «  Pourquoi  ce  peuple  est-il  appelé  oid?  Parce 
qu'il  n'est  parvenu  à  la  domination  que  petit  à  petit  (par  inter- 
valles ou  peut-être  parce  qu'il  n'a  possédé  que  des  parties  de 
l'ancien  royaume  des  Perses  et  jamais  le  royaume  tout  entier,  tel 
qu'il  était  constitué  sous  Cyrus)  une  fois  à  l'époque  de  Tarda,  et 
une  fois  au  temps  d'Ardachian.  » 

Quels  sont  ces  rois?  Le  premier  nom  désigne  Tiridas  I,  qui, 
avec  son  frère  Arsace,  a  fondé  le  royaume  parthe. 

Dans  •jfcroTiN,  qui  vient  de  'kww,  c'est-à-dire  n&wna,  nous 
aurions  le  fondateur  du  royaume  néo-persan,  Ardechir.  En  effet, 
le  royaume  néo-persan  n'a  jamais  atteint  l'étendue  de  l'ancien- 
royaume  de  Perse.  L'auteur  de  l'Aggada  cite  donc  les  fondateurs 
du  royaume  parthe  et  du  royaume  néo-persan. 


IL 


Au  commencement  d'Echa  Rabba,  au  sujet  de  l'explication  de 
an  nb  bj>  anitw  ^i,  0n  lit:  R.  Berachia  dit  :  &ô  fin&T  n»n  b3 
tanpTi  Kj^iNa  b^a.  Ce  passage  offre  une  double  difficulté.  Que 
signifie  le  mot  b^n?  C'est  évidemment  une  corruption  de  ;mj  : 
«  Tous  ceux  qui  chantent  des  chansons  n'arrivent  pas  à  captiver 
l'oreille  du]j  danseur  ».  Le  dernier  mot  est  également  difficile  à 


148  REVUE  DES  ETUDES  JUIVES 

comprendre.  Car  d'abord  nous  nous  attendions  plutôt  au  sens 
suivant:  «  La  voix  du  chanteur  arrive  aux  oreilles  du  danseur  ». 
De  plus,  cette  explication  ne  concorde  pas  avec  le  texte  :  «  Celui 
qui  se  dépouille  de  son  vêtement  au  jour  du  froid  ressemble  à 
celui  qui  répand  du  vinaigre  sur  la  nitre  et  à  celui  qui  chante  en 
présence  d'un  affligé  ».  L'explication  du  Midrasch  serait  donc 
absolument  contraire  au  sens  du  texte  biblique.  Ce  ne  peut  donc 
être  là  l'explication  de  R.  Berachia.  Or,  en  syriaque,  np^i  signifie 
bien  «  danser  »,  mais  a  aussi  souvent  le  sens  de  «  porter  le  deuil  ». 
La  Peschita  traduit  Gen.,  xxm,  2,  iTTtab  TiD&b  par  ïno  bj>  •np-ittb, 
et,  ïbid.,  l,  10  :  b™  -idoïï  ûtiï  TTBbii  par  anm  «niipa»  i»n  "Hpn&n  ; 
de  même  II  Sam.,  i,  12,  iMn  nsD'n  par  ism  V7pnN"i;  Jérémie, 
xvi,  6,  ûnb  "iiDD-1  Nb  par  f-imb*  l^pn^  «bi.  Le  passage  est  donc 
expliqué  par  R.  Berachia  de  la  manière  suivante  : 

Aucun  chant  n'arrive  aux  oreilles  de  Vafftigé, 

ce  qui  répond  bien  au  sens  du  verset  biblique. 

Si  on  se  demande  d'où  viennent  ces  deux  significations  opposées 
d'un  même  mot,  la  chose  s'explique  parla  coutume  qui  existait  de 
célébrer  des  danses  en  l'honneur  du  défunt.  Voilà  pourquoi  le 
mot  ipn  a  aussi  pris  le  sens  de  porter  le  deuil. 

Furst. 


LE  NOM  DE  FANGAR 


Le  Midrasch  sur  Lamentations,  I,  5  parle  de  quatre  généraux 
(•j^D^it  =  duces)  qui  avaient  accompagné  l'empereur  Titus  lors 
de  sa  conquête  de  Jérusalem.  Parmi  eux  se  trouvait  le  général 
des  Arabes  (a^my),  qui,  selon  les  uns,  s'appelait  Kilos  (onb^p), 
selon  d'autres,  Fangar  (tod).  Le  premier  de  ces  deux  noms 
rappelle  le  mot  arabe  b^p,  que  portaient  les  chefs  ou  princes 
yamanites  et  qui  est  aussi  un  nom  propre.  Mais  qu'est-ce  que 
Fangar?  Un  passage  du  commentaire  de  Saadia  sur  les  Pro- 
verbes nous  prouve  qu'il  faut  lire  -îlDN,  et  qu'il  s'agit  d'un 
membre  de  la  famille  célèbre  des  Abgar,  qui  pendant  trois  siècles 
ont  régné  à  Édesse,  et  dont  un  surtout  est  fameux  par  sa  pré- 
tendue correspondance  avec  Jésus-Christ. 


NOTES  ET  MÉLANGES  149 

Voici,  du  reste,  ce  passage  curieux  du  commentaire  de  Saadia 
sur  Proverbes,  chap.  xxvi,  vers.  19  : 

n^ïi  h9&  :  32wNb  K5N  nt^n  bnp-'i  muait  ■nsatoi  inosn  ^étd 

ipNhbN  rvob»  air:  ^d  ■vaanjbN  ^3N  >aa  n^di  '«nfcbN  ïtd  ttba  aban 

.owta  3>tt 

«  Ainsi  l'homme  trompe  son  voisin  et  dit  ensuite  :  je  ne  fais 
que  plaisanter.  —  C'est  ce  que  font  les  hypocrites  :  ils  dirigent 
leurs  menées  contre  celui  auquel  ils  veulent  faire  du  mal  ;  s'il 
s'en  aperçoit,  ils  disent  :  nous  avons  plaisanté  avec  toi  ;  s'il  ne 
s'en  aperçoit  pas,  ils  exécutent  leurs  projets.  Ainsi  fit  Abgar 
l'Arabe  lors  de  la  destruction  du  second  temple  en  accompagnant 
Titus.  » 

Il  est  peut-être  utile  de  faire  observer  que  les  rois  d'Édesse  por- 
taient chacun  un  nom  particulier  en  dehors  du  nom  d'Abgar,  qui 
paraît  avoir  été  l'équivalent  de  chef  ou  prince,  comme  le  nom  de 
Kaïl  dans  le  Yémen  ou  celui  de  Kaisar  (Gaesar)  à  Rome.  Les 
chroniques  syriennes,  autant  que  je  sache,  ne  parlent  pas  de  la 
participation  d'un  roi  d'Édesse  à  la  guerre  de  Titus;  mais  elles 
sont,  en  général,  très  sobres  dans  leur  récit  de  la  destruction  du 
Temple. 

J.  Derenbourg. 


NOTE  SUR  LE  TRAITÉ  DE  POLÉMIQUE  PEÏÏLVI 


Les  communications  de  moi  que  M.  J.  Darmesteter  a  bien  voulu 
insérer  au  bas  des  textes  pehlvis  qu'il  a  publiés 1  étaient  de 
simples  notes  jetées  à  la  hâte  à  la  marge  d'une  épreuve.  En  les 
relisant  aujourd'hui,  je  m'aperçois  d'une  inexactitude  que  j'ai 
commise.  J'avais  remarqué  que  l'histoire  du  malade  qui  demande 
à  Dieu  «  abondance  de  subsistance  »  en  ce  monde  est  celle  que  le 
Talmud  raconte  de  Rabbi  Hanina  ben  Dosa.  En  revoyant  ce  ré- 
cit, dans  le  texte,  j'avais  en  vain  cherché  l'épilogue,  je  veux  dire 
ces  mots  de  l'ange  :  «  Quand  je  détruirais  le  firmament,  quand  je 

1  Revue,  t.  XVIII,  p.  14  et  15. 


150  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

referais  à  nouveau  ciel  et  terre,  quand  je  disposerais  à  nouveau 
et  referais  la  marche  des  étoiles,  je  n'en  verrais  pas  mieux  s'il 
doit  t'échoir  un  bon  sort  ou  un  mauvais.  »  (Voir  Revue,  t.  XVIII, 
p.  15).  J'avais  eu  tort  de  ne  pas  pousser  plus  loin  mes  investiga- 
tions, car,  quelques  lignes  plus  bas,  voici  ce  qu'on  lit  : 

«  Eléazar  ben  Pedat  était  très  malheureux.  Un  jour  qu'il  s'était 
fait  saigner  et  n'avait  rien  à  manger,  il  prit  un  morceau  d'oignon, 
mais  il  en  fut  malade  et  s'endormit.  Comme  les  rabbins  étaient 
venus  le  consulter,  ils  le  virent  pleurer  et  rire,  dans  son  sommeil, 
et  une  flammèche  de  feu  jaillir  de  son  front.  A  son  réveil,  ils  lui 
demandèrent  pourquoi  il  avait  ainsi  ri  et  pleuré.  «  Dieu,  répondit- 
il,  était  assis  près  de  moi  ;  je  lui  demandai  jusqu'à  quand  je  serais 
ainsi  malheureux  en  ce  monde  ;  et  il  me  dit  :  «  Eléazar,  mon  fils, 
veux-tu  que  je  détruise  ce  monde  et  le  crée  à  nouveau,  peut-être 
alors  naîtras-tu  sous  le  temps  de  la  subsistance.  »  Comment, 
m'écriai-je,  tant  que  cela,  et  tu  dis  seulement  peut-être  ! . . .  »  On 
voit  donc  que  l'auteur  dont  s'est  inspiré  le  polémiste  persan  avait 
fondu  ensemble  les  deux  historiettes,  qui  s'étaient  soudées  dans  sa 
mémoire,  à  cause  de  leur  ressemblance.  Mais,  chose  curieuse,  la 
confusion  est  encore  plus  grande  :  un  troisième  élément  est  entré 
dans  cet  amalgame  et  pour  les  mêmes  motifs. 

On  remarquera  que ,  dans  le  texte  pehlvi ,  le  mari  demande 
cette  faveur  en  secret,  tandis  que  dans  l'histoire  de  Hanina  c'est 
sur  l'instigation  de  sa  femme;  en  outre,  dans  l'un,  il  est  ques- 
tion d'un  trône  de  perles  précieuses  ;  dans  l'autre,  d'une  table 
d'or.  Or,  le  Midrasch,  racontant  de  Rabbi  Schimon  ben  Halafta 
une  légende  presque  identique  à  celle  de  R.  Hanina,  montre  le 
héros  priant  Dieu  à  Vinsu  de  sa  femme  et  recevant  du  ciel  une 
pierre  précieuse  (Exode  Rabba,  52) l. 

Toutes  ces  histoires  s'étaient  donc  mêlées  dans  la  tête  de  l'écri- 
vain juif,  qui  rédigeait  de  mémoire,  et  c'est  ainsi  que  s'est  formée 
une  nouvelle  version  composite. 

Je  crois  donc  volontiers  que  beaucoup  des  confusions  que 
semble  faire  l'écrivain  pehlvi  ne  doivent  pas  lui  être  imputées,  et 
que  les  traditions  contre  lesquelles  il  s'escrime  lui  étaient  fournies 
par  un  auteur  de  basse  époque  qui  ne  savait  pas  recourir  aux 
sources. 

Israël  Lévi. 


1  Remaniement  d'un  passage  de  Ruth  Rabba,  III,  qui  a  l'air  d'un  extrait  du  Ta! 
mud  jérusalmi. 


NOTES  ET  MELANGES  151 

ENCORE  UN  MOT  SUR  UN  ALPHABET  HÉBREU-ANGLAIS 
AU  XIV"  SIÈCLE1. 

Saint  Jérôme,  dans  son  interprétation  de  l'alphabet  hébreu, 
dont  il  a  été  parlé  ici  à  propos  d'un  alphabet  anglo-hébreu,  s'est 
borné  à  reproduire  les  explications  d'Eusèbe  (Preparalio  evan- 
gelica,  liv.  X,  ch.  v,  et  liv.  XI,  ch.  vi).  Ces  interprétations  ayant 
passé  du  grec  en  latin,  plusieurs  d'entre  elles  ne  se  comprennent 
plus  que  si  on  se  reporte  au  texte  grec. 

En  se  livrant  à  ce  jeu,  qui  avait  pour  but  de  démontrer  aux 
païens  que  seul  l'alphabet  hébreu  donne  un  sens  si  on  lit  les  noms 
des  lettres  à  la  suite  les  uns  des  autres,  Eusèbe  ne  se  faisait  pas 
faute  de  recourir  au  grec  pour  trouver  à  quelques-uns  de  ces 
noms  un  sens  qui  permît  de  les  faire  entrer  dans  des  phrases 
complètes.  C'est  ainsi  qu'il  traduit  daleth  par  des  tables,  à  cause 
du  grec  SéXxo;,  «  table  »,  zai  (pour  zaïn)  par  il  vit,  à  cause  de  Cxi, 
et  noun  par  les  choses  éternelles,  à  cause  de  aiwvta.  Il  est  donc 
inutile  de  croire  à  une  faute  de  copiste  dans  l'alphabet  hébreu- 
anglais  pour  l'interprétation  de  zai  par  vit  a.  Peut-être  l'expli- 
cation de  nun  par  sensus  rentre-t-elle  dans  le  même  genre  d'éty- 
mologie.  Un  auteur  aura  rapproché  nun  de  voûç,  à  l'accusatif 
voûv.  Le  unus  de  saint  Ambroise  est  également  imaginé  par  ana- 
logie avec  l'assonance  de  nun.  Toutes  les  autres  étymologies 
d'Eusèbe  sont  tirées  de  l'hébreu  et  de  l'araméen.  La  plus  étrange 
est  celle  de  van  par  in  illa  :  Eusèbe  s'est  contenté  de  l'assonance 
de  vau  avec  la,  ou  un,  sans  voir  que  le  v  était  ici  un  b. 

Israël  Lévi. 


LE  MÉMOIRE  DE  GANGANELLI 


Nous  avons  à  faire  deux  additions  au  Mémoire  du  cardinal 
Ganganelli  sur  la  calomnie  du  meurtre  rituel  publié  par  nous 
dans  la  Revue,  tome  XVIII,  p.  179-211. 

1  Voir  Revue,  tome  IV,  p.  255  et  suiv. 


152  REVUE  DES  ETUDES  JUIVES 

Nous  avons  été  embarrassé  pour  identifier  André  «  de  Rin- 
nense,  in  diocesi  di  Bressanone  »,  affaire  de  1462  ^  Nous  n'avions 
pas  soupçonné  que  la  Bulle  de  Benoit  XIV,  mentionnée  dans  ce 
passage  de  notre  texte,  nous  donnerait  les  moyens  de  faire  la  vraie 
identification  2.  Elle  dit  :  «  in  vico  Rinnensi,  Brixinensis  diocesi.  » 
D'autre  part,  les  Acta  Sanclorum,  à  la  date  du  12  juillet  (année 
1462),  portent  «  prope  Oenipontum  ».  L'endroit  où  s'est  passée 
l'affaire  de  Saint-André,  en  1462,  est  donc  Rinn,  dans  le  Tyrol, 
près  d'Innsbruck,  diocèse  de  Brixen. 

2.  En  parlant  des  Juifs  baptisés,  Ganganelli  cite  «  il  famoso 
Leone  da  Modena3  ».  En  disant,  dans  une  note,  que  Ganganelli  a 
pensé,  dans  ce  passage,  au  célèbre  Léon  de  Modène,  nous  avons 
omis  de  dire  pourquoi  nous  n'admettions  pas  l'explication  de 
M.  Berliner,  qui  croit  que  Ganganelli  a  pensé  à  un  Jtida  (Léon) 
de  Modène  qui  a  vécu  à  Prague  en  1559 4  et  s'est  effectivement  fait 
baptiser,  tandis  que  le  Léon  de  Modène,  de  Venise,  ne  s'est  pas 
converti  au  christianisme.  Nous  ne  pouvions  pas  croire  que 
Ganganelli  eût  donné  au  Léon  Modena,  de  Prague,  le  surnom 
de  «  il  famoso  ».  Il  nous  parait  donc  assez  probable  que  notre 
hypothèse  doit  être  maintenue  :  Ganganelli  a  cru  que  Léon  de 
Modène,  de  Venise,  s'était  fait  chrétien.  Connaissait-il  le  Léon 
Modena  de  Prague  ?  l'a-t  il  confondu  avec  celui  de  Venise  et  est-ce 
pour  cela  qu'il  compte  ce  dernier  parmi  les  Juifs  convertis  ? 
Gela  est  possible.  Paul  Médici  parle,  dans  la  préface  de  ses  Riti, 
de  Léon  de  Modène,  de  Venise,  et  Ganganelli  a  peut-être  pensé 
qu'un  Juif  converti  comme  Paul  Médici  ne  pouvait  citer  que  des 
Juifs  convertis.  Dans  Ugolini,  à  qui  Ganganelli  paraît  se  référer, 
nous  n'avons  rien  pu  trouver  sur  un  Léon  de  Modène  baptisé. 

Isidore  Loeb. 


UN  PORTRAIT  DE  FARADJ,  LE  TRADUCTEUR 


L'existence  d'un  portrait,  d'une  authenticité  incontestable  d'un 
éminent  savant  juif  delà  fin  du  xme  siècle  est  assurément  une 

*  Voir  Revue,  XVIII,  pages  181,  183,  et  surtout  p.  202. 
s  Bulle  du  22  février  1755. 

3  Revue,  ibid.,  p.  201. 

4  Gutachten  Ganganelli' s,  p.  46,  note  sur  page  23,  1.  15. 


NOTES  ET  MÉLANGES  153 

des  surprises  les  plus  inattendues  de  la  littérature  juive,  où  d'ail- 
leurs les  surprises  ne  sont  pas  rares.  Nous  ne  possédons  le  por- 
trait d'aucun  de  nos  grands  penseurs  et  poètes,  de  nos  hommes 
d'État  et  docteurs  de  la  Loi,  le  portrait  de  Maïmonide  étant 
considéré  généralement  comme  non  authentique.  Or  ce  portrait 
unique,  qui  pendant  si  longtemps  était  resté  ignoré,  ne  repré- 
sente même  pas  un  de  ces  hommes  qui  sont  arrivés  à  la  consi- 
dération et  à  la  célébrité  dans  le  sein  de  leur  communion,  mais 
un  de  ceux  qui  sont  placés,  pour  ainsi  dire,  aux  frontières  de 
deux  mondes,  un  simple  traducteur.  Le  privilège  de  passer  à  la 
postérité  sous  forme  de  portrait  ne  fut  réservé  qu'à  un  seul  juif, 
à  un  serviteur  de  roi,  qui  était  comblé  des  faveurs  du  prince  et 
qui  avait,  de  par  ordre  de  Sa  Majesté,  mission  &  d'allumer  une 
lumière  en  laissant  briller  son  esprit  ».  De  tous  les  honneurs  et 
de  toutes  les  distinctions  dont  Charles  I  d'Anjou  gratifia  son 
fidèle  traducteur  attitré,  le  juif  Faradj  Mosé  b.  Salem,  la  faveur 
la  plus  haute  qu'il  lui  accorda  fut  de  faire  exécuter  par  un  maître 
de  l'art  de  l'enluminure,  sur  le  premier  exemplaire  de  la  traduc- 
tion latine  de  l'encyclopédie  médicale  d'Ar-Razi,  Al-Hawi,  faite 
par  Faradj  et  dédiée  à  ce  prince,  le  portrait  du  studieux  et  cé- 
lèbre traducteur,  à  côté  du  sien  propre. 

On  savait  depuis  longtemps  *,  que  parmi  les  trésors  des  Colber- 
tina:  à  la  Bibliothèque  nationale  de  Paris,  le  ms.  6912,  se  com- 
posant de  cinq  in-folios,  contenait  la  traduction  de-1'Al-Hawi, 
confiée  à  Faradj  par  Charles  d'Anjou.  Mais  il  était  réservé  au 
coup  d'œil  sagace  de  M.  Paul  Durrieu2  d'y  reconnaître,  grâce  à 
une  comparaison  minutieuse  des  indications  existant  dans  les 
archives  angevines  de  Naples  avec  les  particularités  artistiques 
du  manuscrit,  la  première  copie  de  l'Al-Hawi  latin,  que  le  roi 
Charles  I  fit  faire  pour  lui-même  et  que  Giovanni,  moine  du 
Monte-Cassino,  illustra  par  son  art  d'enlumineur.  Faradj  com- 
mença son  œuvre  le  6  février  1278  et  la  termina  le  13  février 
]279.  Mais  le  travail  des  copistes  et  de  l'enlumineur  exigea  plus 
de  temps  que  n'en  avait  employé  le  traducteur.  Ce  fut  seulement, 
le  31  août  1282,  que  la  première  copie  put  être  considérée  comme 
terminée.  Sans  doute,  Faradj  dut  encore  faire  nombre  de  correc- 
tions plus  ou  moins  importantes,  qu'il  fallait  reproduire  dans  ce 
chef-d'œuvre  de  la  calligraphie. 
La  démonstration  de  M.  Durrieu  est  tellement  inattaquable  et 

1  Wûstenfeld,  Die  Uebersetzungoi  arabischer  Werke  in  das  Latelnische  seit  dem 
XI  Jahrhundert,  p.  107  et  suiv.  ;  Steinschneider ,  Archiv  de  Virchow,  XXXIX, 
p.  296  et  suiv. 

*  Gazette  archéologique,  XI,  192-201,  et  planche  23. 


154  REVUE  DES  ETUDES  JUIVES 

probante,  la  ressemblance  de  Charles  I  d'Anjou  si  bien  établie 
par  d'autres  exemples,  que  nous  n'hésitons  pas  un  seul  instant  à 
reconnaître  dans  le  portrait  de  Faradj  une  reproduction  fidèle  et 
authentique.  Du  reste,  l'art  de  Giovanni  s'est  élevé  dans  ce  por- 
trait à  la  perfection.  Il  a  représenté  trois  fois  notre  héros.  La 
première  fois,  il  l'a  peint  recevant  des  mains  du  roi  le  livre  à 
traduire  ;  ensuite,  il  l'a  représenté  au  travail  dans  sa  cellule, 
ayant  devant  lui  sur  un  pupitre  le  manuscrit  d'Ar-Razi  et  tenant 
sur  ses  genoux  la  traduction  commencée  ;  enfin,  recevant  des 
mains  du  prince  les  honoraires  de  son  travail  terminé.  Nous  ne 
doutons  pas  qu'un  artiste  ne  distingue  dans  ces  trois  scènes  les 
traits  d'ensemble  qui  doivent  composer  le  portrait  parlant  de 
Faradj. 

L'image  qui  le  représente  au  travail  est  parfaite  d'expression. 
Cette  petite  miniature  est  inoubliable  quand  on  l'a  une  fois  bien 
regardée.  La  figure  de  Faradj  révèle  les  traits  distinctifs  qui  sont 
les  éléments  constitutifs  du  type  sephardi,  l'ovale  prononcé  du 
visage,  les  contours  nets  et  la  fine  coupe  du  nez,  fortement 
busqué,  les  yeux  perçants  et  pétillants  d'intelligence,  les  lèvres 
minces  et  le  menton  proéminent.  A  en  juger,  d'après  ce  portrait, 
qui  nous  paraît  aussi  indiquer  des  cheveux  blancs,  Faradj  doit 
avoir  été  d'un  âge  avancé  au  moment  où  l'artiste  a  immortalisé 
ses  traits. 

Disons,  eh  terminant,  que  le  portrait  de  Faradj  conviendrait  ad- 
mirablement au  frontispice  de  l'œuvre  monumentale  de  M.  Stein- 
schneider  sur  les  traducteurs  juifs. 

David  Kaufmann. 


BIBLIOGRAPHIE 


REVUE    BIBLIOGRAPHIQUE 

[Les  indications  en  français  qui  suivent  les  titres  hébreux  ne  sont  pas  de  V auteur  du  livre 
mais  de  V auteur  de  la  recension,  à  moins  qu'elles  ne  soient  entre  guillemets.) 


1.  Ouvrages  hébreux. 

Û^TEÎ  nDON  «  Poésies  hébraïques,  par  Armand  Kaminka  ;  1er  vol.,  Odes  et 
Ballades,  Élégies,  Poésies  étrangères.  »  Paris,  libr.  Durlacher,  1888  ; 
in-8°  de  112  p. 

TWlVïl  "i"n  '0  Bio-bibliograpkisches  Lexicon,  publié  par  Effrath.  Vilna, 
impr.  Romm,  5649  (1889)  ;  in-8°  de  64  p. 

abb  —z^  '0,  6e  partie,  Novelles  talmudiques  sur  le  Schulhan  Arukh  Orah 
Hayyim  ;  sans  nom  d'auteur.  Smyrne,  impr.  Hayyim  Abraham  de  Segora, 
5428  ;  in-8°  de  82  fit.  La  date  5428  paraît  erronée  et  devoir  être  remplacée 
par  5448  (1888). 

pi"!!^  y>y  '0  Consultations  sur  les  quatre  parties  du  Schulhan  Arukh,  par 
Isaac  Elhanan  Spector,  rabbin  à  Kowno.  Vilna,  impr.  Rosenkranz  et 
Schriftsetzer,  5649  (1889)  ;  in-folio  de  202  +  38  ff. 


2.  Ouvrages  en  langues  modernes. 

Anuar  pentru  Israeliti  en  un  supliment  calendaristic  pe  anul  5650  (1889- 
1890);  publié  par  M.  Schwarzfeld;  12e  année.  Bucarest,  impr.  Eduard 
Wicgand,  1889  ;  in-8°  de  vm-215  p. 

Bibliothèque  de  l'École  des  Hautes  Études,  sciences  religieuses.  Premier 
volume.  Études  de  critique  et  d'histoire  par  les  membres  de  la  section  des 
sciences  religieuses,  avec  une  introduction  par  M.  Albert  Réville,  prési- 
dent de  la  section.  Paris,  libr.  Leroux,  1889  ;  in-8°  de  xxx-371  p. 

Contient  les  articles  suivants  :  Massebieau,  Le  classement  des  œuvres 
de  Philon  ;  H.  Derenbourg,  Un  nouveau  roi  de  Saba  sur  une  inscription 
sabéenne  inédite  du  Louvre  ;  Maurice  Vernes,  Les  populations  anciennes 


1:6  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

et  primitives  de  la  Palestine,  d'après  la  Bible  ;  M.  Esmein,  Les  questions 
des  investitures  dans  les  lettres  d'Yves  de  Chartres  ;  Ernest  Havet,  La 
conversion  de  saint  Paul  ;  Albert  Réville,  Du  sens  du  mot  Sacramentum 
dans  Tertullien  ;  A.  Sabatier,  L'auteur  du  Livre  des  Actes  des  Apôtres 
a-t-il  connu  et  utilisé  dans  son  récit  les  Épîtres  de  saint  Paul  ;  Jean 
Réville,  Le  rôle  des  veuves  dans  les  communautés  chrétiennes  primitives  ; 
F.  Picavet,  De  l'origine  de  la  philosophie  scolastique  en  France  et  en 
Allemagne;  Sylvain  Lévi,  Deux  chapitres  du  Sarva-DarçanaSamgraha  ; 
Le  système  Çaiva  et  le  système  Paçupata  ;  Isidore  Loeb,  La  chaîne  de  la 
Tradition  dans  le  premier  chapitre  des  Pirké  Abot  ;  Amélineau,  L'Hymne 
au  Nil. 

Brandt  (Wilhelm).  Die  Mandâische  Religion,  ihre  Entwickelung  und 
geschicktliche  Bedeutung.  Leipzig,  libr.  J.  C.  Hinrichs,  1889  ;  in-8°  de 
viii-236  p. 

Corpus  inscriptionum  semiticarum  ab  academia  inscriptionum  et  literarum 
humanarum  conditum  atque  digestum.  Pars  quarta ,  Inscriptiones 
himyariticas  et  sabacas  continens  ;  Tomus  primus,  fasc.  primus.  Paris, 
irapr.  nationale,  1889;  in-4°  de  102  p.,  avec  carton  de  12  planches. 
L'introduction  est  signée  de  M.  Joseph  Derenbourg  et  nous  savons  que 
l'ouvrage  a  été  fait  avec  la  collaboration  de  M.  Hartwig  Derenbourg. 

Feilghenfeld  (J.).  Kurzgefasstes  Lehrbucli  der  jùdischen  Religion  fur 
Schule  und  Haus.  Rostock,  libr.  Cari  Meyer,  1889  ;  in-8°  de  67  p. 

Fischer  (Bernard).  Hebrâische  Unterrichtsbriefe  nach  bewâhrter  Méthode 
fur  den  Selbstunterricht  in  Alt-  und  Neuhebrâisch.  Leipzig,  libr.  C.  A. 
Koch,  1889,  in-8°de212p. 

Guttmann  (J.).  Die  Philosophie  des  Salomon  Ibn  Gabirol  (Avicebron). 
Gôttingen,  libr.  Ruprecht,  1889  ;  in-8°  de  iv-272  p. 

Contient  :  1.   Les   écrits  philosophiques  de  Gabirol  ;    2.  Les  sources  de 
la  philosophie  de  Gabirol  ;  3.  L'influence  de  la  philosophie  de  Gabirol. 

Hoerning  (Reinhart).  Descriptions  and  collation  of  six  Karaits  manuscripts 
of  portions  of  the  Hebrew  Bible  in  Arabie  characters  with  a  complète 
reproduction  by  the  autotype  process  of  one,  Exodus,  i,  1.  —  VIII,  5, 
in-42  facsimiles.  Londres,  Williams  et  Norgat,  1889,  in-4°  de  xn-68  p. 
et  42  planches. 

Holtzmann  (Oskar).  Das  Ende  des  jùd.  Staatswesens  und  die  Entstehung 
des  Christenthumes.  Fascicules  148,  152,153,  154  et  157  de  l'Allgemeinc 
Geschichte  de  W.  Oncken.  Berlin,  libr.  G.  Grote,  1888,  in-8°  de  674  p. 
Fait  suite  à  la  Geschichte  des  Volkes  Israël  de  Bernhard  Stade,  même 
collection. 

Kôhler  (Auguste).  Lehrbuch  der  biblischen  Geschichte  AltenTestamentes  ; 
2e  partie,  2e  moitié,  1er  fascicule.  Erlangen  et  Leipzig,  libr.  Deichert, 
1889  ;  in-8°  de  1-168  p. 

Lagarde  (Paul  de).  Uebersicht  ùber  die  im  Aramâischen,  Arabischen  und 
Hebraischen  ùbliche  Bildung  der  Nomina.  Gôttingen,  libr.  Dietrich, 
1889;  in~4°  de  240  p.  Extrait  du  35°  vol.  des  Abhandlungen  der 
K.  Gesellsch.  der  Wissensch.  zu  Gôttingen. 

Lippe  (K.j.  Das  Evangelium  Matin œi  vor  dem  Forum  der  Bibel  und  der 
Talmud.  Jassy,  impr.  et  libr.  Isidor  Schorr,  1889,  in-8°  de  279  p. 


BIBLIOGRAPHIE  157 

Lersch  (B.  M.)-  Einleitung  in  die  Chronologie  oder  Zeitrcchnung  verschie- 
dener  Vôlker  und  Zeiten,  nebst  christlichem  und  jùdischem  Festkalender. 
Aix-la-Chapelle,  Rudolf  Barth,  1889  ;  in-8°  de  184  p. 

Lowv  (A.)-  The  Elohistic  and  Jehovistic  propcr  Names  of  men  and  women 
in  the  Bible.  Londres,  impr.  Harrison  et  fils,  1889  ;  in-8°  de  10  p. 
Extrait  des  Proceedings  of  the  Soc.  of  Biblic.  Archœology. 

Mahler  (Eduard).  Chronologische  Vergleichungs-Tabellen,  nebst  einer 
Anleitung  zu  den  Grundztigen  der  Chronologie;  IIe  Heft,  Die  Zeit  und 
Festrechnung  der  Juden.  Vienne,  impr.  A.  Fanto,  1889  ;  in-4°  de  140  p., 
comprenant  p.  69  à  140.  Donne,  comme  dans  les  tables  que  nous  avons 
construites,  l'identification  du  1er  de  chaque  mois  du  calendrier  juif. 

Muller  (Gustav-Adolf).  Pontius  Pilatus,  der  fùnfte  Prokurator  von  Judâa 
und  Richter  Jesu  von  Nazareth,  mit  einem  Anhang  :  Die  Sagen  ùber 
Pilatus  und  einem  Verzeichnis  der  Pilatus-Literatur.  Stuttgart,  libr.  J.-B. 
Metzler,  1888  ;  in-8°  de  vin-59  p. 

Mueller  (Joël).  Die Responsen  der  spanischen  Lehrer  des  10.  Jahrhunderts, 
R.  Mose,  R,  Chanoch,  R.  Joseph  ibn  Abitur.  Berlin,  imp.  Rosenthal, 
1889  ;  in-4°  de  37  p.  Dans  7.  Bericht  ùber  die  Lehranstalt  f.  d.  Wissensch. 
d.  Judenthums  in  Berlin. 

Orientalische  Bibliographie,  publié  par  A.  Muller,  3e  année,  1er  et  2°  fas- 
cicules ;  Berlin,  libr.  H.  Reuther,  1889;  in-8°  de  57  p. 

Philonis  Alexandrini  Libellus  de  Opificio  mundi.  Spécimen  novae  edi- 
tionis  operum  Philonis  ab  Academia  Regia  Berolinensi  prsemio  ex  dona- 
tione  Carlottiana  ornatum  ;  edidit  Leopoldus  Cohn.  Breslau,  libr.  Wilh. 
Koebner,  1889  ;  in-8°  de  lviii-108  p. 

Reusch  (Heinrich).  Index  librorum  prohibitorum,  gedruckt  zu  Parma  1580 
nach  dem  einzigen  bekannten  Excmplare.  Bonn,  libr.  M.  Cohn,  1889  ; 
in-8°  de  43  p.  Le  Talmud,  à  ce  qu'il  nous  semble,  ne  figure  pas  dans  cette 
liste. 

Resgh  (Alfred).  Agrapha,  Aussercanonische  Evangilien  Fragmente  ;  dans 
Texte  und  Untersuchungen  zur  Geschichte  der  altchristlichen  Literatur, 
de  Gebhardt  et  Harnack  ;  5e  volume,  4e  fascicule.  Leipzig,  libr.  J.  C. 
Hinrichs,  1889  ;  in-8°  de  xn-520  p. 

Saineanu  (Lazar).  Studiu  dialectolocic  asupra  graiului  evreo-german.  — 
—  I.  inlroducere  ;  Bibliografic,  literatura,  elemente  lexicale.  Bucharest, 
impr.  Ed.  Wiegand,  1889  ;  in-8°  de  78  p. 

Sghaffer  (S.).  Das  Rccht  und  seine  Stellung  zur  Moral  nach  talmudischer 
Siiten-und  Rechtslehre.  Francfort-s.-M.,  libr.  Kauffmann,  1889  ;  in-8°  de 
131  p. 

Simonsen  (D.).  «  Sculptures  et  Inscriptions  de  Palmyre  à  la  glypto- 
thèque  de  Ny  Carlsberg,  avec  8  planches  zincographiées  dessinées  par 
J.  Eutiuget  18  photogravures.  »  Copenhague,  libr.  Th.  Lind,  1889  ;  in-8° 
de  63  p.  et  18  pi. 

Sorel  (E.-G.).  Contribution  à  l'étude  profane  de  la  Bible.  Paris,  libr. 
Auguste  Ghio,  1889  ;  in-8°  de  vni-339  p. 


158  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

Schùrer  (Emil).  Geschichte  des  jûdischen  Volkes  im  Zeitalter  Jesu  Christi. 
Zweite  neu  verarbeitete  Auflage  des  Lehrbuchs  der  neutestam.  Zeitge- 
schichte,  erster  Theil,  erste  Hâlfte.  Leipzig,  libr.  G.  Hinrichs,  1889;  in-8° 
de  256  p. 

Vernes  (Maurice).  Précis  d'histoire  juive  depuis  les  origines  jusqu'à 
l'époque  persane,  Ve  siècle  avant  J.-G.  Paris,  libr.  Hacbette,  1889,  in-18 
de  828  p.  et  2  cartes. 

Jùdiscber  Volks-und  Haus-Kalender  fur  das  Jahr  5650  (1890),  mit  einem 
Jabrbucb  zur  Belebrung  und  Unterbaltung,  herausgg.  von  M.  Brann. 
Breslau,  impr.  Chatzky,  1889;  in-8°  de  118  p. 

Contient:  Brann,  Alte  jùd.  Grabsteine  in  Schlesien  ;  L.  Cohen,  Chro- 
nologische  Beitrâge  zur  jûd.  Geschichte,  Bibliographie  und  Biographie. 

Wolf  (Lucien).  Jewish  Coats  ofarms.  Londres,  impr.  du  Jewish  Chronicle, 
1889  ;  in-8°  de  10  p.  Extrait  du  Jewish  Chronicle. 

WiJNSGHE  (A.ug.).  Der  Babylonische  Talmud  in  seinen  haggadischen  Bes- 
tandtheilen  ;  wortgetreu  ùbersetzt  ;  Zweiter  Halbband,  3.  Abtheilung. 
Leipzig,  libr.  Otto  Schulze,  1889  ;  in-8°  de  x-470  p.  Contient  Sanhédrin, 
Aboda  Zara,  Maccot,  Horaïot,  etPirké  Abot. 

Wellhausen  (J.).  Die  Composition  des  Hexateuchs  und  der  historischen 
Bûcher  des  Alten  Testaments  ;  Zweiter  Druck  mit  Nachtrâgen.  Berlin, 
impr.  et  libr.  G.  Reimer,  1889  ;  in-8°  de  260  p. 


3.  Notes  et  extraits  divers. 

=  E.  Havet  :  La  modernité  des  Prophètes.  —  Dans  Revue  des  Deux- 
Mondes,  nos  du  1er  et  du  15  août.  Nous  croyons  la  thèse  de  M.  Havet  très 
exagérée,  mais  elle  est  soutenue  avec  des  arguments  sérieux,  il  serait 
absolument  injuste  de  la  traiter  par  le  dédain;  elle  mérite,  au  contraire, 
un  examen  approfondi  et  sur  beaucoup  de  points,  plus  ou  moins  secon- 
daires et  néanmoins  importants,  nous  croyons  qu'il  a  parfaitement  raison. 
On  pourra  lire  aussi  sur  ce  sujet  le  livre  de  M.  Maurice  Vernes  que  nous 
annonçons  plus  haut  et  qui  contient  beaucoup  de  choses  intéressantes, 
sur  lesquelles  nous  faisons  cependant  les  mêmes  réserves  que  sur  le 
travail  de  M.  Havet. 

:  Dans  Boletin  de  la  Real  Academia  de  la  Historia,  fascicule  juin  1889, 
p.  568-571,  notes  de  M.  Fidel  Fita  sur  une  inscription  de  Marviedro,  déjà 
signalée  par  M.  Neubauer  dans  les  Archives  des  missions  scientifiques, 
2e  se'rie,  vol.  5,  p.  432  (Paris,  1868)  ;  la  pierre  est  si  mal  conservée  que 
ni  la  partie  hébraïque  ni  la  partie  latine  n'ont  encore  pu  être  déchiffrées 
d'une  manière  satisfaisante.  Autre  note  de  M.  Fidel  Fita  sur  une  inscrip- 
tion de  la  terre  seigneuriale  de  Benavites  ;  voici  la  lecture  de  M.  Fita  : 

3>"a  nb^m  ï-nn  ïrrnia  rmap  nas» 

Cette  inscription  est,  en  général,  très  facile.  Le  nom  de  la  défunte  est 
Dona  Jamila  ;  le  nom  de  son  mari  est  plus  difficile  ;  mais  M.  Fita  parait 
avoir  résolu  le  problème  :  DH^b  est  Lagem  ou  Legem,  nom  qu'on  trouve 
à  Sagunto,  chez  les  Juiis,  à  la  fin  du  xive  siècle  {Boletin,  t.  XIV,  p.  557) 


BIBLIOGRAPHIE  159 

et  qui,  en  arabe,  signifie  boucher.  Benavites  est  dans  cette  même  région. 
M.  Chabret,  dans  son  Histoire  de  Sagunte,  t.  II,  p.  186,  parle  de'jà  de 
cette  inscription.  A  la  page  429  du  même  volume,  M.  Cbabret  donne  une 
pièce  e'manant  de  48  familles  juives  demeurant  à  Sagunte  en  1352  ;  on  y 
trouve  le  nom  d'un  Salomon  Legem  traduit  en  idiome  de  Valence  par 
Salamo  Cornicer  (boucher).  Cette  même  écriture  contient  les  noms  de 
Içach  Acrix  (évidemment  UJvip^),  d'une  femme  appelée  Mira  et  d'un 
Jaffuda  (Juda)  Adoctori. 

=  Le  Jugement  de  Salomon  (suite  et  fin)  ;  n°  VI,  En  Italie  et  en  Angleterre. 
—  Dans  Mélusine,  IV,  juillet  1889,  p.  446. 

=  Les  Jahresberichten  der  Geschichtswissenschaft  (Berlin,  libr.  Gaerner), 
contiennent  l'excellente  revue  littéraire  de  M.  Kayserling,  pour  l'anne'e 
1886,  sous  le  titre  de  :  Jûdische  Geschichte  von  der  Zerstôrung  Jerusa- 
lems  bis  zur  Gegenwart,  pages  i,  32  à  i,  42. 

=  Un  article  de  M.  Leroy-Beaulieu  sur  le  centenaire  de  1889,  de  Paris, 
publie'  par  la  Revue  des  Deux-Mondes,  n°  du  15  juin  1889,  contient 
divers  discours  fictifs  prononcés  par  des  représentants  de  divers  peuples 
et  de  diverses  opinions  ;  on  y  trouvera  un  très  beau  et  très  remarquable 
discours  d'un  rabbin  parlant  au  nom  des  Juifs. 

=  Dans  Nord  und  Sud,  publié  par  Paul  Lindau  ;  493  volume,  147e  fascicule 
(Breslau,  libr.  Schottlaender,  1889),  intéressant  article  de  M-  le  Dr  Joest, 
de  Berlin,  sur  les  Juifs  du  Maroc,  sur  V Alliance  israëlite  et  sur  les  e'coles 
de  Y  Alliance  isr.  univ.  au  Maroc.  Nous  aurions  pourtant  à  faire  des 
réserves,  mais  nous  aimons  mieux  remercier  M.  Joest  de  ses  sentiments 
bienveillants. 


4.  Chronique  des  Journaux. 

11  y  a  un  peu  de  calme,  et  ce  n'est  pas  malheureux,  dans  l'histoire  des 
journaux.  Le  seul  journal  nouveau  qui  ait  paru  a  pour  titre  :  Zeitschrift 
zur  Bekàmpfung  des  Antisemitismus,  erscheint  in  zwanglosen  Heften. 
Le  1er  fascicule  a  paru  à  Linz,  impr.  Tagwerker,  en  juillet  ou  août  1889 
et  est  composé  de  16  p.  in-8°  ;  prix,  1  flor.  par  an.  Pas  de  nom  d'édi- 
teur ni  de  rédacteur. 

=  Lire  dans  le  Theologischer  Jahresbericht,  de  Lipsius,  8e  volume,  année 
1888  (Fribourg  en  Brisgau,  libr.  Mohr,  1889),  les  très  intéressantes  et 
très  abondantes  notices  sur  la  théologie,  où  la  théologie  et  l'histoire 
juives  trouvent  également  leur  place.  La  2e  partie  du  8e  vol.  vient  de 
paraître. 

Isidore  Loeb. 


ADDITIONS  ET  RECTIFICATIONS 


M.  S.-J.  Halberslam,  de  Bielitz,  et  M.  D.  Kaufmann  ont  bien  voulu 
nous  envoyer  les  additions  et  rectifications  suivantes  sur  notre  article 
concernant  les  Polémistes  juifs  et  chrétiens  {Revue,  tome  XVIII).  =  = 
M.  Halberstam  :  P.  226,  la  fin  du  Bittul  ïlikaré  kanoçerim  a  déjà  été'  publiée 
par  Steinschneider,  dans  Hebr.  Bibliogr.,  VI,  p.  3;  l'imprimé,  d'après  lui, 
serait  de  Salonique,  1862.  —  P.  231,  sur  nWiln  '0  de  Geronimo,  voir 
M.  Halberstam  dans  Jeschurun  de  Kobak,  VI,  45-46.  =  =  M.  D.  Kaufmann  : 
P.  226,  1.  5,  en  remontant,  la  rime  prouve  qu'au  lieu  de  ""itoïl,  il  faut  lire 
^faïl.  et  traduire  :  «  Lorsque  Dieu  me  bénit  en  tout,  etc.,  le  temps  eut  envie 
de  l'éclat  de  mon  honneur.  »  —  P.  223,  1.  1,  lire  probablement  nfrtBïl 
Û^pï-n  Ù^fc«!l  (non  d"^)»  c'est-à-dire  fruits  verts  et  durs,  et  traduire  en 
conséquence,  p.  224,  1.  11,  en  remontant.  —  Ibid.,  1.  12,  en  remontant,  il 
faut  peut-être  d^pDnOfaïi,  «  qui  se  contentent  ».  —  P.  233,  1.  15,  «  quod 
evangelia  sunt  peccatum  publicum  »,  les  mots  soulignés  sont  probablement 
une  traduction  maladroite  de  •pib^  "pN.  La  vraie  traduction  de  ces  deux 
mots  est,  après  interversion  de  l'état  construit,  qui  est  fréquente,  «  rouleau 
du  péché  »,  comme  s'il  y  avait  "ptf  )vb$,  et  par  opposition  à  l'idée  que 
les  chre'tiens  se  font  de  l'Évangile,  qui  est  pour  eux  le  rouleau  du  salut.  — 
P.  235,  n°  38.  Goguerço  (confortium)  est  la  traduction  littérale  de  fjN-nn 
ou  Si&nsïl  nll^D,  le  repas  fait  après  Penterrement.  =  =  Nous  ajoutons 
que  si  «peccatum  publicum  »  est  effectivement  la  traduction  de  yrfyï  *J~1^> 
le  traducteur  paraît  avoir  pris  ï"pbA  comme  un  mot  dérivant  de  nb^j 
découvrir,  dans  le  sens  de  péché  découvert.  —  Isidore  Loeb. 

Tome  XVIII,  p.  85.  D'après  M.  Halévy,  Revue  de  V Histoire  des  Religions^ 
t.  XV,  p.  94  et  suiv.,  le  roman  de  Barlaam  et  Joasaphn'a  pas  été  écrit  d'abord 
en  grec  puis  en  arabe,  mais  en  arabe  d'abord.  S'il  en  est  ainsi,  il  faudra 
remplacer,  pour  ce  chapitre,  les  mots  «  éléments  chrétiens  »  par  «  éléments 
arabes  »  ;  et  ma  thèse  n'en  sera  pas  changée  :  j'ai  bien  pris  soin,  t.  XVII, 
p.  315,  et  t.  XVIII,  p.  89,  de  déclarer  qu'à  mon  avis,  l'auteur  du  Pirké  R. 
Éliézer  a  puisé  à  pleines  mains  dans  les  légendes  syro-arabes.  —  P.  87. 
R.  Méir  [Erubin,  18  b)  dit,  contrairement  aux  autres  Midraschim,  qu'Adam 
était  très  pieux,  que  voyant  que  la  mort  avait  été  décrétée  à  cause  de  lui, 
il  se  mit  à  jeûner  pendant  130  ans,  que  pendant  cet  espace  de  temps  il  n'eut 
pas  commerce  avec  sa  femme,  et  qu'il  lui  poussa  des  bourgeons  de  figuier 
sur  le  corps.  Si  donc  le  Pirké  R.  Éliézer  s'était  inspiré  de  ce  texte,  reste- 
rait à  expliquer  pourquoi  il  a  réduit  la  durée- de  ce  jeûne  (les  130  ans  s'im- 
posaient, parce  qu'Adam  eut  Seth  à  l'âge  de  130  ans)  ;  pourquoi  surtout  il 
fait  entrer  Adam  dans  le  fleuve,  où  il  a  de  l'eau  jusqu'au  cou,  tout  comme 
dans  la  Vie  d'Adam.  —  Israël  Lévi. 


Le  gérant, 

Israël  Lévi. 


VERSAILLES,   IMPRIMERIE    CERF    ET    FILS,    RUE    DUPLESSIS,    59. 


RECHERCHES  BIBLIQUES 


XVII 


LE   ROYAUME    HÉRÉDITAIRE    DE    CYRUS     D'APRÈS     LES     INSCRIPTIONS 
BABYLONIENNES    ET   LA    BIBLE. 


La  question  relative  au  sens  exact  du  titre  du  roi  d'Anshan  que 
Cyrus,  le  fondateur  de  l'empire  perse,  se  donne  à  lui-même,  dans 
son  inscription  babylonienne,  est  de  celles  qui  ont  besoin  d'être 
souvent  reprises,  avant  qu'on  puisse  s'arrêter  avec  quelque  con- 
fiance à  l'une  des  solutions  présentées  par  les  divers  savants  qui 
en  ont  fait  l'objet  de  leurs  études. 

Le  pays  d'Anshan  a  fait  sa  première  apparition  sur  le  domaine 
assyriologique  au  commencement  de  1880,  où  Sir  Henry  Rawlin- 
son  publia,  avec  une  traduction  interlinéaire,  dans  le  Journal  of 
the  Royal  Asiatic  Society,  le  texte  d'un  cylindre  babylonien  dans 
lequel  Cyrus  raconte  comment,  grâce  à  la  protection  de  Marduk, 
il  s'est  rendu  pacifiquement  maître  de  Babylone  et  a  mis  fin  au 
règne  impie  de  Nabonicle.  Le  dieu  Marduk,  dit-il,  voulant  réta- 
blir les  rites  violés  par  ce  roi,  a  passé  en  revue  (ihit  ibrêma)  tous 
les  pays,  s'est  adressé  (ishtéma)  à  un  roi  juste,  favori  de  son  cœur, 
dont  il  soutient  la  puissance,  et  il  a  appelé  au  gouvernement  de 
l'univers  le  nommé  Cyrus,  roi  d'Anshan  (lignes  11  et  12).  Aux 
lignes  20-2,  il  nous  initie  à  sa  généalogie  et  au  titre  officiel  de  ses 
ancêtres  :  «  Je  suis  Cyrus,  roi  des  légions,  roi  grand,  roi  puissant, 
roi  de  Babylone,  roi  de  Sumer  et  d'Accad,  roi  des  quatre  ré- 
gions (21),  fils  de  Kambuziya,  roi  grand,  roi  de  la  ville  d'Anshan, 
petit-fils  de  Cyrus,  roi  grand,  roi  de  la  ville  d'Anshan,  arrière- 
petit-fils  de  Shispish,  roi  grand,  roi  de  la  ville  d'Anshan  (22),  reje- 
ton d'une  longue  suite  de  rois,  dont  Bel  et  Nabou  aiment  le  gou- 
vernement. . .  » 

T.  XIX,  n°  38.  11 


162  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

Placé  subitement  devant  ce  fait  inattendu,  que  Cyrus,  au  lieu 
de  s'intituler  «  roi  de  Perse  »,  s'assigne  à  lui-même  et  à  ses  trois 
ancêtres  la  royauté  de  la  ville  d'Anshan,  M.  Rawlinson  vit  tout  de 
suite  que,  malgré  le  témoignage  d'Hérodote,  le  pays  d'Anshan  ne 
peut  pas  être  la  Perse  proprement  dite,  mais  une  partie  d'Élam  ou 
de  Susiane.  Il  lui  compara,  avec  raison,  le  nom  du  pays  écrit  an- 
du-an,  qui  doit  se  lire  Ashshan  et  qui  est  interprété  mai  Elamtu, 
«  pays  d'Élam  »,  par  un  document  assyrien.  Au  premier  abord, 
M.  Rawlinson  pensa  placer  la  ville  et  le  pays  d'Anshan  sur  la 
plaine  de  Mal-Amir  ;  mais,  en  raison  du  caractère  anaryen  des 
inscriptions  découvertes  dans  le  voisinage  de  Kal-Faraun  et  de 
Shïkaft-i-Salman,  il  inclina  à  chercher  la  position  de  ce  pays  dans 
la  plaine  susienne  de  Ram- Hormuzd,  près  de  Shuster.  Toutefois, 
pendant  l'impression  de  son  article,  M.  Rawlinson,  s'étant  aperçu 
que  M.  Sayce  avait  déjà  signalé  l'identité  d' 'Anduan- Ashshan  avec 
YAnzan  des  inscriptions  de  Suse,  se  décida  à  revenir  à  sa  pre- 
mière impression  en  faveur  de  la  plaine  de  Mal-Amir ,  qu'il 
suppose  avoir  été  peuplée  par  des  Perses  ariens  dès  le  temps 
d'Achéménès. 

Au  mois  de  mars  suivant,  M.  Théophile  Pinches  fit  paraître, 
dans  les  Proceedings  of  the  Society  of  biblical  Archaeology,  le 
résumé  d'une  tablette  babylonienne  qui  relate  an  par  an  les  événe- 
ments du  règne  de  Nabonide  ;  un  peu  plus  tard  parut  le  texte, 
avec  traduction  littérale,  dans  les  Transactions  de  la  même 
Société.  Là  aussi  Cyrus  était  nommé  roi  d'Anshan  (avec  un  signe 
différent  pour  sha).  Cette  coïncidence  tout-à-fait  remarquable  de 
documents  si  indépendants  me  détermina  à  consacrer  à  l'avène- 
ment de  Cyrus  un  travail  spécial,  inséré  dans  le  premier  numéro 
de  la  Revue  des  études  juives.  Entre  autres  questions,  j'y  traitai 
aussi  celle  qui  concerne  la  position  exacte  du  pays  d'Anslian,  et, 
après  avoir  établi  l'identité  des  trois  orthographes  :  Anduan 
{Ashshan),  Anshan  et  Anzan,  je  me  décidai  en  faveur  de  l'idée 
de  M.  Rawlinson,  qui  la  place  dans  la  plaine  susienne,  située  entre 
les  montagnes  et  le  bassin  inférieur  du  Tigre,  contrée  qui  est 
l'Élam  proprement  dit  des  Assyro-Babyloniens.  Ceci  prouvé,  j'en 
tirai  cette  conclusion  que  les  Achéménides,  à  partir  de  Téispès,  . 
malgré  leur  origine  iranienne  attestée  par  leurs  noms,  régnaient 
en  Susiane,  voire  à  Suse  même,  au  lieu  de  régner  eh  Perse, 
comme  on  le  croyait  jusqu'alors,  d'après  les  historiens  classiques 
et  principalement  d'après  Hérodote. 

Cette  opinion,  qui  admettait  cependant  l'origine  aryenne  du  fon- 
dateur de  l'empire  perse,  causa  une  émotion  générale  dans  un 
certain  milieu  d'historiens  conservateurs.   On  m'accusa  d'avoir 


RECHERCHES  BIBLIQUES  163 

voulu  enlever  à  la  race  indo-européenne  un  de  ses  héros  les  plus 
purs  et  les  plus  glorieux,  de  faire  fi  des  traditions  les  plus  respec- 
tables consignées  dans  la  Bible  et  les  histoires  accréditées,  et 
d'autres  méfaits  semblables.  Les  contradictions  et  les  réfutations 
vinrent,  serrées  et  violentes,  de  presque  tous  les  pays  de  l'Europe. 
J'ai  cherché  à  répondre  à  ceux  dont  les  arguments  avaient  un 
caractère  scientifique,  et  j'ai  laissé  les  autres  se  débattre  à  leur 
aise,  car  j'avais  la  ferme  espérance  qu'une  nouvelle  trouvaille 
assyriologique  viendrait  un  beau  jour  dissiper  la  dernière  ombre 
de  doute  qui  planait  encore  sur  la  position  précise  du  pays 
d'Anshan.  Cette  trouvaille  a  été  faite  en  effet  par  mon  ami 
M.  Arthur  Amiaud,  cinq  ans  plus  tard.  En  examinant  l'inscription 
B.  de  Gn-de-a,  M.  Amiaud  trouva  un  passage  qui  nous  apprend 
que  cet  Jshakku  (pa-te-si)  de  Lagashu  (shir-bur-la)  a  battu  le  roi 
de  la  ville  à'Anshan  1  du  pays  d'Élam  (col.  vi,  65).  A  mon  grand 
désappointement,  cette  donnée  si  claire  ne  produisit  pas  sur  mon 
savant  ami  l'effet  que  j'en  attendais.  Au  contraire,  dans  un 
mémoire  publié  dans  les  Mélanges  Rénier  2,  M.  Amiaud  chercha 
plus  que  jamais  à  justifier  le  point  de  vue  traditionnel.  Il  fallut 
donc  attendre  de  nouveau  d'autres  témoignages  en  faveur  de  ma 
thèse.  Ces  témoignages,  j'ai  la  satisfaction  de  pouvoir  les  signaler 
à  l'heure  qu'il  est,  et  voilà  pourquoi  je  prends  la  liberté  de  revenir 
sur  la  question  d'Anshan  huit  ans  après  la  publication  de  mon 
premier  mémoire  sur  ce  sujet.  Ma  réponse,  j'ai  à  peine  besoin  de 
le  faire  observer,  visera  uniquement  les  objections  faites  au  nom 
de  l'assyriologie  et,  par  conséquent,  les  deux  travaux  principaux 
qui  s'en  réclament,  à  savoir  :  le  mémoire  de  M.  l'abbé  Delattre, 
intitulé  YEmpire  des  Mèdes,  qui  a  été  couronné  par  l'Académie 
de  Belgique,  et  le  mémoire  tout  à  fait  remarquable  de  mon  sa- 
vant collègue  et  ami,  dont  les  travaux  occupent  le  premier  rang 
dans  l'assyriologie  française,  mémoire  intitulé  Cyrus,  roi  de 
Perse  et  datant  de  1887. 


Dès  le  début  de  la  discussion,  j'avais  indiqué  à  mes  contradicteurs 
un  moyen  héroïque  de  détruire  mes  conclusions,  c'est  d'identifier 
le  nom  d'Anshan  avec  la  Perse.  Quelques-uns  d'entre  eux,  préfé- 

1  Ecrit  avec  le  signe  sha,  qui  tigure  dans  ce  nom  dans  l'inscription  de  Cyrus. 
*  Bibliothèque  de  l'École  des  Hautes-Études,  LX XIIIe   fascicule.   Paris,   1887, 
pp.  241-2t)0. 


164  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

rant  la  tradition  aux  documents  contemporains,  s'y  sont  aussitôt 
cramponnés  comme  à  une  ancre  de  salut.  Les  autres,  mieux 
avisés,  reconnurent  le  poids  des  raisons  que  j'avais  développées 
contre  l'impossibilité  d'une  telle  interprétation.  Les  deux  auteurs 
précédemment  nommés  sont  de  ce  nombre,  mais  ils  cherchent, 
chacun  à  sa  façon,  un  biais,  afin  d'échapper  aux  conséquences 
historiques  du  fait.  Examinons-les  séparément  et  sans  parti  pris. 
En  traduisant  shar  mat  Anshan  par  «  roi  de  la  Susiane  »,  j'ai 
été  guidé  par  une  considération  de  fait  que  j'ai  clairement  expri- 
mée dans  mon  article.  Quelque  étroite  qu'eût  pu  être  primitive- 
ment la  province  susienne  de  ce  nom,  il  est  indubitable  que,  dans 
la  bouche  de  Nabonide,  de  Cyrus  et  de  leurs  chanceliers,  le  mat 
Anshan  embrassait  la  Susianne  tout  entière  avec  Suse,  sa  capi- 
tale. Prétendre  le  contraire  serait  aussi  absurde  que  d'entendre 
dans  les  titres  de  «  roi  de  France  »  et  d'  «  empereur  d'Alle- 
magne »,  les  seuls  territoires  des  Francs  et  des  Alamans.  Je  ne 
m'explique  guère  comment  une  considération  aussi  élémentaire  a 
pu  échapper  à  M.  Delattre,  qui  ouvre  son  examen  critique  de  mon 
opinion  par  les  mots  suivants  :  «  M.  Halévy  est  le  seul,  à  notre 
connaissance,  qui  ait  attribué  la  seconde  langue  des  inscriptions 
trilingues  au  pays  d'Anshan.  Bien  que  ce  soit  aussi  notre  avis,  il  y 
a  une  différence  essentielle  entre  son  opinion  et  la  nôtre.  Pour  nous, 
Anshan  est  une  partie  d'Élam  ;  pour  M.  Halévy,  Anshan  est  absolu- 
ment identique  à  Élam  (ou  Susiane)  ».  M.  Delattre  n'a  évidemment 
pas  réfléchi  à  la  portée  de  sa  subtile  distinction,  car  il  en  résulte- 
rait que,  même  après  la  conquête  de  Babylone,  Cyrus  n'était  pas 
encore  maître  de  la  Susiane  entière,  et  cependant  tous  les  histo- 
riens classiques  attestent  unanimement  qu'il  résidait  à  Suse.  De 
plus,  M.  Delattre  croit-il  que  les  rois  susiens  contemporains  auraient 
laissé  pendant  quatre  générations  les  ancêtres  de  Cyrus  et  Cyrus 
lui-même  dans  la  tranquille  possession  de  leur  principauté  minus- 
cule d'Anshan,  sans  jamais  penser  à  les  chasser  du  pays,  avec  l'aide 
de  leurs  alliés  les  Mèdes  ouïes  Babyloniens?  D'autre  part,  est-il 
imaginable  que  les  princes  d'Anshan,  d'origine  perse  et  étrangers 
au  pays,  n'aient  jamais  pensé  à  s'emparer  du  reste  de  la  Susiane? 
On  le  voit,  l'idée  de  restreindre  l'Anshan  de  Cyrus  à  une  seule  pro- 
vince susienne  ne  tient  pas  debout,  et  il  devient  clair  que  l'expres- 
sion «  roi  d'Anshan  »  équivaut  à  «  roi  de  Susiane  ».  Un  tel  titre, 
vu  la  grandeur  et  l'antiquité  de  la  Susiane,  était  aux  yeux  de 
Cyrus  autrement  glorieux  que  celui  de  «  roi  de  Perse  »,  et  c'est 
pourquoi  il  ne  le  prend  jamais  dans  ses  inscriptions,  bien  que 
l'annexion  de  la  Perse  à  la  Susiane  ait  été,  suivant  toutes  les  vrai- 
semblances, l'un  des  premiers  actes  guerriers  de  ce  conquérant. 


RECHERCHES  BIBLIQUES  16b 

Le  titre  de  «  roi  de  Perse  »  lui  est  donné  une  fois  par  l'auteur  des 
annales  de  Nabonide,  ainsi  que  par  les  auteurs  hébreux  et  grecs, 
qui  insistaient  surtout  sur  l'origine  perse  de  Cyrus.  Les  histo- 
riens grecs  ont  même  entièrement  ignoré  l'existence  d'une  dy- 
nastie perse  dans  la  Susiane  avant  Cyrus  *. 

Cet  exposé  suffit  pour  enlever  toute  base  aux  objections  de 
M.  Delattre;  les  témoignages  des  anciens,  y  compris  Darius,  qui 
attribuent  aux  Achéménides  seuls  le  droit  à  la  royauté,  ne  contre- 
disent en  rien  le  fait  constaté  par  Cyrus,  que  ses  ancêtres  occu- 
paient depuis  plusieurs  générations  le  trône  de  la  Susiane.  Que  les 
auteurs  postérieurs  aient  parlé  de  la  Susiane  comme  d'une  pro- 
vince perse,  personne  ne  peut  s'en  étonner;  mais,  au  début  de 
la  fondation  de  l'empire  perse,  la  situation  était  différente  :  la 
Susiane,  gouvernée  par  plusieurs  générations  de  princes  perses, 
l'emportait  de  beaucoup  sur  le  pays  d'origine  de  ces  princes. 
Aussi  est-il  arrivé  que,  malgré  l'agrandissement  immense  de 
l'empire  perse  du  côté  de  l'ouest,  Suse  resta  la  capitale  aussi 
longtemps  que  dura  la  dynastie  des  Achéménides,  bien,  que  la 
position  d'Egbatane  ou  de  Babylone  aurait  été  plus  avantageuse, 
surtout  en  raison  de  leur  climat  plus  agréable  que  celui  de  Suse. 
«  La  Susiane,  Strabon  le  remarque  expressément,  a  un  climat 
de  feu,  et  la  chaleur  y  est  tout  spécialement  intolérable  dans  la 
partie  où  est  Suse.  »  Alexandre,  en  préférant  Babylone,  a  tenu 
compte  de  cette  considération  impérieuse  ;  mais  les  Achéménides 
ne  pouvaient  pas  quitter  si  facilement  le  berceau  de  leur  empire 
et  la  capitale  héréditaire  de  leur  dynastie.  M.  Delattre  ferme  les 
yeux  sur  ce  passage  et  m'oppose  l'autre  passage,  où  Strabon  ex- 
plique la  préférence  des  rois  perses  pour  Suse  par  la  position 
centrale  de  cette  ville.  11  n'a  pas  remarqué  que  l'auteur  grec,  peu 
satisfait  lui-même  de  cette  raison,  y  joint  une  autre,  d'un  ordre 
politique.  «  C'est,  dit-il,  que  la  Suside  n'avait  jamais  par  elle- 
même  rien  entrepris,  ni  rien  réalisé  de  grand  ;  c'est  qu'elle  avait 
toujours  eu  des  maîtres,  qu'elle  avait  toujours  dépendu  d'empires 
plus  vastes,  si  ce  n'est  peut-être  à  l'origine  et  à  l'époque  héroïque 
de  son  histoire.  »  Vu  l'ignorance  absolue  des  auteurs  grecs  rela- 
tivement à  l'histoire  de  la  Susiane,  les  paroles  de  Strabon  sont 
au  fond  très  exactes  :  après  la  terrible  invasion  d'Assurbanipal, 
qui  discrédita  la  dynastie  indigène,  la  Susiane,  gouvernée  par  les 
Achéménides  d'origine  perse,  est  devenue,  comme  la  Perse  elle- 
même,  une  simple  dépendance  de  l'empire  mède.  J'ai  depuis  long- 


1  On  verra  plus   loin  qu'une  allusion   à   la   domination  en    Susiane  d'une  dynastio 
étrangère  se  trouve  chez  un  écrivain  prophétique  du  vie  siècle  avant  J.-C. 


166  REVUE  DES  ETUDES  JUIVES 

temps  tiré  ce  fait  historique  du  célèbre  passage  de  la  grande  ins- 
cription de  Nabonide  relative  à  la  construction  du  temple  du 
soleil  à  Harran,  passage  dans  lequel  Cyrus,  roi  d'Anshan,  est 
appelé  le  plus  petit  des  serviteurs  d'ishtuioegu,  roi  des  umman- 
manda,  c'est-à-dire  d'Astyage,  roi  des  Mèdes. 


II 


Le  mémoire  de  M.  Amiaucl  revêt  une  forme  sévère  et  profondé- 
ment scientifique.  Le  titre  :  «  Gyrus,  roi  de  Perse  »  caractérise 
déjà  à  lui  seul  l'esprit  d'énergique  décision  du  savant  assyriologue 
qui  entre  en  lice  pour  la  défense  de  traditions  respectables.  Dans 
le  prologue,  M.  Amiaud  trace  une  image  séduisante  de  l'accord 
parfait  sur  ce  point  des  livres  juifs,  des  historiens  grecs  et  des 
traditions  persanes,  accord  qui  avait  emporté  la  conviction  de 
tous  les  savants  ;  il  prend  vigoureusement  à  parti  les  assyrio- 
logues  trop  hâtés  et  assez  peu  circonspects  pour  entrer  en  lutte 
avec  les  historiens  anciens,  qui  n'avaient  apparemment  aucune 
raison  de  n'être  pas  véridiques,  qui  étaient  plus  rapprochés  des 
lieux  et  des  événements  dont  nous  nous  occupons,  et  qui,  par 
conséquent,  s'ils  ne  pouvaient  toujours,  non  plus  que  nous,  puiser 
directement  aux  sources,  y  pouvaient,  du  moins,  remonter  par  des 
intermédiaires  nombreux  et  par  des  interprètes  plus  autorisés  que 
nous  ne  sommes. 

Voilà  un  procès  dressé  en  toute  règle  et  sans  ambages  contre  les 
assyriologues  assez  osés  pour  porter  le  trouble  dans  l'accord  gé- 
néral des  historiens.  Le  coupable,  cela  va  sans  dire,  c'est  moi, 
mais  M.  Amiaud  emploie  l'expression  «  les  assyriologues  »  au 
pluriel,  parce  qu'il  vise  en  même  temps  un  travail  de  M.  Sayce  qui 
m'est  resté  inconnu  et  dans  lequel  cet  auteur  nie  l'origine  persane 
de  Gyrus.  Cette  dernière  opinion,  que  je  ne  partage  nullement, 
est  aussi  réfutée  par  M.  Amiaud.  «  Gyrus,  dit-il  avec  raison,  a  pu 
parler  avec  un  respect  plus  ou  moins  intéressé  des  dieux  de 
Babylone,  mais  sa  nationalité  perse  n'est  pas  douteuse  »,  car,  ainsi 
que  je  l'ai  fait  remarquer  dès  le  commencement,  les  noms  de  ce 
prince  et  de  ses  pères  Kurus,  Kambujiya,  Tchaispis,  Hakhâmanis 
suffisent  pour  éclaircir  cette  origine.  En  dehors  de  cette  seule 
observation  à  l'adresse  de  M.  Sayce,  le  mémoire  en  question  est 
consacré  à  l'élucidation  de  la  position  géographique.  d'Anshan  et 
ne  vise  que  moi  seul. 

J'aurais  peut-être  pas  mal  à  redire  contre  l'autorité  absolue 


RECHERCHES  RIBIJQtJES  167 

que  mon  savant  ami  octroie  aux  historiens  anciens.  Précisément 
parce  qu'ils  ne  sont  que  les  interprètes  par  intermédiaires  de  nar- 
rateurs asiatiques  dont  ils  ne  comprenaient  pas  la  langue,  on 
doit  examiner  leurs  traditions  à  la  lumière  des  documents  venant 
directement  des  personnages  dont  il  est  question  ou  de  leurs 
contemporains.  Aujourd'hui  même,  il  serait  parfois  très  difficile 
d'établir  certains  faits  historiques,  si  les  écrits  composés  pendant 
les  événements  nous  faisaient  défaut.  Or,  sur  ce  point  comme  sur 
tant  d'autres,  les  anciens  n'étaient  guère  plus  parfaits  que  nous. 
Gomment  peut  -  on  donc  les  déclarer  des  guides  infaillibles  et 
torturer  les  documents  originaux,  afin  de  créer  un  accord  qui 
n'existe  pas? 

Mais  laissons-là  les  généralités  et  occupons-nous  des  objections 
de  détail  par  lesquelles  M.  Amiaud  cherche  à  justifier  son  adhésion 
à  l'opinion  traditionnelle.  Voici  comment  il  pose  et  résout  du  pre- 
mier coup  la  question  en  litige. 

«  Au  dire  de  M.  Halévy,  les  premiers  Achéménides,  malgré 
les  noms  qu'ils  portaient,  s'étaient  si  bien  nationalisés  en  Susiane, 
que  le  plus  puissant  d'entre  eux,  Gyrus,  prend  dans  son  protocole 
officiel  le  titre  de  «  roi  de  Susiane  »,  au  lieu  de  celui  de  «  roi  de 
Perse  ».  Ce  dernier  titre  lui  est  exclusivement  donné  par  des 
étrangers,  soit  dans  le  but  d'indiquer  sa  conquête  de  la  Perse,  soit 
dans  celui  de  préciser  son  origine.  »  Selon  le  même  auteur,  «  de 
ce  que  la  Bible  appelle  Cyrus  «  roi  de  Perse  »  ou  «  le  Perse  »,  on 
peut  seulement  conclure  que  la  Perse  faisait  partie  de  son  empire 
et  qu'il  descendait  d'une  famille  originaire  de  la  Perse,  non  qu'il 
est  immédiatement  venu  de  ce  pays.  »  Je  crois  ici,  avec  d'autres 
contradicteurs,  que  M.  Halévy  tient  trop  peu  compte  de  l'autorité 
des  auteurs  sacrés  et  profanes,  qui  font  de  Cyrus  un  roi  de  Perse. 
Je  crois  et  je  vais  essayer  de  prouver  que  le  titre  de  roi  d'An- 
shan  emportait,  dans  la  pensée, des  scribes  babyloniens  qui  l'ont 
employé,  soit  qu'ils  écrivissent  en  leur  propre  nom,  soit  qu'ils 
s'exprimassent  au  nom  de  Cyrus,  la  signification  de  roi  de  Perse, 
que  les  deux  titres  s'équivalaient.  » 

La  contradiction  est,  comme  on  le  voit,  aussi  tranchée  que  pos- 
sible :  pour  moi  l'Anshan  est  l'Élam  ou  la  Susiane;  pour  M.  Amiaud, 
c'est  la  Perse.  Mais  pourquoi  le  savant  assyriologue  revient-il  de 
nouveau  à  mon  peu  de  respect  pour  l'autorité  des  auteurs  sacrés 
et  profanes  ?  Dans  la  science  sévère  et  impartiale,  le  maniement 
du  levier  de  V autorité  me  semble  parfaitement  déplacé  et,  pour 
la  plupart  du  temps,  inutile.  Du  reste,  mon  contradicteur  a  oublié 
de  me  signaler  un  passage  où  les  auteurs  sacrés  ou  profanes 
auraient  affirmé  que  les  premiers  Achéménides  n'ont  pas  régné 


168  BEVUE  DES  ETUDES  JUIVES 

en  Susiane,  car  c'est  le  contraire  de  cette  négation  seul  qui  fait  la 
substance  de  ma  thèse.  Quant  au  titre  de  roi  de  Perse,  il  pouvait 
légitimement  être  donné  à  Cyrus  plusieurs  années  avant  la  con- 
quête de  Babylone ,  voire  même  probablement  avant  la  chute 
d'Astyage,  car  la  prise  de  possession  de  la  Perse  était,  ainsi  que 
je  l'ai  dit  plus  haut,  suivant  toutes  les  vraisemblances,  le  premier 
acte  d'agression  de  Cyrus  à  l'égard  de  la  Médie. 

M.  Amiaud  continue  :  «  Sans  cette  équivalence  (d'Anshan  et  de 
Perse),  comment  expliquerait-on  que  le  rédacteur  des  Annales  de 
Nabonide,  qui  nomme  deux  fois  Cyrus  en  faisant  suivre  son  nom 
de  son  titre  royal,  l'appelle  une  fois  roi  d'Anshan,  shar  Ans  h  an 
(col.  2,  1.  1)  et  une  fois  roi  de  Perse,  shar  mat  Parsu  (col.  2, 1.  25)  ? 
Qu'on  (lisez:  qu'Halévy)  n'objecte  pas  que  dans  le  cylindre  où  Cyrus 
lui-même  a  la  parole  une  pareille  variante  ne  se  rencontre  pas, 
qu'il  s'y  nomme  toujours  et  qu'il  y  nomme  ses  prédécesseurs  rois  de 
la  ville  (ou  du  pays)  d'Anshan,  qu'il  connaissait  apparemment  son 
propre  titre  mieux  qu'un  scribe  babylonien.  Je  pense,  au  con- 
traire, que  la  leçon  roi  de  Perse  est  bien  plus  probante  sous  le 
style  d'un  Babylonien  que  dans  la  bouche  de  Cyrus.  Qu'on  veuille 
y  voir  un  lapsus  ou  une  modification  intentionnelle,  cette  leçon 
ne  peut  s'expliquer,  dans  l'opinion  que  je  combats,  que  par  la 
préoccupation  où  était  son  auteur  de  l'origine  perse  du  roi  d'An- 
shan et  de  sa  domination  sur  la  Perse.  Mais  cette  préoccupation 
se  comprendrait  bien  mieux  chez  Cyrus  que  chez  des  étrangers. 
Qu'importait  aux  Babyloniens  l'origine  dynastique  de  leur  vain- 
queur ?  Ils  auraient  vu  avant  tout  dans  Cyrus,  roi  de  Susiane,  non 
pas  le  Perse  roi  de  Perse,  mais  l'héritier  de  l'antique  puissance 
élamite,  et,  s'ils  avaient  pu  songer  à  modifier  son  titre  officiel, 
c'était  celui  si  célèbre  de  roi  d'Élam,  shar  mât  Élamti  qui  serait 
venu  le  plus  naturellement  à  leur  pensée.  Car  autre  chose  était 
la  royauté  d'Élam  et  autre  chose  la  royauté  d'Anshan.  » 

Je  n'ai  pas  voulu  abréger  le  passage  où  M.  Amiaud  explique  sa 
pensée,  mais  qui  ne  voit  que  la  pointe  de  son  raisonnement,  qui 
réside  dans  la  dernière  phrase  soulignée  par  moi,  est  une  simple 
pétition  de  principe  :  d'abord  il  admet  que  TAnshan  n'est  pas 
l'Élam  et  ensuite  il  demande  pourquoi  on  ne  trouve  pas  le  titre 
roi  d'Élam.  Pour  moi,  qui  soutiens  l'identité  d'Anshan  et  d'Élam, 
le  titre  roi  d'Anshan  était  précisément  celui  qui  avait  un  carac- 
tère officiel,  sans  toutefois  exclure  celui  de  roi  de  Perse,  surtout 
à  un  moment  où  la  Susiane,  suivant  la  parole  de  Strabon  citée 
plus  haut,  était  devenue  comme  partie  intégrante  de  la  Perse. 

M.  Amiaud  aurait  dû  penser  qu'on  pourrait  retourner  la  ques- 
tion et  lui  demander  pourquoi,  si  la  Susiane  n'est  rien  dans  leurs 


RECHERCHES  BIBLIQUES  169 

affaires,  Cyrus  et  ses  contemporains  n'ont  pas  employé  le  titre 
autrement  clair  de  roi  de  Perse,  seul  titre  qui  convient  à  une  dy- 
nastie nationale  de  ce  pays.  A  moins  d'affirmer  que  mat  Anshan 
ou  Anzan  était  de  tout  temps  le  nom  de  la  Perse  chez  les  riverains 
du  Tigre  et  de  l'Euphrate,  opinion  qui  n'est  admise  ni  par 
M.  Amiaud  ni  par  aucun  autre  assyriologue,  la  rareté  si  extraor- 
dinaire du  nom  de  la  Perse  dans  les  inscriptions  de  Cyrus  et  de 
ses  contemporains  doit  avoir  sa  raison  d'être  et  ne  saurait  être  un 
simple  effet  du  hasard,  et  comme  il  est  peu  probable,  d'autre  part, 
que  le  Mat  Anzan  ait  désigné  primitivement  un  tout  petit  terri- 
toire comme  celui  de  Mal-Amir,  il  ne  reste  que  l'hypothèse  qui 
y  voit  la  désignation  indigène  de  l'Élam  proprement  dit,  la  partie 
de  la  Susiane  occidentale  située  entre  les  montagnes  et  les  rives 
du  Tigre  et  de  la  mer  adjacente,  bien  que,  dans  le  sens  général, 
il  désigne  la  Susiane  tout  entière. 

Il  y  a  plus,  la  base  même  de  l'argument  que  je  discute,  savoir 
l'inapplication  à  Cyrus  du  titre  de  roi  d'Elam,  dans  les  annales  de 
Nabonide,  est  contredite  par  les  faits  :  le  titre  réputé  absent  s'y 
trouve  en  toutes  lettres,  bien  que  l'idéogramme  de  «  roi  »  soit 
effacé  sur  la  tablette,  ce  qui  explique  pourquoi  on  ne  s'en  est  pas 
aperçu  jusqu'à  présent.  La  traduction  inexacte  de  quelques  autres 
mots  du  texte  a  encore  augmenté  l'obscurité  du  passage,  mais 
ces  obstacles  sont  maintenant  levés,  et  la  clarté  reparait  autant 
qu'on  peut  le  souhaiter. 

Aux  lignes  21  et  22,  on  lit  ce  qui  suit  : 

Ina  arah  Siwanni  um  eshtin-eshrâ  [shar]  slia  mat  Elamiya 
ina  mat  Akkadi  [irub]-ma  shar  sha  mat  ina  Uruh  [irub  ?] 

«  Dans  le  mois  de  Siwan,  le  vingt  et  unième  jour,  le  [roi]  du 
pays  d'Élam  (=  Cyrus)  entra  dans  la  Babylonie  et  le  roi  du  pays 
(=  Nabonide)  (s'enferma  ?)  dans  Érek.  » 

Après  le  récit  concernant  la  reddition  paisible  de  Babylone,  il 
est  de  nouveau  question  d'Élam  dans  un  passage  mutilé,  mais 
néanmoins  assez  clair  pour  montrer  qu'il  s'agit  d'une  exporta- 
tion, de  Babylonie  en  Élam,  d'une  grande  quantité  de  dattes  : 

. .  .ina  siduppi  ushbi  Flami 

«   . .  .il  rassasia  de  dattes  le  pays  d'Élam.  » 

Cette  fois  le  nom  d'Élam  est  écrit  par  l'idéogramme  ordinaire 
nim-ma-ki. 

En  un  mot,  l'inscription  des  annales  de  Nabonide,  qui  a  été 
rédigée  plusieurs  mois  après  la  prise  de  Babylone,  appelle  Cyrus 
«  roi  d'Élam  »,  et  le  met  en  connexion  avec  ce  pays,  désigné 
deux  fois  par  la  forme  susienne  indigène,  Anshan,  une  troisième 
fois  par  la  forme  assyrienne  vulgaire,  Elamiya,  et  une  quatrième 


170  REVUE  DES  ETUDES  JUIVES 

fois  par  l'idéogramme  nimma.  Le  titre  de  «  roi  de  Perse  »  n'y 
figure  qu'une  seule  lois.  D'autre  part,  l'inscription  de  Nabonide 
et  celle  de  Gyrus  lui-même  désignent  le  royaume  des  Achémé- 
nides  exclusivement  parle  nom  indigène  aman  ou  anshan.  Tout 
commentaire  me  paraît  inutile. 

Mais  continuons  à  examiner  les  autres  objections  de  notre  sa- 
vant collègue.  J'ai  dit  que  le  nom  d'Anzan  désignait  la  plaine 
susienne  qui  confine  au  bas  Tigre,  l'Élam  des  inscriptions  assy- 
riennes. M.  Amiaud  trouve  cette  affirmation  assez  surprenante, 
puisque  raâtu  Elamtu  signifie  «  le  haut  pays  ».  Le  mot  de  l'é- 
nigme ne  paraît  pas  très  difficile  à  trouver  :  l'application  du  nom 
d'Élam  à  la  plaine  est  due  à  l'annexion  de  celle-ci  au  domaine  des 
rois  susiens  originaires  du  pays  montagneux,  tandis  que  le  nom 
indigène  du  royaume,  Aman  et  Shicshunqa,  représente  des  divi- 
sions administratives,  l'un  la  partie  occidentale,  l'autre  la  partie 
orientale  du  pays,  sans  le  moindre  égard  à  la  configuration  du 
terrain.  Le  fait  que  l'Anzan  a  le  pas  sur  le  Shushunqa,  dans  le 
titre  de  ces  princes,  s'explique  aisément  par  l'importance  produc- 
tive de  la  plaine,  comparée  aux  terrains  incultes  de  la  montagne, 
et  rien  n'autorise  à  en  conclure,  comme  le  fait  M.  Amiaud,  que 
l'Anzan  a  été  le  berceau  des  rois  susiens.  On  ne  doit  pas  s'étonner 
non  plus  que  la  mention  de  l'ancienne  ville  d'Anzan,  qui  a  donné 
son  nom  à  la  plaine  d'Élam,  ne  se  rencontre  pas  dans  les  listes 
des  villes  prises  par  les  rois  assyriens  ;  outre  la  considération  que 
ces  listes  sont  très  incomplètes,  il  y  a  l'analogie  du  titre  officiel 
de  la  Babylonie  :  pays  de  Sumer  et  d'Accacl,  qui  est  indubitable, 
bien  qu'on  n'ait  constaté  nulle  part  la  mention  d'une  ville  du 
nom  de  Sumer.  Il  n'est  même  pas  nécessaire  de  penser ,  dans 
les  deux  cas  que  nous  comparons,  à  des  villes  séparées  :  Aman 
comme  Sumer  ont  très  bien  pu  n'être,  dès  le  début,  que  les  parties 
respectives  de  Suse  et  d'Accad  et  changer  de  nom  dans  le  cours 
des  siècles. 

D'après  M.  Amiaud,  le  pays  d'Anzan  doit  être  placé  dans  les 
montagnes  qui  séparent  la  Susiane  de  la  Perse.  Il  trouve  cette 
indication  dans  le  passage  connu  où  Sennachérib  décrit  ainsi 
qu'il  suit  la  composition  de  l'armée  de  son  adversaire  susien, 
Oummanmenanou  :  «  Lui,  l'Élamite,  dont  j'avais  pris  et  ruiné  les 
villes  dans  ma  précédente  campagne  au  pays  d'Élam,  ne  devint 
pas  plus  sage  dans  son  cœur  *  ;  il  accepta  les  présents  des  Babylo- 
niens ;  il  réunit  ses  troupes,  ses  chars  et  ses  chevaux  ;  il  réunit 


1  Libbush  la   ihsus  =  b^DiDîl  itfb  llb  ;  M.  Amiaud    traduit  :  «   ne  put   me  par- 
donner dans  son  cœur  ». 


RECHERCHES  BIBLIQUES  17! 

les  (hommes  des)  pays  de  Parsuash,  (V  Anzan,  de  Pashiru,  d' El- 
lipi, les  peuplades  tfYasan,  de  Lakapri,  de  Harzunu,  des  villes 
de  Dumrnuqu,  de  Sulaya,  et  tous  ensemble  ils  prirent  ie  chemin 
du  pays  d'Accad.  »  Un  autre  texte  donne  :  «  Parsuash,  Anzan, 
Pashiru,  Ellipi,  la  totalité  des  Chaldéens  et  des  Araméens.  » 

Les  pays  de  Parsuash,  de  Pashiru  et  de  Ellipi  sont  connus  comme 
étant  situés  au  nord  de  la  Susiane,  mais,  sous  prétexte  de  trouver 
un  ordre  géographique  dans  rénumération,  M.  Amiaud  identifie 
Parsuash  avec  la  Perse,  et  place  Anzan  immédiatement  après,  no- 
tamment plus  près  de  la  Perse  que  de  la  Susiane,  à  l'est  de  Mal- 
Amir,  où  commence  précisément  la  Perse.  Il  y  a,  dit  le  savant 
assyriologue,  dans  les  deux  premiers  noms  de  la  liste  deux  dési- 
gnations équivalentes,  mais  non  identiques  ;  le  Parsuash  est  la 
Perse  des  Perses  aryens,  l'Anzan  est  la  Perse  allophyle  habitée 
par  les  Mardes  ou  Amardes,  les  Hapirdip  de  la  deuxième  espèce 
des  inscriptions  achéménides  qu'on  doit  appeler  l'anzanite.  Du 
temps  de  Sennachérib,  ajoute  M.  Amiaud,  la  conquête  de  l'Anzan 
par  les  Perses  n'était  pas  encore  achevée  ou  même  commencée. 
Les  Perses  viennent  seulement  d'arriver  ;  ils  sont  aux  portes.  Au 
contraire,  quand  les  annales  de  Nabonide  ont  été  écrites,  il  y 
avait  longtemps  que  la  conquête  était  chose  finie.  Pour  l'auteur 
de  ces  annales,  les  deux  mots  de  Perse  et  d'Anzan  étaient  devenus 
absolument  synonymes. 

J'ai  le  regret  de  le  dire  :  toutes  ces  hypothèses  entassées  si  soi- 
gneusement l'une  sur  l'autre  reposent  sur  une  base  bien  fragile, 
le  rôle  exagéré,  en  dehors  de  toute  proportion  vraisemblable  et 
même  imaginable,  qu'on  fait  jouer  à  un  canton  minuscule  de  la 
Perse  avant  les  Perses.  Quoi,  ce  pays  ignoré  des  Assyro-Baby- 
loniens  et  des  auteurs  de  la  Bible  aurait  été  le  pays  d'origine  de 
la  vieille  dynastie  susienne  !  Chose  singulière,  cette  conjecture 
admise,  on  ne  s'explique  pas  encore  pourquoi  Cyrus  a  préféré 
pour  lui  et  ses  ancêtres  le  titre  de  roi  d'Anshan  à  celui  de  roi  de 
Parsuash.  Puis,  si  un  district  perse  pouvait  réclamer  en  particu- 
lier un  tel  honneur,  c'eût  été,  sans  contredit,  le  district  de  Pasar- 
gade,  où  se  trouve,  en  effet,  le  tombeau  de  ce  héros,  tandis  que 
l'Anzan,  d'après  l'opinion  de  M.  Amiaud  lui-même,  était  peuplé  de 
tribus  barbares  conquises  et  méprisées  par  les  Perses.  Cette  seule 
réflexion  suffit  déjà  pour  renverser  l'édifice  historique  construit 
si  péniblement  par  mon  savant  collègue,  en  vue  de  justifier  ce 
qu'il  appelle  la  tradition  classique  et  biblique.  A  ce  compte,  l'hy- 
pothèse de  M.  Rawlinson,  qui  place  l'Anzan  à  Mal-Amir,  a,  du 
moins,  cet  avantage  de  faire  naître  la  dynastie  millénaire  de  Suse 
dans  un  territoire  susien. 


172  REVUE  DES  ETUDES  JUIVES 

Les  autres  points  de  la  thèse  que  j'examine  ne  me  semblent  pas 
non  plus  à  l'abri  des  plus  graves  objections.  Je  demande  la  liberté 
de  les  passer  successivement  en  revue  sous  les  yeux  de  mes  lec- 
teurs. 

Premièrement,  le  Parsuash  ne  saurait  être  la  Perse.  Partout  où 
l'on  rencontre  ce  nom  dans  les  inscriptions  assyriennes,  il  s'agit 
d'un  pays  du  nord,  notamment  d'un  pays  situé  près  de  Namri, 
voisin  d'Ellibi,  c'est-à-dire  à  peu  près  au  sud  du  lac  d'Ourmie.  La 
distance  entre  ce  pays  et  Suse  n'est  pas  assez  grande  pour  que 
l'adversaire  élamite  de  Sennachérib  n'ait  pu  en  tirer  des  troupes 
auxiliaires.  Chose  curieuse,  M.  Amiaud,  tout  en  identifiant  les 
ternies  Parsuash  et  Perse,  les  distingue  soigneusement  au  point 
de  vue  géographique.  Gomme  le  pays  de  Parsuash  disparaît  des 
annales  assyriennes  après  Sargon,  il  en  conclut  que  les  habitants, 
qu'il  suppose  de  race  iranienne,  avaient  émigré  vers  le  sud  en  deux 
étapes  principales.  Au  temps  de  Sennachérib  ils  étaient  encore 
aux  portes  de  l'Anzan,  habité  par  des  aulochthones  non  iraniens. 
Le  territoire  où  s'était  effectué  ce  premier  arrêt  des  émigrants 
serait  le  Parsuash  des  annales  du  roi  assyrien.  Après  la  mort  de 
celui-ci,  les  émigrants  auraient  atteint  l'Anzan  élamite,  qui  reçut 
alors,  à  côté  de  son  ancien  nom,  celui  de  Parsu,  variante  de  Par- 
suash. M.  Amiaud  émet  même  l'avis  que  l'émigration  a  été  con- 
duite par  Achéménès,  dont  la  descendance  devrait  être  rétablie 
ainsi  :  Téispès  I,  Cambyse,  Cyrus,  Téispès  II,  puis  les  deux 
branches  sorties  de  ce  dernier,  savoir,  Cyrus  II,  Cambyse  II,  Cy- 
rus III,  Cambyse  III,  rois  d'Anzan,  d'une  part;  Ariaramnès,  Arsa- 
mès,  Hystaspes,  Darius,  d'autre  part,  formant  la  branche  cadette 
et  qui,  sauf  le  dernier,  n'avaient  pas  exercé  la  royauté  effective. 
«  Alors  aussi,  en  comptant  par  génération  vingt-deux  ans,  chiffre 
qui  ne  semble  pas  trop  restreint  eu  égard  aux  usages  orientaux, 
on  reconnaîtra  dans  Achéménès  un  contemporain  de  Sargon  (de 
•722  à  706)  et  le  conducteur  possible  de  l'émigration  des  Perses; 
et  Téispès  IJ,  le  prince  dont  la  dynastie  des  Achéménides 
s'honorait  le  plus,  après  son  fondateur,  celui  auquel  Cyrus  a 
arrêté  sa  généalogie,  contemporain  de  Nabuchodonosor,  sera  le 
premier  roi  de  Perse  ayant  étendu  sa  domination  sur  l'Élam. 
Enfin,  nous  aurons  une  série  possible  de  neuf  rois  de  Perse  avant 
Darius.  Nous  aurons  même  dix  rois  possibles.  Mais  ne  pourrait-on 
pas  supposer  qu'un  des  trois  premiers  descendants  d'Achéménès 
soit  mort  avant  son  père,  et  sans  avoir  régné?  » 

Voilà  toute  une  théorie  d'émigration  des  plus  compliquées  créée 
d'emblée  et  dans  le  seul  but  de  justifier  au  pied  de  la  lettre  l'asser- 
tion de  Darius,  que  huit  de  ses  ancêtres  avaient  régné  avant  lui 


RECHERCHES  BIBLIQUES  173 

en  deux  branches.  M.  Amiaud  compose  la  première  avec  Aché- 
ménès  et  trois  rois  hypothétiques  qu'il  fait  précéder  à  Téispès,  et 
la  seconde  avec  les  quatre  rois  issus  de  ce  dernier  et  formant  la 
branche  aînée.  Mais  de  quel  droit  scinde-t-il  en  deux  branches 
une  série  si  directe  et  si  ininterrompue  de  rois  qui  se  succèdent  de 
père  en  fils  depuis  Achéménès  jusqu'à  Gambyse  III?  Pour  tout  le 
monde,  une  lignée  aussi  continue  ne  peut  que  former  une  seule 
série,  tandis  que,  d'après  Darius,  les  huit  Achéménides  qui  l'ont 
précédé  ont  régné  en  deux  séries  ou  en  deux  fois  (duvartim)  ; 
puis,  si,  malgré  tout,  la  dualité  pouvait  y  être  assignée,  Darius 
n  eut  pas  manqué  de  désigner  son  propre  avènement  au  trône 
comme  l'inauguration  d'un  troisième  rameau  achéménide.  On  le 
voit,  avec  la  meilleure  volonté  du  monde,  la  solution  présentée 
par  mon  savant  contradicteur,  outre  son  caractère  purement  hy- 
pothétique et  au  fond  très  peu  vraisemblable,  est  beaucoup  moins 
simple  que  celle  que  j'ai  défendue  dès  le  commencement  et  qui 
consiste  à  voir  dans  l'affirmation  de  Darius,  relative  à  ses  huit 
prédécesseurs,  une  appréciation  personnelle  envisageant  les  trois 
membres  de  la  branche  cadette,  Arsamès,  Ariaramnès  et  Hys- 
taspes,  qui  avaient  droit  à  la  royauté,  comme  de  vrais  rois.  Si  la 
qualification  de  mensonge  répugne  à  quelques-uns,  qu'ils  le  rem- 
placent par  contre-vérité  ou  seulement  par  exagération  ;  mais, 
par  Dieu,  qu'ils  ne  créent  pas  des  rois  imaginaires  et  un  Exode 
encore  plus  imaginaire  pour  les  besoins  de  leur  cause  !  L'histoire 
n'est  une  science  positive  qu'à  la  condition  de  ne  point  verser  dans 
l'arbitraire. 

En  effet,  quoi  de  moins  fondé  que  la  supposition  que  les  Par- 
suash  auraient  quitté  leur  pays  natal  pour  se  fixer  au  midi  de  la 
race  iranienne  !  Est-on  seulement  sur  que  les  Parsuash  étaient 
de  race  iranienne?  Qu'on  nous  donne  des  preuves  et  nous  nous 
inclinerons. 

Puis,  en  ce  qui  concerne  ce  Parsuash  numéro  II,  qu'on  place 
au  nord  d'Anzan  au  temps  de  Sennachérib,  n'est-il  pas  singulier 
que  le  monarque  assyrien  ait  été  si  bien  informé  de  la  trans- 
formation de  l'onomastique  géographique  qui  se  passait  sur  le 
versant  oriental  des  monts  susiens,  où  les  armées  assyriennes 
n'avaient  jamais  mis  les  pieds? 

Enfin,  ce  fameux  Anzan  qui  aurait  été,  jusqu'à  la  mort  de  Sen- 
nachérib, la  Perse  sans  les  Perses,  veut-on  sérieusement  nous  faire 
croire  qu'il  formait  le  plus  beau  fleuron  de  la  vieille  monarchie 
élamite?  Mais  une  telle  velléité  d'interprétation  géographique  est 
formellement  ruinée  par  le  témoignage  direct  et  formel  de  l'ins- 
cription de  Gudea  d'après  laquelle  cet  Ishahku  ou  souverain- 


174  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

pontife  du  troisième  millénaire  avant  notre  ère,  au  plus  bas  mot,  a 
pris  et  saccagé  la  ville  d'Anshan  du  pays  d'Élam.  Ici  il  ne  peut 
être  question  de  la  conquête  d'une  ville  située  à  l'est  de  Suse,  qui 
n'est  pas  mentionnée,  et  moins  encore  d'une  ville  du  territoire 
de  la  Perse,  où  l'on  ne  peut  arriver  qu'en  traversant  les  mon- 
tagnes qui  séparent  ce  pays  de  la  Susiane.  C'est  là  une  preuve 
irréfragable  que,  ainsi  que  je  l'ai  toujours  soutenu,  l'Anzan  est  la 
province  occidentale  du  royaume  de  Suse,  province  voisine  de  la 
Babylonie  et,  par  conséquent,  exposée  aux  attaques  des  rois  ba- 
byloniens de  tous  les  temps. 

La  situation  occidentale  d'Ànzan  une  fois  fixée  par  un  document 
de  la  plus  haute  autorité,  toutes  les  hypothèses  exposées  précé- 
demment s'écroulent  l'une  après  l'autre.  Les  Parsuash  ne  sont  pas 
les  Perses  et  n'ont  pas  émigré  ;  Achéménès  n'est  pas  un  contem- 
porain de  Sargon  ;  Téispès  est  le  fils  et  suocesseur  immédiat  d'Aché- 
ménès,  et  le  royaume  héréditaire  des  Achéménides  est  la  Susiane 
tout  entière,  bien  que  le  nom  d'Anzan  ou  d'Anshan  désignât  au 
propre  la  partie  ouest  de  ce  royaume. 

Mais  un  pareil  résultat  ne  fait-il  pas  trop  peu  de  cas  des  témoi- 
gnages unanimes  des  auteurs  classiques  et  de  ceux  de  la  Bible? 
Non,  mille  fois  non.  Il  faut  absolument  retirer  du  débat  les  auteurs 
classiques,  Hérodote  en  tête,  qui  n'ont  commencé  à  connaître  la 
Susiane  qu'à  une  époque  où  elle  était  intimement  annexée  à  l'em- 
pire perse  et  avait  perdu  toute  existence  propre.  Pour  Hérodote 
surtout,  la  Gissie  ainsi  que  tous  les  territoires  des  montagnes  voi- 
sines forment  une  partie  intégrante  de  la  Perse.  Il  y  a  plus,  parmi 
les  sept  tribus  perses  qu'il  énumère  comme  n'appartenant  pas  à  la 
noblesse,  on  en  distingue,  pour  le  moins,  cinq  qui  habitaient  des 
pays  extra-perses.  Ainsi  la  tribu  agricole  des  Germaniens  semble 
être  une  peuplade  de  la  plaine  située  à  l'est  du  Tigre  entre  le  petit 
Zab  et  le  Diala,  le  Bê[th)  Garmê  des  Syriens.  De  même,  les  tribus 
nomades  des  Sagartiens,  des  Daïens  et  des  Dropiques  *  habitaient 
certainement  au  nord  de  la  Perse  propre  ;  les  Mardes,  enfin,  sont 
très  probablement  les  indigènes  de  la  Susiane  montagneuse,  les 
Hapirdi  des  inscriptions  de  la  deuxième  langue  achéménide.  Dans 
de  telles  conditions,  Hérodote  et  les  autres  écrivains  grecs  qui  le 
copient  ne  peuvent  entrer  en  comparaison  avec  les  monuments 
antérieurs,  qui  connaissent  une  distribution  géographique  toute 
différente. 

Quant  aux  écrivains  bibliques,  la  même  élimination  doit  être 
opérée  relativement  à  ceux  qui  sont  postérieurs  au  retour  de  la  cap- 

1  Visiblement  le  même  nom  que  celui  des  Derbices  (Amiaud). 


RECHKKCIIKS  BIBLIQUES  175 

tivité  :  ceux-là,  ainsi  que  le  premier  historien  grec,  nomment  Cyrus 
roi  de  Perse,  et  ils  ne  pouvaient  le  nommer  autrement.  Mais,  par 
une  bonne  fortune  extraordinaire,  un  prophète  anonyme  de  l'école 
d'Isaïe  nous  a  laissé  une  description  poétique  de  la  prise  de  Baby- 
lone  telle  qu'il  l'avait  prévue  peu  de  temps  avant  que  les  événements 
n'eussent  pris  un  tour  inattendu.  Cet  auteur,  à  qui  nous  devons 
Isaïe,  xxi,  1-10,  voit  venir  Cyrus  du  côté  de  la  Chaldée  maritime 
(D*1  '"iSi'Ift,  v.  1),  note  les  révoltes  et  les  trahisons  des  troupes  baby- 
loniennes en  face  de  l'ennemi  et  distingue  dans  l'armée  d'invasion 
deux  éléments  ethnographiques  :  Élam  et  Madaï,  la  Susiane  et  la 
Médie  : 

«  Monte,  Élam  ;  assiège,  Madaï  ;  je  vais  mettre  fin  à  toutes  ses 
oppressions  (v.  2)  !  » 

Sous  la  plume  de  ce  témoin  oculaire,  Élam  ou  la  Susiane  a  le 
pas  sur  Madaï  ou  la  Médie,  l'une  étant  le  pays  héréditaire  du 
conquérant,  l'autre  un  pays  conquis.  Quant  à  la  Perse,  elle  y  figure 
aussi  peu  que  dans  les  inscriptions  babyloniennes  de  Nabonide  et 
de  Cyrus  lui-même.  Le  texte  de  Cyrus  ne  mentionne  à  côté  d'An- 
shan  que  le  pays  de  Quii,  c'est-à-dire  la  Médie  du  sud.  L'accord 
entre  le  prophète  et  le  texte  authentique  de  Cyrus  est  le  plus 
parfait  qu'on  puisse  imaginer. 

La  Bible  nous  donne  même,  si  je  ne  me  trompe,  la  date  exacte 
de  la  fondation  de  la  dynastie  perse  en  Susiane.  Une  prophétie 
de  Jérémie,  datée  du  début  de  Sédécias  (xlix,  34-39),  annonce 
la  ruine  d'Élam,  aboutissant  à  la  dispersion  de  ses  habi- 
tants et  à  la  destruction  de  la  dynastie  et  de  la  noblesse  na- 
tionales : 

«  Je  placerai  mon  trône  dans  Élam  et  j'en  exterminerai  roi  et 
princes,  dit  Iahwé  (n°  38).  » 

Cette  prophétie  se  terminant  par  l'annonce  de  la  délivrance 
d'Élam  dans  l'avenir  (û"^-  rmnôn),  on  a  eu  tort  d'affirmer  que 
cette  promesse  se  rapportait  à  l'avènement  de  la  dynastie  persane 
qui  aurait  arraché  l'Élam  aux  mains  affaiblies  de  Babylone.  Mais  la 
supposition  que  la  Susiane  ait  jamais  fait  partie  de  la  domination 
babylonienne,  qui  était  très  légitime  il  y  a  quelque  temps,  est  for- 
mellement contredite  par  Nabonide,  qui  appelle  Cyrus  le  petit  ser- 
viteur ou  vassal  d'Astyage.  Il  en  ressort  que  la  Susiane  a  été  un 
fief  de  la  Médie.  De  plus,  l'idée  d'une  prophétie  post  eventum, 
invraisemblable  en  elle-même,  tient  encore  moins  debout  dans  ce 
cas  particulier,  non  seulement  à  cause  de  la  date  formelle  du  début 
du  règne  de  Sédécias,  mais  surtout  par  cette  raison  péremptoire 
que  les  promesses  analogues  de  restauration  touchant  l'avenir  de 
Moab  et  d'Ammon  (Jérémie,   xlviii,  47,  et  xlix,  6)  ne  se  sont 


176  REVUE  DES  ETUDES  JUIVES 

jamais  réalisées.  Le  point  de  vue  d'autrefois  doit  donc  être  modifié 
aujourd'hui.  C'est  la  destruction  totale  de  la  dynastie  indigène 
d'Élam  qui  est  le  point  historique  que  vise  ïe  prophète,  destruc- 
tion qui  n'a  pu  être  amenée,  en  définitive,  que  par  l'établissement 
de  la  dynastie  perse  et,  par  conséquent,  étrangère  au  pays.  L'a- 
vènement de  cette  dynastie  étrangère  ne  s'est  certainement  pas 
effectué  sans  opposition  de  la  part  des  Élamites  et  sans  provo- 
quer un  déploiement  de  mesures  de  répression  de  la  part  des 
Perses.  De  là,  le  grand  nombre  des  réfugiés  ou  transportés  d'É- 
lam dont  parie  le  prophète  l.  L'avènement  de  la  dynastie  perse 
avec  Téispès  en  Susiane  date  donc  de  598,  qui  est  la  première 
année  de  Sédécias.  Les  soixante  années  qui  s'écoulèrent  entre  la 
fondation  de  la  nouvelle  dynastie  en  Élam  et  la  prise  de  Baby- 
lone  par  Cyrus  sont  à  distribuer  entre  les  trois  prédécesseurs  de 
celui-ci,  ce  qui  donne  une  moyenne  de  vingt  ans  par  règne.  Cette 
moyenne  est  déjà  beaucoup  plus  forte  que  celle  qui  résulte,  par 
exemple,  des  416  ans  distribués  par  Ptolémée  en  -trente  règnes, 
depuis  Nabonassar  jusqu'à  Darius  Codoman  et  qui  ne  comporte 
que  13  ans  et  26/30  par  règne.  La  comparaison  des  tables  de  Pto- 
lémée montre  aussi  l'impossibilité,  même  après  intercalation  de 
trois  membres  régnant  entre  Achéménès  et  Téispès,  de  faire, 
sans  preuve  à  l'appui,  d'Achéménès  un  contemporain  de  Sargon, 
en  admettant,  avec  M.  Amiaud,  une  moyenne  de  vingt-deux  ans 
pour  chaque  règne.  Quant  à  l'attribution  de  «  rejeton  d'une  longue 
suite  de  rois  »,  que  Cyrus  se  donne  dans  son  inscription,  elle  se 
rapporte  sans  doute,  non  seulement  aux  Achéménides  d'Elam,  mais 
aussi  aux  dynastes  perses  antérieurs  à  cette  occupation,  qui  étaient 
à  la  tête  des  Pasargades,  la  tribu  la  plus  noble  de  la  Perse.  Les 
paroles  de  Darius  :  «  Depuis  les  temps  anciens  nous  sommes  illus- 
tres, depuis  les  temps  anciens  ceux  de  notre  famille  sont  rois  », 
ne  paraîtront  pas  trop  prétentieuses  si  l'on  tient  compte  des  chefs 
qui  gouvernaient  le  clan  des  Pasargades  avant  le  départ  de  Téispès. 
Nous  savons  déjà,  d'autre  part,  que  dans  la  bouche  de  Darius  le 
mot  «  roi  »  avait  un  sens  très  atténué  et  pouvait  même  désigner 
celui  qui  n'avait  que  le  droit  de  régner. 

Je  terminerai  par  une  remarque  sur  le  peuple  des  Parsuash,  qui 
a  été  identifié,  sans  raison  suivant  moi,  avec  les  Perses.  Ce  nom 
ethnique  se  trouve  aussi  écrit  Parsua  et  Barsua,  et  désigne  très 
vraisemblablement  le  pays  et  le  peuple  nomade  des  Màpfioi  ou 
'Afjuxpoot  mentionnés  par  les  géographes  classiques  dans  la  Médie, 

1  Une  nouvelle  inscription  de  Nabuchodonosor  récemment  découverte  mentionne 
l'arrivée  en  Babylonie  de  prêtres  élamites  chassés  de  leur  pays  et  à  la  suite  de  laquelle 
le  roi  babylonien  entreprend  une  razzia  destructive  dans  une  partie  de  l'Élam. 


RECHERCHES  BIBLIQUES  177 

en  Arménie  et  au  nord  de  la  Perse  (Strabon,  xi).  Le  nom  de 
Smerdis,  en  perse  Bardhia,  est  un  simple  dérivé  de  ce  nom  natio- 
nal et  signifie  «  le  Mardien  »,  de  même  que  Cambyse,  Ka^uaoç,  en 
perse  Kanïbudjia,  vient  de  l'appellation  géographique  Camby- 
sènè  =  Kambudja* .  Comme  on  voit,  le  dh  perse  est  rendu  en  grec 
par  une  s,  tandis  que  les  Babyloniens  le  rendent  par  un  z  et  écri- 
vent Barziya,  ce  qui  suppose  un  nom  simple  Barzu  pour  Mardhu. 
Le  Barsua  des  inscriptions  assyriennes  semble  n'être  qu'une  lé- 
gère variante  du  même  nom.  Il  paraît  donc  que  les  Parsuash  sont 
restés  dans  la  même  contrée  jusqu'à  la  période  romaine  et  n'ont 
nullement  disparu  de  l'histoire.  Une  autre  question  est  celle  de 
savoir  si  les  Mardes  étaient  iraniens  ou  non.  Gomme  ces  nomades 
peuplaient  tous  le  Zagros  jusqu'au  voisinage  de  la  Perse  (Strabon, 
l.  c),  il  se  peut  que,  ainsi  que  M.  Sayce  et  moi  l'avons  supposé 
dès  le  commencement,  la  deuxième  langue  des  textes  achéménides 
soit  le  mardien.  Les  Mardes  seraient  alors  la  race  susienne  des 
Hapirdi,  proche  parente  de  celle  qui  a  tracé  les  inscriptions  de 
Mal-Amir.  Peut-être  encore,  le  nom  royal  Salsal-Marshu  que 
M.  V.  Révillout  a  trouvé  dans  un  contrat  de  Sipar,  n'est-il  autre 
chose  que  la  forme  mardienne  du  nom  de  Bardhia- Bar  zia- 
Smerdis,  ou  Mer  dis,  et  l'élément  Marshu  signifierait  alors 
«  Marde  »,  circonstance  qui  favoriserait  singulièrement  notre 
explication  du  Parsua{sh)- Barsua  des  Assyriens.  Mais  ce  sont 
là  de  simples  conjectures  qui  attendent  l'appui  de.  preuves  plus 
positives. 

Je  vais  maintenant  résumer,  sous  forme  de  conclusions,  les 
points  historiques  que  je  crois  avoir  élucidés  au  cours  de  cette 
étude  : 

1.  Cyrus  et  ses  trois  prédécesseurs  :  Cambyse,  Cyrus  et  Téispès 
ont  été  rois  de  Susiane.  Pour  Achéménès,  la  chose  est  douteuse, 
car  il  peut  être  resté  en  Perse. 

2.  La  Susiane  formait  un  royaume  vassal  de  la  Médie. 

3.  Les  huit  rois  achéménides,  que  Darius  dit  l'avoir  précédé  en 
deux  branches,  comprennent  trois  princes  de  la  branche  cadette  : 
Hystaspe,  Arsamès  et  Ariaramnès,  qui  n'ont  pas  régné  effec- 
tivement. 

4.  Le  début  de  la  dynastie  perse  en  Susiane  coïncide  avec  le 
début  du  règne  de  Sédécias,  qui  est  l'an  598. 

5.  Les  Parsua[sh),  Parsita  ou  Barsua  des  inscriptions  assy- 

1  Les  identifications  de  ces  noms  propres  ont  été  établies  pour  la  première  fois  par 
M.  J.  Darmesteter  dans  ses  Études  iraniennes. 

T.  XIX,  n°  38.  12 


17b  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

riennes    peuvent    bien  être  la   nation   nomade  des  Mardes   ou 
Amardes,  proche  parente  des  anciens  Susiens  '. 


Remarque  additionnelle.  —  Je  profite  de  l'occasion  pour  rec- 
tifier quelques  points  de  détail  dans  mon  article  relatif  aux  Gi- 
mirrâ  ou  Cimmériens.  Les  expressions  textuelles  ne  disent  pas, 
comme  je  l'ai  cru,  que  Kashtaritu  était  un  chef  gimirrien,  ni  que 
la  ville  de  Karkashshi  se  trouvait  sur  le  territoire  des  Gimir.  J*ai 
trouvé  dernièrement  la  vraie  position  de  cette  ville.  Elle  est  men- 
tionnée, sous  la  forme  peu  différente  de  Garkasia,  dans  la  liste  des 
villes  médiques  qui  ont  payé  tribut  à  Salmanassar  II.  Ce  fait  ex- 
plique très  naturellement  le  caractère  visiblement  iranien  du  chef. 
Quant  au  nom  de  Teuslipa,  roi  des  Gimir,  qui  fut  battu  par  Assur- 
ah-iddin  Ier,  je  ne  crois  pas  qu'on  puisse  le  comparer  à  Téispès  qui 
est  toujours  rendu  en  assyrien  par  Shishpish.  On  sait  que  le  tsch 
persan  devient  sli  dans  le  Talmud,  chez  les  Syriens  et  les  Arabes  ; 
jamais  ces  auteurs  ne  l'expriment  par  t.  Je  ferai  remarquer  fina- 
lement que  l'existence  d'une  ville  du  nom  de  Corocondamé  près 
de  Sinope  est  affirmée  par  Etienne  de  Byzance  qui,  sous  l'ar- 
ticle Kopoxov3a[j.ï),  invoque  le  témoignage  d'Artémidore. 


XVIII 


L'ÉPOQUE  D  ABRAHAM    D'APRÈS   LA  BIBLE  ET  LES  DONNÉES  RÉCENTES 
DE    L'ÉPIGRAPHIE   ÉGYPTO-BABYLONIENNE. 


L'opinion  qui  place  l'immigration  d'Abraham  en  Palestine  au 
cours  du  xxie  siècle  avant  notre  ère  se  fonde  notoirement  sur  des 
données  chronologiques  fournies  par  divers  auteurs  bibliques, 
avec  une  précision  telle  que,  à  une  cinquantaine  d'années  près,  il 
est  impossible  de  s'en  écarter,  si  l'on  ne  veut  pas  les  rejeter  toutes 
comme  apocryphes.  Or,  à  ma  connaissance,  les  critiques  les  plus 
avancés  n'ont  jamais  poussé  le  doute  à  cette  extrémité,  bien  que 

»  Ce  mémoire,  préparé  dans  l'intention  d'en  faire  lecture  dans  la  séance  annuelle 
de  la  Société  asiatique  du  21  juiu  dernier,  avait  été  communiqué  en  substance  à 
M.  Amiaud,  qui  me  fit  espérer  qu'il  assisterait  à  celte  séance.  La  mort  subite  de  mon 
cher  et  regretté  ami  quelques  jours  avant  cette  séance  m'a  privé,  malheureusement 
à  tout  jamais,  de  ses  précieuses  observations,  et  l'assyriologie  française  a  perdu  en 
lui  son  champion  le  plus  savant  et  le  plus  actif. 


RECHERCHES  BIBLIQUES  [79 

quelques-uns  d'entre  eux  eussent  refusé  toute  réalité  aux  person- 
nages marquants  que  la  tradition  fait  remonter  à  ces  âges  reculés. 
Sans  partager  cette  dernière  opinion,  émise  sans  preuves  suffi- 
santes, je  me  placerai,  dans  ce  qui  suit,  sur  un  terrain  neutre,  et 
j'envisagerai  les  personnages  antérieurs  au  règne  de  Salomon 
comme  des  personnifications  de  diverses  époques. 

Le  point  de  départ,  pour  calculer  les  données  bibliques  dans  un 
ordre  ascendant,  est,  de  l'avis  de  tous,  l'an  721  avant  J.-C,  la 
première  année  de  Sargon,  dans  laquelle,  d'après  la  Bible  et  les 
inscriptions  de  ce  roi,  eurent  lieu  la  chute  de  Samarie  et  l'exil  des 
dix  tribus  d'Israël.  Cet  événement  tombe  dans  la  sixième  année 
du  règne  d'Ézéchias,  roi  de  Juda. 

En  additionnant  les  cinq  premières  années  d'Ézéchias,  les  255 
ans,  en  chiffres  ronds,  des  rois  de  Juda  et  les  20  dernières  années 
du  règne  de  Salomon,  formant  un  ensemble  de  280  ans,  nous 
atteignons  une  date  mémorable  dans  l'histoire  du  peuple  hébreu, 
l'année  de  la  construction  du  temple  de  Jérusalem.  Mais  ici, 
comme  je  viens  de  le  dire,  il  faut  laisser  une  marge  d'environ  50 
ans,  par  suite  du  désaccord  qui  semble  régner  entre  les  suppu- 
tations du  livre  des  Rois  et  le  tableau  des  éponymes  assyriens. 

A  partir  de  la  construction  du  temple,  nous  pouvons  remonter 
jusqu'à  un  nouveau  point  de  repère,  qui  forme  une  date  encore 
plus  célèbre,  celle  de  la  sortie  d'Egypte.  D'après  la  donnée  formelle 
du  livre  des  Rois,  l'Exode  eut  lieu  480  avant  la  construction  du 
sanctuaire  jérusalémitain. 

Vient  ensuite  une  série  de  430  ans  pour  le  séjour  des  enfants  de 
Jacob  en  Egypte,  y  compris  les  17  dernières  années  que  le  pa- 
triarche passa  dans  ce  pays. 

Les  autres  points  de  repère  de  l'époque  patriarcale  sont  :  les  130 
années  de  Jacob,  coïncidant  avec  la  60e  année  de  son  père  Isaac, 
puis  la  naissance  de  celui-ci,  qui  arriva  25  ans  après  que  son  père 
Abraham  se  fut  établi  en  Palestine. 

Quand  on  récapitule  ces  diverses  indications,  on  obtient  le 
tableau  suivant,  en  chiffres  ronds. 

Destruction  de  Samarie en    720 

Construction  du  temple,  280 entre  1000  et    950 

Sortie  d'Egypte,  480 »      1480  et  1430 

Descente  de  Jacob  en  Egypte,  430 »      1910  et  1860 

Naissance  de  Jacob,  130 »      2010  et  1090 

Naissance  d'Isaac,  60 »       2100  et  2050 

Immigration  d'Abraham  en  Palestine,  25. .  »      2125  et  2075 


480  REVUE  DES  ETUDES  JUIVES 

En  un  mot,  les  auteurs  de  la  Bible  placent  l'époque  d'Abraham 
entre  la  fin  du  xxir3  siècle  et  le  début  du  xxie  siècle  avant  l'ère 
vulgaire. 

Pour  apprécier  la  valeur  historique  du  point  d'arrivée  de  cette 
computation,  on  pourrait  émettre  à  la  lois  deux  considérations 
contraires,  qui,  se  contrebalançant  l'une  l'autre,  ne  mèneraient  à 
aucun  résultat  certain.  On  peut  faire  valoir,  d'une  part,  et  en 
prenant  pour  exemple  l'histoire  grecque,  que  tout  ce  qui  concerne 
les  époques  antérieures  au  deuxième  millénaire  avant  notre  ère 
appartient  au  domaine  de  la  fable  et  des  légendes  populaires,  que 
le  souvenir  de  l'immigration  du  premier  noyau  des  Hébreux  en 
Palestine  a  dû  s'effacer  avec  le  temps  et  rester  dans  un  état  flottant 
jusqu'aux  époques  littéraires  et  tardives.  D'autre  part,  et  avec  un 
sentiment  historique  du  meilleur  aloi,  on  pourrait  substituer  à 
l'exemple  de  la  Grèce  celui  de  l'Egypte,  ou  plutôt  celui  des 
Assyro-Baby Ioniens,  qui  sont  de  la  même  race  que  les  Hébreux,  et 
chez  lesquels  l'époque  historique  remonte  à  des  âges  autrement 
reculés.  Est-on  bien  sûr  que  les  Hébreux  n'ont  pas  dès  leur  pre- 
mier séjour  en  Palestine  adopté  l'écriture  phénicienne  en  même 
temps  que  la  langue,  et  rendu  ainsi  inutile  l'effort  de  la  mémoire, 
toujours  prête  à  faillir  ? 

Il  y  a  plus,  les  découvertes  récentes  qui  nous  ont  révélé  l'usage 
de  la  langue  et  de  l'écriture  assyro-babyloniennes  comme  une 
langue  littéraire  chez  tous  les  peuples  syriens  pendant  le  xve  siècle 
avant  l'ère  vulgaire  permettent  même  de  supposer  l'existence 
d'une  littérature  palestinienne  cunéiforme  et  savante,  avant  la 
formation  de  la  littérature  alphabétique  et  nationale.  Le  fait  même 
que  les  Hébreux,  loin  de  se  dire,  comme  presque  tous  les  autres 
peuples  de  l'antiquité,  autochtones  du  pays,  ne  font  remonter 
leur  immigration  que  vers  le  xxne  siècle,  qui  est,  pour  ainsi  dire, 
le  moyen  âge  de  l'histoire  de  l'Egypte  et  de  la  Babylonie,  ce  fait, 
dis-je,  peut  être  invoqué  en  faveur  de  la  chronologie  biblique. 
Mais,  je  le  répète,  ces  considérations  pour  et  contre  se  neutralisent 
au  bout  du  compte  et  ne  suffisent  pas  pour  faire  prendre  une 
décision  assez  fondée. 

Heureusement,  en  racontant  la  migration  d'Abraham,  la  Genèse 
a  eu  soin  de  nous  apprendre  que,  quelques  années  après  l'arrivée 
du  patriarche  sur  le  sol  de  la  Palestine,  ce  pays,  et  notamment 
la  Pentapole  de  la  Mer  Morte,  a  été  envahi  et  dévasté  par  une 
armée  de  quatre  princes  orientaux,  savoir  :  Kodorlogomor, 
roi  d'Elam,  monarque  suzerain,  avec  ses  trois  vassaux  :  Amra- 
phel,  roi  de  Sennaar,  ou  Babylonie,  Ariok,  roi  d'EUasar,  ou 
Larsa,  et  Tadal  (ou  Targal),  roi  d'un  pays  non  encore  déterminé, 


RECHERCHES  BIBLIQUES  181 

mentionné  sous  le  vocable  de  Goyim  (Genèse  xiv).  Grâce  à  ce 
synchronisme  important,  découpé  dans  une  des  plus  glorieuses 
pages  de  l'histoire  babylonienne,  nous  sommes  aujourd'hui  en  état 
de  contrôler  la  donnée  biblique  à  l'aide  de  documents  contempo- 
rains et  émanant  du  prince  babylonien  lui-même  qui,  après  avoir 
été  le  vassal  du  grand  roi  élamite  et  le  collègue  d'Ariok,  roi  de 
Larsa,  a  fini  par  arracher  son  pays  à  la  domination  de  l'un  et  de 
l'autre  et  à  mettre  fin  pour  toujours  à  l'expansion  de  la  Susiane 
vers  l'ouest.  Ceux  qui  ont  prêté  quelque  attention  à  mes  recherches 
sur  le  xive  chapitre  de  la  Genèse  y  reconnaîtront  tout  de  suite  le 
roi  Amrapalt,  nommé  d'habitude  Hammurabi,  vainqueur  d'Eriaku, 
roi  de  Larsa,  et  du  père  de  celui-ci,  Kudur-Lagamari  (écrit 
Kudiir-ma-ba-ag),  souverain  d'Élam,  le  dernier  monarque  d'une 
dynastie  élamite  qui  a  gouverné  la  Babylonie  pendant  une  période 
encore  indéterminée,  mais  qui  paraît  avoir  duré  plusieurs  siècles. 
Fixer  l'époque  d'Hammurabi,  c'est  fixer  celle  d'Abraham,  c'est-à- 
dire  le  début  de  la  nationalité  hébraïque. 

La  possibilité  de  déterminer  la  date  du  règne  d'Hammurabi  sur 
la  base  d'une  chronologie  sérieuse  a  pris  corps  depuis  la  décou- 
verte des  tablettes  cunéiformes  de  Tell-Amarna,  contenant  des 
lettres  adressées  à  Aménophis  IV,  roi  d'Egypte,  par  Burraburiash, 
roi  de  Babylonie  et  d'origine  cosséenne.  La  contemporanéité  de 
ces  rois,  ainsi  soudainement  révélée  au  monde,  a  fait  entrer  en 
même  temps  la  chronologie  égyptienne  comme  auxiliaire  précieux 
dans  le  champ  clos  de  l'antiquité  babylonienne.  Dans  le  cas  spé- 
cial que  nous  traitons,  tous  les  égyptologues  sont  d'accord  pour 
faire  régner  Aménophis  IV  aux  confins  du  xive  siècle  avant  J.-G. 
Mais,  si  Burnaburiash  appartient  au  xive  siècle,  on  n'a  qu'à  ajouter 
les  700  ans  qui,  d'après  le  témoignage  explicite  de  Nabonide, 
séparent  Burnaburiash  d'Hammurabi,  pour  trouver  que  ce  dernier 
a  régné  au  xxne  siècle  avant  notre  ère,  c'est-à-dire  à  l'époque  que 
la  Bible  assigne  à  la  migration  d'Abraham. 

Malgré  la  simplicité  de  la  computation,  le  résultat  s'en  est 
récemment  heurté  à  une  contradiction  tranchante,  dont  nous 
devons  rendre  compte  avec  l'impartialité  la  plus  entière.  En  invo- 
quant les  quelques  incertitudes  de  détail  relatives  aux  princes 
égyptiens  de  la  fin  de  la  xvme  dynastie,  on  s'est  hâté  d'affirmer 
que  Burnaburiash,  le  correspondant  d'Aménophis  IV,  a  dû  régner 
deux  siècles  plus  tôt,  c'est-à-dire  au  xvne  siècle,  et  on  est  parti 
de  là  pour  placer  Hammurabi  deux  ou  trois  siècles  avant  l'époque 
d'Abraham. 

La  nouvelle  proposition  est  tirée  de  la  Liste  des  dynasties 
publiée  par  M.  Pinches.  En  désignant  l'avènement  d'Hammurabi 


182  HE  VUE  DES  ETUDES  JUIVES 

% 

par  H  et  comme  le  début  d'une  ère,  on  trouve  la  liste  suffisam- 
ment intacte  jusqu'à  II  628.  Puis  vient  une  lacune  qui  s'étend 
jusqu'à  H  972,  et  nous  avons  trois  règnes  sans  noms,  mais  évalués 
par  des  chiffres  ;  la  liste  commence  entière  à  II  1037  et  continue 
jusqu'à  II 1271.  Comme  nous  savons  que  le  roi  babylonien  Marduk- 
nadin-ahe  fit  une  expédition  en  Assyrie  418  ans  avant  Senna- 
chérib,  entre  1123  et  1106  avant  J.-C,  la  date  de  2150  pour 
Hammurabi  ne  serait  possible  que  si  l'on  plaçait  Marduk-nadin- 
alie  à  la  date  de  H  994,  ce  qui  donnerait  pour  le  commencement 
du  règne  d'Hammurabi  2116  avant  J.-C,  mais  cette  hypothèse 
ferait  tomber  la  fin  de  la  liste  en  846  avant  notre  ère  ;  or  à  cette 
époque  tardive,  nous  y  devrions  rencontrer  les  noms  de  Nabu- 
shum-ishkun,  de  Bin-nadin-ah,  de  Bin-abal-iddin,  de  Shamash- 
mudammiq,  de  Nabu-abal-iddin  (930  ou  884),  de  Marduk-bel-usate 
(898  ou  852),  de  Marduk-balatsu-iqbi  (870  ou  824),  cités  par  les 
rois  assyriens,  et,  comme  ils  n'y  sont  pas,  il  ne  reste  qu'à  faire 
remonter  de  deux  siècles  le  règne  d'Hammurabi  et  de  choisir  entre 
les  deux  alternatives  que  voici  :  ou  bien  Aménophis  IV  a  vécu  vers 
1650  avant  J.-C,  et  alors  le  Burnaburiash  de  Tell-Amarna  est  le 
même  dont  parle  Nabonide  ;  ou  bien  Aménophis  IV  a  vécu  plus 
tard,  et  alors  le  correspondant  du  Pharaon  n'est  pas  celui  du 
dernier  roi  babylonien. 

Je  viens  de  rapporter  fidèlement  l'argumentation  adverse,  je 
dois  dire  maintenant  pourquoi  elle  me  paraît  peu  convainquante. 
L'affirmation  que,  si  l'on  fait  régner  Hammurabi  en  1116,  la  fin  de 
ladite  liste  tomberait  en  846  repose  uniquement  sur  la  transcription 
de  M.  Pinches,  .qui  a  cru  distinguer,  dans  la  ligne  résumant  la 
durée  totale  de  la  dynastie  cosséenne  dont  le  roi  Burnaburiash 
lait  partie,  le  chiffre  de  576  ans  et  9  mois.  Malheureusement, 
d'après  les  informations  que  j'ai  prises  auprès  des  assyriologues 
qui  ont  examiné  l'original  sur  ma  demande,  les  chiffres  y  sont 
presque  illisibles,  de  façon  qu'il  est  impossible  de  les  utiliser  en 
quoi  que  ce  soit.  Cette  base  enlevée,  l'objection  perd  tout  appui, 
voire  toute  vraisemblance,  car  il  n'y  a  plus  aucune  raison  pour  ne 
pas  identifier  le  Burnaburiash  de  Nabonide  avec  le  correspondant 
d'Aménophis  IV.  Au  contraire,  leur  identité  résulte  déjà  de  cette 
considération  seule  que,  en  cas  qu'il  y  eût  deux  rois  de  ce  nom, 
Nabonide  n'aurait  pas  manqué  de  désigner  le  sien  soit  par  l'épi- 
thète  «  l'aîné  »  ou  «  le  jeune  »,  soit  par  celle  de  «  fils  d'un  tel  ». 
La  mention  du  nom  propre  seul  fait  voir  qu'aucune  confusion 
n'était  à  craindre  ;  ne  serait-ce  pas  parce  qu'il  n'y  en  avait  point 
d'autre  homonyme  dans  la  série  des  rois  babyloniens"? 

Je  serai  encore  plus  négatif  à  propos  de  la  conclusion  que  l'on 


RECHERCHES  BIBLIQUES  185 

pourrait  chercher  à  tirer  de  la  mention  dans  cette  liste,  à  la  date 
de  1401,  d'un  roi  dont  le  nom  mutilé  commence  par  Sha-ga-slud 
et  que  l'on  serait  porté  à  identifier  d'emblée  avec  le  prince  nommé 
ShcKjashaltiburiash  que  Nabonide  fait  régner  800  ans  avant  lui, 
c'est-à-dire  environ  1355  avant  l'Are  vulgaire ,  ce  qui  ferait 
remonter  le  règne  d'Hammurabi  à  l'an  2401  avant  J.-C.  Outre 
l'incertitude  relative  aux  chiffres  et  à  la  succession  des  dynasties 
de  la  liste  dont  il  s'agit,  il  y  a  celle  qui  concerne  la  date  de  Sha- 
galtiburiash,  car  le  chiffre  de  800  vu  par  M.  Pinches  a  été  lu  500 
par  M.  Delitzsch.  Il  y  a  plus,  la  restitution  de  Shagashal. . .  en 
Shagashaltiburiash  fût-elle  même  plus  certaine  qu'elle  ne  l'est, 
il  serait  encore  impossible  d'identifier  ce  roi  avec  le  Shagashalti- 
buriash de  Nabonide  :  celui-ci  était  le  fils  de  Kudurbel,  tandis  que 
l'autre  a  pour  prédécesseur  un  nommé  Gish-am-me- . .  M.  On 
voit  donc  que  la  tablette  susmentionnée  doit  être  absolument  mise 
de  côté  pour  la  question  qui  nous  occupe. 

La  liste  des  dynasties  babyloniennes  ne  pouvant  nous  fournir 
aucun  élément  pour  déterminer  l'époque  de  Burnaburiash,  il  ne 
reste  qu'à  consulter  l'égyptologie  pour  savoir  s'il  est  possible  de 
placer  au  xvne  siècle  le  règne  d'Aménophis  IV.  Mais,  à  ce  sujet,  je 
suis  heureux  d'avoir  des  renseignements  précis  de  la  part  de 
M.  Maspero.  A  ma  question  relative  à  la  chronologie  de  l'intervalle 
s'étendant  entre  Sheshonq,  vainqueur  de  Roboam,  fils  et  successeur 
de  Salomon,  et  les  premiers  rois  de  la  XVIIIe  dynastie,  le  savant 
égyptologue  me  répondit  littéralement  ceci  : 

ce  En  plaçant  la  mort  de  Salomon  vers  930  on  a  : 

environ  15  ans  de  Sheshonq  Ie1 930  -  945  ; 

pour  la  XXIe  dynastie,  environ  120  ans.  945-1065  ; 

pour  la  XXe  dynastie,  environ  140  ans.  1065-1205  ; 

pour  la  XIXe  dynastie,  environ  150  ans.  1205-1355  ; 

pour  la  fin  de  la  XVIIIe  dynastie  (rois 

hérétiques),  environ  50  ans 1355-1405  ; 

pour  Amenhotpou  (Aménophis)  III,  en- 
viron 40  ans 1405-1445  ; 

pour  les  premiers  rois  de  la  XVIIIe  dy- 
nastie, environ  120  ans 1445-1565 . 

Tous  ces  chiffres  sont  approximatifs  :  l'erreur  sur  la  somme 
totale  ne  me  paraît  pas  devoir  être  supérieure  à  50  ans.  >> 

On  voit  que  le  règne  d'Aménophis  III  ne  saurait  nullement 
dépasser  la  première  moitié  du  xv°  siècle  ;  à  plus/  forte  raison 
la  chose  ne  peut  se  faire  au  sujet  d'Aménophis  IV,  lequel  pour- 


184  HEVUE  DES  ETUDES  JUIVES 

rait  même  appartenir  à  la  fin  du  xive  ;  de  là  à  1650  il  y  a  un  es- 
pace de  près  de  trois  siècles  que  la  science  ne  permet  pas  de 
franchir. 

Cette  computation,  admise  d'ailleurs  par  tous  les  égyptologues, 
a  été  tout  récemment  confirmée  par  les  calculs  de  M.  le  Dr  E. 
Mahler,  de  Vienne,  qui,  sur  la  base  des  précieuses  tables  d'Op- 
polzer,  a  fixé  les  dates  respectives  des  deux  observations  astrono- 
miques notées  dans  les  inscriptions  égyptiennes.  Ces  dates  sont  : 

Le  renouvellement  de  la  période  sothiaque  sous  Rameses  II  eut 
lieu  le  20  juillet  de  l'an  1318  avant  J.-C. 

Le  jour  du  23e  anniversaire  du  couronnement  de  Thutmès  III, 
tombant  le  4  Pachon,  qui  était  un  jour  de  néoménie,  répond  au 
19  mars  1481  avant  J.-C. 

Thutmès  III  mourut  le  dernier  jour  de  Pliaménotli  de  l'an  54  de 
son  règne,  il  a  donc  régné  depuis  le  20  mars  de  l'an  15U3,  jusqu'au 
14  février  de  l'an  1449  avant  notre  ère. 

Si  l'on  retranche  de  la  dernière  date  une  génération  de  30  ans 
pour  y  placer  convenablement  le  règne  de  Thutmès  IV,  on  obtient 
l'an  1419,  pour  l'avènement  d'Aménophis  III.  Son  fils  et  succes- 
seur Aménophis  IV  a  donc  régné  dans  le  cours  du  xive  siècle  avant 
l'ère  vulgaire. 

Nous  résumons  les  résultats  de  notre  recherche  dans  les  points 
suivants  : 

1°  La  liste  des  dynasties  babyloniennes,  dans  l'état  de  mutila- 
tion où  elle  se  trouve  à  présent,  n'a  aucune  valeur  pour  la  fixation 
chronologique  du  règne  d'Hammurabi.  Quand  on  en  aura  décou- 
vert un  exemplaire  intact,  il  faudra  encore  prouver  la  succession 
directe  des  règnes,  car  plusieurs  rois  appartenant  à  diverses 
dynasties  ont  bien  pu  vivre  à  la  même  époque. 

2°  Burnaburiash,  le  correspondant  d'Aménophis  IV,  a  régné 
après  1419,  année  qui  marque  l'avènement  d'Aménophis  III. 

3°  Le  règne  d'Hammurabi,  antérieur  de  700  ans  à  celui  de  Bur- 
naburiash, s'est  écoulé  entre  le  xxie  et  le  xxne  siècle  avant  notre 
ère  et  coïncide  exactement  avec  l'époque  à  laquelle  la  Genèse 
place  l'immigration  d'Abraham  et  l'invasion  de  la  Palestine  par 
l'armée  élamito-babylonienne  de  Kodorlogomor  et  d'Amraphel. 

Il  va  sans  dire  que  notre  identification  d'Hammurabi  avec 
Awaphel  ainsi  que  celle  d'Ariok  avec  Eri-Aku  et  de  Kudur-Laga- 
mari  (écrit  ma-bu-  ug)  avec  Kodorlogomor  est  par  cela  même  mise 
hors  de  doute.  L'époque  d'Abraham  appartient  désormais  à  l'his- 
toire documentée  et  astronomiquement  fixée.  De  plus,  l'exactitude 
remarquable  dont  la  Genèse  fait  preuve  en  ce  qui  concerne  le 


V 


RECHERCHES  BIBLIQUES  18b 

synchronisme  qu'elle  fournit,  plaide  Considérablement  en  faveur 
de  l'historicité  des  événements  qu'elle  relate  à  cette  occasion. 
Quelque  idée  qu'on  se  fasse  de  la  personnalité  d'Abraham  et  de  ses 
auxiliaires,  le  récit  portant  que  l'armée  élamito-babylonienne 
envahit  la  Palestine  à  cette  époque  et  fut  battue  à  son  retour  sur 
le  territoire  de  la  Damascène,  doit  être  considéré  comme  rappor- 
tant un  fait  historique  et  réel.  Qui  sait  si  l'insuccès  essuyé  par  le 
grand  roi  élamite  en  Syrie  n'a  pas  été  la  cause  déterminante  de  la 
défection  d'Hammurabi  et  de  la  ruine  de  la  domination  élamite  en 
Babylonie  1  L'histoire  abonde  en  faits  pareils,  où  la  chute  de  toute 
une  dynastie  provient  d'une  petite  escarmouche  manquée  contre  un 
faible  adversaire,  surprise  qui  enlève  au  monarque  tout  puissant 
jusqu'alors  son  prestige  d'invincibilité  et  encourage  les  peuples 
vassaux  à  secouer  le  joug  que  la  foi  dans  leur  impuissance  les 
avait  longtemps  condamnés  à  porter  avec  résignation. 

Après  ce  résultat  général,  deux  autres  observations  ne  seront 
peut-être  pas  déplacées. 

Au  point  de  vue  de  la  critique  littéraire  de  la  Genèse,  on  est 
maintenant  forcé  d'admettre  l'unité  d'auteur  pour  les  chapitres  x 
et  xiv  de  ce  livre.  Si  le  généalogiste  de  Genèse  x,  22,  n'avait  pas 
en  vue  l'absorption  de  la  Babylonie  tout  entière  par  l'empire 
élamite  indiquée  dans  le  chapitre  xiv,  comme  un  fait  du  temps 
d'Abraham,  il  n'aurait  jamais  eu  l'idée  de  faire  d'Élam  l'aîné  des 
fils  de  Sem,  ni  de  refuser  à  la  Babylonie-Sennaar  une  place  à 
part  dans  sa  généalogie.  A  côté  d'Élam,  il  n'admet  qu'un  seul 
royaume  indépendant,  l'Assyrie,  personnifiée  par  le  second  fils  de 
Sem,  Assur,  qui  se  serait  sauvé  de  la  Babylonie  pour  échapper  à 
un  usurpateur  Couchite  du  nom  de  Nimrod.  Comme  état  politique 
la  Babylonie  ne  compte  pas  pour  lui  ;  il  l'envisage  comme  une 
proie  partagée  entre  les  peuples  du  sud.  Dans  le  chapitre  xiv,  de 
même,  Amraphel  et  Ariok,  princes  babyloniens,  suivent  Kodorlo- 
gomor  en  vassaux  soumis,  Assur  seul  n'est  pas  de  la  partie,  il 
conserve  son  indépendance  vis-à-vis  d'Élam. 

Quant  à  la  question  de  savoir  à  quelle  époque  les  Hébreux  ont 
pu  apprendre  les  exploits  de  Kodorlogomor  en  Palestine,  nous  ne 
pouvons  guère  la  résoudre  avec  les  éléments  insuffisants  que 
nous  possédons  à  l'heure  qu'il  est  sur  la  littérature  internationale 
de  la  Syro-Phénicie.  Une  chose  est  cependant  hors  de  doute,  c'est 
que  les  renseignements  dont  il  s'agit  ne  leur  ont  pas  été  commu- 
niqués de  vive  voix  par  les  Babyloniens  du  temps  de  l'exil.  A  cette 
époque  tardive  les  inscriptions  d'Harnmurabi  étaient  depuis  long- 
temps ensevelies  sous  les  décombres  d'anciens  temples  et  tombées 


186  REVUE  DES  ETUDES  JUIVES 

dans  l'oubli.  Les  Babyloniens  ont  bien  eu  des  bibliothèques  pour, 
l'éducation  des  princes,  mais  ils  n'ont  jamais  eu  de  musées'  pour 
conserver  les  antiquités.  Les  faits  et  gestes  de  Kodorlogomor  res- 
taient donc  inconnus  aux  Babyloniens  eux-mêmes  et  les  listes 
royales  qu'ils  possédaient  alors  n'ont  pu  leur  donner  que  son  nom 
et  la  date  de  son  règne.  Ses  rapports  avec  Amraphel-IIammurabi, 
de  Babylone,  Ariok-Eriaku,  d'EUasar-Larsa,  et  Tidal,  roi  des 
Goyîm,  devaient  leur  rester  inconnus.  Conséquence  forcée  :  le 
chapitre  xiv  de  la  Genèse  date  d'une  époque  antérieure,  où  la 
littérature  internationale  qui  reliait  la  Syrie  à  la  Babylonie  des 
anciennes  dynasties  n'était  pas  encore  entièrement  hors  d'usage 
et  trouvait  même  des  lecteurs  dans  le  milieu  assez  particulariste 
de  la  Palestine.  La  seule  époque  qui  y  convienne,  à  notre  avis,  est 
celle  du  règne  de  Salomon,  caractérisé  par  des  tendances  fran- 
chement cosmopolites.  Nous  avons  démontré  ailleurs  que  le  cha- 
pitre x  de  la  Genèse  a  été  rédigé  sous  ce  même  règne. 

Au  sujet  du  nom  d'Abraham,  il  me  paraît  nécessaire  de  faire 
remarquer  ceci.  De  toutes  les  hypothèses  émises  pour  expliquer  ce 
nom,  celle  qui  y  voit  un  composé  de  Ab-Orham  «  Père-Orham  », 
en  rappelant  un  nom  royal  babylonien  Ur-Kham,  doit  être  défini- 
tivement abandonnée.  Un  tel  roi  n'existe  point  dans  les  textes  qui 
sont  parvenus  jusqu'à  nous.  La  fausse  lecture  Ur-Kham  avait  été 
inspirée  aux  premiers  déchiffreurs  par  le  vers  d'Ovide,  Métam, 
iv,  212  : 

Rexit  Achaemenias  urbes  pater  Or  charnus,  isque 
Septimo  a  prisco  numeratur  origine  Belo. 

Mais  il  est  facile  de  voir  que  Orchamus,  père  de  Leucothoé,  qui 
gouverne  les  possessions  achéménides,  est  simplement  le  dieu 
perse  Ahuramazda,  prononcé  alors  OchràftiùzÛ * .  Le  nom  baby- 
lonien que  je  viens  de  mentionner  se  compose  des  idéogrammes 
ur  «  homme  »  et  Zïh  ou  guru  «  iieuve  »,  et  se  lit  vraisemblable- 
ment Amel-Ban.  Du  reste,  on  ne  s'attend  guère  à  trouver  chez 
les  autres  peuples  sémitiques  la  forme  Abraham,  si  intimement 
liée  à  la  religion  d'Israël.  Ce  sont  les  noms  antérieurs  et,  pour 
ainsi  dire,  profanes  du  couple  patriarcal  :  Ahram  et  Saraï,  que  l'on 
pouvait  espérer  rencontrer  en  Babylonie,  et,  en  effet,  ils  y  figurent 
tous  deux  sous  les  formes  respectives  de  A~bu-ram.ii  et  Sara  -. 

Un  mot,  enfin,  sur  "la  date  que  le  Pentateuque  entend  fixer  pour 

1  La  métathèse  Orchamus  pour  Ochramus  a  été  amenée  à  la  fois  par  la  nécessité  du 
mètre  et  par  une  réminiscence  de  l'Orchamos  homérique. 

2  Voir  Revue,  1887,  p.  184. 


RECHERCHES  BIBLIQUES  187 

la  sortie  d'Egypte,  d'après  les  données  citées  plus  haut.  Les  égyp- 
tologuea  qui  considèrent  l'Exode  comme  un  événement  historique 
le  placent  d'ordinaire  sous  le  règne  de  Ramsès  II.  Leur  principal 
argument  est  que  ce  roi  a  élevé  beaucoup  de  constructions  dans 
les  villes  de  Patum  et  de  Paramsès  que  le  narrateur  de  l'Exode, 
sous  la  forme  de  Pithom  et  de  Ramsès,  fait  construire  par  les 
Israélites  ;  mais  cet  auteur  ne  dit  nulle  part  que  le  roi  oppresseur 
portait  le  nom  de  Ramsès,  et  il  devait  le  dire  s'il  en  était  ainsi.  Au 
contraire,  la  désignation  de  «  pays  de  Ramsès  »  comme  équivalant 
à  celle  de  «  pays  de  Gosen  »  se  présente  déjà  dans  le  passage 
Genèse,  xlvii,  11,  qui  relate  l'arrivée  de  Jacob  et  de  ses  enfants 
en  Egypte.  L'admission  d'une  dénomination  rétrospective  est  peu 
vraisemblable,  parce  qu'on  n'en  conçoit  pas  l'utilité.  Il  est  plus 
probable  que  la  ville  de  Ramsès  a  existé  longtemps  avant  Ram- 
sès II  et  que  les  Israélites  y  ont  exécuté  des  travaux  sur  l'ordre 
d'un  roi  antérieur.  Gomme  le  comput  biblique  ramène  l'Exode  au 
xve  siècle,  ce  roi  pourrait  bien  être  Aménophis  III  ou  son  pré- 
décesseur immédiat.  On  sait  que  Manéthon  fait  tomber  l'Exode 
dans  le  règne  d'un  roi  du  nom  d'Aménophis.  Les  objections  de 
l'historien  Josèphe  sont  loin  d'être  péremptoires.  On  fera  peut- 
être  bien  de  revenir  à  cette  date,  qui  a  pour  elle  l'autorité  de  deux 
auteurs  dont  chacun  disposait  de  ressources  que  nous  n'aurons 
probablement  jamais. 

J.  Halévy. 


NOTES 


SUR 


LE  CHAPITRE  Ier  DES  PIRKÉ  ABOT 


Dans  un  volume  de  Mélanges  publié  par  la  Section  des  sciences 
religieuses  de  l'école  des  Hautes-Études  à  l'occasion  de  l'Exposition 
universelle,  nous  avons  inséré  un  article  intitulé  :  La  Chaîne  de 
la  Tradition  dans  les  Pirhé  Abot,  que  nous  demandons  la  per- 
mission de  résumer  ici  en  quelques  lignes,  dans  le  seul  but  d'y 
ajouter  un  certain  nombre  de  développements  que  nous  avions  dû 
laisser  de  côté,  faute  de  place  suffisante  et  parce  qu'ils  s'adressent 
plus  spécialement  à  un  public  initié  aux  études  talmudiques  *. 

Voici  Ips  principales  conclusions  de  notre  travail  : 

1.  La  Chaîne  de  la  Tradition  est  une  fiction,  qui  a  pour  objet  de 
faire  remonter  jusqu'à  Moïse  et  au  Sinaï  la  tradition  rabbinique  et 
pharisienne,  et  de  déposséder  rétrospectivement  les  prêtres,  qui 
formaient  le  parti  sadducéen,  du  rôle  important  qu'ils  avaient 
joué  dans  l'histoire  du  judaïsme  pendant  la  période  du  second 
temple. 

2.  Les  Anciens  qui,  dans  la  Chaîne  de  la  Tradition  des  Pirké 
Abot,  succèdent  à  Josué,  ne  sont  plus  les  vrais  Anciens  des  temps 
bibliques,  mais  des  Anciens  transformés  en  docteurs  de  la  Mischna, 
c'est-à-dire  les  membres  du  Grand-Sanhédrin  ou  des  Sanhé- 
drin rabbiniques  qui  ont  existé  après  la  destruction  du  temple. 
C'est  la  projection  dans  le  passé  d'une  institution  rabbinique  qui 

1  Nous  avons  omis  de  citer,  dans  notre  travail,  un  article  de  M.  Graetz  sur  les 
escolot,  dans  sa  Monatsschrift.  1869,  p.  20-32.  M.  Graetz  paraît  avoir  raison  de  dis- 
tinguer deux  Iosé  b.  Iuézer  et  peut-être  d'attribuer  le  titre  de  hasid  au  second,  non 
a  celui  des  Abot.  Il  y  a  aussi  un  article  de  M.  Oppenheim  sur  les  zuggot  et  les  escolot 
dans  le  Sclachar,  année  VII,  mais  il  n'oll're  presque  aucun  point  de  contact  avec  notre 
travail 


NOTES  SUR  LE  CHAPITRE  Ier  DES  P1RKË  AHOT  189 

a  existé  plus  tard.  Gela  seul  explique  qu'on  attribue  un  roie 
important  aux  Anciens  dans  la  conservation  de  la  tradition  reli- 
gieuse ;  les  Anciens  des  temps  bibliques,  malgré  leur  interven- 
tion dans  certains  actes  religieux,  ne  semblaient  pas  mériter  cet 
honneur  et  n'auraient  pas  attiré  l'attention  des  rabbins,  si  on  ne 
les  avait  pas  pris  pour  des  rabbins  l. 

3.  La  Grande-Synagogue  est  le  Grand-Sanhédrin  rabbinique 
postérieur  à  la  destruction  du  temple  et  placé,  par  la  fable,  aux 
premiers  temps  du  second  temple.  Les  noms  de  Grande-Syna- 
gogue et  Grand-Sanhédrin  sont  identiques. 

4.  Les  Couples  {zuggol)  sont  également  une  fiction;  les  cinq 
couples  des  Pirké  Abot  ont  existé,  mais  non  à  l'état  de  couples  ; 
ils  n'ont  pas  eu,  de  leur  temps,  l'autorité  qu'on  leur  attribue,  ils 
n'ont  jamais  été  naci  ni  ab  bel  din.  Le  naci,  du  temps  du  second 
temple,  était  le  prince  ou  roi  Asmonéen  ou  Hérodien  ;  Yab  bêt  din 
était  le  président  du  Sanhédrin,  qui  était  toujours  le  grand-prêtre. 
En  réalité,  dans  cette  tradition  des  Pirké  Abot  ou  dans  celles  qui 
font  remonter  le  zuggot  jusqu'aux  prophètes,  on  veut,  par  le  mot 
zuggot,  désigner  uniquement  les  rabbins,  soit  que,  suivant  une 
hypothèse  que  nous  avons  cherché  à  démontrer,  mais  qui  n'a 
pas  autrement  d'importance,  les  disciples  fussent  associés  par 
couples  dans  l'école,  soit  que  l'usage  d'associer  deux  rabbins 
(zagga  de  rabbanan)  dans  des  «commissions  juridiques,  dans  des 
tondions  rituelles  et  dans  les  fonctions  de  témoins,  ait  créé  l'ha- 
bitude de  compter  par  couples  les  rabbins  et  disciples  de  rabbins 
et  de  les  désigner  par  le  mot  de  zuggol  2. 

5.  Les  associations  des  rabbins  par  trois  étaient  aussi  fréquentes, 
ne  serait-ce  que  pour  la  constitution  des  petits  tribunaux  ; 
c'est  Yescol,  la  grappe,  qu'on  peut  représenter  graphiquement  par 
trois  points  en  triangle,  comme  dans  le  signe  du  ségol.  Les  escolot, 
à  leur  tour,  qu'on  fait  remonter  jusqu'à  Moïse,  ne  sont  pas  autre 
chose  que  les  rabbins  et  leurs  disciples. 

6.  Il  est  oiseux  de  chercher  à  faire  concorder  les  textes  relatifs 
aux  zuggot  et  aux  escolot,  ce  sont  des  textes  indépendants  les 
uns  des  autres,  contradictoires,  et  qui  n'ont  pas  la  prétention  de 
s'accorder. 

1  La  forme  dont  nous  nous  sommes  servi,  dans  notre  travail,  pour  exprimer  notre 
pensée  sur  ce  point,  a  fait  croire  à  certaines  personnes  que  nous  voulions  complète- 
ment supprimer  ici  les  Anciens  bibliques.  Ce  n'est  pas  notre  pensée.  Les  Anciens 
bibliques  ne  sont  pas  évincés,  ils  sont  conservés,  mais  transformés  en  rabbins.  Les 
docteurs  de  la  Mischna  ont  cru  se  reconnaître  en  eux  et  c'est  pour  cela  qu'ils  se  sont 
empressés  de  prendre  prétexte  de  quelques  passages  bibliques  pour  en  faire  les  conser- 
vateurs de  la  Tradition. 

*  Voir  les  80,0uU  couples  de  trompettes  autour  de  Bethar  ;  Taanitj.,  68  d. 


190  REVUE  DES  ETUDES  JUIVES 

1.  En  particulier,  le  caractère  légendaire  du  texte  où  il  est  dit 
que  les  escolot  cessent  avec  Iosé  b.  Ioézer,  est  révélé  par  le 
contexte,  où  l'on  voit  cesser  une  foule  de  choses  plus  ou  moins 
mythiques,  et  même  des  choses  qui  ne  sont  que  des  métaphores, 
telles  que  l'éclat  de  la  Tora,  la  gloire  du  sacerdoce. 

8.  Il  est  difficile  de  comprendre  comment  des  talmudistes,  dont 
toute  la  vie  se  passe  dans  la  discussion  religieuse  et  qui  en  font 
leur  pâture,  blâment  les  escolot  postérieurs  à  Iosé  b.  Ioézer  de 
s'être  livrés  aune  discussion,  mais  la  théorie  de  la  Chaîne  de  la 
Tradition  explique  cette  contradiction.  Ceux  qui  font  la  Chaîne 
manquent  à  leur  devoir  en  discutant,  ils  n'en  ont  pas  le  droit; 
mais  une  fois  la  Tradition  entre  les  mains  des  rabbins  de  la  Mis- 
chna,  elle  est  arrivée  au  port,  elle  est  en  sûreté,  et  la  discussion 
peut  se  donner  carrière.  Le  voyage  de  la  Tradition  s'arrête  à 
Iohanan  b.  Zaccaï,  presque  tous  les  textes,  quelle  que  soit  d'ail- 
leurs leur  teneur,  s'accordent  à  le  considérer  comme  le  dernier 
anneau  de  la  Chaîne. 

9.  Malgré  la  diversité  de  ces  légendes  sur  les  Anciens,  la  Grande- 
Synagogue,  les  Couples,  les  escolot,  elles  ont  pourtant  toutes  une 
seule  et  même  signification.  Elles  veulent  dire  que  de  tout  temps 
et  déjà  à  partir  de  Moïse  ou  de  Josué,  le  judaïsme  a  été  dirigé 
par  les  rabbins.  Les  Anciens,  la  Grande-Synagogue,  c'est  l'aris- 
tocratie rabbinique  ;  les  zuggot,  les  escolot,  sont  les  classes  rab- 
biniques  inférieures.  Avec  eux,  l'œuvre  de  la  Tradition  descend 
un  échelon  de  plus  et  devient  encore  plus  démocratique. 

Après  cet  exposé  nous  passons  aux  observations  nouvelles  que 
nous  avons  annoncées  sur  ce  sujet. 

1.  Ce  que  nous  avons  dit,  dans  notre  travail,  sur  l'esprit  pha- 
risien de  notre  page  des  Aoot,  aurait  demandé  des  explications 
pour  lesquelles  la  place  nous  manquait.  Nous  ne  croyons  pas  qu'on 
puisse  contester  sérieusement  les  tendances  pharisiennes  des 
premiers  paragraphes  de  notre  Mischna,  à  partir  du  §  2.  Les  per- 
sonnages qui  sont  en  scène,  dans  ces  paragraphes,  ont  vécu  à  la 
grande  époque  tles  luttes  entre  Pharisiens  et  Sadducéens,  ils  n'ont 
pas  pu  rester  étrangers  à  ces  luttes.  Cela  n'a,  du  reste,  pas  beau- 
coup d'importance.  Le  rôle  que  nous  avons  attribué  à  l'esprit 
pharisien  dans  le  g  1er  de  notre  Mischna  peut  seul  donner  lieu  à 
contestation.  On  pourrait  soutenir  que  c'est  tout  innocemment  et 
sans  penser  à  mal  que  les  rabbins  auraient  formé  la  Chaîne  de  la 
Tradition  telle  qu'on  la  trouve  dans  ce  paragraphe;  ils  n'auraient 
surtout  pas  pensé  aux  Sadducéens,  qui  auraient  déjà  été  complè- 
tement oubliés,  et  si  les  prêtres  sont  exclus  de  la  Chaîne,  ce  serait 
aussi  qu'on  ne  savait  plus  rien  du  rôle  qu'ils  avaient  joué  à  l'époque 


NOTES  SUR  LE  CHAPITRE  I"  DES  P1RKE  AROT  194 

du  second  temple.  Pour  vider  cette  question,  il  faudrait  d'abord 
être  fixé  sur  l'époque  où  s'est  formée  la  Chaîne  de  la  Tradition  de 
notre  §  1er,  car  nous  ne  parlons  pas  ici  du  rédacteur,  nous  avons 
dit  nous-même  qu'il  peut  parfaitement  n'avoir  rien  soupçonné  des 
tendances  anti-sadducéennes  du  morceau.  On  peut  supposer  que 
cette  Chaîne  a  été  formée  avant  la  destruction  du  temple,  on  peut 
supposer  qu'elle  est  postérieure  à  la  destruction  du  temple,  per- 
sonne n'en  sait  rien.  Si  elle  est  antérieure  à  la  destruction  du 
temple,  les  arguments  qu'on  pourrait  être  tenté  d'opposer  à 
notre  interprétation  ne  peuvent  avoir  aucune  valeur  ;  si  ,  au 
contraire,  cette  Chaîne  a  été  formée  et  imaginée  après  la  destruc- 
tion du  temple,  surtout  un  peu  tard,  vers  le  11e  siècle,  on  peut  se 
demander  si  effectivement  il  y  avait  encore  quelque  intérêt,  pour 
les  rabbins,  à  partir  en  guerre  contre  les  Sadducéens,  et  même 
s'ils  savaient  encore  grand'chose  du  passé  de  ce  parti.  Mais  c'est 
une  question  que,  dans  l'état  actuel  des  études,  il  nous  semble 
bien  difficile  de  résoudre  par  l'affirmative  ou  par  la  négative.  En 
ce  qui  concerne  les  faits  historiques,  les  Juifs  du  11e  siècle  n'avaient 
que  des  souvenirs  vagues  et  singulièrement  indécis  du  passé, 
mais  ils  savaient  mieux  leur  histoire  religieuse  ou  pouvaient  la 
savoir  mieux.  Le  Talmud  connaît  les  Sadducéens  et  en  parle  sou- 
vent (il  faudrait  étudier  de  près  les  passages,  il  est  vrai,  pour  en 
mesurer  la  portée)  ;  la  glose  de  la  Megillat  taanit  s'intéresse 
encore  beaucoup  aux  discussions  contre  les  Sadducéens  ;  bref, 
nous  ne  savons  pas  au  juste  quand  les  Sadducéens  ou  au  moins 
l'esprit  sadducéen  ont  cessé  d'exister  chez  les  Juifs  et  d'exciter  la 
polémique  des  Pharisiens.  Mais  lors  même  que  tout  ce  qui  était 
sadducéen  eût  disparu  bientôt  après  la  destruction  du  temple,  et 
que  notre  Chaîne  de  la  Tradition,  dans  le  §  1er  des  Al)ot,  eût  encore 
été  rédigée  plus  tard,  il  nous  est  impossible  de  ne  pas  y  reconnaître 
les  traces  et  l'écho  des  anciennes  luttes  et  c'est  justement  ce  que 
nous  avons  déjà  dit  dans  notre  travail  lorsque  nous  avons  parlé 
d'anciens  mots  d'ordre  et  programmes  de  bataille.  L'exclusion  des 
Juges,  des  Rois,  des  prêtres,  tous  autrement  importants  que  les  An- 
ciens ou  qu'une  Grande-Synagogue  imaginaire,  n'a  pas  pu  se  pro- 
duire par  pure  candeur  ou  ignorance.  Si,  après  la  destruction  du 
temple,  les  Juifs  ne  connaissaient  plus  l'histoire  du  second  temple, 
ils  connaissaient  au  moins  la  Bible,  ils  n'avaient  oublié  ni  Aron, 
Pinhas  et  Joad  ;  ni  David,  Josaphat  et  Ézéchias  ;  ni  Débora  et 
Gédéon.  Rien  n'était  plus  facile  pour  nos  talmudistes,  s'ils  y  avaient 
mis  de  la  bonne  volonté,  que  de  faire  des  théologiens  de  tous  ces 
personnages  et  même  de  Débora,  ils  l'ont  même  fait,  à  l'occasion, 
pour  beaucoup  d'entre  eux,  et  s'ils  les  ont  exclus  de  la  Chaîne  de 


192  REVUK  DES  ÉTUDES  JUIVES 

la  Tradition,  ils  ont  dû  avoir  leurs  raisons  pour  cela.  Nous  voulons 
admettre,  néanmoins,  qu'il  est  possible  à  la  rigueur,  quoique  peu 
probable,  qu'à  l'époque  où  cette  Chaîne  de  la  Tradition  s'est  for- 
mée, on  n'y  a  pas  mis  d'intention  malveillante  envers  les  Saddu- 
céens  ou  les  anciens  partis  ;  mais  pour  être  inconscientes  et  ins- 
tinctives, les  choses  n'en  ont  pas  moins  une  raison  et  un  sens. 
Cette  Chaîne  de  la  Tradition  n'est  pas  une  pure  fantaisie  person- 
nelle, elle  est  l'œuvre  collective  de  plusieurs  générations,  le  résidu 
du  travail  intellectuel  et  religieux  qui  s'est  poursuivi  pendant 
deux  ou  trois  siècles.  Les  idées,  les  préjugés  et  les  engouements 
d'un  rabbin  du  11e  siècle  sont  sortis  d'une  longue  élaboration  qui 
a  commencé  à  l'époque  du  second  temple.  Les  auteurs  et  le  rédac- 
teur de  notre  Chaîne  de  la  Tradition  ont  eu  pour  collaborateurs 
tous  les  Pharisiens  et  rabbins  qui  les  ont  précédés.  Admettons,  si 
on  veut,  qu'ils  ne  s'en  doutaient  peut-être  pas  et  qu'en  distribuant 
les  rôles  dans  l'histoire  de  la  Tradition,  ils  ont  exécuté  sans  in- 
tention les  intentions  des  Pharisiens. 

2.  Dans  notre  travail,  nous  avons  cité  les  textes  qui  montrent 
quelles  idées  différentes,  et  cependant  concordantes  au  fond,  on 
avait  sur  la  transmission  de  la  Loi  à  partir  de  Moïse.  D'après  les 
uns,  la  Loi  passe  de  Moïse  à  Josué,  puis  aux  Anciens,  aux  Pro- 
phètes, à  la  Grande-Synagogue,  à  Simon  le  Juste  et  Antigone  de 
Sokho,  puis  à  cinq  couples  et  finalement  à  Iohanan  b.  Zaccaï. 
D'autres  textes  font  intervenir  les  zuggot  et  les  escolot.  D'après 
d'autres  traditions,  la  transmission  de  la  Loi  va  de  Moïse  aux 
Prophètes,  des  Prophètes  aux  zuggot,  et  des  zuggot  aux  rabbins 
(le  père  de  R.  n©n^,  ce  N^îott  et  Nahum  le  librarius)  ;  ou  bien  : 
Moïse,  les  Prophètes,  Iohanan  b.  Zaccaï  (Tos.  Iadaïm,  II,  16)  ;  ou 
bien:  Moïse,  les  rabbins,  de  génération  en  génération,  jusqu'à 
Iohanan  b.  Zaccaï  [Iadaïm,  IV,  3).  Voici  un  texte  que  nous  ne 
connaissions  pas  et  qui  est  du  même  genre  que  ces  deux  derniers. 
Il  se  trouve  dans  le  Tanhuma,  section  Bemidbar  l  :  'ntt  ^n  bsnpa 
'm  73"ttb  i-tobn  [ijbnpia  d^pTn  \u  bsptt  nid&p».  Ainsi  R.  mûkto, 
déjà  nommé  plus  haut,  a  reçu  la  Tradition  des  Anciens,  qui  l'ont 
reçue  de  Moïse  au  Sinaï.  Les  membres  intermédiaires  varient  de 
nom,  mais  tous  ces  noms  désignent  au  fond  la  même  chose  :  les 
rabbins  ou  les  autorités  rabbiniques  constituées. 

1  Ce  texte  est  cité  par  Baer,  dans  son  édition  de  la  tefilla,  sur  la  prière  du  schemoné- 
esré  commençant  par  les  mots  Û^p^^îl  b$.  Les  zek<fnim  de  ce  paragraphe  sont 
les  mêmes  Anciens  du  Sanhédrin,  comme  Kaschi  le  lait  déjà  remarquer  (Baer,  ibid.). 
Le  passage  cité  du  Tanhuma  se  trouve  dans  l'édition  Buber,  au  n°  27.  11  est  vrai  que 
M.  Buber  a  cru  devoir  corriger  le  texte  et  ajouter  les  zuggot,  mais  rien  ne  prouve  qu'il 
ait  eu  raison  de  le  faire.  Même  avec  les  zuggot,  ce  texte  diffère  de  tous  les  autres  et 
présente  une  variante  nouvelle. 


NOTES  SUR  LE  CHAPITRE  I  ■  DES  P1RKË  ABOT  193 

3.  On  s'est  quelquefois  demandé  si  les  cinq  couples  des  Pirké 
Abot  s'appellent  zuggot  et  s'ils  sont  compris  ou  non  dans  les 
zvggot  qui,  d'après  d'autres  textes  \  ont  vécu  depuis  les  prophètes 
jusqu'à  la  fin  du  second  temple.  La  première  de  ces  deux  questions 
n'a  plus  d'importance,  du  moment  que  nous  admettons  que  nos 
traditions  sur  les  zuggot  ne  sont  pas  historiques;  la  seconde  n'a 
presque  pas  de  sens,  puisque  nos  textes  sont  indépendants  les 
uns  des  autres.  Il  est  bon  seulement  de  noter  que,  d'après  la  Tosefta 
de  Hagiga-,  les  cinq  couples  de  notre  Mischna  s'appellent  zuggot, 
et  que  d'autre  part,  les  textes  qui  attribuent  la  décadence  des 
escolot  à  la  discussion  des  docteurs  sur  la  semikha  3,  considèrent 
probablement  nos  cinq  couples  comme  des  escolot,  puisque  ce 
sont  précisément  ces  cinq  couples  qui  discutent  sur  la  semihha. 
Il  n'en  résulte  nullement  que  les  escolot  soient  identiques  aux 
zuggot,  le  texte  de  la  Tosefta  et  les  autres  textes  dont  nous  venons 
de  parler  ne  sont  pas  obligés  de  concorder.  Mais,  dans  un  passage 
talmudique  que  nous  n'avons  pas  encore  cité,  une  tentative  très 
intéressante  est  faite  pour  concilier  nos  traditions  divergentes  sur 
les  zuggot  et  les  escolot 4.  Ce  passage  du  Talmud  prend  note  de  ce 
que,  d'après  la  Mischna,  les  escolot  ont  cessé  d'exister  avec  Iosé 
b.  Ioézer,  mais  le  rédacteur  y  trouve  de  la  difficulté,  puisque  les 
zuggot  ont  vécu  jusqu'à  la  fin  du  second  temple,  encore  longtemps 
après  Iosé  b.  Ioézer,  et  que  les  zuggot  pourraient  bien  être  la 
même  chose  que  les  escolot.  Pour  résoudre  cette  difficulté,  le  Tal- 
mud imagine  qu'il  y  a  une  différence  entre  les  zuggot  et  les  escolot, 
malgré  leur  analogie  réelle,  et  cette  différence  consiste  en  ce  que 
les  escolot  auraient  exercé  le  pouvoir,  tandis  que  les  zuggot  n'é- 
taient que  de  simples  docteurs  de  la  Loi,  qui  n'avaient  jamais 
exercé  le  pouvoir.  Une  fois  en  veine  de  concilier  les  textes,  il 
fallait  bien  essayer  aussi  de  mettre  d'accord  le  texte  qui  fait  cesser 
les  escolot  à  Iosé  b.  Ioézer  5  avec  celui  qui  les  fait  durer  jusqu'à 
Iuda  b.  Baba6.  Il  est  assez  curieux  que  la  guémara  de  Temura 
laisse  subsister  ces  deux  textes  l'un  à  côté  de  l'autre,  sans  remar- 
quer ou  signaler  la  contradiction.  Il  se  pourrait  bien  que  ce  soit 
pour  lever  cette  contradiction  que  notre  guémara  de  Sota  j.  a 
remplacé,  dans  le  second  de  nos  textes  (celui  qui  fait  vivre  les 
escolot  jusqu'à  Iuda  b.  Baba),  le  mot  escolot  par  le  mot  zuggot, 

1  Péa,  II,  6;  Nazir,  56  6/  Tosefta  Iadaïm,  II,  16. 

2  Ch.  ii,  parag.  8. 

3  Hagiga,  16  a  (mischna)  et  b  ;  Hagiga  j.,  II,  2  (76  d  et  77  d)\   Temura,  15  b. 
*  Sota  j.,  24  a. 

5  Temura,  15  b  ;  Sota,  Ma. 

6  Temura,  15  b  ;  cf.  Hagiga  j,,  77  d  ;  Tos.  Hagiga,  II,  9. 

T.  XIX,  n°  38.  13 


1i)4  ftEVUE  DES  ETUDES  JUIVES 

Ce  changement  serait  intentionnel,  et  non  une  faute  de  copie, 
comme  on  l'a  supposé.  On  obtient  ainsi,  d'après  ce  passage  de 
Sotaj.,  une  théorie  qui  tient  parfaitement  debout  :  les  escolot  ont 
existé  jusqu'à  losé  b.  Ioézer  et  ont  cessé  avec  lui  ;  les  zuggot  ont 
existé,  d'abord  parallèlement  aux  escolot,  depuis  Moïse  jusqu'à 
losé  b.  Ioézer;  puis,  après  la  disparition  des  escolot,  ils  ont  conti- 
nué de  vivre  jusqu'à  Iuda  b.  Baba;  ils  étaient  sans  tache  dans  la 
première  période,  marqués  d'une  tache  dans  la  seconde  période. 
Ils  ne  sont  pas,  comme  on  l'a  cru,  les  escolot  transformés  et 
amoindris,  et  la  tache  qu'ils  portent  n'est  pas  de  ne  pas  exercer  le 
pouvoir,  puisqu'ils  ne  l'ont  jamais  exercé  antérieurement1.  Si 
cette  explication  que  nous  proposons  était  rejetée,  il  faudra 
admettre  que  notre  guémara  de  Sota  j.  signifie  que  les  zuggot 
ont  succédé  aux  escolot  disparus,  sans  qu'on  puisse  d'ailleurs  en 
conclure,  comme  l'ont  soutenu  divers  historiens,  que  la  tache  dont 
ils  sont  marqués  soit  précisément,  pour  notre  guémara,  la  perte 
du  pouvoir  exercé  avant  eux  par  les  escolot.  Dans  la  suite  de  la 
guémara,  selon  que  la  leçon  «  zuggot  »  à  la  place  de  1'  «  escolot  » 
des  textes  parallèles  sera  considérée  comme  authentique  ou  non. 
il  y  aurait  contradiction  avec  ce  qui  précède  sur  les  zaggot  ou 
avec  ce  qui  précède  sur  les  escolot  2.  Nous  avons  déjà  fait  remar- 
quer que  ce  genre  de  contradiction  ne  gêne  pas  la  guémara 
de  Temura. 

4.  Nous  ne  savons  au  juste  (et  ce  serait  à  rechercher)  à  quelle 
époque  les  mots  naci  et  ab  bât  clin  ont  commencé  à  signifier  res- 
pectivement président  et  vice-président  du  Sanhédrin,  si  toutefois 
ils  ont  jamais  eu  ce  sens  à  l'époque  de  la  Mischna.  Comme  nous 
TaArons  dit  plus  haut,  à  l'époque  du  second  temple,  naci  dési- 


1  La  seule  objection  qu'on  peut  faire  à  notre  explication,  c'est  que  notre  guémara  de 
Sota  j.,  qui  fait  une  différence  entre  les  escolot  et  les  zuggot,  serait  pourtant  obligée 
d'admettre  que  losé  b.  Ioézer  a  été  à  la  fois  dans  les  escolot  (le  dernier  escol)  et  dans 
les  zuggot  (le  premier  des  zuggot  avec  tache),  mais  la  difficulté  n*est  pas  insoluble. 
D'abord,  on  ne  pense  pas  à  tout,  quand  on  corrige  les  textes.  Ensuite,  la  théorie 
exposée  ne  dit  pas  qu'on  ne  peut  être  à  la  fois  zug  et  escol.  Enfin,  la  guém.  de  Tcniuni 
aussi  (1sj  h  et  1G  a)  est  obligée  de  séparer  en  deux  losé  b.  Ioézer,  le  losé  d'avant  la 
tache  et  le  losé  d'après  la  tache.  Notre  guém.  de  Sotaj.  peut  recourir  à  un  subterfuge 
du  même  genre  :  losé  b.  Ioézer,  d'abord  escol,  est  devenu  zug  à  ia  fin  de  ses  jours,  et 
cela  ne  compte  pas. 

2  Nous  voulons  dire  ceci.  Les  textes  parallèles  ont  la  phrase  connue  :  «  Tous  les 
escolot,  depuis  Moïse  jusqu'à  losé  b.  Ioézer,  étaient  sans  tache  ;  depuis  losé  b.  Ioézer, 
ils  avaient  une  tache.  »  Notre  guém.  Sotaj.,  à  la  place  du  mot  escolot  de  cette  phrase, 
porte  le  mot  zuggot,  mais  certains  critiques  croient  que  la  leçon  est  fautive  et  qu'il  faut 
mettre  ici  aussi  le  mot  escolot.  Si  on  met  le  mot  escolot,  on  a  la  contradiction  déjà 
signalée  plus  haut  ;  si  on  laisse  le  mot  zuggot,  on  a  des  zuggot  depuis  Moïse,  tandis  que, 
dans  le  passage  précédent  de  cette  guémara,  il  semble  que  les  zuggot  ont  seulement 
commencé  à  losé  b.  Ioézer. 


NOTES  SITU  LE  CHAPITRE  l«  DES  V\\\K\::  A150T  m 

^nait  le  Prince  ou  Roi;  ab  bel  din,  le  président  du  Sanhédrin. 
Après  la  destruction  du  temple,  le  mot  naci  désignait  évidem- 
ment le  Patriarche,  qui  avait  hérité  quelque  chose  des  attributions 
politiques  du  Prince,  et  le  mot  ab  bêt  din  continua  à  désigner  le 
président  du  Sanhédrin.  Il  semble  seulement  que  le  naci,  quand  il 
venait  aux  séances  du  Sanhédrin,  le  présidait  de  droit,  et  reléguait 
par  là  le  président  ordinaire  au  rôle  de  vice-président.  A  un  cer- 
tain moment,  le  naci  considéra  comme  sa  plus  haute  prérogative 
de  présider  le  Sanhédrin,  il  en  devint  le  vrai  président,  et  Vab 
bêt  din,  autrefois  président,  descendit  pour  toujours  au  rang  de 
vice-président  '. 

5.  Nous  ne  sortons  pas  entièrement  de  notre  sujet  en  montrant, 
par  un  nouvel  exemple,  à  quel  point  l'histoire  de  l'époque  du  se- 
cond temple  a  été  altérée  par  la  légende.  Tout  le  monde  connaît  ce 
texte  où  Rabban  Gamaliel  et  les  Anciens  sont  représentés  assis  sur 
un  degré  du  Jiar-habbaït  et  écrivant  des  circulaires  officielles  sur 
la  dîme  de  l'huile,  du  blé,  et  sur  l'intercalation  du  treizième  mois 
dans  l'année.  Ces  circulaires  sont  adressées  aux  Juifs  du  Nord  (la 
Galilée),  à  ceux  du  Sud  (le  Darom),  à  ceux  de  l'exil  (la  Babylonie, 
la  Médie  et  l'Asie-mineure2).  Dans  un  autre  texte,  il  est  raconté 
que  Rabban  Gamaliel  était  assis  sur  un  degré  (variante  :  une  cons- 
truction) du  Uar-habbaït,  qu'on  lui  présenta  un  targum  de  Job  et 
qu'il  fit  cacher  ce  targum,  comme  une  œuvre  peu  canonique  3.  Ce 
Rabban  Gamaliel  qui  repousse  le  targum  de  Job,  est,  dans  un  texte 
parallèle4,  le  grand-père  de  Rabbi  Gamaliel,  fils  de  Ribbi,  lequel 
Rabbi  Gamaliel  demeure  ou  est  de  passage  à  Tibénade.  Il  est 
évident  que  les  mots  Uar-habbaït  que  nous  trouvons  dans  nos 
textes  veulent  désigner  la  montagne  du  temple  s,  le  Rabban  Gama- 
liel qui  écrit  les  circulaires  et  qui  repousse  le  targum  de  Job  doit 
donc  être  Gamaliel  Ier,  c'est  sûrement  ce  que  nos  textes  veulent 
faire  supposer ,  et  cependant  cela  est  impossible.  Assurément , 
Gamaliel  Ie1'  était  une  des  hautes  personnalités  de  Jérusalem, 
comme  le  prouve  le  passage  des  Actes  des  Apôtres  qui  le  concerne, 
et  son  fils  Simon,  également,  d'après  le  témoignage  de  Josèphe, 
était  un  homme  de  valeur;  mais  supposer  un  seul  instant  que  la 


1  Nous  ne  pensous  pas  que  les  textes  de  Horaiot,  13  b,  et  Bicciirim  ,/.,u5  r,  soient 
contraires  à  cette  opinion. 

*  Sanhédrin  /.,  I,  2  (18  d)  ;  Maaser  schénij.,  V,  6  (5G  c).  Dans  Sanh.  b.,  11  «,  le 
nom  de  Simon  fils  de  Gamaliel  remplace  celui  de  Rabban  Gamaliel;  voir  J.  Deren- 
bourg,  Essai,  p.  242. 

3  Sa&atj., XVI,  1  (15  c). 

4  Sabbat  b.,  11b'  a  ;  voir  J.  Derenbourp;,  p.  241. 

5  In  de  nos  textes  (Derenb.,  p.  242)  dit  même  formellement  que  Kabb.  Gamaliel 
était  assis  sur  les  degrés  de  l'escalier  conduisant  au  portique  du  temple. 


196  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

fixation  d'un  mois  intercalaire,  qui  était  un  des  actes  les  plus  ira- 
portants  de  la  vie  religieuse  de  la  nation,  ait  été  abandonnée,  à  cette 
époque,  par  les  prêtres,  à  un  simple  laïque,  nous  paraît  absolu- 
ment inadmissible.  Notre  Gamaliel,  avec  ses  trois  circulaires,  fait 
véritablement  acte  de  souveraineté,  et  il  n'a  pu  exercer  cette 
puissance  souveraine  qu'à  Iabné,  après  la  destruction  du  temple. 
Il  est  Gamaliel  II,  non  Gamaliel  Ier.  Le  titre  de  Rabban  qui  lui  est 
donné  le  prouve  suffisamment  ;  Ô"est  le  titre  que  portaient  les 
Patriarches,  mais  qui  n'existait  pas  encore  du  temps  du  second 
temple.  Dans  le  texte  relatif  aux  trois  circulaires,  Gamaliel  traîne 
les  Anciens  (le  Sanhédrin)  à  sa  remorque,  comme  s'il  était  leur 
chef,  et  ceci  également  ne  peut  être  vrai  que  de  Gamaliel  II.  De 
même,  dans  l'histoire  du  targum  de  Job,  le  Gamaliel  qui  fait  cacher 
ce  targum  ne  peut  être  que  Gamaliel  II,  et  ainsi  s'explique  fort 
bien  qu'il  soit  le  grand-père  l  de  Gamaliel  fils  de  Ribbi,  à  Tibé- 
riade,  lequel  n'est  autre  que  Gamaliel  III,  fils  de  Rabbi  Juda  le 
Saint.  Mais  que  devient  alors  le  har-habbaït  où  se  passent  ces 
faits  ?  Les  mots  har-habbaït  sont-ils  une  interpolation  ?  ou  bien 
pourrait-on  supposer  que  la  vigne  où  se  tenait  le  Sanhédrin  (ou 
l'école)  de  Iabné,  et  qui  était  peut-être  sur  le  versant  d'une  colline, 
avait  fini  par  s'appeler  har-habbaït,  aussi  bien  que  Iabné  était 
devenue  une  seconde  Jérusalem  -  ?  ou  enfin,  sommes-nous  en  pré- 
sence d'une  légende  qui  brouille  les  faits  avec  intention*/  ou  qui 
confond,  par  ignorance,  Gamaliel  Ier  avec  Gamaliel  II  ?  C'est  cette 
dernière  hypothèse  que  nous  admettrions  le  plus  volontiers.  La 
mention  des  degrés  et  des  constructions  (sans  parler  du  texte  qui 
mentionne  le  portique  du  temple)  semble  bien  indiquer  que  la 
scène  est  censée  se  passer  à  Jérusalem  et  qu'il  n'y  a  pas  interpola- 
tion ou  translation  du  mot  har-habbaït  à  la  vigne  de  Iabné.  En 
somme,  la  Mischna  et  le  Talmud  ne  savent  presque  rien  du  tout  de 
Gamaliel  Ier,  sa  figure  a  pu  se  fondre,  pour  eux,  dans  celle  de 
Gamaliel  II,  et  enfin,  tout  notre  récit  des  trois  circulaires  peut  fort 
bien  n'être  qu'un  raccourci  historique  où  l'on  a  réuni,  pour  glo- 
rifier Gamaliel  II,  quelques-uns  des  actes  les  plus  importants  de  sa 

1  En  réalité,  l'arrière  grand-père,  Gamaliel  II  est  père  de  Simon,  qui  est  père  de 
Juda  le  Saint,  qui  est  père  de  Gamaliel  III.  Il  faut  probablement,  dans  rotre  texte, 
lire  "paN  ^2N  "ON.  Rabbi  Halafta  qui,  d'après  le  texte  de  Sabbat,  115  a,  a  vu 
Gamaliel  à  Tibériade,  est  contemporain  do  R.  Akiba  et  de  Hanina  b.  Teradion 
[Taanit,  11,11),  il  n'a  pas  pu  vivre  assez  longtemps  pour  avoir  vu  Gamaliel  1er  à 
Jérusalem,  mais  il  a  pu  connaître  à  la  fois  Gamaliel  II  et  Gamaliel  III  ;  il  était  de 
Sephoris,  qui  n'est  pas  très  loin  de  Tibériade.  N'est-il  pas  curieux  que  dans  les  deux 
histoires,  celles  de  Gamaliel  IL  et  Gamaliel  III,  on  parle  d'un  Iohanan,  appelé  ici 
rpî2ï"i  et  là  lï-Dït  ?   Y  aurait-il  là  quelque  confusion  ? 

*  On  y  faisait  même  les  trois  pèlerinages  (regalim),  comme  à  Jérusalem  (voir 
Hullin,  48  a  ■  Para,  VII,  G;  Tos.  Para,  VII,  4). 


NOTES  SUR  LE  CHAPITRE  I"  DES  PIRKÉ  ABOT  197 

vie  administrative.  Ainsi  s'explique  d'abord  que  juste  au  même 
moment  il  ait  eu  à  faire  trois  communications  différentes  qui  vont 
symétriquement  dans  les  trois  directions  où  il  y  avait  des  Juifs 
soumis  à  son  autorité.  Si  les  Juifs  d'Egypte  avaient  également 
accepté  les  ordres  du  Patriarche,  nous  aurions  probablement,  à 
cet  endroit,  une  quatrième  lettre  et  les  circulaires  de  Gamaliel  se 
dirigeraient  sur  les  quatre  points  cardinaux,  au  lieu  de  trois  seule- 
ment. En  outre,  il  y  a  dans  le  texte  même  une  preuve  que  les  circu- 
laires, si  elles  ont  été  écrites  (et  il  n'y  a  pas  de  raison  de  clouter 
que  Gamaliel  II  en  faisait  de  cette  espèce  *),  n'ont  pas  pu  être 
écrites  en  même  temps.  L'olive  se  récolte  à  la  fin  de  l'automne  et  il 
n'est  pas  probable  que,  pour  prélever  la  dime  de  l'huile  visée  dans 
la  première  des  trois  circulaires,  on  ait  attendu,  comme  le  montrent 
les  deux  autres  circulaires,  jusqu'aux  environs  de  Pâque.  La  se- 
conde circulaire,  qui  parle  du  prélèvement  de  la  dîme  du  blé,  n'a 
pu  être  écrite,  au  plus  tôt,  qu'après  la  première  moisson,  mais  une 
fois  cette  première  moisson  arrivée,  il  nous  paraît  impossible  de 
dire,  comme  on  le  trouve  dans  la  troisième  circulaire,  que  le 
temps  de  Yabib  n'est  pas  encore  venu,  car  Vabib  est  justement  la 
moisson,  et  quand  il  est  venu,  on  célèbre  la  Pâque  et  on  ne  fait  pas 
de  mois  intercalaire. 

6.  Nous  voudrions  enfin  dire  quelques  mots  sur  les  maximes 
attribuées,  dans  le  chap.  ier  des  Pirké  Abot,  aux  autorités  et  doc- 
teurs qui  font  la  Chaîne  de  la  Tradition.  On  y  verra  une  nouvelle 
preuve  que,  dans  cette  page  des  Abot,  tout  est  arrangé  et  calculé, 
avec  une  intention  plus  ou  moins  consciente,  pour  exalter  la 
doctrine  des  rabbins  et  soutenir  les  prétentions  des  Pharisiens 
contre  leurs  anciens  adversaires  -. 

Avant  d'examiner  en  détail  les  préceptes  exprimés  dans  ce  cha- 
pitre des  Abot,  il  est  important  de  noter  qu'il  semble  y  avoir,  au 
moins  dans  les  neuf  premiers  paragraphes  du  chapitre,  un  certain 
balancement  des  idées  et  comme  un  va-et-vient  de  la  pensée  3,  qui 
s'avance,  se  reprend,  se  corrige  ou  se  contredit.  Les  trois  premiers 
paragraphes  paraissent  faire  ensemble  une  unité.  Dans  le  §  1er,  on 

1  Les  formules  sont  sûrement  authentiques,  à  titre  de  formules.  La  langue  môme 
dans  laquelle  elles  sont  écrites  le  prouve  suffisamment.  Les  patriarches  avaient  peut- 
être  un  recueil  de  formulaires  comme  l'ont  eu  les  empereurs  d'Orient  ou  les  rois  ca- 
rolingiens ;  il  serait  bien  curieux  que  nos  trois  circulaires  fussent  un  fragment  de  ce 
formulaire. 

:  11  est  remarquable  cependant  que  Hiilel  fasse  l'éloge  d'Aaron  [Abot,  I,  12),  mais 
Hillel  est  comme  Simon  le  Juste,  il  embrasse,  dans  un  même  sentiment  de  sympathie, 
tous  les  partis  et  c'est  ce  qui  a  lait  sa  réputation. 

a  Cf.  Qraetz,  /.  <•..  p.  28,  qui  a  l'ait  celle  remarque  pour  un  des  groupes  de  ce 
chapitre. 


l'.iS  REVUE  DES  ETUDES  JUIVES 

fait  ressortir  l'importance  de  la  Loi  et  de  l'étude  delà  Loi;  le  §2  dit 
que  la  Loi  et  l'étude  ont  leur  valeur,  mais  ne  sont  pas  tout,  et  qu'il 
faut  y  ajouter  au  moins  le  culte.  Le  culte  est  une  excellente  chose, 
reprend  le  §  3,  mais  à  la  condition  d'être  pur.  Dans  les  six  ou  huit 
paragraphes  suivants,  pris  deux  à  deux,  il  y  a  également  des  mou- 
vements d'aller  et  retour  ou  correspondance  de  la  pensée.  Que  ta 
maison  soit  remplie  de  docteurs,  dit  l'un  (§  4)  ;  qu'elle  soit  surtout 
remplie  de  pauvres  1,  reprend  l'autre  (§  5).  —  Prends  un  maître  et 
un  compagnon  d'études  (§  6)  ;  oui,  mais,  éloigne-toi  d'un  mauvais 
compagnon  (§  7).  —  Les  §§  8  et  9  s'occupent  tous  deux  des  règles 
de  procédure  ;  les  §§  10  et  11  s'occupent  du  pouvoir  et  des  dangers 
qu'on  court  auprès  des  grands.  Remarquons  enfin  que  jusqu'au 
§  10,  chaque  paragraphe  est  divisé  en  trois  membres  et  contient 
le  plus  souvent  l'expression  de  trois  pensées,  plus  ou  moins  liées 
l'une  à  l'autre.  L'auteur  est  si  attaché  à  cette  forme  de  la  phrase, 
qu'il  fait  visiblement  effort  (par  exemple  aux  §§  3  et  9)  pour  la 
conserver,  lors  même  qu'il  n'a  que  deux  pensées  à  exprimer  2. 

Ces  considérations  permettent  d'expliquer  avec  plus  de  précision 
qu'on  ne  le  fait  d'ordinaire  certaines  parties  de  notre  Mischna. 

§  1er.  —  La  Grande- Synagogue  dit  :  Soyez  doux  dans  vos  juge- 
ments (contre  les  Sadducéens,  dont  le  code  paraissait  trop  dur  3), 
ayez  beaucoup  d'élèves  (contre  les  Sadducéens,  qui  voulaient,  sans 
aucun  doute,  garder  le  privilège  de  l'interprétation  de  la  Loi  et  ne 
répandre  l'instruction  que  dans  leur  caste),  et  faites  une  haie  à  la 
Loi  (contre  les  Sadducéens  encore,  qui  ne  voulaient  rien  ajouter 
à  la  Loi,  se  moquaient  des  inventions  religieuses  des  Pharisiens, 
et,  en  vraie  classe  conservatrice,  avaient  horreur  des  innovations). 
Tout  le  paragraphe  est  une  attaque  directe,  on  le  voit,  contre  le 
parti  des  Sadducéens. 

§  2.  —  Simon  le  Juste  y  répond  par  une  tentative  de  concilia- 
tion4. Le  monde  repose  sur  la  Loi,  en  premier  lieu  (comme  le 
disent  les  Pharisiens),  mais  aussi  sur  le  culte  dans  le  temple 
(voilà  pour  les  prêtres  Sadducéens),  et  enfin  sur  les  œuvres  de 
charité  (ceci  regarde  peut-être  particulièrement  les  Esséniens, 
dont  la  doctrine  communiste  reposait  sur  les  idées  d'humilité  et 
de  charité)  5. 

1  Ces  pauvres  sont  peut-être  les  Ebiouim,  pour  qui  la  pratique  religieuse  et 
morale  était  sûrement  plus  importante  que  Y€twde. 

2  La  trichotomie  se  trouve  aussi  dans  le  schemoné  csré,  comme  l'a  fait  remarquer 
M.  Joseph  Dereimourg,  Revue,  XIV,  p.  27  et  suiv. 

3  Voir  Megiilat taanit,  14  tammuz  ;  Derenbourg.  p.  103. 

4  Cf.  I,  18. 

5  Voir  Jirull,  dans  ses  Jakrbilcher,  VIII  (1885),  p.  5,  qui  donne  la  même  explica- 
tion de  ce  paragraphe. 


NOTES  SUR  LE  CIIAIMTKU  L«  DES  P1RKÉ  ABOT  m 

§  3.  —  Antigone  de  Sokho  :  Pensée  du  Pharisien  un  peu  moins 
large,  dans  ses  vues,  que  Simon  le  Juste,  mais  plus  conciliant  que 
la  Grande-Synagogue.  Soit,  il  faut  aussi  servir  Dieu  (le  culte  du 
temple),  mais  à  condition  que  ce  culte  soit  désintéressé  et  s'inspire 
de  la  seule  crainte  du  ciel.  Il  est  assez  difficile  de  dire  au  juste  quel 
est  le  sens  dé  cette  restriction.  On  peut  supposer  que,  suivant  le 
rédacteur,  elle  signifie  qu'il  ne  faut  pas  attendre  de  rémunération 
sur  cette  terre,  mais  espérer  en  la  vie  future,  à  laquelle  les  Sad- 
ducéens  refusaient  de  croire.  On  pourrait  aussi  penser  qu'Antigone 
veut  dire  qu'on  peut  pratiquer  le  culte,  mais  ne  pas  en  vivre, 
comme  taisaient  les  prêtres  sadducéens.  Mais  le  sens  de  ses  pa- 
roles est,  en  somme,  assez  obscur  et  elles  pourraient  même  être 
une  critique  adressée  par  les  Sadducéens  aux  Pharisiens  (attendre 
une  rémunération,  même  dans  la  vie  future,  est  une  croyance 
grossière),  mais  notre  rédacteur  ne  Ta  sûrement  pas  cru,  sans 
cela  il  n'aurait  pas  reproduit  les  paroles  d'Antigone.  Les  Abot  de 
R.  Natan  (ch.  v)  ont  très  bien  vu  le  sens  équivoque  de  ces  paroles. 

§§  4  et  5.  —  On  a  de  nouveau  (§  4,  comme  au  §  1er)  un  éloge 
enthousiaste  de  l'étude  de  la  Loi,  mais  cet  éloge  exclusif  est 
immédiatement  atténué  dans  le  §  5. 

§§  6  et  7.  —  Encore  des  conseils  sur  l'étude  de  la  Loi,  si  chère 
aux  Pharisiens.  Le  §  6  semble  dire  qu'il  faut  se  chercher  un  maitre 
pour  étudier  sous  sa  direction  %  et  un  compagnon  pour  étudier  de 
concert  avec  lui.  C'était  peut-être  une  habitude  dans  les  écoles  de 
s'associer  avec  un  étudiant.  Ces  deux  étudiants  ainsi  associés 
étaient  haber  l'un  de  l'autre  et  formaient  ensemble  un  couple.  La 
suite  veut  peut-être  dire  qu'il  ne  faut  pas  se  montrer  trop  difficile 
dans  le  choix  de  ce  iiabev  -,  et  qu'il  faut  d'abord  juger  par  le  bon 
côté  ceux  qu'on  pourrait  être  tenté  de  prendre  pour  compagnons. 
Mais  on  trouvera  peut-être  cette  explication  un  peu  trop  recher- 
chée. Si  on  la  repoussait,  on  pourrait  admettre  que  la  fin  du  para- 
graphe fait  encore  allusion  à  la  sévérité  des  Sadducéens  dans  les 
tribunaux  (comme  au  §  1),  quoiqu'il  semble  plutôt  qu'elle  signifie 
qu'il  faut,  en  général,  juger  tout  le  monde  avec  bienveillance.  Le 
§  7  répond:  Oui,  il  faut  un  compagnon,  mais  il  ne  faut  pas  choisir 
un  méchant  (ou  impie)  ;  oui,  il  faut  juger  tout  le  monde  avec  un 
partirpris  d'indulgence,  mais  à  la  condition  de  ne  pas  laisser  se 
perdre  entièrement  la  notion  de  mérite  et  de  démérite,  avec  la 
sanction  (terrestre  ou  ultra-terrestre)  attachée  à  l'un  et  à  l'autre  3. 

»  Ci".  §  16. 

»  Voir  encore  Abot,  II,  13  et  14  et  IV,  Vé. 

3  Cf.  IV,  13. 


200  REVUE  DES  ETUDES  JUIVES 

§§  8  et  9.  —  Au  §  8,  même  précepte  d'indulgence,  cette  fois-ci 
sûrement  dans  l'exercice  de  la  justice  *.  Il  ne  faut  pas  s'étonner 
de  l'importance  attachée  à  cette  question  par  notre  Mischna,  on 
sait  aujourd'hui  quel  intérêt  passionné  on  portait  chez  les  Juifs, 
dans  les  cent  cinquante  ans  qui  ont  précédé  la  destruction  du 
temple,  à  l'étude  de  la  procédure  judiciaire.  Les  Sadducéens,  nous 
l'avons  dit,  passaient  pour  juger  avec  dureté  ;  cela  vient,  sans 
doute,  de  ce  qu'ils  jugeaient  avec  les  procédés  traditionnels  et  que, 
chez  tous  les  peuples,  les  procédés  primitifs  de  la  justice  ont  été 
sommaires  et  barbares.  Avec  le  temps,  les  mœurs  s'adoucirent,  et 
l'ancienne  procédure  parut  insupportable.  Les  Pharisiens  y  vou- 
laient plus  de  souplesse  et  d'humanité,  un  examen  plus  attentif  des 
faits,  des  sentences  plus  réfléchies.  Juda  b.  Tabbaï  et  Simon  b. 
Sétah  ont  sûrement  eu  une  part  importante  dans  la  formation  de 
la  nouvelle  procédure,  principalement  en  ce  qui  concerne  les  faux 
témoins  -,  c'est  ce  qui  explique  déjà  suffisamment  que,  dans  notre 
Mischna,  ils  s'occupent  de  ces  questions  3.  Les  paroles  de  Simon  b. 
Sétah  (§  9)  prennent  une  importance  particulière  quand  on  se  rap- 
pelle qu'il  y  a  eu  aussi  progrès,  chez  les  Juifs,  dans  la  manière 
d'interroger  les  témoins.  Anciennement,  les  tribunaux  se  con- 
tentaient d'enregistrer  les  témoignages,  sans  se  croire  le  droit 
d'examiner  le  caractère  des  témoins,  et  de  se  convaincre,  par 
des  interrogatoires  plus  ou  moins  habiles,  de  leur  véracité. 
L'interrogatoire  des  deux  Anciens  dans  l'histoire  de  Suzanne  et 
l'admiration  qu'inspire  le  procédé  employé  par  Daniel  pour  les 
convaincre  de  fausseté,  montrent  à  quels  abus  criants  condui- 
sait l'ancien  procédé  d'audition  des  témoins  et  quelle  fut  l'impor- 
tance du  progrès  accompli  en  cette  matière4.  Bien  entendu,  ici 
encore,  notre  texte  enregistre  une  victoire  des  Pharisiens  sur  les 
Sadducéens. 

Nous  n'avons  rien  à  dire  de  spécial  sur  les  paragraphes  suivants 
de  notre  Mischna,  si  ce  n'est  que  dans  les  paroles  de  Semaia  (§  10) 
il  y  a  probablement  aussi  une  critique  des  Sadducéens,  qui  aimaient 
le  pouvoir  et  fréquentaient  la  cour,  tandis  que  les  Pharisiens  s'in- 

1  Si  les  §§  6  et  7  parlent  aussi  de  la  bienveillance  en  justice,  on  a  quatre  para- 
graphes de  suite  qui  s'occupent  de  cette  question.  Sur  le  §  8,  cf.  IV,  7. 

*  Voir  Derenbourg,  p.  104-107  ;  Weiss,  Dor  dor,  I,  p.  138.  « 

3  Le  commencement  du  §  8  n'a  pas  encore  été  expliqué  d'une  façon  satisfaisante. 
Ne  pourrait-il  pas  signifier  que  lorsqu'un  procès  est  ouvert,  le  public  ne  doit  pas  s'en 
mêler,  discuter  les  faits,  juger  d'avance  les  accusés,  les  condamner  ou  les  absoudre? 
Le  public  n'a  pas  les  éléments  nécessaires  pour  juger  la  cause,  et  ses  jugements  précipités 
pourraient  exercer  une  influence  fâcheuse  sur  les  vrais  juges.  Les  mots  :  kesché-kih- 
belu  et  ha-din  sont  probablement  une  glose. 

*  Sur  tout  cela,  il  faut  voir  Brull,  dans  ses  Jahrlûchcr,  III  (1877),  p.  43  et  suiv. 


NOTES  SUU  LK  CHAPITRE  Ie'  DES  PIRKE  ABOT  201 

téressaient  peu  à  la  politique,  se  tenaient  loin  du  monde  officiel  et 
des  affaires  '. 

La  suite  de  la  Mischna,  on  le  sait  depuis  longtemps,  est  interpo- 
lée et  déjà  le  paragraphe  12  est  suspect,  puisqu'il  n'a  pas  cette 
forme  vive  du  tercet  qu'ont  les  paragraphes  précédents.  Dans 
tous  les  cas,  après  les  paragraphes  12-15,  qui  parlent  de  Hillel  et 
de  Sammaï,  il  faut  probablement  reprendre  au  paragraphe  9  du 
chapitre  il,  où  la  tradition  passe  de  Hillel  et  de  Sammaï  aux  mains 
de  Iolianan  b.  Zaccaï.  Une  fois  qu'elle  est  là,  l'auteur  considéra 
qu'elle  est  arrivée  au  but.  Le  patrimoine  légué  par  les  ancêtres  es' 
maintenant  aux  mains  de  leurs  héritiers  légitimes  2. 

Isidore  Loeb. 


1  Cf.  Abot,  II.  3,  et  III,  6.  Il  faut  cependant  remarquer  que  la  recommandation  de 
se  tenir  loin  des  grands  et  des  puissants  était  un  des  lieux  communs  des  moralistes  du 
temps.  Voir  Sagesse  de  Sirach,   ch.  xni. 

2  II  n'est  pas  sans  intérêt  de  citer  encore,  à  l'appui  de  notre  thèse  sur  les  -ziujtjot , 
la  Mischna  de  Bosch  haschona,  II,  12,  où  un  contemporain  de  Gamaiiel  II  (Dosa  b. 
Harkinas)  dit  qu'il  a  existé  des  bât  din  depuis  Moïse  jusqu'à  Gamaiiel  II,  mais  que 
les  noms  des  Anciens  de  ces  bêt  din  sont  restés  inconnus. 

Nous  remercions  notre  ami,  M.  le  Dr  Klein,  de  l'examen  qu'il  a  fait  de  notre  travail 
dans  Y  Univers  israClite  (45e  année,  n°  du  16  octobre  1889),  nous  respectons  beaucoup 
ses  opinions,  lors  même  que  nous  ne  les  partageons  pas,  et  nous  attachons  beaucoup 
de  prix  à  ses  observations.  La  Ocatcrreichische  Wochcnschrift  (n°  44  de  1889,  15  nov.) 
résume  notre  travail  en  disant  que  nous  avons  voulu  démontrer  que  la  Grande- 
Synagogue  n'a  pas  existé.  Il  faut  supposer  que  l'auteur  de  cette  recension  nous  a  lu 
très  superficiellement,  nous  parlons  seulement  de  son  article  pour  rendre  hommage  à 
M.  S-  Bloch,  dont  les  études  sur  la  matière  sont  très  intéressantes.  Si  nous  n'avons 
pas  cité  son  étude  sur  la  Grande-Synagogue  (dans  ses  Studien  z.  Gesch.  der  althebr. 
Literatnr,  Leipzig,  1875),  c'est  uniquement  parce  que  la  question  de  l'existence  de 
la  Grande-Synagogue,  qui  fait  l'objet  de  cette  étude,  est  résolue  pour  nous,  et  que 
nous  n'avions  pas  la  moindre  intention  de  rouvrir  le  débat.  Si  nous  n'avons  pas  cité 
ce  que  M.  Bloch  dit  du  paragraphe  1er  àes  Abot  dans  ses  Einblicke  in  d.  Gesch.  der 
EntstcJiung  der  talmud.  Literatur  (Wien,  1884,  p.  12-13),  c'est  uniquement  parce 
que  ce  passage  de  M.  Bloch  se  trouve  déjà  cité  et  utilisé  dans  le  travail  de  M.  Bril. 
Nous  saisissons  très  volontiers  cette  occasion  pour  dire  que,  dans  ce  passage,  M.  Bloch 
a  signalé  avant  nous  l'omission  singulière  des  prêtres  dans  Abot,  I,  1,  et,  de  plus,  il 
fait  remarquer  que  cette  omission  est  en  contradiction  ilagrante  avec  Lévitique,  Kl, 
11,  et  Maleachi,  2,  7. 


NOTES  SUR  L'HISTOIRE  DES  JUIFS 


1.  La  chronologie  juive. 

Il  y  a  encore,  dans  le  système  de  la  chronologie  juive,  un  cer- 
tain nombre  de  points  obscurs  que  nous  voudrions  expliquer.  Nous 
commençons  par  donner  ici  un  tableau  succinct  de  cette  chronolo- 
gie. La  colonne  KCr.  de  ce  tableau  indique  les  années  à  partir 
de  la  création  ;  la  colonne  Ans  donne  les  différences  entre  les 
chiffres  successifs  de  l'autre  colonne. 

Ans.  ECr. 

Création  du  monde »             » 

Déluge 1656  1656 

Naissance  d'Abraham 292  1948 

Naissance  d'Isaac 100  2048 

Naissance  de  Jacob 60  2108 

Descente  de  Jacob  en  Egypte 130  2238 

Sortie  d'Egypte 21 0  2U8 

Commencement  de  la  construction  du  1""  temple.  480  2928 

Exil  de  Babylone 410  3338 

Retour  de  l'exil  de  Babylone 70  3408 

Fin  de  l'empire  perse 34  3H2 

Ère  des  Séleucides 6  3448 

Fin  de  l'empire  grec l*. 174  3622 

Fin  des  Asmonéens2 103  3725 

Destruction  du  second  temple 103  3828 

Nous  ajoutons  la  date  de  l'ère  chrétienne,  laquelle,  d'après  la 
chronologie  juive,  tombe  en  l'an  3760  de  la  Création. 

Presque  tous  les  chiffres  de  cette  chronologie  sont  empruntés  à 
la  Bible  et  s'imposaient  aux  chronographes  juifs.  Il  n'y  en  a  que 
quatre  sur  lesquels  des  divergences  étaient  possibles  et  où  il  semble 
que  les  auteurs  du  système  aient  procédé  arbitrairement  : 

1  Ou  avènement  des  Asmonéens. 

2  Ou  avènement  d'Hérode. 


NOTES  SI  li  L'HISTOIRE  DES  JUIFS  '-!<>:; 

1.  La  durée  de  l'esclavage  d'Egypte,  qui  est,  suivant  la  Bible,  de 
4:30  ans,  et  qui,  dans  le  système,  n'est  que  de  210  ans.  Mais  ce 
chiffre  de  210  a  été  choisi  pour  mettre  la  chronologie  d'accord 
avec  le  chapitre  vi  de  l'Exode,  versets  16-20,  où,  depuis  Lévi 
.jusqu'à  Moïse,  il  n'y  a  que  quatre  générations  :  Lévi,  Kehat, 
Amram,  Moïse,  ce  qui  ne  peut  pas  donner  410  ans.  Le  chrono- 
graphe  s'est  donc  décidé  à  prendre,  pour  la  durée  de  l'esclavage, 
les  400  ans  indiqués  dans  Genèse,  15,  13,  et  qui,  d'après  ce  der- 
nier texte,  sont  réservés  à  la  postérité  d'Abraham.  Or  la  postérité 
d'Abraham  commence  avec  Isaac  ;  de  la  naissance  d'Isaac  à  la 
sortie  d'Egypte,  il  y  a  donc  400  ans;  retranchez  60  jusqu'à  la 
naissance  de  Jacob,  et  130,  âge  de  Jacob  à  la  descente  en  Egypte, 
ensemble  190  ans  ;  restent,  pour  la  captivité  d'Egypte,  210  ans. 

2.  Tout  le  monde  sait  que  la  chronologie  des  rois  de  Juda  et 
d'Israël  est  des  plus  difficiles  ;  le  total  des  règnes  des  rois  d'Israël 
est  de  21  ans  plus  petit  que  celui  des  rois  parallèles  de  Juda  ;  les 
synchronismes  indiqués  par  la  Bible  entre  les  rois  de  Juda  et 
d'Israël  donnent  lieu  à  plusieurs  problèmes  très  épineux.  L'auteur 
de  notre  système  ne  s'embarrasse  pas  de  ces  difficultés;  il  prend 
purement  et  simplement,  pour  la  durée  du  second  temple  (à  partir 
de  la  4e  année  de  Salomon),  la  durée  des  règnes  des  rois  de  Juda 
d'après  le  texte  biblique.  Elle  est  exactement  de  430  ans  1  ;  mais 
pour  une  raison  que  nous  indiquerons  plus  loin,  on  en  a  retranché 
20  ans,  et  réduit  à  410  ans  la  durée  du  second  temple. 

3.  La  durée  de  l'exil  de  Babylone  est  bien,  dans  notre  tableau, 
de  70  ans,  conformément  à  la  prédiction  de  Jérémie,  mais  on  le 
fait  commencer,  comme  on  vient  de  le  voir,  20  ans  trop  tôt,  de 
sorte  qu'il  se  réduit,  en  réalité,  à  50  ans.  Est-ce  que  l'auteur  du 
système  savait  que  véritablement  l'exil  n'avait  duré  qu'environ 
49-51  ans  7  Nous  ne  le  croyons  pas.  Les  raisons  qui  l'ont  déterminé 
à  réduire  le  véritable  exil  à  50  ans  sont  tout  autres,  nous  les 
expliquerons  au  numéro  suivant. 

4.  Ce  qu'il  y  a  de  plus  curieux  dans  le  système  et,  en  apparence, 
de  plus  arbitraire,  c'est  la  durée  de  l'époque  du  second  temple, 
qui  était,  en  réalité,  à  partir  du  retour  de  Babylone,  de  607  ans, 
et  que  notre  système  réduit  à  420  ans.  Il  en  résulte  que  la  domina- 
tion persane,  qui  a  été,  en  réalité,  après  le  retour  de  Babylone, 
de  204  ans  (537-333),  est  réduite  à  34  ans.  Le  Sêder  oVam  rabba, 
ch.  29,  donne,  à  ce  qu'il  nous  semble,  l'explication  de  cette  ano- 
malie. R.  Iosé,  qui  est  le  principal  ou   peut-être  le  seul  auteur 

1  II  faut  remarquer  que  la  captivité  d'Egypte  dure  aussi  430  ans,  et  qu'Ézéchiel 
(ûhap.  iv,  v.  5-6]  parle  du  péché  d'Israël  qui  dure  390  ans  et  du  péché  de  Juda,  qui 
dure  40  ans,  ce  qui  fait  aussi  ensemble  430  ans. 


204  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

de  notre  système  chronologique,  dit  assez  clairement,  dans  ce 
chapitre,  que  toute  la  chronologie  du  second  temple  dépend  des 
fameuses  70  semaines  du  Livre  de  Daniel  (chap.  9,  versets  24  et 
suiv.).  Ces  70  semaines  représentent  des  semaines  d'années  (c'est- 
à-dire  que  chaque  semaine  représente  7  années),  elles  font,  par 
conséquent,  7  x  70  ou  490  années,  et,  en  considérant  Daniel 
9,  2,  on  dirait  que  ces  490  années  s'étendent  de  l'exil  de  Baby- 
lone  jusqu'à  la  destruction  du  temple.  Retranchez  les  70  années 
d'exil,  il  reste  420  ans  pour  l'existence  du  second  temple  l.  Ainsi 
se  trouve  expliqué,  tout  d'abord  et  pour  la  première  fois,  à  ce 
que  nous  croyons,  ce  nombre  de  420  si  peu  conforme  à  la  réalité 
historique. 

Mais,  d'autre  part,  le  même  passage  de  Daniel  prélève,  sur  les 
70  semaines,  une  section  de  7  semaines  ou  49  ans.  Ces  7  semaines 
sont,  pour  nos  chronographes,  la  durée  du  véritable  exil,  le  temps 
passé  par  les  Juifs  en  Babylonie.  Que  faire  des  autres  21  ans  ?  On 
se  souvint  à  propos  que,  d'après  la  Bible  (II  Rois,  24,  1-2  ;  II  Chro- 
niques, 36,  6-7),  il  s'était  passé,  sous  le  roi  Ioiakim,  dans  la  3e  ou 
4*  année  de  son  règne,  un  événement  grave  :  Nabuchodonosor 
était  venu  en  Palestine,  avait  battu  le  roi  et  enlevé  une  partie  des 
vases  sacrés  du  temple.  On  imagina  de  prendre  cet  événement 
pour  point  de  départ  de  l'exil,  c'était  déjà  l'exil  des  vases  sacrés  et 
une  profanation  du  temple  qui  annonçait  sa  destruction  prochaine. 
De  la  3e  ou  4  année  de  Ioiakim  à  la  destruction  du  temple,  il  y  a, 
eu  réalité,  de  20  à  18  ans,  selon  qu'on  prend  la  3e  ou  la  4e  année 
et  que  l'on  compte  du  commencement  ou  de  la  lin  de  cette  année. 
C'est  ce  qui  fait  que  R.  Iosé  compte  18  ans  pour  la  période  du 
demi-exil,  52  ans  pour  le  véritable  exil,  ensemble  70  ans.  Il  en 
résultait  que  l'on  partait,  pour  les  70  ans  d'exil,  de  l'avènement 
de  Nabuchodonosor  (d'après  la  Bible,  il  prit  Jérusalem  dans  la 
10e  année  de  son  règne],  le  destructeur  du  temple.  En  arrondissant 
les  chiffres,  on  eut,  finalement,  50  ans  de  véritable  exil,  et,  anté- 
rieurement, sous  les  rois,  20  ans  qui  sont  comme  un  avant-goût 
de  l'exil  ou  un  exil  symbolique.  Ces  20  ans  étant  retranchés  des 
430  ans  des  rois  de  Juda,  il  reste,  pour  la  durée  du  premier  temple, 
410  ans. 

Ce  qui  a  évidemment  contribué  au  choix  de  ce  chiffre  de 
410  -4-  70  =  480,  c'est  ce  goût  de  la  symétrie  qui  est  un  des  traits 
de  toute  cette  chronologie.   De  la  sortie   d'Egypte  au  premier 

1  Comparez,  sur  tout  cela,  au  chap.  xxix  du  Séder  olaia  rahha.  la  chronique 
d'Abraham  ibn  Daud,  édit.  Neubauer,  p.  b0.  Dans  le  Sédcr  olam  ml/ha.  chap.  xxix, 
à  la  tïn,  lire  Û"VTS53>1  P1N7-  'T,   non  inTw>*"l-  comme  le  porte  i'édit.  d'Amsterdam 


NOTES  SUR  L'HISTOIRE  DES  JUIFS  205 

temple  il  y  a  480  ans  ;  on  a  voulu  de  même  que  du  premier  au 
second  temple  il  y  ait  juste  480  ans. 

Les  Juifs  connaissaient  assez  exactement  l'époque  de  l'ère  des 
Séleucides.  Si  on  admet,  avec  les  chronographes  juifs,  qu'elle 
tombe  312  ans  avant  l'ère  chrétienne  (au  lieu  de  311),  cela  fait 
382  ans  avant  la  destruction  du  temple  (qui  a  eu  lieu  en  70  de  l'ère 
chrétienne).  La  chronologie  juive,  avec  son  goût  pour  les  nombres 
ronds,  remplace  ce  chiffre  382  par  380.  Le  choix  de  ce  nombre 
380  se  recommandait  d'autant  plus  qu'il  en  résultait  que  de  la 
sortie  d'Egypte  jusqu'à  l'ère  des  Séleucides  il  y  avait  juste 
1,000  ans,  et  ce  chiffre  de  1,000  était  un  élément  chronologique 
trop  remarquable  pour  qu'on  le  laissât  échapper.  L'erreur  de 
2  ans  faite  sur  l'ère  des  Séleucides  est  sûrement  voulue  ;  elle 
a  pour  conséquence  que  la  chronologie  juive  met  la  destruction 
du  temple  2  ans  trop  tôt,  en  68  au  lieu  de  70  de  l'ère  chrétienne. 
Cette  singularité  de  la  chronologie  juive  n'a  pas  d'autre  expli- 
cation. 

L'époque  des  Macchabées  et  des  Hérodiens  jusqu'à  la  destruction 
du  temple  étant  de  206  ans,  il  reste,  sur  les  380  ans  dont  nous 
venons  de  parler,  174  ans  pour  «  l'empire  grec  ».  Notre  chrono- 
logie y  ajoute  6  ans,  de  sorte  que  «  l'empire  grec  »  obtient  juste 
180  ans.  Il  se  peut  que  ce  nombre  ait  été  choisi  uniquement  pour 
arrondir  les  chiffres,  c'est  l'hypothèse  que  nous  admettrions  le 
plus  volontiers,  et  on  peut  ajouter  que  cette  addition  de  quelques 
années  aura  paru  d'autant  plus  justifiée  qu'on  savait  parfaitement 
que  «  l'empire  grec  »  avait  commencé  avant  l'ère  des  Séleucides  *. 
Si  cette  explication  paraissait  insuffisante,  on  pourrait  supposer 
que  les  choses  se  seront  passées  comme  suit.  Les  380  ans  se  seront 
d'abord  subdivisés  en  nombres  ronds,  savoir  :  180  ans  pour  l'em- 
pire grec,  100  pour  les  Asmonéens,  100  pour  les  Hérodiens.  Plus 
tard,  on  aura  voulu  préciser  les  deux  derniers  chiffres,  pour  se 
rapprocher  de  la  vérité,  leur  total  sera  devenu  206  au  lieu  de  200, 
et  comme  il  n'y  avait  aucune  raison  de  modifier  le  chiffre  180  de 
l'empire  grec,  l'origine  de  celui-ci  a  été  reportée  en  arrière,  et  pla- 
cée 6  ans  avant  l'ère  des  Séleucides.  Ce  sont  les  pauvres  Perses, 
comme  on  verra,  qui  ont  payé  les  frais  de  cette  opération. 

L'époque  des  Macchabées,  pour  notre  chronologie,  commence  à 
Jean  Hyrcan,  comme  nous  l'avons  prouvé  autrefois2.  De  Jean 
Hyrcan  à  Hérode  (135-37),  il  y  a  98  ans  ;  d'Hérode  à  la  destruc- 
tion du  temple,  107  ans  ;  ensemble  205  ans.  Par  goût  de  la  symé- 


1  Voir  Aboda  zara,  10  a. 
*  Revue,  XVII,  247. 


2Û€  RKVUE  DES  ÉTUDES  IUIVES 

trie,  notre   chronologie  a  divisé  cette   période   en  deux  parties 
égales  de  103  ans.  La  somme  est  exacte  à  une  année  près, 

L'empire  grec  ayant  commencé  386  ans  avant  la  destruction  du 
temple,  il  ne  reste,  pour  les  Perses,  sur  les  420  ans  du  second 
temple,  que  34  ans.  Ainsi  s'explique  cette  singulière  erreur  du 
Talmud  qui  réduit  presque  à  rien  le  règne  des  rois  Perses  après 
l'exil  de  Babylone  et  déclare,  en  conséquence,  que  Cyrus,  Darius 
et  Artaxerce  ne  sont  qu'une  seule  et  même  personne.  Maintenant 
que  l'on  voit,  par  ce  qui  précède,  que  toute  cette  chronologie  est, 
dans  un  grand  nombre  de  ses  traits,  une  chronologie  symbolique, 
on  traitera  avec  indulgence  cette  fantaisie  du  Talmud  l. 

2.  Les  Caraïtes  en  Espagne. 

Nous  avons  déjà  à  deux  reprises  parlé,  dans  la  Revue-,  de 
l'expulsion  des  Caraïtes  d'Espagne,  sans  jamais  traiter  à  fond  la 
question.  D'après  le  récit  d'Abraham  ibn  Daud  ;\  les  choses  se 
seraient  passées  comme  suit:  Un  juif  de  Castille,  nommé  Cul  Ibn 
Altaras,  était  allé  à  Jérusalem,  où  il  s'était  affilié  aux  Caraïtes 
dans  l'école  du  célèbre  rabbin  caraïte  Josué  Aboul  Faradj,  dit  le 
Cheikh.  Il  revint  ensuite  en  Castille  et  y  propagea  la  religion 
caraïte.  Après  sa  mort,  les  Caraïtes  d'Espagne  continuèrent  à 
pratiquer  leur  religion,  jusqu'à  ce  que  le  naci  R.  Iosef  Alfarudj 
Alcadro  les  réduisit  et  les  obligea  à  s'établir  tous  dans  une  petite 
ville  du  pays.  Après  sa  mort,  ils  se  développèrent  de  nouveau, 
jusqu'au  règne  du  roi  Alfonse  fils  de  Raymond,  le  roi  des  rois, 
l'empereur,  mais  après  avoir  pris  la  ville  de  Calatrava,  Alfonse  en 
donna  le  commandement  du  moins  temporaire  au  naci  Juda  b. 
Josef  ibn  Ezra,  originaire  de  Grenade,  lequel  devint  plus  tard  son 
intendant.  Ce  Juda  ibn  Ezra  obtint  alors  du  roi  que  les  Caraïtes 
fussent  humiliés.  A  partir  de  cette  époque,  ils  ne  purent  plus  le- 
ver la  tète  et  leur  nombre  (ou  leur  prestige)  alla  toujours  en  dimi- 
nuant. 

A  ces  renseignements,  il  faut  ajouter  ceux  que  donne  Alfonse 

1  Cf.  Mcjilla,  11  b.  —  Voici  quelques  nouvelles  correetioos  à  faire  aux  Mediacval 
Jemish  C&romeles  (Oxford,  1887  ;  voir  notre  Josef  Harrohen  et  les  chroniqueurs  juifc). 
Page  192,  1.  12,  lire  fciDbtf  'T%  non  Lpsbtt  'n  î  au  lieu  de  *i"l2  Û^sb»  ':»,  lire 
Y'"in  tPDbK'>;  au  lieu  de  n"D,  lire  n"73.  —  P.  192,  1.  19,  lire  tt"2*n,  non 
::"£ttn.  —  P.  195,  1.  24,  lire  ri"fa,  non  n"2  ;  L  26,  au  lieu  de  3"p,  il  faut  proba- 
blement D"p.  —  P.  196,  1.  23,  lire  ffp,  non  Y'ftp  ;  1.  25,  lire  H"bC,  non  N"b'û-  — 
P.  197,  1.  11,  lire  Win,  non  ^"*in. 

2  Revue,  XVI,  226,  sur  lohasin,  215  h,  1.  41,  et  XVIII,  60-63. 

3  Édition  Neubauer,  Mediacval  Jewïsh  Chronicles,  p.  79. 


NOTES  SUR  L'HISTOIRE  DES  JUIFS  203 

do  Valladolid,  dans  son  Mosfrador  ûe  Instieki  ',  et  qui  sont  em- 
pruntés, à  ce  qu'il  dit,  à  un  écrit  de  Moïse  de  Léon  contre  les 
Caraïtes.  A  la  suite  d'une  querelle  qui  s'était  élevée  entre  Caraïtes 
et  rabbanites  dans  la  ville  de  Carrion,  un  rabbin,  Josef  ibn  Alla- 
car,  de  Grenade,  médecin  du  roi  Alfonse,  qui  ne  lui  refusait  rien, 
aurait  obtenu  un  décret  royal  en  vertu  duquel  il  était  ordonné  à 
tous  les  Caraïtes  de  se  faire  rabbanites.  Ceci  aurait  eu  lieu  en  l'an 
4938  de  la  création  (1178),  et  à  partir  de  cette  époque  tous  les 
Caraïtes  d'Espagne  seraient  devenus  rabbanites. 

Ce  qui  nous  a  autrefois  embarrassé2,  c'est  que  nous  croyions 
qu'il  y  avait  quelque  confusion  dans  ces  récits,  et  que  principale- 
ment le  Josef  Alfacar  d'Alfonse  de  Valladolid  était  le  Josef  Alfa  - 
rudj  d'Abraham  ibn  Daud.  Nous  pensions  que,  dans  le  texte 
d'Abraham  ibn  Daud,  le  nom  d'Alfarudj  provenait  d'une  erreur 
de  copie  faite  sous  l'influence  du  nom  d'Alfaradj  qui  se  trouve  un 
peu  plus  haut,  et  qu'il  fallait  le  remplacer  par  Alfacar,  de  sorte 
qu'on  aurait  eu  le  nom  du  Josef  Alfacar  dont  parle  Alfonse  de 
Valladolid.  D'autre  part,  nous  étions  frappé  de  ce  fait  que  Juda 
ibn  Ezra  (chez  Abr.  ibn  Daud)  et  Josef  Alfacar  venaient  tous  deux 
de  Grenade,  et  cette  coïncidence  nous  paraissait  suspecte.  Comme 
cependant  il  est  impossible  de  rien  tirer  de  nos  textes  avec  cette 
hypothèse  d'une  confusion  qui  se  serait  produite  dans  les  récits 
d'Abraham  ibn  Daud  et  d'Alfonse  de  Valladolid,  c'est  encore  le 
plus  simple  et  le  plus  sûr  d'admettre  qu'il  y  a  eu  effectivement 
trois  affaires  différentes  relatives  aux  Caraïtes  de  Castille  :  per- 
sécutés une  première  fois  par  Josef  Al farudj,  une  seconde  fois  par 
Juda  ibn  Ezra,  ils  auront  disparu  complètement  en  1178,  après 
l'intervention  de  Josef  Alfacar. 

On  ne  peut  pas  dater  exactement  la  première  affaire,  mais  elle 
a  dû  être  de  la  fin  du  xie  s.  ou  du  commencement  du  xne  siècle  3. 

La  seconde  affaire  peut  être  datée  à  quelques  années  près.  Le 
roi  Alfonse  qui  y  figure  est  Alfonse  VIII  (1126-1156).  L'identifica- 
tion est  certaine,  d'abord  parce  que  Abraham  Ibn  Daud  dit  que 
ce  roi  Alfonse  est  fils  de  Raymond,  et  ensuite,  parce  qu'il  lui  donne 
le  titre  d'empereur;  Alfonse  VIII  avait  pris  ce  titre  aux  cortès  de 
Léon,  en  1135,  et  il  est  le  seul  roi  d'Espagne  qui  l'ait  porté.  C'est 
ce  même  Alphonse  VIII  qui  prit  la  ville  de  Calatrava,  en  1147. 

1  Revue,  XVIII,  62  ;  cf.  Fortalitium  Fidei,  Livre  III,  considération  3,  où  les 
mêmes  renseignements  sont  répétés  presque  textuellement  d'après  le  Libro  <lc  las 
batallas  de  Dios,  du  même  Alfonse  de  Valladolid  ;  le  prénom  de  Josef  Alfacar  y  est 
défiguré. 

5  Revue,  ibid..  p.  62,  note. 

3  VoirGraetz,  2e  édition,  VI,  86-88. 


208  REVUE  DES  ETUDES  JUIVES 

La  seconde  persécution  contre  les  Caraïtes  se  produisit  un  certain 
temps  après  la  conquête  de  cette  ville  f. 

Ils  disparurent  enfin  complètement  en  1178,  sous  Alfonse  IX  de 
Castille  (1158-1214).  Un  Abraham  Alfacar  a  été  influent  à  la  cour 
d'Alfonse  IX,  il  était  encore  jeune  en  1178 2,  et  c'est  peut-être  son 
père  (ou  un  de  ses  parents)  qui  est  le  Josef  Alfacar  nommé  par 
Alfonse  de  Valladolid. 

Il  résuite  du  texte  d'Alfonse  de  Valladolid  que  les  Caraïtes 
étaient  très  nombreux  à  Carrion  et  à  Burgos  3  et  que  leur  grand- 
rabbin  demeurait  dans  cette  dernière  ville.  C'est  probablement 
dans  le  nord  qu'étaient  leurs  principales  communautés,  et  on 
comprend  ainsi  que  Moïse  de  Léon,  qui  demeurait  dans  ces  ré- 
gions (fin  du  xiii0  s.),  se  soit  occupé  d'eux4.  Ils  n'avaient  peut- 
être  pas  disparu  aussi  complètement  que  le  dit  Alfonse  de  Valla- 
dolid. 

L'affaire  de  Carrion,  qui  nous  avait  paru  si  étrange  \  s'explique 
peut-être  très  simplement.  Nous  avions  cru  que  le  Juif  rabba- 
nite,  pour  narguer  les  Caraïtes,  avait  allumé  de  ses  mains  une 
lumière  le  samedi,  et  cette  interprétation  est  autorisée  par  les 
mots  du  Forlaliliuni  Fidei:  exposuit  se  periculo  mortis  vicen- 
dens  candelam  die  sabbati  publiée.  Cela  semble  vouloir  dire  que 
ce  juif  s'exposa  à  être  puni  de  la  peine  de  mort"  pour  avoir  accom- 
pli le  délit  grave  d'allumer  une  lumière  le  samedi  malgré  la 
défense  du  Pentateuque.  Mais  d'abord  les  mots  exposuit  se  peri- 
culo mortis  ne  se  retrouvent  pas  dans  le  texte  d'Alfonse  de  Val- 
ladolid que  nous  avons  publié  dans  la  Revue  ;  puis,  ils  peuvent 
avoir  un  sens  un  peu  différent  et  que  nous  expliquerons  tout  à 
l'heure.  Nous  croyons  que  les  faits  se  seront  passés  comme  suit. 
Les  Caraïtes,  étant  en  nombre  à  Carrion,  y  opprimaient  les  rabba- 
nites,  et  les  forçaient  à  observer  les  pratiques  religieuses  selon 
les  prescriptions  caraïtes  et  en  dépit  des  prescriptions  contraires 
des  rabbanites.  Ils  leur  défendaient,  en  conséquence,  d'avoir 
aucune  lumière   le  samedi  dans  leurs  demeures,  même  des  lu- 

1  Graetz  (VI,  86,  2e  édit.)  donne  la  date  1148,  mais  nous  ne  savons  d'où  vient  ce 
chiffre.  —  Alfonse  VIII  ayant  régné  trente  et  un  ans,  il  faut,  dans  l'édition  citée 
d'Abraham  ibn  Daud,  p.  79,  1.  22,  au  lieu  de  t\"l2  (durée  de  son  règne),  lire  N"b  ; 
un  des  manuscrits  cités  [ibid.)  a  n"b,  et  la  confusion  des  lettres  ^  et  H  est 
fréquente. 

2  Graetz,  VI,  208. 

3  Voir,  pour  Burgos,  la  version  du  Fortalitiwm  Fidei. 

4  lohasin,  édit.  Filopowski,  p.  88-89  :  on  le  voit,  au  moins  de  passage,  à  Arévalo 
et,  plus  au  nord,  à  Valladolid. 

s  XVIII,  63. 

G  Ou  du  mD,  mort  par  les  mains  de  Dieu.  Voir  Maïmonide,  Mischné  Tora,  Sab- 
'  at,  7,  1,12;  Schegagot,  1 . 


NOTES  SUR  L'HISTOIRE  DES  JUIFS  209, 

mières  allumées  la  veille  ou  allumées  par  des  chrétiens.  On  sait 
que  c'est  une  pratique  religieuse  à  laquelle  les  Caraïtes  sont 
encore  attachés  aujourd'hui  et  qu'ils  observent  avec  une  grande 
rigueur.  Les  rabbanites  étaient  naturellement  fort  irrités  d'être 
obligés  de  suivre  les  pratiques  caraïtes,  ils  trouvaient  qu'on  les 
empêchait  «  d'accomplir  la  Loi  »,  et,  pour  secouer  le  joug,  l'un  d'eux 
fit  allumer  (par  un  chrétien)  une  lumière  le  samedi,  ou  l'alluma 
la  veille  et  la  laissa  brûler  le  samedi.  De  là,  le  tumulte  qui 
amena  finalement  la  suppression  de  la  religion  caraïte  en  Castille. 
La  peine  de  mort  est  édictée,  dans  l'ancienne  législation,  contre 
celui  qui  enfreint  le  précepte  biblique  :  Vous  n'allumerez  pas  de 
feu  dans  vos  demeures  le  samedi,  et  les  Caraïtes  appliquaient 
sûrement  cette  peine  à  ceux-mêmes  qui  ne  faisaient  qu'avoir  de  la 
lumière  le  samedi,  c'était  pour  eux  une  infraction  au  précepte 
biblique.  Puisque  le  rabbanite  qui  fait  allumer  de  la  lumière 
s'expose  à  la  peine  de  mort,  cela  prouve  que  les  Caraïtes  de  Car- 
rion  appliquaient  leur  législation  aux  rabbanites  de  cette  ville. 
Cela  prouve  aussi,  comme  on  le  sait  du  reste,  qu'en  matière  reli- 
gieuse, les  Juifs  de  Castille  avaient  conservé,  à  cette  époque,  leur 
juridiction  indépendante.  Est-ce  qu'ils  condamnaient  réellement 
à  mort  pour  des  délits  religieux  de  cette  nature?  Ou  est-ce  que 
les  Caraïtes  seuls  le  faisaient,  tandis  que  les  rabbanites,  comme 
il  semble  résulter  de  tous  les  documents  connus,  avaient  depuis 
longtemps  renoncé  à  ces  pénalités  d'un  autre  âge?  Ou  enfin,  ne 
peut-on  pas  supposer  que  le  danger  de  mort  auquel  s'est  exposé 
le  rabbanite  de  Carrion  n'est  pas  d'être  condamné  à  mort,  mais 
d'être  tué  par  la  foule  des  Caraïtes  dans  un  mouvement  d'indigna- 
tion et  de  colère  ?  Ce  sont  des  questions  difficiles  à  résoudre. 


3.  Date  du  calendrier  juif  et  observations   diverses 
sur  ce  calendrier. 

On  peut  considérer  comme  certain  que  le  calendrier  actuel  des 
Juifs  n'était  pas  encore  établi  à  l'époque  talmudique.  Le  Talmud 
ne  le  connaît  pas  et  contient  même  des  dispositions  contraires  à  ce 
calendrier.  Le  Pirhô  di  Rabbi  Èlièzer,  qui  est,  au  plus  tôt,  du 
viic  s.,  ne  le  connaît  pas  non  plus,  les  éléments  astronomiques 
qu'il  renferme  ne  sont  pas  ceux  de  notre  calendrier.  Le  texte  de 
Haï  gaon  (dans  Séfer  ha-ibbur,  d'Abraham  bar  Hayya,  p.  97),  si 
souvent  invoqué  et  d'où  il  résulterait  que  R.  Hillel  aurait  rédigé 
notre  calendrier  en  670  de  l'ère  des  Séleucides  (358  de  l'ère  chrét.), 
ne  dit  rien  de  pareil  ou,  du  moins,  n'est  pas  bien  explicite  sur  ce 

T.  XIX,  n°  38.  14 


210  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

sujet.  Tout  le  passage  (et  tout  ce  chapitre  d'Abraham  bar  Hayya) 
est  principalement  consacré  à  la  question  du  mois  intercalaire 
(Adar  II)  et  de  l'ordre  des  mois  intercalaires  dans  le  cycle  de 
19  ans.  La  phrase  relative  à  Hillel  peut  parfaitement  signifier  que 
Hillel  a  fixé  le  nombre  et  le  rang  des  mois  intercalaires  dans  le 
cycle,  ou,  si  l'on  veut  et  à  la  rigueur,  qu'il  a  fixé  la  durée  du  mois 
synodique,  mais  le  calendrier  actuel  n'existe  qu'avec  ces  deux 
éléments  réunis  (plus  les  règles  d'ajournement,  dehiyyot),  et  il  est 
impossible  d'assurer  que  Haï  gaon  attribue  à  Hillel  l'invention  ou 
l'établissement  de  ces  deux  (ou  trois)  éléments  essentiels  du  ca- 
lendrier juif.  Et  quand  même  Haï  gaon  le  dirait,  il  serait  permis  de 
supposer  qu'il  se  trompe.  Il  serait  bien  étrange  qu'un  fait  d'une 
si  haute  importance  pour  le  judaïsme,  puisque  toute  la  vie  reli- 
gieuse des  Juifs  dépend  du  calendrier,  n'ait  été  signalé  qu'après 
six  siècles  (Haï  gaon  a  vécu  de  969  à  1038)  et  qu'il  ne  soit  men- 
tionné ni  par  le  Talmud,  ni  par  les  gaonim  antérieurs  à  Haï,  ni 
par  les  Scheéllot,  ni  par  les  Halakhot  gedolot.  Tout  ce  qu'on 
peut  conclure  de  la  consultation  de  Haï,  c'est  d'abord  que  Hillel  a 
contribué,  sans  qu'on  puisse  dire  exactement  en  quoi,  à  la  rédac- 
tion de  notre  calendrier  ;  c'est  ensuite,  qu'à  l'époque  de  Haï,  le 
calendrier  actuel  existait  déjà  de  toutes  pièces. 

Ce  dernier  fait  est  confirmé  d'une  façon  éclatante  par  un 
ouvrage  des  plus  remarquables  :  c'est  la  Chronologie  des  nations 
anciennes,  d'Albirouni J.  L'auteur  a  vécu  de  973  à  1048,  il  était 
né  à  Khiva,  il  a  passé  une  partie  de  sa  vie  dans  cette  ville  et  dans 
le  Jurjan  (Hyrcanie),  au  sud  de  la  mer  Caspienne.  D'un  calcul 
qu'il  fait  (p.  174,  1.  8)  sur  l'année  1000,  on  pourrait  conclure  que 
c'est  en  cette  année  qu'il  a  écrit  au  moins  une  partie  de  son  livre. 
Il  ne  serait  pas  impossible  qu'il  eût  été  à  Bagdad  et  qu'il  eût  puisé 
dans  cette  ville  ses  renseignements  sur  les  Juifs  (p.  147,  1.  41-43), 
mais  il  a  pu  aussi  se  renseigner  chez  les  Juifs  de  Khiva  et  il  nous 
dit  lui-même  que,  dans  le  Jurjan,  il  a  pris  des  informations  auprès 
du  médecin  juif  Jacob  b.  Moïse  Alnikrisi  (p.  269,1. 19;  p.  270, 1.14)2. 
Son  ouvrage  renferme  une  étude  très  étendue  et  très  intéressante 
de  la  chronologie  et  du  calendrier  juifs.  Dans  la  partie  consacrée  à 
la  chronologie  juive,  on  trouve  à  peu  près  tous  les  éléments  et 
tous  les  nombres  que  nous  avons  donnés  et  discutés  plus  haut 
(voir  Chronology,  p.  20-21,  et  p.  85-89).  Les  chapitres  consacrés 
au  calendrier  juif  montrent  que  ce  calendrier  était  déjà,  à  cette 
époque  et  dans  cette  région,  exactement  ce  qu'il  est  aujourd'hui  : 

1  Nous  citerons  cet  ouvrage  d'après  la  traduction  d:Ed.  Sachau  {The  Chronology 
ofancient  Nations,  Londres,  1879). 
1  Gî.ièid.,  p.  163,1.  11  et- 1.  29, 


NOTES  SUU  L'HISTOIRE  DES  JUIFS  211 

môme  durée  du  cycle  (19  ans)  avec  même  nombre  de  mois  inter- 
calés (7  mois),  même  durée  du  mois  synodique  de  la  lune,  mêmes 
dehigyot  et  mêmes  années  pleines,  régulières  et  caves,  même 
durée  des  12-13  mois  de  l'année,  même  durée  des  saisons  (p.  162, 
1.  36).  La  seule  différence  à  relever  consiste  dans  un  ordre  diffé- 
rent des  années  embolimiques  (p.  64-65).  Dans  les  régions  où  vivait 
Albirouni,  Tordre  de  ces  années  dans  le  cycle  n'était  pas  encore 
arrêté,  on  hésitait  entre  les  trois  ordres  mrpTm,  finaon»  et  Aaaaftj 
c'est-à-dire  que,  selon  les  uns,  les  années  embolimiques  du  cycle 
étaient  les  années  2.5.7.10.13.16.18;  selon  les  autres,  même  ordre 
diminué  d'une  unité  (1.4.6.9.12.15.17),  selon  d'autres  enfin,  les 
années  3.5.8.11.14.16.19,  désignées  par  le  signe  aspa-i,  où  les  lettres 
représentent  les  intervalles  entre  les  années  embolimiques,  sa- 
voir 3.2.3.3.3.2.3.  Ces  trois  ordres  sont  également  mentionnés 
dans  la  consultation  de  Haï  gaon  dont  nous  avons  parlé  plus 
haut,  et,  de  plus,  Haï  parle  de  l'ordre  usité  dans  notre  calendrier, 
qui  est  3.6.8.11.14.17,19.  Mais  cette  question  de  l'ordre  des 
années  embolimiques  dans  le  cycle  est  tout  à  fait  secondaire  et 
n'a  aucune  influence  sur  la  tenue  générale  du  calendrier.  Albi- 
rouni parle  aussi  (p.  63)  d'un  cycle  de  8  ans,  avec  3  mois  supplé- 
mentaires, qui  aurait  été  usité  de  son  temps  chez  les  Juifs,  mais 
dans  tout  le  reste  de  l'ouvrage  il  admet  comme  une  chose  toute 
simple  et  convenue  que  le  cycle  est  de  19  ans.  Les  cycles  de  72, 
95  et  532  ans  dont  il  parle  aussi  n'ont  aucune  importance  pour 
nous,  ils  sont  purement  des  multiples  du  cycle  de  19  ans.  Le  ca- 
lendrier juif  était  donc  entièrement  formé  à  l'époque  d'Albirouni. 
Il  résuite  de  ce  qui  précède  que  ce  calendrier  a  été  rédigé  entre 
le  vu0  et  le  xe  siècle.  Un  renseignement  qu'on  a  sur  les  origines 
de  la  religion  caraïte  permet  peut-être  de  fixer  la  date  avec  une 
plus  grande  approximation.  On  raconte  qu'Anan,  le  fondateur  de 
la  secte  des  Garaïtes,  aurait  rejeté  le  calendrier  des  rabbanites,  qui 
fixaient  la  néoménie  par  le  calcul,  et  serait  revenu  à  l'ancienne 
méthode  qui  consistait  à  fixer  la  néoméiie  par  l'observation 
directe  de  la  lune  et  à  régler  les  mois  intercalaires  suivant  les 
anciens  procédés  qui  les  faisaient  dépendre  en  partie  de  l'état  de 
la  végétation  1.  L'hérésie  d'Anan  date  de  761  ou  environ,  mais  les 

1  Graetz,  V,  2°  édit.,  p.  454,  d'après  Maçoudi-Makrizi,  Salomon  b.  Ieruham  (né  en 
885  d'après  Graelz,  ibid.,  p.  273),  Hilluk  ha-Karaïm  ve-ha-rabbanim,  dans  Pinsker, 
Likkuté  Kadmoniot,  p.  103,  et  Tobiyya  au  nom  de  Saadia,  ibid.,  p.  95.  Albirouni  dit 
également  (p.  69)  qu'Anan  abandonna  le  calendrier  rabbanite  pour  revenir  à  l'obser- 
vation directe  de  la  lune  et  aux  anciens  procédés,  mais  il  place  Anan  aux  environs 
de  l'année  900  (100  à  110  ans  tn  arrière,  p.  G8,  I.  42),  ce  qui  serait,  en  ce  qui  con- 
cerne le  calendrier,  une  confirmation  de  ce  que  nous  disons  plus  loin  sur  l'âge  de 
cette  réforme  du  calendrier  caraïle. 


212  REVUE  DES  ETUDES  JUIVES 

textes  relatifs  à  la  réforme  qu'il  aurait  introduite  dans  le  calen- 
drier sont  tous  du  ixc  s.  ou  postérieurs  au  ixe  s.,  et  il  est  bien 
possible  que  la  nouveauté  qu'on  attribue  à  Anan  au  sujet  du 
calendrier  ne  remonte  pas  si  haut  et  soit  le  fait  de  ses  disciples, 
comme  Salomon  b.  Ieruliam  semble  le  dire  formellement1.  Les 
renseignements  des  Garaïtes  sur  l'histoire  de  leur  secte  sont 
extrêmement  suspects.  Quoiqu'il  en  soit,  on  peut  admettre  comme 
établi  que  déjà  dans  le  cours  du  ix°  s.  ou  plus  tard,  les  Garaïtes 
avaient  refusé  d'admettre  le  calendrier  des  rabbanites  fondé  sur 
le  calcul,  ce  calendrier  existait  donc,  au  plus  tard,  dès  le  com- 
mencement du  ix,!  siècle.  Si  on  considérait  comme  authentique  ce 
qu'on  raconte  du  rôle  d'Anan  dans  la  réforme  du  calendrier,  il 
faudrait  remonter  jusque  vers  le  commencement  du  vin6  siècle. 

Dans  la  fameuse  lettre  de  Scherira  nous  avons  trouvé  deux 
indications  qu'on  peut  utiliser  pour  la  question  de  la  date  de  notre 
calendrier.  Scherira  donne,  pour  la  mort  de  Rabina,  la  date  de 
mercredi  13kislev  811  des  Séleucides  (Médiaeval  Chronicles,  par 
Ad.  Neubauer,  p.  34,  1.  2),  et  pour  la  mort  de  R.  Ahaï  bar  Huna, 
le  dimanche  4  adar  817.  Si  on  applique  à  ces  dates  les  règles  de 
notre  calendrier  actuel,  on  trouve,  pour  la  première,  le  1er  dé- 
cembre 499,  et  pour  la  seconde,  le  13  février  506.  Le  1er  décem- 
bre 499  était  effectivement  un  mercredi  ;  mais  le  13  février  506 
était  un  lundi  et  non  un  dimanche*  ;  la  concordance  étant  seule- 
ment vérifiée  par  une  des  dates  et  non  par  l'autre,  on  ne  saurait 
conclure  de  ces  données  que  notre  calendrier  existait  déjà  à  cette 
époque.  Au  contraire,  la  concordance  d'un  seul  cas  ne  prouve 
rien,  elle  peut  être  fortuite;  la  différence,  au  contraire,  révélée 
par  le  second  cas,  s'il  n'y  a  pas  erreur  de  copie  ou  erreur  de  l'au- 
teur, peut  être  invoquée  comme  preuve  contre  l'existence  de  notre 
calendrier  à  cette  époque  (vi°  s  ). 

Nous  ajoutons  encore  un  certain  nombre  d'observations  de  détail 
sur  le  calendrier  : 

1.  On  apprend  par  Albirouni  (peut-être  par  d'autres  écrivains 
aussi)  que  le  mois  supplémentaire  des  Caraïtes  était  schehat  (le 
5e  mois)  et  non  adar  (6e  mois;  Chronology,  p.  69,  1.  31),  Le  mois 
intercalaire  de  tammuz  II  qui  aurait  été  usité  autrefois  pour 
régler  l'année  sur  le  solstice  d'été  (p,  G8,  1.  19)  n'est  probablement 
qu'une  hypothèse  des  Juifs  du  temps  d'Albirouni. 

1  Voir  le  passage  dans  Graetz,  l.  c. 

2  Ou  encore  et  mieux  :  d'après  le  calendrier  actuel,  le  13  kislev  4260  tombe  bien  au 
mercredi,  mais  le  4  adar  4266  tombe  au  lundi,  non  au  dimanche. 


NOTES  SUR  L'HISTOIRE  DES  JUIFS  213 

2.  Disposons  comme  suit  les  formules  des  quatre  ordres  d'inter- 
calation  dont  nous  avons  parlé  plus  haut  : 


TiiaûYiK 

i. 

4. 

6. 

9. 

12. 

15. 

17. 

rwïna 

2. 

5. 

7. 

10. 

13. 

16. 

18. 

ÛTINHI^ 

3. 

6. 

8. 

11. 

1 4. 

17. 

19. 

WTWlîTa 

3. 

5. 

8. 

1!. 

14. 

16. 

19. 

On  voit  immédiatement  que  les  trois  premières  formules  ne  sont 
que  des  variantes  d'un  seul  et  même  type,  les  intervalles  entre  les 
années  embolimiques  y  sont  les  mêmes,  le  rang  seul  de  l'année 
embolimique  diffère.  Il  est  important  de  noter  que,  dans  la  pra- 
tique, il  n'en  résulte  aucune  différence,  une  année  A,  embolimique 
dans  l'un  des  systèmes,  Test  également  dans  les  deux  autres.  La 
différence  de  la  notation  vient  uniquement,  comme  on  le  voit  dans 
le  Se  fer  ha  ibbur,  p.  96-93,  d'une  différence  dans  l'origine  des 
ères.  Si  cette  origine  est  Tannée  a  pour  la  première  formule,  elle 
est  a  —  1  pour  la  seconde  et  a  —  2  pour  la  troisième. 

A  première  vue  la  quatrième  formule  diffère  totalement  des  trois 
autres,  mais  en  réalité  elle  se  ramène  au  même  type,  pourvu  que 
l'on  prenne  pour  origine  l'année  a-{-l.  Avec  cette  année  a-\-l 
pour  origine,  les  chiffres  de  la  première  de  nos  quatre  formules 
deviennent  : 

19.   3.  5.  8.  11.  14.  16, 

ce  qui  est  exactement  notre  quatrième  formule. 

Nous  faisons  remarquer  encore,  pour  prévenir  tout  malentendu, 
qu'en  parlant  des  années  a+l,<2,  a  —  \9  a  —  2,  comme  origine 
des  cycles,  nous  avons  uniquement  en  vue  une  origine  arbitraire 
des  cycles  du  calendrier,  non  l'origine  de  la  chronologie  juive. 
Les  années  a  —  1  et  a  —  2  (2e  et  3e  formules)  sont  prises  par 
l'auteur  du  Sêfer  ha  ibbur  pour  origine  de  la  chronologie  (p.  96), 
et  il  se  peut  aussi  que  l'année  a  (lre  formule)  soit  prise  pour  telle 
par  Haï  gaon  (ibid.,  p.  97),  quoique  cela  ne  soit  pas  certain. 

3.  Le  cycle  de  8  ans  mentionné  par  Albirouni  se  trouve  aussi 
dans  d'autres  livres  et  même  dans  le  Livre  des  Jubilés  (vers  le 
milieu  du  ne  s.  avant  l'ère  chrét.),  il  est  donc  très  ancien.  L'éta- 
blissement du  cycle  juif  a  dû  passer  par  des  approximations 
successives,  car  on  trouve  aussi,  justement  dans  le  Livre  des 
Jubilés,  des  cycles  de  3  et  de  5  ans.  C'est  une  question  sur  la- 
quelle nous  revenons  plus  loin. 

4.  Nous  avons  dit  ailleurs1   que  la  ielinfa  de  R.  Adda,   sur 

1  Grande  Encyclopédie,  article  Calendrier  juif. 


21/i  REVUE  DES  ETUDES  JUIVES 

laquelle  on  a  beaucoup  écrit  et  très  inutilement,  à  notre  avis, 
n'est  qu'une  fiction.  Voici  sur  quoi  nous  appuyons  cette  assertion. 
On  appelle  tehufa  de  R.  Adda  le  chiffre  de  365  j.,  5  h.,  997  hela- 
kim,  48  regaïm,  pour  la  durée  de  l'année  solaire,  tandis  que, 
d'après  la  tehufa  dite  de  Samuel,  l'année  solaire  a  365  j.  6  h. 
Pour  qu'un  R.  Adda  pût  attacher  son  nom  à  cette  formule  et  à 
certaines  conséquences,  d'ordre  secondaire,  qui  en  résultent,  il 
faudrait  qu'il  eût  inventé  quelque  chose  et  accompli  quelque 
réforme  ou  quelque  progrès  qui  eût  mérité  qu'on  s'en  souvienne. 
Il  est  facile  de  montrer  que  le  prétendu  R.  Adda  n'a  rien  inventé 
du  tout.  La  durée  du  mois  synodique  juif  (29  j.,  12  h.,  793  kelak.) 
est  la  durée  du  mois  d'Hipparque;  le  cycle  juif  de  19  ans  com- 
prend 235  mois  synodiques  ou  6939  j.,  16  h.,  595  helakim.  Si  l'on 
divise  ce  dernier  chiffre  par  19,  on  obtient  l'année  solaire  qui  sert 
de  base  au  calendrier  juif.  Le  quotient  de  cette  division  donne 
exactement,  pour  l'année  solaire,  le  chiffre  de  R.  Adda.  C'est  une 
opération  que  tout  le  monde  peut  faire,  et  où  il  n'y  a  pas  la  moindre 
nouveauté.  La  tehufa  de  R.  Adda  n'est  donc  qu'une  légende. 

5.  Personne  n'a  jamais  expliqué,  que  nous  sachions,  pourquoi 
l'heure  juive  est  divisée  d'une  façon  si  étrange  en  1080  helakim 
(parties).  L'explication  paraîtra  simple.  Cette  division  vient  uni- 
quement de  ce  que,  en  réduisant  en  jours,  heures  et  fractions 
d'heure  le  nombre  qui  représente  le  mois  synodique  d'Hipparque1, 
on  trouve  29  jours,  12  heures  et  |^  d'heure,  et  cette  dernière 
fraction  est  irréductible.  Nous  croyons  que  la  division  du  hèleh  en 
76  parties  a  une  origine  analogue.  La  mesure  exacte  de  la  tehufa, 
dite  de  R.  Adda,  d'après  le  calcul  que  nous  avons  indiqué  plus 
haut,  est  de  365  j.,  5  h.,  997  helakim  et  f§  du  hélek  ;  mais  une 
division  en  19mes  serait  trop  bizarre,  on  a  donc  remplacé  les  f§  par 
leur  multiple  £}.  Le  nombre  76  n'est  pas  de  ceux  que  l'on  choisit 
parce  qu'ils  ont  beaucoup  de  diviseurs,  et  il  est  évidemment  là  en 
sa  qualité  de  multiple  de  19. 

4.  Histoire  de  la  formation  du  cycle  juif. 

Voici  comment  nous  nous  expliquons  l'histoire  de  la  formation 
du  cycle  juif  de  19  ans. 

Ce  cycle  a  dû  se  former  peu  à  peu  et  par  des  approximations 
successives.  Dans  le  livre  d'Hénoch,  qui  paraît  être  contemporain 
de  Jean  Hyrcan,  il  est  question  de  cycles  de  3,  de  5  et  de  8  ans  2. 

1  On  le  trouve  dans  Ptolémée,  Almageste,  livre  IV,  chap.  2  ;  cf.  SCfer  ha  ibbur,  p.  37, 
s  Sur  le  cycle  de  8  ans,  voir  Théodore  Reinach,  Revue    XVIII,  90. 


NOTES  SUR  L'HISTOIRE  DES  JUIFS  215 

Ce  sont  des  données  que  l'on  peut  considérer  comme  absolu- 
ment sûres  et  qui  servent  de  principal  appui  à  la  théorie  que 
nous  allons  exposer.  On  verra  plus  loin  qu'il  est  possible  qu'il 
y  ait  eu  aussi  un  cycle  de  11  ans.  Nous  supposons  que  ces  diffé- 
rents cycles  ont  été  essayés  avant  qu'on  se  soit  arrêté  au  cycle 
de  19  ans. 

Notre  théorie  pourrait  probablement  s'appliquer  au  cycle  grec, 
et  il  y"  aurait  intérêt  à  le  faire,  surtout  si  on  est  tenté  d'admettre 
que  les  Juifs,  dans  la  formation  successive  de  leur  cycle,  ont  suivi 
les  Grecs. 

Dans  lés  explications  que  nous  allons  donner,  nous  ferons  sou- 
vent usage  de  la  notation  suivante,  qu'il  est  important  de  bien  se 
rappeler  : 

La  lettre  C  désignera  un  élément  cyclique  de  trois  ans,  composé 
de  deux  années  communes  (12  mois  synodiques)  suivies  d'une 
année  embolimique  (13  mois  synodiques),  le  mois  synodique  étant 
de29j.  12  h.  793  helahim. 

La  lettre  c  désignera  un  élément  cyclique  de  deux  ans,  composé 
d'une  année  commune  suivie  d'une  année  embolimique. 

Nous  aurons  également  besoin  de  recourir  souvent  au  tableau 
suivant,  dont  voici  la  description. 


4 

365 

5 

997 

48 

2 

730 

11 

915 

20 

738 

6 

385 

+  ' 

19 

c 

3 

1095 

17 

632 

68 

1092 

45 

181 

—  3 

2 

G 

4 

4  460 

23 

750 

40 

5 

1826 

5 

668 

12 

4  830 

21 

566 

+  4 

16 

Ce 

6 

2191 

11 

585 

60 

2185 

6 

362 

—  6 

5 

GG 

7 

2556 

17 

503 

32 

8 

2921 

23 

421 

4 

2923 

12 

747 

-H 

13 

GcG 

9 

3287 

5 

338 

52 

10 

3652 

11 

256 

24 

41 

4017 

17 

173 

72 

4046 

3 

928 

—  1 

13 

CcGG 

42 

4382 

23 

91 

44 

13 

4748 

5 

9 

16 

14 

5113 

10 

1006 

64 

5108 

19 

29 

—  4 

15 

CcCGG 

45 

5478 

16 

924 

36 

46 

5843 

22 

842 

8 

5847 

1 

414 

+  3 

3 

GcCGGc 

47 

6209 

4 

759 

56 

6204 

10 

210 

—  7 

18 

GGcGGG 

48 

6574 

10 

677 

28 

49 

6939 

46 

595 

6939 

16 

595  1 

0 

0 

GcGGGcG 

La  l10  colonne  donne  les  numéros  d'ordre  des  19  années  du 
cycle  juif. 
La  2*  colonne  donne,  en  jours,  heures,  helahim  et  regaïm,  la 


216  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

durée  de  1,  2,  3,  4,  etc.  années  solaires,  en  prenant  pour  base 
Tannée  solaire  dite  de  R.  Adda,  qui  est  très  suffisamment  exacte. 
Cette  année  a  pour  mesure,  en  jours  solaires  moyens,  365,246822, 
tandis  que,  d'après  les  astronomes  modernes,  l'année  tropique, 
exprimée  en  jours  solaires  moyens,  a  pour  mesure  365,242256. 
Nous  avons  préféré  nous  en  tenir  au  chiffre  dit  de  R.  Adda,  pour 
mieux  entrer  dans  les  intentions  et  raisonnements  des  auteurs  du 
calendrier  juif. 

La  3°  colonne  donne,  en  jours,  heures  et  helakim,  la  durée  de 
cycles  dont  la  composition  est  indiquée  dans  la  5e  col. 

La  4°  colonne  indique,  en  jours  et  en  heures  (nous  avons 
négligé,  pour  plus  de  simplicité,  les  helakim  et  les  regaïm),  la  dif- 
férence entre  les  deux  colonnes  précédentes. 

La  5e  col.  indique  la  composition  des  cycles  dont  la  durée  est 
exprimée  dans  la  3°  col.  Le  signe  Ce  signifie  C  +  c  ;  le  signe 
CcC  signifie  C  +  c  +  C,  et  ainsi  de  suite. 

Il  faut  enfin  se  rappeler  que  l'invention  des  cycles  a  pour  but 
d'établir  une  concordance,  assez  difficile  à  atteindre,  entre  l'année 
solaire  et  les  années  à  mois  lunaires,  l'année  solaire  étant  d'en- 
viron 11  jours  plus  longue  que  12  mois  synodiques. 

Le  cycle  le. plus  simple,  évidemment,  et  celui  qu'on  a  dû  ima- 
giner tout  d'abord,  est  le  cycle  de  trois  ans  que  nous  avons  repré- 
senté plus  haut  par  la  lettre  C.  Il  établit  une  concordance  assez 
convenable  du  calendrier  lunaire  avec  l'année  solaire,  et  dans  les 
premiers  temps,  avant  que  la  matière  eût  été  mieux  étudiée  et  que 
les  connaissances  astronomiques  aient  été  plus  précises,  il  aura 
bien  fallu  se  contenter  de  l'approximation  assez  grossière  encore 
donnée  par  ce  cycle.  La  colonne  4  de  notre  tableau  montre  clai- 
rement pourquoi  on  aura  eu  recours  plutôt  au  cycle  C  qu'au 
cycle  c. 

Le  cycle  C  étant  trop  court  de  plus  de  3  jours,  on  aura  cherché 
bientôt  à  le  corriger  et  le  moyen  le  plus  simple  d'obtenir  cette 
correction  a  paru  être  l'addition  d'un  élément  c,  notre  calendrier 
ne  faisant  pas  usage  d'éléments  plus  compliqués  que  les  éléments 
C  et  c.  Ainsi  se  sera  formé  le  cycle  de  5  ans,  représenté,  d'après 
notre  notation,  par  le  signe  Ce.  Le  cycle  de  3  ans  était  trop  court 
de  plus  de  3  jours,  le  cycle  de  5  ans  est  trop  long  de  plus  de  4 
jours. 

Mais  ces  deux  cycles  donnant  des  erreurs  en  sens  opposé,  il 
était  tout  simple  de  les  ajouter.  De  là,  le  cycle  de  8  ans  CcC,  qui 
ne  donne  plus  qu'une  erreur  d'un  jour  et  demi  environ. 

Comment  faire  pour  éliminer  ou  atténuer  cette  erreur?  Comme 
elle  est  positive,  il  ne  servirait  de  rien  d'ajouter  au  cycle  de  8  ans 


NOTES  SUR  [/HISTOIRE  DES  JUIFS  217 

un  élément  c  dont  l'erreur  est  également  positive  ;  il  faut  donc 
essayer  avec  un  élément  G,  ce  qui  donne  le  cycle  de  11  ans,  repré- 
senté par  CcCC. 

Une  fois  arrivé  à  ce  point,  la  solution  définitive  apparaît  immé- 
diatement. Le  cycle  de  8  ans  et  le  cycle  de  il  ans  donnent  des 
erreurs  égales  et  de  sens  opposé,  il  suffit  donc  de  les  ajouter  pour 
avoir  le  cycle  de  19  ans.  On  obtient  ainsi  un  cycle  représenté  par 
la  figure 

CcCC  +  CcG 

c'est  le  cycle  ùnwirta  (3.5.8.11.14.16.19)  dont  nous  avons  parlé 
dans  le  chapitre  précédent l. 

On  voit  par  là  qu'il  est  extrêmement  probable  que  ce  cycle 
représente  la  forme  primitive  des  cycles  juifs,  et  que  les  autres 
formes  données  plus  haut  en  sont  des  dérivés  ou  des  altérations. 
Ces  formes  peuvent  se  résumer,  comme  nous  lavons  montré,  dans 
la  troisième  des.quatre  figures  que  nous  avons  reproduites,  et  qui 
est  représentée  par  la  notation 

CCcCCCc  ou  CGcG  +  CGc. 

Si  on  lit  cette  figure  à  partir  du  second  G,  on  retrouve  la  figure 
du  cycle  que  nous  avons  appelé  primitif,  comme  il  était  facile  de 
le  voir  par  les  explications  que  nous  avons  déjà  données  au  n°  2 
du  chapitre  précédent.  Ce  qui  est  plus  curieux,  c'est  que  ce  cycle, 
malgré  la  transposition  du  G,  se  compose  également  d'un  cycle  de 
11  ans  augmenté  d'un  cycle  de  8  ans. 

Haï  gaon  [Sêf.  ha  ïbbiœ,  p.  97)  a  très  bien  vu  que  notre  cycle 
CcCCCcC  est  le  plus  rationnel,  parce  quil  donne  successive- 
ment les  meilleures  approximations.  La  4e  col.  de  notre  tableau 
montre  que  le  cycle  usité  aujourd'hui,  qui  met  des  années  emboli- 
miques  aux  années  6  et  17  du  cycle,  au  lieu  des  années  5  et  16  du 
cycle  primitif,  passe  par  des  approximations  plus  grossières  que  le 
cycle  primitif. 

Cette  même  colonne  du  tableau  montre  également,  comme  il 
était  facile  de  s'y  attendre  après  les  explications  qui  précèdent, 
que  le  cycle  primitif  se  dispose  symétriquement  autour  d'un  axe 

1  On  pourrait  encore  raisonner  ainsi  :  Une  fois  le  cycle  de  8  ans  obtenu,  il  est  facile 
de  remarquer  qu'il  donne  une  erreur  qui  est  exactement  égale  à  la  moitié  de  l'erreur 
du  cycle  de  3  ans  et  de  sens  opposé.  L'addition  d'un  demi-cycle  de  3  ans  donnerait 
donc  la  concordance  cherchée,  on  aurait  ainsi  un  cycle  de  9  ans  1/2  ;  mais  un  cycle  où 
il  entrerait  une  demi-année  n'étant  pas  possible,  on  a  pris  un  cycle  de  2  fois  9  ans  1/2, 
ou  19  ans. 


218  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

qui  serait  placé  au  milieu  du  cycle,  à  égale  distance  des  années 
8  et  11,  et  aurait  pour  mesure  le  cycle  de  '8  ans  plus  -^C.  En  haut 
et  en  bas  de  cet  axe,  les  erreurs  se  reproduisent  symétriquement, 
en  grandeur  égale,  et  avec  des  signes  opposés.  Cette  symétrie  est 
révélée  par  notre  notation  du  cycle  primitif,  si  on  donne  à  cette 
notation  la  forme  suivante  : 

CcG  -f  G  -f  GcG. 

L'idée  de  symétrie  est  déjà  indiquée  dans  la  page  du  Séfer  ha 
ïbbur  que  nous  avons  tant  de  fois  citée. 

Isidore  Loeb. 


INSCRIPTION  JUIVE  D'AUCH 


L'inscription  tumulaire  représentée  ci-dessus  en  fac-similé  fut 
découverte  en  septembre  1869  dans  l'ancien  prieuré  de  Saint- 
Orens1,  à  Auch  (Gers);  elle  a  passé  peu  après  au  Musée  de 
Saint-Germain-en-Laye,  où  elle  figure  sous  le  numéro  d  inven- 
taire 20,320.  L'auteur  de  la  découverte,  l'abbé  Canéto,  chanoine 
honoraire,  avait  communiqué  aussitôt  un  estampage  de  la  pierre 
à  la  Commission  de  la  Carte  des  Gaules.  Cet  estampage  fut  pré- 
senté à  l'Académie    des  Inscriptions  et   Belles-Lettres,  dans  la 


1  Sur  ce  prieuré,  voir  Lafforgue,  Histoire  de  la  ville  d'Auch  (Auch,  1851,  2  vol. 
in-8),  II,  113.  L'étiquette  du  musée  de  St-Germain  porte  à  tort  le  nom  St-Ouen. 


220  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

séance  du  17  septembre  1869,  par  M.  de  Saulcy,  qui  donna,  au 
pied  levé,  un  premier  déchiffrement  de  l'inscription.  Des  additions 
et  corrections  plus  ou  moins  heureuses  furent  ensuite  proposées 
par  MM.  Jules  Larocque  [Revue  de  l'instruction  publique,  7  oc- 
tobre 1869,  p.  436),  Clermont-Ganneau  (môme  recueil,  17  février 
1870,  p.  738),  et  par  l'abbé  Ganéto  lui-même,  devant  la  Société 
des  Antiquaires,  dans  la  séance  du  20  juillet  1870  [Bulletin  de  la 
Société  des  Antiquaires,  1870,  p.  146).  Nous  savons  que  notre 
regretté  collègue  Arsène  Darmesteter  se  proposait  d'étudier  à 
son  tour  cet  intéressant  document,  mais  il  ne  donna  pas  suite  à 
son  projet,  et  nous  ne  croyons  pas  que  l'inscription  d'Auch  ait 
jamais  été  publiée  dans  aucun  recueil  spécialement  consacré  aux 
études  juives.;  c'est  ce  qui  nous  détermine  à  la  reproduire  ici, 
principalement  dans  l'espoir  de  provoquer  les  observations  des 
savants  compétents,  qui  pourront  contribuer  à  élucider  les  nom- 
breuses obscurités  de  ce  texte  difficile. 

L'inscription  est  gravée  sur  un  bloc  de  pierre  mal  dégrossi,  de 
forme  à  peu  près  quadrangulaire.  Les  lignes,  séparées  par  des 
barres  horizontales  qui  occupent  toute  la  largeur  de  la  pierre, 
sont  assez  irrégulièrement  tracées,  et  l'écriture  elle-même,  quoique 
robuste  et  lisible,  ne  rappelle  que  de  bien  loin  les  beaux  modèles 
de  l'épigraphie  romaine.  On  remarquera  la  forme  particulière  du  D, 
semblable  à  un  a  grec,  comme  dans  l'inscription  de  Narbonne  que 
j'ai  publiée  récemment  dans  ce  recueil;  le  F  oncial  ;  le  Q  ouvert  par 
le  haut,  qui  se  rencontre  fréquemment  au  vme  siècle  (Wailly,  Élé- 
ments de  paléographie,  pi.  I,  n°  3)  ;  la  lettre  O,  faite  comme  un  8 
dont  le  cercle  supérieur  serait  coupé  vers  le  tiers  de  sa  hauteur. 
Signalons  encore,  comme  particularités  paléographiques,  le  cro- 
chet par  lequel  se  termine  à  gauche  la  barre  du  T,  et  l'emploi 
des  ligatures  dans  les  groupes  où  figure  cette  lettre  (ST  ?  ligne  2, 
NT,  IT  ligne  4).  En  fait  de  signes  de  ponctuation,  on  doit  re- 
marquer le  trait  vertical  après  IPSO,  ligne  3.  Enfin,  les  quatre 
lettres  hébraïques  de  la  ligne  6  méritent  une  attention  particu- 
lière ;  elles  contribuent  à  donner  à  notre  texte  une  physionomie 
très  archaïque.  Les  raisons  de  style  confirment  cette  impression 
et  permettent  de  dater  approximativement  l'inscription  des  der- 
nières années  du  vne  siècle  ou  du  commencement  du  vme. 

Voici  maintenant  la  transcription  et  la  traduction  auxquelles  je 
me  suis  arrêté  après  de  longues  hésitations  : 


INSCRIPTION  JUIVE  D'AUCU  221 

\  In  Dei  nomine  scto  (=  sanclo) l 

2  pelester  (==  féliciter?)  qui  ic  (=  hic).  Bennid, 

3  (Ds  (=  De  us)  eslo  c[u]m  ipso  ;  ocoli  (=  oculi) 

4  invidiosi  crêpent)  dédit 

5  donum,  Joua  fecet  (=  fecit). 

6  ûibiD.  Scho far  -.  Chandelier  à  sept  branches.  Loulab. 

Au  saint  nom  de  Dieu, 

heureusement  [repose  celui)  qui  est  ici.  Bennid 
(Dieu  soit  avec  lui  !  que  les  yeux 
envieux  crèvent  1)  a  l'ait 
don  ;  Jonas  a  gravé. 
Paix. 

Justifions  brièvement  notre  constitution  du  texte. 

A  la  ligne  1,  l'abréviation  SCTO  pour  Sanclo  est  continuelle 
dans  l'épigraphie  chrétienne  de  l'époque  mérovingienne. 

Le  premier  mot  de  la  ligne  2  paraît  être  pelester  (comparer 
pour  la  forme  du  T  la  lettre  correspondante  de  la  ligne  3),  et 
non  pas,  comme  l'avait  cru  Saulcy,  peleser  ;  on  pourrait  être 
tenté  de  lire  ipeleger  avec  un  G  semblable  à  celui  que  j'ai  signalé 
dans  l'inscription  de  Narbonne.  Plusieurs  éditeurs  ont  voulu  re- 
connaître dans  ce  mot  bizarre  un  nom  propre,  et  ils  ont  transcrit 
«  Pelesler  qui  ic  Bennid  »,  «  Pelester  qui  est  ici,  fils  de  Nid  »,  ou 
encore  «  Pelester,  alias  Bennid  »  ;  mais  le  nom  propre  Pelester 
est  inconnu  et  aussi  invraisemblable  en  latin  qu'en  hébreu.  Je  ne 
connais  pas  davantage  le  nom  Peleger  (pour  Peregrinus?).  C'est 
pourquoi  j'ai  admis  avec  Larocque,  que  pelester  est  une  faute  pour 
féliciter.  Le  second  E,  au  lieu  d'un  I,  s'explique  par  un  phénomène 
d'assimilation  (comparez  Fecet,  1.  5),  et  la  chute  du  second  I  par 
l'effet  de  l'accent  tonique;  une  fois  cet  I  tombé,  il  était  naturel  d'é- 
crire ST  au  lieu  de  Gï,  conformément  à  la  prononciation.  Il  est 
plus  difficile  de  rendre  compte  du  P  initial  au  lieu  de  F,  car  c'est 
bien  un  P  qu'a  voulu  faire  le  lapicicle  :  son  F  (ligne  5)  a  une  forme 
toute  différente.  On  pourrait  rappeler  qu'en  hébreu  il  n'y  a  qu'un 
seul  caractère  pour  exprimer  les  deux  sons  F  et  P,  mais  cette 
explication  par  l'atavisme  ne  me  satisfait  pas  moi-même.  La  for- 
mule propitiatoire  in  Dei  nomine  féliciter  se  rencontre  fréquem- 
ment dans  les  dates  des  diplômes  mérovingiens,  particulièrement 
sous  Clovis  III  (691-695)  et  Chilpéric  II  (715-720) 3.  Toutefois,  je 

1  Le  dernier  caractère  de  la  ligne  est  peu  lisible  à  cause  de  Pétat  fruste  et  de  la 
déclivité  de  la  pierre. 

2  Et  non  pas  «  une  jambe,  signifiant  le  grand  voyage  de  la  mort  !  »  (Larocque). 

3  Wailly,  Eléments  de  paléographie,  I,  280  et  284. 


222  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

ne  crois  pas  qu'il  faille  dans  notre  épitaphe  joindre  féliciter  à  ce 
qui  précède,  mais  à  ce  qui  suit.  Dans  l'épigraphie  chrétienne  de 
cette  époque,  on  trouve  bien  In  Dei  nomine  (par  exemple  :  Le 
Blant,  n°  412  A),  mais  je  ne  connais  pas  d'exemple  où  cette  for- 
mule soit  suivie  de  sancto  ou  de  féliciter. 

Le  deuxième  membre  de  phrase  nous  donne  le  nom  du  dona- 
teur Bennid.  Ce  nom  manque  dans  la  nomenclature  si  complète 
réunie  par  Zunz  sous  le  titre  Namen  der  Juden  {Gesammelte 
Schriften,  tome  II),  et  l'on  peut  se  demander  s'il  faut  lui  attri- 
buer une  étymologie  hébraïque1  ou  latine  (Benedictus)  ;  j'incline 
vers  la  seconde  hypothèse.  Le  nom  du  donateur  est  séparé  du 
verbe  qui  indique  la  donation  par  une  longue  parenthèse  qui  ren- 
ferme d'abord  une  bénédiction,  puis  une  imprécation.  Ds  est  pour 
deus,  comme  dans  beaucoup  de  textes  chrétiens  (Le  Blant,  n°  8, 
etc.),  et  non  pas  pour  dominas  qui  s'abrégerait  en  dms  ;  quant  à 
la  lecture  depositus  (Saulcy,  Larocque),  elle  ne  mérite  pas  la 
discussion.  La  formule  d'imprécation,  d'un  tour  aussi  énergique 
qu'insolite,  a  été  reconnue  pour  la  première  fois  par  Larocque  ; 
les  leçons  de  Saulcy  (locoli  invidiosi  !)  et  de  Canéto  (o  cœli  in- 
vidiosi  !)  ne  s'accordent  ni  avec  le  texte  matériel  ni  avec  le  sens 
général2.  M.  Glermont-Ganneau  pense  qu'il  s'agit  d'une  formule 
«  contre  le  mauvais  œil  »,  invidiosus  étant  pris  dans  le  sens  de 
malus  ;  mais  il  vaut  mieux  rapprocher  du  souhait  peu  charitable 
exprimé  par  notre  épitaphe  le  verset  célèbre  des  Psaumes  (Ps. 
112,  10)  :  «  Le  méchant  verra  et  aura  du  dépit,  il  grincera  des 
dents  et  se  fondra,  le  désir  des  méchants  périra.  »  —  Crepare, 
pour  «  crever  »,  est  un  terme  de  la  langue  populaire  dont  l'emploi 
remonte  sans  doute  à  une  haute  antiquité.  Le  plus  ancien  exemple 
littéraire  de  cet  emploi  était  jusqu'à  présent  un  texte  du  xn°  siè- 
cle, cité  par  Du  Cange  s.  v.  :  c'est  un  article  des  prétendues  lois 
d'Henri  Ier  d'Angleterre,  c.  93  :  «  Si  quis  alii  crepet  oculum, 
solvat  ei  60  solidos 3.  »  —  Ocoli  pour  oculi  est  une  forme  à  rap- 
procher de  tumolo  (Le  Blant,  n°  575  D),  tomolo  (ib.,  45),  famolus 
(ib.  65),  etc. 

Vient  enfin  le  nom  du  graveur  de  l'inscription,  Jonas. 

Les  formules  dédit >  fecit,  dérivent  en  droite  ligne  de  l'épigraphie 
païenne  (voir  Willmanns,  Exempta  inscriptionum   lalinarum, 


1  •  Fils  de  la  Consolation  »,  de  la  racine  noud  (Clermont-Ganneau). 

2  Ces  éditeurs  ponctuent  après  invidiosi  et  font  de  Crepeti  un  nom  propre  ■  Crépen  » 
qui  se  relie  à  la  suite;  mais  il  faudrait  Crispimis  et  d'ailleurs  le  texte  porte  crêpent  ; 
seulement  la  barre  du  T  en  ligature  se  confond  avec  le  trait  de  séparation  des  lignes. 

3  La  compilation  intitulée  Leges  Henrici  Primi  ne  paraît  pas  antérieure  au  règne 
d'Henri  II  (Glasson,  Histoire  du  droit  et  des  institutions  de  l'Angleterre,  II,  74). 


INSCRIPTION  JUIVE  D'AUGH  223 

II,  690,  index)  ;  je  ne  trouve  pas,  en  ce  moment,  d'exemple  de 
doniim  dédit  à  cette  place,  mais  je  ne  doute  pas  qu'il  ne  s'en 
rencontre,  et  la 'leçon  dedi  (catam)  donum  (Larocque)  doit  être 
rejetée  sans  hésitation.  La  forme  fecet  pour  fecit  est  imputable  à 
l'ignorance  et  à  l'étourderie  du  graveur  ;  quant  à  la  figure  du  F, 
elle  est  très  semblable,  mais  non  identique,  à  celle  que  cette  lettre 
affecte  dans  l'écriture  onciale. 

Aucune  difficulté  pour  la  dernière  ligne.  Le  mot  ùibu:  est  de 
style  clans  les  épitaphes  hébraïques  ;  de  même  le  chandelier  à  sept 
branches.  Le  loulab  et  le  schofar  sont  au  moins  très  fréquents  : 
on  peut  comparer  les  exemplaires  récemment  publiés  par  M.  Loeb 
{Revue,  XIX,  p.  100  suiv.). 

On  remarquera  que  dans  cette  épitaphe,  qui  renferme  tant  de 
choses  inutiles,  on  ne  trouve  pas  (du  moins  d'après  ma  lecture) 
l'indication  la  plus  importante  et  la  plus  usuelle  :  celle  du  nom  du 
défunt. 

L'histoire  locale  ne  nous,  fournit  aucun  renseignement  qui  per- 
mette de  dater  notre  inscription  avec  plus  de  précision.  Les  ori- 
gines de  la  communauté  d'Auch  me  sont  complètement  inconnues, 
et  le  texte  le  plus  ancien  que  j'aie  trouvé  sur  les  juifs  de  cette  ville 
est  de  la  fin  du  xnr3  siècle  ;  à  cette  époque  (1296-l7),  un  juif  du  nom 
de  Samuel,  habitant  d'Aux  (Auch),  figure  dans  plusieurs  actes 
comme  l'homme  d'affaires  du  comte  Bernard  VI  d'Armagnac1. 
Cependant  je  ne  doute  pas  que  l'établissement  des  Juifs  à  Auch 
ne  remonte  à  une  époque  beaucoup  plus  ancienne  :  notre  inscrip- 
tion, d'ailleurs,  suffirait  à  le  prouver. 

Théodore  Reinach. 

P.  S.  Le  nom  Bennid  paraît  identique  au  nom  germanique 
Bennit  qui  figure  dans  une  charte  du  vne  siècle  (Lœrsch  et  Schrce- 
der,  Urkunden  zur  geschichte  des  deutschen  Redites,  Bonn, 
1874,  n°  36). 

1  Laflbrgue,  op.  cit.,  II,  177.  Ce  texte  m'a  été  signalé  par  mon  obligeant  et  savant 
collègue  M.  L.  Lazard. 


ALEXANDRE  DE  HALES  ET  LE  JUDAÏSME 


Dans  une  étude  précédente1,  nous  avons  essayé  de  montrer 
quels  sont  les  rapports  de  Guillaume  d'Auvergne  avec  la  littérature 
juive.  Son  contemporain  Alexandre  de  Haies,  moine  de  l'ordre  des 
Franciscains,  devenu  professeur  de  l'Université  de  Paris,  eut  peut- 
être  encore  plus  de  part  que  lui  dans  la  transformation  qui,  au 
treizième  siècle,  s'est  accomplie  dans  la  scolastique  chrétienne. 
Alexandre  de  Haies  est  le  premier  auteur  qui  ait  utilisé  large- 
ment2, pour  l'exposition  systématique  de  la  théologie  chrétienne, 
les  écrits  d'Aristote  et  des  commentateurs  arabes  de  la  philosophie 
aristotélicienne,  principalement  d'Avicenne.  Il  est  vrai  que  parmi 
les  autorités  qu'il  considère  comme  décisives,  outre  les  Pères  de 
l'Église,  parmi  lesquels  saint  Augustin  occupe  le  premier  rang,  il 
faut  citer  principalement  les  Sentences  de  Pierre  Lombard  et  de 
Hugues  de  Saint-Victor,  qui  forment,  en  quelque  sorte,  la  base  de 
son  exposition  de  la  science  théologique.  Mais  en  beaucoup 
d'endroits  nous  le  voyons  aussi  s'efforcer'de  mettre  les  doctrines 
de  la  théologie  chrétienne  en  harmonie  avec  les  théories  de  la 
philosophie  aristotélicienne. 

A  un  autre  point  de  vue  encore,  Alexandre  de  Haies  a  exercé 
sur  le  développement  ultérieur  de  la  scolastique  chrétienne  une 
influence  décisive.  S'il  n'est  pas  le  premier  qui  ait  exposé  systé- 
matiquement la  théologie  chrétienne  dans  une  Summa  theolo- 
giœz,  il  semble  cependant  que  la  méthode  de  dialectique  si  origi- 
nale qui  a  été  employée  depuis  dans  les  ouvrages  des  scolastiques 
chrétiens,  lui  a  dû  son  premier  développement  et  lui  a  valu  chez 
ses  contemporains  le  titre  d'honneur  de  doctor  irrefragaMlis  et 
theologoram  monarcha.  Il  ne  serait  donc  pas  peut-être  sans 
intérêt  d'étudier  les  rapports  qu'on  peut  découvrir  dans  la  Summa 

î  Revue,  XVIII,  p.  243-255. 

2  Stôckl,  Greschichte  der  Philosophie  des  Mittclaltcrs  (Mavence,  1865),  II,  p.  230. 

3  Cf.  Hauréau,  De  la  philosophie  scolastique  (Paris,  1850),  I,  p.  425. 


ALEXANDRE  DE  HALES  ET  LE  JUDAÏSME  22S 

universœ  theologiœ  d'Alexandre  de  Haies  avec  le  judaïsme  et  la 
philosophie  juive1. 

L'impression  que  la  Somme  nous  donne  de  la  personnalité 
d'Alexandre  de  Haies  est  incomparablement  plus  sympathique  que 
celle  que  nous  a  laissée  Guillaume  d'Auvergne.  Gomme  celui-ci, 
Alexandre,  pour  ses  opinions  théologiques,  s'était  placé  sur  le 
terrain  de  l'Église  catholique,  comme  le  reconnut  le  pape  Inno- 
cent IV  en  recommandant  la  Somme,  après  l'avoir  fait  examiner 
par  soixante-dix  théologiens,  à  tous  les  maîtres  de  théologie  chré- 
tienne2. Cependant,  malgré  la  sévérité  avec  laquelle  il  a  soin 
d'affirmer  le  point  de  vue  chrétien  dans  ses  jugements  sur  les 
hérétiques,  on  ne  trouve  néanmoins  nulle  part  chez  lui  l'expres- 
sion d'une  animosité  personnelle  contre  les  Juifs  ;  même  dans 
quelques-uns  des  passages  où  il  parle  d'eux,  on  ne  peut  mécon- 
naître chez  lui  une  certaine  lueur  de  tolérance  et  d'équité. 

Dans  un  de  ces  passages,  Alexandre,  procédant  suivant  ses  habi- 
tudes de  dialectique  et  pesant  avec  soin  les  motifs  pro  et  contra, 
traite  la  question  de  savoir  s'il  faut  tolérer  ou  non,  au  milieu  des 
populations  chrétiennes,  les  Juifs  et  les  païens,  ainsi  que  l'exer- 
cice de  leur  culte.  On  pourrait,  dit-il,  faire  valoir,  contre  la  tolé- 
rance à  accorder  aux  Juifs,  qu'ils  blasphèment  Jésus  et  la  bien- 
heureuse Vierge,  qu'ils  persécutent  la  religion  catholique  et  qu'ils 
se  rendent  coupables  de  la  violation  des  sacrements  de  l'Eglise.  La 
loi  de  l'Ancien  Testament  punissant  de  mort  les  blasphémateurs, 
les  dispositions  du  droit  canonique  ne  permettraient  pas,  par  con- 
séquent, de  tolérer  les  Juifs,  il  faudrait,  au  contraire,  les  punir  de 
mort.  Il  faut  encore  ajouter  à  cela  que  leur  livre  qu'ils  appellent 
le  Ttialmut  contient  beaucoup  de  blasphèmes  contre  Jésus  et  la 
bienheureuse  Vierge.  Les  doctrines  de  ce  livre  faisant  loi  pour 
eux,  il  conviendrait  de  les  faire  périr  eux  et  leurs  livres.  De  plus, 
les  païens  qui  se  sont  emparés  de  la  Terre -Sainte  étant  persécutés 
par  les  chrétiens  jusqu'à  la  mort,  et  l'offense  contre  le  Sauveur 
étant  un  crime  beaucoup  plus  grand  que  celui  des  païens,  ceux 
qui  s'en  rendent  coupables  devraient,  à  plus  forte  raison,  être  pour- 
chassés à  mort 3.  D'un  autre  côté,  on  peut  faire  valoir,  en  faveur  de 


1  L'édition  de  la  Summa  dont  je  me  sers  est  celle  de  Norimb.,  1482. 

*  Cf.  Hauréau,  L  cit. 

3  Summa  theolog.,  Lib.  II,  quaestio  179,  membrum  1  :  oirca  primum  sic  videtur, 
quod  non  sint  tolerandi,  blasphémant  enim  et  contra  Cbristum  et  contra  beatam  vir- 
ginem,  persequuntur  etiam  fidem  catholicam,  sacramentis  etiam  ecclesiasticis  faciunt 
injuriam,  sicut  habetur  ex  de  judaeis  :  et  si  judaeos,  blasphemi  autem  secundum 
legem  etiam  veterem  erant  morti  tradendi  ;  ergo  et  judaei  non  sunt  tolerandi  sed 
morti  exponendi,  maxime  cura  sic  se  habent.  Praeteiea  in  libro  eorum,  qui  dicitur 
tbalmut,  plura  continentur,  qua;  ad  blasphemiam  Christi  et  beatuj  virginis  pertinent, 
T.  XIX,  n°  38.  15 


220  REVUE  DES  ETUDES  JUIVES 

la  tolérance  à  accorder  aux  Juifs,  les  raisons  suivantes.  D'après 
l'interprétation  donnée  par  l'Église  de  certains  passages  de  l'Écri- 
ture Sainte,  les  Juifs  ne  doivent  pas  être  exterminés  complète- 
ment, mais  amenés  à  la  conversion  par  la  persuasion  ;  aussi, 
Jésus  lui-même  a-t-il  prié  pour  leur  conversion.  L'Église  catho- 
lique, pour  attester  la  vérité  de  ses  doctrines,  invoque  aussi 
l'Ancien  Testament  conservé  par  les  Juifs,  et  ce  témoignage  est 
d'autant  plus  décisif  qu'il  est  fourni  à  l'Église  pgr  ses  adversaires. 
Les  Juifs  doivent  donc  être  maintenus,  afin  que  ce  témoignage  ne 
vienne  pas  à  manquer  à  l'Eglise  *.  Dans  la  Solutio  qui  suit  l'expo- 
sition du  Pro  et  Contra,  Alexandre  se  décide  pour  l'opinion  que 
les  Juifs  doivent  être  tolérés.  Les  raisons  contraires  qui  sont  allé- 
guées sont  réfutées  aussi  par  lui  :  en  blasphémant  Jésus,  les  Juifs 
ne  croient  commettre  aucun  mal,  puisqu'ils  croient  que  le  Messie 
iVest  pas  encore  venu;  cependant  il  leur  sera  demandé  compte  un 
jour  de  cette  erreur,  s'ils  y  persistent2.  Sans  doute,  il  n'est  pas 
permis  de  tolérer  des  blasphèmes  publics;  mais,  comme  la  loi 
canonique  en  a  déjà  décidé,  ils  doivent  être  punis  par  les  princes 
temporels,  et  les  livres  qui  les  contiennent  doivent  être  brûlés  3. 
On  ne  saurait  comparer  les  Juifs  aux  païens  qui  se  sont  emparés 
injustement  de  la  Terre-Sainte  et  qui  ont  commis  par  ce  fait  un 
crime  contre  le  Christ.  En  considération  de  ce  que  les  Juifs  nous 
ont  transmis  l'ancienne  loi,  de  ce  que  Jésus  est  de  la  semence  des 
Juifs  et  que  l'Écriture  Sainte  recommande  de  les  laisser  subsister, 
il  n'est  pas  permis  d'interdire  aux  Juifs  le  séjour  des  pays  chré- 


cum  ergo  doctrinam  illius  libri  quasi  legem  observent,  simul  cum  libris  hujus  modi 
sunt  disperdendi.  Item  Cbristiani  persequuntur  paganos  usque  ad  mortem,  qui  sunt 
detentores  terrée  sanctae,  sed  amplior  injuria  est  contumelia  redemptoris,  ergo  perpé- 
trantes hujus  modi  contumeliam  persequi  debent  Christiani  usque  ad  mortem.  Non 
ergo  sunt  tolerandi.  Quod  autem  contumeliam  ingerunt,  patet  per  hoc,  quod  dicitur 
extra  de  judais  in  nonnullis. 

1  Ibidem.  Contra  videtur  per  hoc,  quod  dicit  in  psalmis  super  illud  :  ut  occidas 
eos,  glossa  :  hoc  de  judaeis  specialiter  potest  intellegi  praecaveatur,  ne  Judaei  fun- 
ditus  pereant.  Dispersi  quidem  sunt,  ut  ad  eonversionem  provocentur,  orat  etiam  pro 
eis  dicens  :  ne  occidas  eos,  qui  me  occidunt,  sed  maneat  gens  judaeorum  cum  signo 
circumcisionis  ;  ergo  tolerandi  sunt.  Item  fortius  est  testimonium,  quod  ab  adversariis 
accipitur,  sed  ecclesia  catholica  sumit  testimonium  a  veteri  lege,  quam  observant 
judaei.  Ad  hoc  ergo,  quod  ecclesia  catholica  ab  inimicis  habeat  testimonium,  tole- 
randi sunt  judaei,  etc. 

2  En  un  autre  endroit  (Livre  II,  quaestio  172,  membr.  6,  §  1),  il  soulève  la  question 
de  savoir  si  les  Juifs  ou  une  partie  des  Juifs  doivent  être  déclarés  innocents  du  meurtre 
de  Jésus,  parce  qu'ils  l'ont  commis  par  ignorance.  Cette  question,  si  délicate,  est 
traitée  par  Alexandre  avec  beaucoup  de  calme  et  de  modération.  Les  chefs  des  Juifs, 
dit- il,  ne  sont  pas  excusables  pour  la  raison  qu'ils  auraient  ignoré  que  Jésus  est  le  fils 
de  Dieu,  mais  les  autres  doivent  être  jugés  avec  moins  de  sévérité. 

3  Ce  jugement  a  été  émis  par  Alexandre  probablement  sous  l'impression  des  pro- 
cédures ouvertes  à  ce  moment  au  sujet  de  lu  destruction  du  Talmud. 


ALF.XANDME  DE  HALES  ET  LE  JUDAÏSME  22*3 

tiens.  S'ils  commettent  un  outrage  public  contre  Jésus,  ils  doivent; 
être  punis,  mais  la  peine  ne  doit  pas  être  plus  forte  que  celle 
qu'on  infligerait  pour  de  semblables  méfaits  à  de  mauvais  chré- 
tiens 1. 

Il  est  à  peine  nécessaire  de  faire  observer  qu'à  une  époque  où 
les  destinées  des  Juifs  français  étaient  entre  les  mains  d'un  saint 
Louis,  cette  argumentation  avait  plus  qu'une  valeur  théorique. 
Alexandre  de  Haies,  en  soutenant  avec  tant  d'insistance  que  les 
Juifs  ne  peuvent  pas  être  traités  comme  les  mahométans  qui 
s'étaient  emparés  de  la  Terre-Sainte,  s'élevait  contre  un  raisonne- 
ment qui,  comme  on  le  sait,  avait  acquis,  à  l'époque  des  croisades, 
une  force  très  dangereuse  pour  les  Juifs,  et  qui  a  dû  aussi  dé- 
terminer saint  Louis  à  publier  le  décret  d'expulsion  des  Juifs  de 
France  -. 

Alexandre  revient  encore  ailleurs,  dans  un  passage  intéres- 
sant pour  la  connaissance  des  opinions  de  cette  époque,  sur  la 
différence  à  faire  entre  les  Juifs  et  les  mahométans.  Dans  son 
explication  du  Décalogue,  à  propos  du  septième  commandement; 
(pour  nous  le  huitième),  Alexandre  se  demande  si  le  pillage  des 
infidèles  doit  être  considéré  comme  une  transgression  du  com- 
mandement divin.  Comme  il  ressort  de  l'argumentation  qui  s'y 
rattache,  le  pillage  des  infidèles  était  autorisé  de  la  façon  la  plus 
large  par  beaucoup  de  théologiens  de  cette  époque.  Alexandre, 
au  contraire  ,  est  d'avis  que  le  pillage  des  biens  des  infidèles 
n'est  autorisé  que  pour  ceux  qui  auraient  reçu  à  cet  effet  une 
commission  de  l'État  ;  à  défaut  de  cette  autorisation,  le  pillage 

1  Ad  objcctum  auteni  in  contrarium  dicendum,  quod  licet  blasphemiam  perpètrent, 
creclunt  tamen  se  non  in  hoc  delinquere  eo,  quod  nondurn  credant  messiam  venisse  et 
in  hoc  errant  et  reservantur  ad  futuram  damnationem,  nisi  resipiscant,  sicut  dicit 
super  illud,  Ps  :  Rétribuant  eis  de  glossa  :  in  prœsenti,  ut  dispergantur,  in  futuro, 
ut  damnentur.  Si  tamen  persistent  in  blasphemia  manifesta,  coerceudi  sunt  per 
principes  seculares,  sicut  habetur  ex.  de  judaeis  in  nonnulis  provinciis,  ubi  dicitur 
districtissime  :  prohibemus  ne  in  contumeliam  creatoris  prosilire  prœsumant,  et 
quum  illius  nos  debemus  dissimulare  obprobrium,  qui  probria  nostra  delevit,  pra- 
sumpto  res  hujusmodi  contra  principes  seculares  dignse  animadversionis  adjectione 
compesci,  ne  erucifixus  pro  nobis  aliquatenus  blasphemare  praesumant.  Ad  secun- 
dum  dicendum,  quod  libri,  in  quibus  blasphemia)  hujusmodi  continentur,  com- 
burendi  sunt,  ipsi  vero,  si  pertinaciter  in  blasphemiis  persistèrent,  coram  judice 
convicti  digna  pœna  sunt  puuiendi,  secus  autem  est,  si  occulle  blasphémant .  Ad 
tertium  vero  dicendum  est,  quod  alia  est  ratio  de  ipsis  paganis,  detentoribus  terrae 
sancta?  et  de  ipsis  judaeis.  Persequuntur  enim  Christiani  ipsos  paganos  tanquam 
injustos  detentores  et  sacri  loci  violatores  in  injuriam  Christi  ;  judaei  vero  multiplici 
ratione  permittuntur  vivere  et  inter  Christianos  commorari,  tum  propter  hoc,  quod  a 
judaeis  legem  veterem  aecepimus,  tum  quia  de  semine  illo  venit  Christus,  tum  quia 
iucia  est  permissio  salutis  eorum,  cum  plenitudo  gentium  intrarverit.  Unde  si  delin- 
querent  manifeste  in  Christum  débita  auimadversione  sunt  coercendi,  nec  videtur  eis 
magis  procedendum  in  delictis  manifestis  quam  malis  Christianis. 

2  Cf.  Graetz,  G-esch.  der  Juden,  VI,  p.  418,  note  1,  n°  29. 


228  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

des  infidèles  doit  être  considéré  comme  un  vol.  Toutefois  celui 
même  qui  serait  muni  de  cette  autorisation  n'aurait  que  le  droit 
de  s'approprier  les  biens  des  hérétiques  et  des  Sarrazins,  et  non 
ceux  des  Juifs,  car,  comme  il  faut  laisser  les  Juifs  en  vie,  on  ne 
peut  les  dépouiller  des  moyens  nécessaires  à  leur  subsistance.  Les 
princes  ont,  il  est  vrai,  le  droit  de  s'emparer  de  la  fortune  des 
Juifs  à  l'exception  de  ce  qui  est  nécessaire  pour  leur  entretien  *. 

La  question  de  savoir  si  l'exercice  de  la  religion  des  Juifs  doit 
être  comparé  au  culte  des  idoles  est  résolue  négativement  par 
Alexandre2.  Se  référant  à  diverses  ordonnances  du  pape  Grégoire, 
il  exprime  l'avis  que  la  célébration  solennelle  de  leurs  coutumes 
religieuses  ne  doit  pas  être  interdite  aux  Juifs  3.  Malgré  l'exemple 
du  pieux  roi  Sisebut,  Alexandre,  s'appuyant  sur  une  décision  du 
concile  de  Tolède  et  sur  d'autres  motifs  encore,  croit  devoir  s'op- 
poser à  ce  qu'on  contraigne  les  Juifs,  par  des  menaces  ou  des 
châtiments,  à  embrasser  la  foi  catholique4.  D'après  son  opinion, 
l'Église  ne  peut,  en  général,  infliger  aux  Juifs  que  des  peines  cor- 
porelles ou  pécuniaires,  et  non  des  peines  ecclésiastiques.  Il  est 
vrai  qu'indirectement  l'Église  peut  aussi  infliger  aux  Juifs  des 
peines  ecclésiastiques,  en  défendant,  par  exemple,  aux  chrétiens 
tout  commerce  avec  les  Juifs,  en  excluant  les  Juifs  de  tous  les 
actes  légaux  et  des  fonctions  publiques,  en  leur  interdisant  d'a- 
voir des  esclaves  chrétiens,  d'ouvrir  leurs  fenêtres  pendant  les 
fêtes  de  la  Pàque  chrétienne,  etc.  5 

Une  autre  question  intéressante  discutée  par  notre  auteur  est 


1  Lib.  111,  quaest.  30,  membr.  3,  §  3  :  Ex  his  ergo  videtur  relinqui,  quod  tam 
haeretici,  quam  judaei,  quam  Saraceni  rébus,  quas  habent,  licite  potuerunt  spoliari, 
quod  quidam  indistincte  concedunt.  Sed  contra:  Praeceptum  est  juris  naturalis  : 
non  facias  alii,  quod  tibi  non  vis  fîeri.  Ergo  hoc  semper  cum  omnibus  couservandum. 
Sed  nos  nollemus  ab  eis  expoliari,  ergo  cum  spoliamus  eos,  facimus  contra  hoc  prae- 
ceptum. Sohitio  :  Dicendum,  quod  refert,  utrum  ille,  qui  infidèles  expoliat,  habet 
auctontatem  rei  publicae  vel  non.  Si  non  habet,  expoliando  committit  rapinam,  sicut 
homicidium  committit,  qui  maleticum  interficit  sua  non  superioris  auctoritate.  Si  habet 
aucioritatem.  distinguunt  quidam  inter  judaeos  et  alios,  nam  de  judaeis  praeceptum 
est  ecclesise  in  psalmis  :  Ne  occidas  eos,  ne  quando  obliviscantur  populi  mei,  et 
etiam  quia  scriptum  est  :  Reliquiae  convertentur  (Rom.,  X  et  Jsa.,  VI).  De  haereticis 
vero  et  Saracenis  praeceptum  est  Exod.  XXII  :  Maleiïcos  non  patieris  vivere.  Ex  quo 
ergo  juste  possunt  occidi  et  juste  potuerunt  expoliari.  Judaei  vero,  quia  permitti 
debent  vivere,  spoliari  non  debent  rébus  vitse  necessariis,  sed  a  principibus  expoliari 
possunt  omnibus  praeter  necessariis,  etc. 

*  Lib.  II,  quaest.  179,  membr.  2. 

3  Ibidem,  membr.  3. 

4  Ibidem,  membr.  4. 

5  Lib.  II,  quaestio.  180,  membr.  1.  La  question  de  savoir  si  les  Juifs  peuvent  pos- 
séder des  esclaves  est  traitée  encore  plus  spécialement  dans  le  membr.  3,  ainsi  que  la 
question,  résolue  affirmativement  par  Alexandre,  de  savoir  si  les  chrétiens  peuvent 
avoir  des  esclaves  juifs,  dans  le  membr.  5  de  la  même  quaestio. 


ALEXANDRE  DE  IIALES  ET  LE  JUDAÏSME  229 

celle  de  savoir  si  les  Juifs  doivent  être  obligés  de  payer  à  l'Église 
la  dîme  de  leurs  maisons  et  de  leurs  possessions  foncières,  ainsi 
que  les  autres  impôts  que  les  chrétiens  demeurant  sur  le  domaine 
d'une  Église  sont  tenus  de  payer  à  celle-ci.  Entre  autres  raisons 
alléguées,  se  trouve  aussi  celle-ci  que  jadis  les  Juifs  étaient  forcés 
de  payer  la  dîme  aux  lévites.  Or,  depuis  qu'ils  ont  péché,  ils  ne 
doivent  pas  être  plus  favorisés  qu'auparavant.  Depuis  lors,  les  lé- 
vites sont  remplacés  par  le  clergé  chrétien.  Mais  comment  l'Église 
peut-elle  prélever  des  impôts  et  des  dîmes  sur  les  biens  des  Juifs, 
puisque  ceux-ci  proviennent  en  grande  partie  du  produit  des 
affaires  de  prêt  à  intérêt  ?  11  finit  par  écarter  cette  objection, 
et  il  s'en  tient  à  la  décision  obligeant  les  Juifs  à  payer  les  dîmes 
à  l'Église  ». 

Notre  auteur  était-il  au  courant  de  la  littérature  juive  ?  Nous 
n'avons  pu  découvrir  chez  lui  de  traces  de  connaissance  du 
Talmud,  comme  nous  en  avons  constaté  chez  Guillaume  d'Au- 
vergne. Mais  l'influence  des  deux  philosophes  juifs  qui  ont  exercé 
une  influence  si  considérable  sur  la  scolastique  du  treizième  siècle, 
Salomon  Ibn  Gabirol  et  Moïse  ben  Maïmon,  se  montre  déjà  à  nous 
dans  ce  premier  ouvrage  fondamental  qui  inaugure  la  floraison  de 
la  scolastique  chrétienne.  Il  est  vrai  que  nulle  part  dans  la  Summa 
nous  n'avons  trouvé  le  nom  d'Avicebron.  Aussi  n'y  a-t-il  pas  a 
songer  à  une  influence  très  profonde  de  la  doctrine  d'Avicebron 
sur  les  opinions  théologiques  et  philosophiques  d'Alexandre  de 
Haies.  Toutefois  on  trouve  déjà  chez  Alexandre  de  Haies,  le 
fondateur  de  l'école  des  franciscains,  la  doctrine  dont  le  déve- 
loppement conséquent  donne  au  système  d'Avicebron  son  em- 
preinte originale  et  qui  plus  tard,  avec  Jean  Duns  Scot,  est  de- 
venue, en  quelque  sorte,  une  des  doctrines  distinctives  de  l'école 
des  franciscains,  par  opposition  avec  l'école  des  dominicains  2. 
Alexandre  de  Haies  se  range  aussi  à  l'opinion  que,  non  seule- 
ment les  substances  corporelles,  mais  encore  les  substances  spi- 
rituelles et,  en  particulier,  les  âmes  humaines,  se  composent  de 
matière  et  de  forme  3.   Quant  à  savoir  s'il  a  été  amené  à  cette 

1  Lib.  II,  quœstio  18(1,  membr.  3. 

3  Cf.  Guttmann,  Die  Philosophie  des  Salomon  ibn  Gabirol,  Gottingue,  1889,  p.  64. 

3  Summa,  Liber  II,  quaest.  12,  membr.  1  :  Ad  hoc  respondendum,  quod  simples 
dicitur  multis  modis.  Uno  modo  dicitur,  quod  caret  materia  divisiva,  secundum  hune 
modum  substantiaî  .spirituales  simplices  dicuntur.  Alio  vero  modo  dicitur  simplex, 
quod  omnino  caret  materia,  et  sic  dicitur  prima  forma  simplex  secundum  Boëtium  in 
libro  de  trinitate,  secundum  hune  modum  uon  dicitur  anima  simplex,  quia  habet  ma- 
teriam  et  formam  spiritualem.  Ibidem  quœst.  20.  membr.  2,  artic.  2  :  Ad  quod 
dicendum,  quod  licet  secundum  quosdam  philosophos  inlelligentia,  quse  dicitur  angé- 
lus, sit  forma  sine  materia,  videtur  tamen  dicendum,  quod  sit  compositum  ex  materia 
et  forma.  Voir  aussi,  quaest.  60,  membr.  2,  art.  1. 


230  REVUE  DES  ETUDES  JUIVES 

opinion  par  la  doctrine  d'Avicebron,  cela  ne  peut  être  déterminé 
rigoureusement,  parce  qu'il  a  négligé  de  l'appuyer  par  une  dé- 
monstration proprement  spéculative.  Chez  Alexandre  de  Haies  ce 
n'est  pas,  comme  chez  Avicebron  et  Jean  Duns  Scot,  la  même 
matière  qui  forme  la  base  des  choses  corporelles  et  spirituelles, 
mais  la  matière  des  substances  spirituelles  est  essentiellement 
différente  de  celie  des  substances  "corporelles  ».  Il  ne  veut  pas 
même  identifier  la  matière  des  corps  célestes  et  celle  des  corps 
sublunaires  2.  Dans  un  passage  de  la  Summa,  il  cite  néanmoins, 
en  propres  termes,  le  Liber  fons  vilœ,  et  cela  comme  une  des 
autorités  décisives  placées  ordinairement  en  tête  des  démons- 
trations 3. 

Les  points  de  contact  entre  la  Summa  d'Alexandre  de  Haies 
et  le  More  de  Maïmonide  sont  beaucoup  plus  nombreux,  bien  que 
nous  ne  trouvions  que  deux  mentions  du  nom  de  Ràbi  Moyses*. 
L'argumentation  du  premier  livre  de  la  Somme,  où  il  établit  qu'il 
y  a  une  connaissance  de  Dieu  en  soi  et  une  connaissance  de  Dieu 
par  ses  œuvres,  est  certainement  empruntée  au  More.  Recon- 
naître Dieu  par  ses  œuvres,  c'est  le  reconnaître  par  derrière; 
reconnaître  l'Être  divin  en  soi,  c'est  le  contempler  de  face  :  c'est 
dans  ce  sens  qu'il  est  dit  à  Moïse  (Exod.,  33,  23)  :  Tu  me  verras 
par  derrière,  mais  tu  ne  verras  pas  ma  face  (sic) 5.  En  examinant  la 


1  Lib.  II,  quaest.  20,  merobr.  2,  art.  2  :  Ad  illud  vero,  quod  objicitur  de  modo 
-compositionis  angeli,  quod  habet  comraunem  materiam  cum  corpore,  sicut  dicitur 
habere  genus  commune,  dicendum  quod  boc  ialsum  est.  Licet  enim  in  hoc  conveniant, 
quod  utrumque  dicitur  habere  materiam  secundum  suum  modum,  uon  tamen 
eaudem  :  non  enim  est  eadem  materia  corporalium  et  spiritualium,  sicut  infra  osten- 
detur  iu  tractatu  de  operibus  sex  dierum.  Cf.  Lib.  II,  quaest.  22,  membr.  3  ;  ibidem 
quaest.  61,  membr.  1. 

2  Lib.  II,  quaest.  44,  membr.  2. 

3  Lib.  I,  quaest.  86,  membr.  1  :  Quaeritur  ergo  primo  :  utrum  conditum  fuit 
corpus  Adse  eo  tempore  quam  aliœ  creaturœ,  prout  videtur  ex  illo  verbo  Ecclesiastici 
(Jésus  Sirach)  XVIII  :  Qui  vivit  in  œternum  creavit  omnia  simul.  Hanc  autem 
quEestionem  proponit  Augustinus  super  gentes  ad  lit.  Item  dicitur  in  libro  fontis  vita 
in  principio,  quod  virtus,  per  quam  omnia  facta  sunt,  est  virtus  Dei  adinveniens 
omnia  (cf.  Guttmann,  Gabirol,  p.  67)  et  ibidem  dicitur,  quod  sicut  résultat  imago  in 
speculo  ex  sola  opposUioue  rei,  sic  ex  sola  conversione  ad  res  omnia  nroduxit  in  esse 
(cf.  Guttmann,  ibid.,.p.  257).  Voir  aussi  membr.  2. 

4  Lib.  I,  quaest.  22,  membr.  6.  Secumdum  quod  dicit  Rabi  Moyses  et  alii  prophè- 
te (!)  de  quibusdam  animalibus,  quae  fiuut  ex  putrefactione.  Dicunt  enim,  quod  per 
potestatem  sementinam,  quae  est  in  corporibus  supercoelestibus,  fiant  hujusmodi, 
ar.imalia.  Cf.  More,  I,  72  (Guide,  I,  366).  Nous  reviendrons  plus  tard  sur  le  second 
passage. 

5  Lib.  I,  quaest.  2,  membr.  1,  arfcic.  4  :  Est  enim  cognitio  Dei  in  sua  forma  et 
cognitio  ipsius  in  suo  effectu.  Cognoscere  ipsum  in  suo  effectu,  est  cognoscere  ipsum 
a  posteriori,  cognoscere  ipsum  in  se,  sicut  est,  est  cognoscere  ipsum  in  sua  facie,  et 
hoc  modo  dicitur  Moysi  :  Videbis  posteriora  mea,  faciem  meam  non  videbis.  Cf. 
More,  I,  21  [Guide,  I,  76)  ;  More,  I,  38  (Guide,  I,  14l)  ;  More,  I,  54  (Guide,  I,  216); 


ALEXANDRE  DE  HALES  ET  LE  JUDAÏSME 

question  de  savoir  si  le  monde  est  créé  ou  incréé;  il  cite  une  série 
de  preuves  que  les  philosophes  ont  produites  en  faveur  de  l'éter- 
nité du  monde.  Une  partie  de  ces  preuves  est  probablement  em- 
pruntée au  chapitre  xiv  du  II0  livre  du  More,  où  Maïmonide  expose 
sept  méthodes  de  preuves  fournies  par  les  péripatéticiens  au  sujet 
de  l'éternité  du  monde1.  Dans  une  occasion  semblable,  Albert  le 
Grand,  dans  sa  Summa  theologiœ,  a  recours  au  même  passage  du 
More  2.  De  même,  Alexandre  de  Haies,  en  réfutant  ces  preuves, 
parait  avoir  reproduit  plusieurs  des  démonstrations  de  Maïmo- 
nide 3.  Si  Alexandre  se  prononce,  en  un  autre  endroit,  pour  l'opi- 
nion que,  dès  l'origine  de  la  création,  l'univers  avait  en  lui  la  force 

1  Lib.  I,  quaest.  12,  membr.  8  :  Item  objiciunt  philosophi  sumentes  rationem  ex 
natura  motus.  Nam  motus  caeli  aut  est  œternus  aut  non,  si  non,  fuit  ergo  factus,  fuit 
ergo  possibilis  moveri  cf.  postea  motus  ;  ergo  fuit  eductio  de  potentia  in  actum,  sed 
hujusmodi  eductio  est  motus,  fuit  ergo  motus  ante  illum  motum.  De  illo  alio  similiter 
potest  quœri,  utrum  fuerit  factus  aut  œternus,  et  sic  .erit  aut  abire  in  iniinitum  aut 
stabitur  alicui  ad  unum  motum,  qui  est  œternus.  Sed  qua  ratione  potest  stare  in  alio 
et  in  motu  cseli  :  ex  quo  videtur,  quod  motus  caeli  est  œternus  (cf.  Guide,  II,  115, 
lre  méthode).  Item  est  alia  ratio  in  parte  materia  generabilium  et  corruptibilium.  Aut 
enim  ipsa  est  iugenerabilis  et  incorruptibilis,  aut  generabilis  et  corruptibilis.  Si  fuit 
generata  :  ergo  ex  materia  prœjacente  sive  praecedente,  ergo  fuit  materia  ante  illam. 
Similiter  potest  quœri  de  illa.  Aut  ergo  est  ire  in  infinitum,  aut  erit  ponerc  aliquam 
materiam  ingenerabilem.  Sed  sicut  potest  alia,  sic  et  prima  (cf.  Guide,  ibidem, 
2e  méthode).  —  Item  est  alia  ratio  in  parte  materia  generabilium  et  corruptibilium. 
Aut  enim  ipsa  est  ingenerabilis  et  incorruptibilis,  aut  generalis  et  corruptibilio.  Si 
fuit  generata  :  ergo  ex  materia  prœjacente,  ergo  fuit  materia  ante  illam.  Similiter 
potest  quœri  de  illa.  Aut  ergo  est  ire  in  infinitum,  aut  erit  ponere  aliquam  materiam 
ingenerabilem.  Sed  sicut  potest  alia,  sic  et  prima  (cf.  Guide,  ibidem,  2°  mé- 
thode). Item  ex  parte  motoris  objicitur  sic.  Motor  est  iufinitœ  potentiœ  et 
simplicis  et  invariabilis  essentiœ  et  voluntatis.  Talis  autem  potentiœ  infinitus  est 
actus  ;  ergo  erit  actus  illius  infinitus.  Dicitur  enim  :  quod  aliquando  moverit,  non 
semper  movit  aut  movebit.  Tune  si  motus  voluntarius,  qui  prius  non  movebat,  post- 
modum  movit,  indiguit  aliquo  expergefaciente,  vel  prius  habuit  aliquod  impedimen— 
tum  vel  prohibens,  vel  retardans  etc.  (cf.  Guide,  II,  119,  6e  méthode). 

*  Cf.  Albertus  Magnus,  Summa  théologie,  pars  II,  tract.  I,  quaest.  4,  art.  3  :  De 
septem  viis,  quas  collegit  rabbi  Moyses,  quibus  probatur  mundi  œternitas. 

3  Voici  comment  s'exprime  Alexandre  :  Ad  duocîecimum  dicendum.  quod  respi- 
cientes  philosophi  ad  causas  inferiores  motus  cali  dixerunt  motum  non  habere  princi- 
pium  nec  finem  sua  durationis.  Ex  parte  enim  motoris,  qui  similiter  se  habens  est 
semper,  nec  magis  se  habet,  quod  motus  ab  ipso  sit  nunc  quam  prius,  istud  posuerunt 
similiter  ex  parte  mobilis,  quod  est  corpus  uniforme,  non  magis  se  habens  motum 
nunc  quam  prius.  Cum  enim  sit  corpus  sphœricum,  non  habens  contrarium,  semper 
est  ordinatum  in  motum  circularem.  Similiter  ex  parte  materiœ,  quœ  est  indeûciens 
et  subjectum  generationis  et  corruptionis,  posuerunt  motum  et  mundum  perpetuum, 
quia  eodem  modo  semper  se  habente  raotore  et  mobili,  quod  est  cœlum,  erit  semper 
eodem  modo  se  habens,  et  eodem  modo  se  habente  motu  cœli,  qui  est  causa  genera- 
tionis et  corruptionis,  et  odem  modo  se  habente  materia  subjecta  semper,  erit  semper 
generatto  et  corruptio  et  ita  mundus.  Secuudum  causas  ergo  inferiores  erit  positio 
philosophorum  de  œternitate  motus  et  mundi.  Secuudum  vero  causas  superiores  palet 
cuilibet  cousideranti  inilium  teraporig  et  moins  mundi,  secundum  quod  mundus  dici- 
tur (luxus  rerum  secundum  mutationem  et  generationem  et  corruptionem.  Causa1 
autem  superiores  sunt  divina  potentia  et  divina  sapientia,  divina  bonitas.  Ex  parte 
divinœ  potentia1  palet  exordium  mundi  et  materia',   nain  divina   potentia  est  summa 


232  REVUE  DES  ETUDES  JUIVES 

de  produire  non  seulement  les  choses  qu'on  appelle  choses  natu- 
relles, mais  encore  les  choses  merveilleuses,  et  que,  par  suite,  les 
miracles  n'étaient  pas  au  fond  contraires  à  la  loi  de  la  nature,  il  a 
évidemment  suivi  en  cela  une  démonstration  bien  connue  du  More 
de  Maïmonide  *. 

L'interprétation  si  originale  de  la  législation  du  Pentateuque  qui 
forme  le  contenu  principal  de  la  troisième  partie  du  More  paraît 
avoir  produit  une  impression  tout  particulièrement  convaincante 
sur  Alexandre  de  Haies,  comme  sur  Guillaume  d'Auvergne.  Dans 
un  passage  où  il  combat  résolument  la  doctrine  des  Manichéens, 
prétendant  que  la  loi  de  l'Ancien  Testament  doit  être  ramenée  au 
principe  du  mal,  il  démontre,  entre  autres,  que  cette  loi  contient, 
d'une  part,  des  préceptes  dont  l'utilité  nous  est  connue,  comme  la 
défense  du  meurtre,  de  l'adultère,  etc.,  et,  d'autre  part,  des  pré- 
ceptes dont  l'utilité  nous  échappe,  comme  la  défense  de  manger  les 
fruits  d'un  arbre  nouvellement  planté.  Les  lois  dont  l'utilité  nous 
est  connue  sont  appelées  par  Rabi  Moyses  Judaeus  des  lois  judi- 
ciaires (d^ubiûe),  les  autres  du  nom  générique  de  lois  cérémonielles 
(û^pn)  2.  Un  certain  sens  spirituel  doit  se  trouver  même  au  fond 
des  lois  cérémonielles,  comme  il  a  été  prouvé  maintes  fois  d'une 
façon  très  juste.  Par  exemple,  s'il  est  dit  dans  le  Deut.,  iv  :  «  cela 
sera  là  notre  (sic)  sagesse  et  notre  intelligence  aux  yeux  des 
peuples  »,  cela  ne  peut  signifier  que  cette  nation  serait  considérée 
comme  sage  et  intelligente  à  cause  du  sens  littéral  de  la  Loi 3.  La 

et  ideo  non  indiget  materia  subjecta  ad  operandum  aliquid,  est  igitur  operans  de 
nihilo,  quia  est  totum  causa  cui  operis,  ut  uon  requiratur  aliqua  possibilitas  ex  parte 
subjectœ  materise  ;  ideo  mutatio  prima  contra  operationem  divinam  non  habet  ante  se 
aliam  mutationem.  Ideo  ad  id,  quod  quserit  :  mundus  est  f'actus  vel  seternus  ?  dico, 
quod  factus  est,  et  quum  ulterius  arguit  :  ergo  prius  fuit  possibile  moveri,  si  tu  dicis 
possibile  materise  falsum  est,  quia  motus  primus  factus  est  non  per  motum,  qui  sit  per 
subjectam  materiam,  sed  per  creationem,  qum  est  creatio  de  nihilo. .  .  .  Similiter  per 
hoc  patet  solutio  ad  tertium  decimum,  quod  dicit,  quod  materia  est  ingenerabilis.  Si 
euim  generatio  dicit  actionem  ex  praejacente  materia,  hoc  modo  est  verum  et  sic  est 
generatio  mutatio  naturalis.  Si  vero  generatio  dicit  solum  idem  quod  factio,  sive  ex 
materia,  sive  non,  hoc  modo  materia  non  est  ingenerabilis,  quia  est  facta  non  per 
mutationem  naturalem,  sed  per  mutationem,  quœ  est  ante  naturam,  quv  est  creatio  (Cf. 
More,  IL  17-18;  Guide,  II,  129-144). 

1  Cf.  Lib.  II,  quaest.  42,  membr.  5,  art.  5,  avec  More,  II,  29  (Guide,  II,  p.  224 
et  suiv.). 

1  Lib.  III,  quaest.  28,  membr.  1,  art.  5  :  Ad  tertium  dicendum,  quod  quorundam 
prseeeptorum  utilitas  nobis  nota  est,  sicut  utilitas  istius  :  non  occides,  non  fornica- 
beris  etc.,  quorundam  autem  utilitas  non  est  nobis  nota,  sicut  utilitas  prohibitionis 
esus  ligni  de  novo  plantati.  Et  illa  quorum  utilitas  scitur,  vocat  Rabi  Moyses  Judap.us 
judicia,  alia  vocat  ceremonalia  generali  nomine.  Ibid.  membr.  2,  art.  1,  §  2  :  Item 
quidam  expositor  legis  hebraese  dicit,  quod  omne  prasceptum,  cujus  utilitas  nota  est, 
dicitur  praejudicium,  quorum  vero  utilitas  iguota  est,  dicuntur  ceremoniae.  Cf.  More, 
III,  26  (Guide,  III,  204-205). 

3  Lib.  III,  quaest.  54,  membr.  2  :  Nam  convenienter  quidam  probaverunt  per  auc- 


ALEXANDRE  DE  HALES  KT  LE  JUDAÏSME  233 

législation  de  l'Ancien  Testament  peut,  selon  l'opinion  d'Alexandre 
de  Haies,  être  ramenée  à  un  principe  d'unité,  savoir  celui  de  la 
morale.  Les  sacrifices,  par  exemple,  ont  un  but  moral,  car  ils  sont 
des  actes  accomplis  pour  le  service  de  Dieu,  et  tout  acte  relatif  au 
culte  doit  être  considéré  comme  moral.  Il  en  est  de  même  de  toutes 
les  autres  lois  cérémonielles  dont  le  but  nous  est  inconnu,  comme, 
par  exemple,  les  défenses  d'atteler  ensemble  à  la  charrue  le  bœuf 
et  l'âne,  de  cuire  le  chevreau  dans  le  lait  de  sa  mère,  de  porter 
des  vêtements  où  la  laine  et  le  lin  sont  mélangés,  car  tous  les 
préceptes  dont  la  raison  nous  échappe  ont  été  imposés  aux  Juifs, 
suivant  l'opinion  des  interprètes  de  la  loi,  dans  le  but  de  les  dé- 
tourner de  l'idolâtrie,  ce  qui  peut  aussi  être  considéré  comme  un 
but  moral  l. 

Cette  théorie  fondamentale  de  l'interprétation  de  la  loi  par 
Maïmonide  s'affirme  notamment  à  propos  de  l'explication  de  l'ins- 
titution des  sacrifices.  Sous  ce  rapport  aussi,  Maïmonide  a  trouvé 
en  Alexandre  de  Haies  un  disciple  docile.  Alexandre  discute 
si  les  sacrifices  de  l'ancienne  loi  ont  été  agréables  à  Dieu.  Il  fait 
d'abord,  à  ce  sujet,  une  distinction  entre  l'époque  précédant  la 
venue  du  Sauveur  et  l'époque  qui  l'a  suivie.  Si  dans  les  livres 
mêmes  de  l'Ancien  Testament  le  culte  des  sacrifices  est  désigné 
en  maint  endroit  comme  ne  répondant  pas  à  la  volonté  de  Dieu,  il 
faut  entendre  par  là  les  sacrifices  où  l'idée  nécessaire  était  absente  ; 
ou  bien  il  faut  croire  que  ces  passages  se  rapportent  à  l'époque; 
qui  a  suivi  la  venue  du  Sauveur,  où  le  culte  des  sacrifices  avait 
perdu  sa  signification.  En  ce  qui  concerne  le  culte  des  sacrifices 
avant  la  venue  du  Sauveur,  il  faut  encore  faire  une  distinction 
entre  l'époque  précédant  l'extension  de  l'idolâtrie  et  l'époque  qui 
l'a  suivie.  Les  sacrifices  ont  été  prescrits  avant  cette  époque  pour 
la  glorification  de  la  majesté  divine,  comme  un  symbole  de  la 
vérité  future,  c'est-à-dire  de  la  mort  expiatoire  du  Sauveur,  pour 


toritates  et  rationes  et  exerapla,  in  lege  quantum  ad  ceremonalia  contineri  intelligen- 
tiam  spiritualem.  Legitur  Deut.  IV  :  Haee  est  nostra  sapienlia  et  intellectus  coram 
onmibus  populis  etc.  Quis  enim  propter  litteralem  intelligentiam  solam  legis  sapien- 
tem  et  intelligentem  censeat  populum  illum.  Cf.  More,  III,  31  [Guide,  III,  247; 

1  Lib.  III,  quaest.  28,  membr.  2,  arlie.  1,  §  1  :  Item  omnis  actus  latriœ  est  moralis, 
sed  actus  sacriûciorum  erant  latriae,  quia  illis  colebatur  deus  et  honorabatur  ut  deus, 
ergo  erant  actus  morales.  Igitur  ceremonalia  aliquse  sive  sacramentalia  erant  moralia. 
Similiter  istud  patet  de  omnibus  ceremonalibus,  sicut  de  isto  :  non  arabis  in  bove  et 
asino,  non  coques  hedum  in  lacté  matris,  non  vestieris  lana  et  lino  etc.,  quorum  non 
est  ratio  mauilesta,  quia  sicut  dicunt  judœi  expositores  legis  ad  litteram,  omnia  prac- 
cepta,  quorum  non  est  ratio  manifesta  dabantur  Judœis,  ut  revocarentur  ab  idolatria; 
ergo  erat  iutentio  talium  ceremonalium  esse  longe  ab  idolatria,  sed  longe  esse  ab 
idolatria,  istud  est  morale.  Cf.  More,  III,  52  [Guide,  III,  453)  ;  More,  III,  29  [Guide, 
III,  229),  etc. 


234  REVUE  DES  ETUDES  JUIVES 

rappeler  aux  hommes  la  sévérité  de  la  justice  divine  et  les  pénétrer 
d'espérance  et  d'amour  pour  Dieu.  A  l'époque  qui  a  suivi  l'exten- 
sion de  l'idolâtrie,  les  sacrifices  avaient  pour  but  de  préserver  les 
hommes  de  cet  égarement,  comme  il  est  dit  dans  le  Lévitique,  xvn  : 
«  Les  enfants  d'Israël  amèneront  leurs  victimes  au  prêtre  devant 
l'entrée  de  la  tente  d'assignation  et  ils  ne  les  sacrifieront  plus  aux 
démons  !  »  Il  résulte  de  là  que  Dieu  n'agréait  ces  sacrifices  que 
par  comparaison  ou  pour  éviter  qu'on  ne  les  offrît  aux  idoles1. 
Alexandre  de  Haies  reproduit  encore  l'opinion  de  Maïmonide  sur 
beaucoup  d'autres  points,  par  exemple  au  sujet  de  l'explication 
qu'il  donne  de  la  loi  de  la  circoncision  2. 

Il  nous  serait  facile  de  continuer  à  signaler  les  emprunts 
d'  Alexandre  de  Haies  à  Maïmonide,  mais  ce  serait  inutilement 
fatiguer  le  lecteur.  Les  rapports  d'Alexandre  de  Haies  avec  le 
judaïsme  et  la  littérature  juive  sont  suffisamment  caractérisés  par 
ce  qui  précède. 

J.    GUTTMANN. 


1  Lîb.  111,  quaest.  58.  Cf.  More,  III,  46  [Guide,  III,  p.  362  et  suiv.). 

2  Lib.  III,  quaest.  55  ;  Lib.  4,  quaest.  7,  cf.  More,  III,  49  (Guide,  p.   126  et  suiv.). 


LE  TRAITE  SUR  LES  JUIFS 

DE  PIERRE  DE  L'ANCRE 


Pierre  de  l'Ancre  était  un  brave  conseiller  du  roi  «  en  son 
conseil  d'État  à  Bordeaux  »,  sous  les  règnes  d'Henri  IV  et  de 
Louis  XIII.  C'était  un  magistrat  érudit,  naïf  et  surtout  hostile 
à  tous  ces  suppôts  du  Diable  qui  s'appellent  «.  magiciens,  sorciers, 
devins,  tireurs  d'horoscopes,  juifs,  apostats  et  athées  ».  La  dédi- 
cace de  son  ouvrage  De  V incrédulité  se  termine  par  cette  phrase 
adorable  :  «  Tirant  toujours  ma  ligne  à  ce  point,  jusqu'à  ce  que  le 
Tout-Puissant,  qui,  comme  un  beau  soleil,  fait  reluire  votre  cou- 
ronne en  l'excellence  et  piété  de  vos  mœurs,  versant  sur  vous  un 
inonde  de  bénédictions,  inspire  V.  M.  (Louis  XIII)  et  lui  mette  ar- 
demment en  affection  de  bannir  et  exterminer  entièrement  de  votre 
cour  et  de  cet  auguste  et  saint  royaume  les  magiciens,  sorciers, 
devins,  tireurs  d'horoscopes,  juifs,  apostats,  athées,  et  tous  ces 
autres  ennemis  de  Dieu;  protestant  avec  votre  licence  et  auto- 
rité royale,  leur  être  toute  ma  vie  autant  cruel  ennemi  et  rude 
persécuteur  comme  je  désire  que  V.  M.  me  croie. . .  » 

Si  on  l'avait  pressé  un  peu,  il  aurait  convenu  de  bonne  grâce 
que  d'autres  lui  semblaient  encore  plus  haïssables,  je  veux  parler 
de  ces  mécréants  qui  disent  que  toute  la  sorcellerie  «  n'est  qu'il- 
lusion et  prestige  »,  «  que  ces  pauvres  sorciers  sont  plus  dignes  de 
compassion  que  de  punition  et  châtiment.  »  La  malice  n'a-t-elle 
pas  été  si  loin  que  ces  incrédules,  médecins  pour  la  plupart,  n'ont 
pas  craint  de  douter  même  de  l'existence  des  démons?  Que  fait- 
on  donc  alors  et  de  la  philosophie,  et  de  la  théologie,  et  d'Aris- 
tote,  et  des  Pères  de  l'Eglise,  et  de  la  chute  des  anges  et  des  aveux 
des  coupables  ?  Car  Pierre  de  l'Ancre  a  reçu  ces  aveux,  il  a  in- 
terrogé en  Gascogne  sorciers  et  sorcières,  par  ordre  d'  «  Henri 
le  Grand  à  la  requête  de  la  noblesse  et  syndic  du  pays  de  La- 
bour 1  )>  ;  il  a  vu,  de  ses  propres  yeux,  ces  excroissances,  pattes 

1  Province  méridionale  de  la  Gascogne,  attenante  à  la  Navarre,  capitale  Saint-Jean- 
de-Luz. 


236  REVUE  DES  ETUDES  JUIVES 

de  crapaud  et  autres  signes  des  pactes  conclus  avec  le  Diable;  il  a 
bel  et  bien  condamné  à  mort  et  au  bannissement  les  auteurs  de  cet 
horrible  méfait,  avec  le  zèle  d'un  bon  magistrat  qui  se  respecte. 

Un  esprit  aussi  pénétrant,  aussi  versé  en  théologie  et  aussi  dé- 
gagé des  préjugés  de  son  temps  avait  toutes  les  qualités  requises 
pour  parler  comme  il  convient  des  Juifs.  On  va  voir  si  le  pauvre 
homme  y  manque.  Il  applique  à  cette  étude,  —  si  on  peut  appeler 
étude  un  ramassis  de  contes  à  dormir  debout,  —  le  même  esprit 
qu'à  celle  de  la  sorcellerie  :  il  lui  suffit  qu'une  niaiserie  ait  été 
mise  par  écrit  pour  qu'il  l'accueille  et  en  triomphe.  Heureusement 
pour  les  Juifs  qu'ils  n'étaient  pas  sous  sa  juridiction  comme  ces 
malheureux  sorciers,  leurs  frères  dans  l'imagination  populaire  et 
dans  les  souffrances. 

L'ouvrage  de  De  l'Ancre  porte  le  titre  suivant  :  «  L'incrédulité  et 
mescréance  du  sortilège  pleinement  convaincue,  où  il  est  ample- 
ment et  curieusement  traicté  de  la  Vérité  ou  Illusion  du  Sortilège, 
de  la  Fascination,  de  l'Attouchement,  du  Scopelisme,  de  la  Divi- 
nation, de  la  Ligature  ou  Liaison  magique,  des  Apparitions  et 
d'une  infinité  d'autres  rares  et  nouveaux  subjects.  Par  P.  de 
l'Ancre,  conseiller  du  Roy  en  son  Conseil  d'Estat.  A  Paris, 
MDGXXII  (4«).  » 

On  ne  devine  pas  tout  d'abord  ce  que  les  Juifs  ont  à  faire  dans 
ce  lourd  et  indigeste  volume,  et  cependant  il  leur  consacre  un 
traité  entier,  le  VIIIe;  écoutons  les  raisons  qu'il  en  donne.  (J'aver- 
tis que,  dans  les  passages  que  je  cite,  je  ne  me  suis  pas  tenu  de 
respecter  l'orthographe  du  temps,  de  tels  scrupules  sont  le  plus 
souvent  hors  de  propos,  s'ils  ne  sont  pas  la  fausse  monnaie  de  la 
science). 

<a  Ayant  reconnu  qu'en  tout  lieu  où  on  fait  le  procès  aux  magiciens 
et  sorciers  on  a  accoutumé  d'y  mêler  les  Juifs,  apostats  et  athées, 
et  même  en  cette  exécution  célèbre  qui  se  fit,  un  peu  après  notre 
commission,  en  la  ville  de  l'Ogrogne  \  en  Castille,  le  7  et  8  novembre 
1610,  que  j'ai  insérée  tout  au  long  dans  mon  premier  tome  des  sor- 
ciers2, j'ai  cru  être  très  à  propos  de  parler  un  peu  de  ces  trois  sortes 
de  gens  qui  vont  ainsi  à  couvert  roulant  dans  le  monde.  » 


1  Logrono. 

*  Tableau  de  l'Inconstance  des  mauvais  anges  et  démons  où  il  est  amplement  traité 
des  sorciers  et  de  la  sorcellerie.  Livre  très  utile  et  nécessaire  non  seulement  aux 
Juges,  mais  à  tous  ceux  qui  vivent  sous  les  lois  chrestiennes.  Avec  un  discours 
contenant  la  Procédure  faite  par  les  Inquisiteurs  d'Espagne  et  de  Navarre  à  53  ma- 
giciens, Juifs  et  sorciers  en  la  ville  de  Logrogne,  en  Castille,  le  9  novembre  1610... 
Paris,  1613,  4°. —  Voici  ce  qu'on  y  lit,  p.  394  :  «  Six  chrétiens  nouveaux  des  Indes, 
quatre  desquels  parce  qu'ils  observaient  le  sabbat,  abjurèrent  et  furent  châtiés  par 
bannissement  et  autres  pénitences;  un  autre  parce  qu'il  avait  chanté  :  Si  es  venido, 


LE  TRAITE  SUR  LES  JUIFS  DE  PIERRE  DE  L'ANCRE  237 

Il  parlera  premièrement  des  Juifs,  «  qui  ne  sont  guère  moins  per- 
nicieux que  ies  sorciers  »,  et  qui  sont  «  les  plus  anciens  ennemis 
des  chrétiens  ».  Il  «  ne  remontera  pas  plus  haut  que  depuis  l'avène- 
ment de  J.-G.  l,  lequel  eux-mêmes  trouvèrent  de  si  nonnes  mœurs 
et  de  si  sainte  vie,  si  plein  de  doctrine,  d'intégrité  et  d'innocence, 
que,  nonobstant  leur  enragée  obstination,  ils  ne  purent  éviter  de 
l'appeler  et  attirer  à  leur  sacerdoce.  Témoins  Suidas  et  ce  Juif  nommé 
Théodose,  lequel  du  temps  de  l'empire  de  Justinien  dit  à  un  chré- 
tien nommé  Philippe  »  qu'un  des  vingt-deux  sacrificateurs  étant 
décédé,  les  autres  rirent  élection  de  Jésus.  Comme  ils  avaient  mandé 
ses  père  et  mère  afin  d'inscrire  leurs  noms  dans  les  actes,  Marie  vint 
seule  et  raconta  les  circonstances  miraculeuses  de  la  naissance  de 
son  fils.  Ils  appelèrent  les  femmes  qui  l'avaient  visitée  et  après 
qu'ils  eurent  «  reconnu  la  vérité  de  la  chose,  ils  mirent  son  nom  au 
sacerdoce  blanc  avec  cette  inscription  : 

Je  suis  fils  de  Dieu  vivant 
Et  de  la  Vierge  Marie  2.  » 

De  l'Ancre  divise  son  sujet  en  trois  parties  :  il  considérera 
1°  «  les  blasphèmes  des  Juifs  contre  l'Église  chrétienne  ;  2°  les  im- 
piétés et  absurdités  ridicules  qu'ils  mêlent  parmi  les  cérémonies  de 
leur  loi  et  leur  sotte  créance;  3°  les  cruautés  dont  ils  ont  toujours 
usé  envers  les  chrétiens.  » 


Blasphèmes. 

Pour  les  blasphèmes,  il  ne  les  reproduira  pas,  entre  autres  rai- 
sons parce  qu'il  vaut  mieux  «  ne  pas  les  faire  voir  à  un  siècle  si 
pervers  et  si  malin  que  celui-ci  ».  Il  lui  suffira  de  rappeler  qu'ils 
faisaient  brûler  tous  les  ans  une  figure  de  la  croix.  «  Et  parce 
qu'ils  savent  que  J.-C.  est  véritablement  et  réellement  dans  le 

no  es  venido,  el  Messias  prometido,  que  nos  es  venido.  Le  sixième,  pour  avoir  été  juif 
et  judaïsé  l'espace  de  vingt-cinq  ans,  après  avoir  demandé  pardon  à  Dieu,  pleurant 
avec  beaucoup  de  repentauce,  fut  admis  à  se  réconcilier  avec  l'habit  de  saint  Benoit, 
tenant  prison  au  logis  de  la  pénitence  au  Saint-Office   » . 

1  Autrement  ce  ne  seraient  plus  des  cruautés  envers  les  chrétiens;  mais  il  ne  se 
prive  pas  pour  cela  d'y  «  remonter  •  très  souvent. 

*  Suidas  (xie  siècle)  n'est  que  le  narrateur  de  cette  légende.  Il  l'a  insérée  à  l'article 
Je'sus  de  son  Lexique  (t.  II,  p.  105  de  l'édit.  d'Amsterdam,  1705).  Une  traduction 
française  en  est  donnée  dans  Migne,  Dictionnaire  des  Apocryphes,  II,  col.  383  et  suiv. 
Théodore,  ou  Théodose,  est  un  prince  des  Juifs,  du  temps  de  Justinien,  qui  est 
chrétien  au  fond,  mais  qui  n'ose  le  confesser  pour  ne  pas  perdre  son  poste.  11  révèle 
à  son  ami  Philippe  un  mystère  qui  est  conservé  parmi  les  Hébreux  et  d'après  lequel 
le  Christ  qu'adorent  les  Chrétiens  est  bien  celui  qui  a  été  prédit  par  la  Loi  et  les 
Prophètes.  Mais  il  ne  veut  pas  que  ce  secret  soit  rapporté  à  l'empereur,  de  peur  qu'il 
n'en  résulte  des  guerres  terribles  et  des  massacres,  et  que  les  Juifs,  se  voyant  vaincus, 
ne  brûlent  l'endroit  où  est  déposé  le  manuscrit. 


238  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

St-Sacrement  de  l'autel  et  gît  en  la  sainte  hostie  dès  lors  qu'elle 
est  consacrée,  ils  tâchent  d'en  surprendre  quelqu'une  pour  la  vil- 
laniser  et  poignarder  comme  on  voit  dans  les  œuvres  de  Gerson  *.  » 

«  Ils  tiennent  en  exécration  les  chrétiens  et  ils  contraignaient  leurs 
nourrices  chrétiennes  qui  avaient  reçu  à  Pâques  la  Sainte  Eucha- 
ristie à  presser,  durant  l'espace  de  trois  jours  après,  leurs  mamelles 
et  de  verser  leur  lait  dans  quelque  privé  infâme  et  puant.  » 

«  C'est  pourquoi  le  pape  Innocent  IV  écrivit  au  roi,  l'an  124.1,  qu'il 
lui  plût  de  faire  rechercher  par  son  roj^aume  les  livret  du  Talmud 
des  Juifs  et  les  faire  brûler  en  même  façon  qu'on  avait  fait  du  temps 
de  Grégoire  VIII.  »  Le  pape  Jules  III  en  agit  de  même.  Il  raconte 
alors  l'histoire  de  l'auto-da-fé  du  Talmud  sous  saint  Louis.  Naturel- 
lement l'archevêque  favorable  aux  Juifs  «  est  corrompu  avec  une 
grosse  somme  d'argent  »,  «  si  bien  qu'on  rendit  le  Talmud  aux  Juifs, 
en  témoignage  de  quoi  ils  établirent  un  jour  parmi  eux  pour  en  cé- 
lébrer la  mémoire  tous  les  ans  ».  Mais  plus  tard,  un  an  après,  l'ar- 
chevêque fut  «  saisi  d'une  si  grande  douleur  de  boyaux  qu'il  rendit 
l'esprit  au  même  jour  ».  Aussi  rechercha-t-on  les  livres  des  Juifs  et 
les  brûla-t-on2. 

D'ailleurs,  ces  livres  «  avaient  été  fabriqués  par  des  démons,  ou  par 
des  Juifs  plus  perfides  et  infidèles  que  les  démons,  au  rapport  de 
Paul  de  Burgos,  qui  nous  assure  que  ceux  qui  fabriquèrent  la  faus- 
seté du  Talmud  avaient  deux  démons  familiers,  le  premier  s'appelait 
Benthamaléon  et  l'autre  Josepheda,  lesquels  conversaient  avec  eux, 
comme  il  se  lit  en  plusieurs  lieux  du  Talmud3.  »  A  quoi  il  ajoute 
«que  l'Empereur  défendit  de  publier  cette  doctrine  talmudique4  et 
que,  néanmoins,  cette  défense  fut  révoquée  au  conseil  qu'ils  tinrent 
peu  après  avec  les  démons,  par  le  moyen  desquels  cette  doctrine  fut 
rétablie  ». 

«  Les  Juifs  étaient  devenus  si  insolents  et  effrontés  qu'ils  allaient 
impudemment  dans  les  églises  criailler  et  vomir  une  infinité  de  blas- 

1  C'est  l'histoire  classique  de  la  rue  des  Billettes.  De  l'Ancre,  à  son  insu,  nous 
livre  la  pensée  des  inventeurs  de  ces  histoires  saugrenues.  Il  paraissait  inadmissible 
aux  chrétiens  qu'on  pût  nier  les  vérités  qu'eux-mêmes  professaient  ;  les  Juifs 
devaient,  au  fond,  reconnaître  le  mystère  de  la  transsubstantiation,  et  c'est  parce 
qu'ils  croyaient  que  Jésus  est  véritablement  et  réellement  dans  l'hostie  qu'ils  la 
perçaient,  pour  le  percer  lui-même.  De  l'Ancre  se  sert  (p.  521)  de  cette  histoire, 
comme  les  théologiens  catholiques  du  temps  de  la  Réforme,  pour  prouver  aux  protes- 
tants le  dogme  de  la  présence  réelle. 

2  Voir,  à  ce  sujet,  Revue,  I,  140,  247. 

3  On  ne  s'attendait  guère  à  voir  Bentemalion  et  Joseph  Schéda  paraître  en  cette 
allaire.  Bentemalion  est  ce  démon  qui  propose  à  R.  Schimon  b.  Yohaï  d'entrer  dans 
le  corps  de  la  fille  de  l'empereur.  J'ai  essayé  de  montrer,  dans  cette  Revue,  que  ce 
récit  n'est  que  la  variante  d'un  conte  indien  et  d'une  légende  chrétienne.  Voir  t.  VIII, 
p.  200;  t.  X,  p.  66.  —  Quant  à  Joseph  Schéda,  c'est  un  personnage  énigmatique 
qui  est  censé  donner  à  certains  docteurs  des  renseignements  sur  les  démons,  voir 
Pesahim ,  110  a. 

4  Justinien,  novelle  146. 


LE  TRAITE  SUR  LKS  JUIFS  DE  PIERRE  DE  L'ANCRE  239 

phèraes  et  injures' contre  le  Sauveur,  sa  sainte  mère  et  sa  sainte 
relise.  Aussi,  sachant  qu'ils  ont  en  horreur  les  pourceaux,  s'avisa- 
t-ou  en  Allemagne  d'en  faire  peiudre  à  l'entrée  des  églises.  »  Ainsi,  à 
l'église  de  Wittemberg,  on  voit  «  une  truie  relevée  en  bosse,  les 
mamelles  pendantes;  sous  son  ventre  sont  trois  petits  enfants  juifs, 
dont  deux  sucent  les  mamelles  et  l'autre  regarde  les  assistants.  Sous 
le  cou  de  la  truie  on  voit  accourir  un  petit  cochon  pour  sucer  le  luit 
avec  les  petits  Juifs.  Derrière  la  truie  est  un  Juif,  homme  d'âge,  por- 
tant une  mitre  à  larabbine,  qui,  se  baissant  un  peu,  semble  lever  de 
la  main  gauche  la  queue  de  cet  animal,  et  de  la*  droite  le  pied  droit, 
et,  après,  regarder  fixement  le  trou  de  derrière  de  la  truie,  y  mar- 
moter  je  ne  sais  quelles  paroles  et  mystères  du  Talmud.  Et  sur  cela 
on  entend  grouiller  les  boyaux  de  la  bète  certains  nouveaux  oracles 
qu'il  rapporte  puis  après  aux  autres  Juifs.  Ce  qui  a  été  mis  en  haine 
des  rabbins,  ennemis  de  Dieu,  si  bien  qu'en  leur  école,  leur  mai- 
tresse  est  une  truie,  leur  précepteur  un  porcher,  et,  au  lieu  de  la 
vraie  doctrine  du  Messie,  ils  se  paissent  de  fiente  et  d'ordure,  pre- 
nant pour  la  parole  de  Dieu  le  lait  sale  et  vilain  de  ces  animaux 
immondes1.  » 

Il  ajoute  qu'il  y  a  plus  de  soixante  ans  que  cela  se  voit  en  l'église 
paroissiale  de  Wittemberg,  mais  que,  d'après  d'autres,  la  scène  repré- 
sente simplement  un  Juif,  mîtré  comme  un  rabbin,  enfermé  dans 
une  armoire  qui  s'ouvre  à  toutes  les  heures  ;  à  ce  moment,  il  découvre 
une  truie  qui  allaite  ses  petits,  il  en  montre  quelque  horreur  et  se 
retire2. 

«  Ce  qui  s'accommode  et  rapporte  très  bien  à  la  puanteur  des 
Juifs,  le  pourceau  étant  l'animal  le  plus  immonde  qui  soit  point*. 
Aussi  est-ce  cette  puanteur  et  leur  odeur  dans  laquelle  ils  sont  tous 
les  jours  plongés  en  leurs  maisons,  comme  un  pourceau  dans  son 

1  J'ai  trouvé,  par  hasard,  le  titre  d'une  plaquette  dont  De  l'Ancre,  sans  doute,  s'est 
inspiré  —  indirectement  :  Von  Schem  hamphoras  und  der  Sam  so  au  Wittenbcrg  auf 
der  Pfarr  Kirchmaûr  der  ver/luchten  Juden  zu  Hohn  und  Sjwtt  dakin  gesagt  mord  ni . 
f°,  s.  1.  n.  d.  Malheureusement  la  Bibliothèque  nationale  ne  possède  pas  cet  ouvrage. 

*  On  en  voit  de  semblables,  dit-il  encore,  à  d'église  de  l'ancienne  vide  de  Sorabes, 
au  duché  d'Anhalt,  à  la  cathédrale  de  Magdebourg,  à  la  cour  de  Salisbourg  (Salz- 
bourg),  en  Bavière. 

3  C'est  au  moins  une  explication  originale  de  la  puanteur  des  Juifs.  Quant 
à  cette  puanteur,  était-elle  réelle  ou  n'existait-elle  que  dans  l'imagination  des 
auteurs  ?  C'est  une  question  qu'il  y  aurait  lieu  d'examiner.  Au  premier  abord, 
on  est  tenté  d'y  croire,  étant  donné  l'état  misérable  des  Juifs  au  moyen  âge. 
Mais  voici  qui  rend  suspectes  toutes  ces  inductions.  Plus  on  examine  les 
opinions  qui  avaient  cours  au  moyen  âge  sur  les  Juifs,  plus  on  reconnaît  la  res- 
semblance établie  par  l'imagination  entre  eux  et  les  sorciers  ;  juif  et  sorcier  sont 
synonymes,  pour  le  peuple  comme  pour  les  clercs,  parce  que  Juifs  et  sorciers  ont  le 
tort  de  se  singulariser.  Or,  le  sorcier  sent  mauvais,  tel  est  un  article  du  credo  popu- 
laire; donc  le  juif  sent  mauvais  aussi.  — D'après  le  curieux  pamphlet  espagnol,  La 
Sentinelle  contre  les  Juifs,  analysé  par  M.  Isidore  Loeb,  ici  même  {Rêve  \  t.  VI, 
p.  117),  les  Juifs  sentent  également  mauvais,  mais  pour  une  autre  raison  :  en  pu- 
nition de  leur  crime.  L'auteur  ajoute  quïls  ne  peuvent  cracher:  lisez  les  démono- 
graphes,  vous  verrez  que  les  sorciers  ne  peuvent  cracher. 


240  REVUE  DES  ETUDES  JUIVES 

auge,  qui  les  rend  sujets  aux  squiuances,  aux  écrouelles,  au  flux 
de  sang  •  et  autres  maladies  puantes  qui  font  qu'ils  baissent  tou- 
jours la  tête  \  » 

«  Ils  abusent  de  même  de  certains  autres  animaux3  et  nourrissent 
un  bœuf  avec  vivres  exquis  auprès  de  leurs  cimetières  et,  mourant, 
ils  l'enveloppent  en  des  linges  précieux,  le  pleurant  en  l'ensevelis- 
sant avec  cérémonie.  Et  puis  en  choisissent  et  élèvent  un  autre  avec 
même  délicatesse  et  cérémonie  en  mémoire  du  bœuf  d'Egypte  qu'ils 
adorent  comme  Dieu.  » 


Impiétés  et  absurdités. 

Dans  ce  chapitre,  De  l'Ancre  se  borne  à  reproduire  en  abrégé  la 
plupart  des  articles  des  Extractiones  dont  il  a  été  si  souvent 
question  dans  cette  Revue  et  auxquels  M.  Isidore  Loeb  a  con- 
sacré une  si  intéressante  étude.  Il  est  donc  inutile  de  mentionner 
tout  ce  fatras  d'accusations  plus  saugrenues  que  les  absurdités 
qu'elles  prétendent  viser.  Disons  cependant  que  ce  document 
paraît  avoir  exercé  une  grande  action  sur  le  moyen  âge  et  avoir 
fourni  les  armes  dont  avaient  besoin  tous  les  auteurs  ennemis  des 
Juifs,  car,  à  la  fin  de  son  traité,  De  l'Ancre  donne  in  extenso  la 
plaidoirie  d'un  avocat  qui,  plaidant  contre  des  Portugais  de  Bor- 
deaux, accusés  de  judaïser,  reprend  la  plupart  des  articles  desdits 
Extractiones  en  conservant  même  leur  manière  de  citer  les 
sources.  Ainsi  il  dira  :  Massechet  ou  ordre  2  du  Talmud  seder, 
c'est-à-dire  traité  8  perakim  qui  veut  dire  chap.  ou  dist.  —  Com- 
prenne qui  pourra  /é  ! 

1  Les  flux  de  sang  sont  aussi  prêtés  aux  Juifs  par  la  Sentinelle. 

2  S'ils  baissaient  la  tête,  De  l'Ancre  aurait  pu  l'expliquer  autrement  :  dans  une 
société  où  même  des  magistrats  instruits  professaient  des  sentiments  de  ce  genre  à 
leur  égard,  ils  auraient  eu  beau  jeu  à  relever  la  tête.  Mais  la  vérité  est  que  c'était 
également  un  des  signes  auxquels  on  reconnaissait  les  sorciers,  voir  Jean  Bodin,  De 
la  démonomanie  des  sorciers,  Paris,  1580,  p.  189  et  suiv. 

3  «  Abuser  »  est  encore  une  métaphore  assez  hardie,  car  ici  cela  signifie  •  ne 
pas  user  >.  Il  s'agit,  en  effet,  des  premiers-nés  mâles  des  animaux  qui,  ne  pou- 
vant plus,  depuis  la  destruction  du  temple,  être  donnés  aux  prêtres,  étaient  interdits 
à  la  consommation  tout  le  temps  qu'ils  n'avaient  pas  de  défauts,  et  étaient  laissés  en 
liberté  dans  les  cimetières  jusqu'à  leur  mort. 

4  Malvezin,  Histoire  des  Juifs  à  Bordeaux,  p.  117,  a  déjà  cité,  très  brièvement,  cette 
plaidoirie.  Cet  avocat,  nommé  Laroche,  ne  manque  pas  non  plus  d'érudition  ;  il  con- 
naît YHostis  Jtideorum  de  Piefï'ercorn  (qu'il  appelle  Pseffer  Cornius),  d'après  qui  les 
Juifs  désignent  Jésus  «  par  les  mots  les  plus  coutumélieux  qu'ils  peuvent  imaginer, 
l'appelant  Jechaii  Nozere,  séducteur  de  peuple  (véritablement  Jésus  de  Nazareth),  ou 
Tholim,  qui  signifie  pendu,  ou  Mauserbcr  Havido  (mamzer  ben  hanido),  qui  signifie 
champis,  le  Saint-Sacrement  de  l'autel,  le  Chemtome  (léchem  tome),  un  pain  salé  (?) 
et  immonde...:  il  connaît  aussi  la  Synogoga  Judaicu,  de  Buxtorf.  —  Il  rapporte  qu'un 
Juif,  pour  avoir  blasphémé  contre  la  Vierge,  en  Provence,  lut  condamné  â  être  brûlé 
tout  vif,  à  Aix,  en.   Provence,  et  qu'il  y  eut  quelques  gentilshommes  qui  s'offrirent 


LE  TKAITÉ  SUR  LES  JUIFS  DE  PIERRE  DE  L'ANCRE  241 


Cruautés. 

C'est  la  partie  la  plus  intéressante  du  traité,  on  verra  que 
De  l'Ancre  n'est  pas  difficile  sur  le  choix  des  exemples.  Pour 
prouver  que  les  Juifs  «  ont  fait  souffrir  aux  chrétiens  des  inhuma- 
nités et  cruautés  si  horribles  qu'elles  font  hérisser  les  cheveux  à 
ceux  qui  les  entendent  »,  il  ne  trouve  rien  de  mieux  que  de  rap- 
peler la  guerre  des  Juifs  contre  les  Romains,  les  épisodes  du  sou- 
lèvement des  Juifs  en  Egypte  sous  Trajan  et,  chose  plus  admirable 
encore,  les  «  cruautés  infinies  »  que  les  Juifs  exercèrent  contre 
eux-mêmes  pour  échapper  aux  tortures  ! 

Il  raconte,  d'après  saint  Ghrysostome,  qu'au  temps  de  Julien 
l'Apostat,  les  Juifs  se  joignirent  aux  gentils  et  pratiquèrent  comme 
eux  le  culte  des  idoles.  —  Où  est  la  cruauté  ?  —  Puis  il  continue 
ainsi  : 

«  De  manière  que  si,  en  quelque  façon,  il  semble  maintenant 
qu'ils  vivent  un  peu  plus  modestement,  ce  n'est  autre  chose  que  si- 
mulation et  la  crainte  qu'ils  ont  des  princes,  sans  le  respect  desquels 
ils  commettraient  encore  de  plus  grandes  cruautés  qu'ils  n'ont 
jamais  fait  jusqu'ici,  vu  qu'ils  surpassent  de  beaucoup  leurs  an- 
cêtres en  malice  et  méchanceté,  étant  excellents  en  sortilège  et 
magie,  en  pétulance  et  audace  et  autres  vices.  » 

L'argument  est  très  habile  et  n'a  pas  manqué  d'être  repris  par 
les  élèves  de  De  l'Ancre. 

Après  avoir  cité  le  massacre  de  l'île  de  Chypre,  qui  d'ailleurs 
n'atteignit  pas  les  chrétiens,  il  ajoute  : 

a  Au  demeurant  tous  ces  massacres  ne  demeurèrent  pas  impunis. 
Au  lieu  où  était  le  prétoire  de  Pilate,  on  entend  des  bruits  et  des 
mouvements  si  violents  comme  de  personnes  qui  battent,  tourmen- 
tent et  flagellent  quelqu'un,  que  le  P.  Boucher,  y  étant  entré,  con- 
fesse en  être  sorti  tout  étourdi  et  hors  de  soi.4La  tradition  de  la 
Terre-Sainte  étant  que  c'étaient  des  Juifs  qui  étaient  châtiés  et  punis 
par  justice  divine  en  ce  même  lieu  où  ils  avaient  flagellé  le  Sauveur 
du  monde.  » 

Naturellement,  ce  sont  les  Juifs  qui  ont  poussé  les  lépreux  à 

pour  en  être  les  bourreaux.  Il  cite  des  histoires  d'hosties  dérobées  et  percées  par 
de  faux  chrétiens,  à  Presbourg,  en  1590,  et  dans  le  Brandebourg.  Les  Juii's  sont, 
d'ailleurs,  si  coupables  qu'aucun  pays  ne  peut  les  tolérer,  et,  s'ils  ont  un  pays  au-delà 
des  fleuves  d'Ethiopie  ou  sous  le  cercle  Arctique,  ce  qu'il  admet,  c'est  justement  un 
effet  de  la  bonté  du  ciel,  qui  ne  veut  pas  qu'ils  en  sortent.  Laroche  connaissait,  on  le 
voit,  "la  lettre  du  prêtre  Jean,  qui,  du  reste,  était  très  répandue  au  moyen  âge. 
T.  XIX,  n°  38.  10 


242  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

empoisonner  les  puits,  comme  le  raconte  Gaguin,  au  VIIe  livre  de 
l'histoire  de  France1.  «  Ils  se  servaient  d'une  mixtion  composée 
de  sang  et  d'urine  d'homme  avec  le  suc  de  quelques  herbes  veni- 
meuses ». 

Le  paragraphe  suivant  est  intitulé,  à  la  marge  :  «  Cruauté  in- 
finie de  quarante  Juifs  prisonniers  à  Vitry  pour  se  rédimer  de  la 
justice  des  chrétiens  ».  Les  malheureux  s'étaient  tués  pour  échap- 
per à  la  mort  et  sans  doute  aux  supplices  qu'on  leur  réservait  pour 
avoir  empoisonné  des  puits.  Mais  ils  seront  privés  de  la  vie  éter- 
nelle, comme  on  peut  voir  au  chapitre  n  d'Isaïe 2  :  ne  pratiquaient- 
ils  pas  anciennement  l'anthropomancie,  qui  est  le  sacrifice 
d'hommes  et  d'enfants,  laquelle  était  commune  aux  Juifs,  ido- 
lâtres et  apostats  ? 

«  C'est  pourquoi  Philippe-Auguste,  ayant  appris  que  depuis  Trajan 
ils  circoncisaient  les  esclaves  chrétiens  et  mettaient  à  mort  plusieurs 
chrétiens,  dans  des  caves  et  lieux  souterrains,  même  qu'en  la 
semaine  sainte,  le  jour  de  la  Passion  de  Notre  Seigneur,  ordinaire- 
ment ils  crucifiaient  quelque  enfant  chrétien  qu'ils  trouvaient  moyen 
de  dérober  et  commettaient  d'autres  cruautés  exécrables  du  tout 
brutales  et  hors  de  toute  humanité,...  il  confisqua  leurs  biens  et  les 
bannit  de  son  royaume  ». 

«  Pour  montrer,  d'ailleurs,  que  la  cruauté  leur  est  naturelle  et  sur- 
tout contre  les  chrétiens,  la  vérité  est  qu'ils  n'épargnent  pas  leurs 
enfants  »,  témoin  le  massacre  qu'ils  firent  de  leurs  enfants  en  An- 
gleterre, parce  que  le  roi  Emmanuel  les  avait  baptisés  de  force. 

Mais  De  l'Ancre  ne  veut  pas  s'attarder  à  l'étranger,  il  se  bornera 
à  la  France. 

Lors  de  l'invasion  des  barbares,  «  les  Juifs  vraisemblablement 
qui  étaient  mêlés  y  ont  trouvé  leur  place  ». 

1  Les  grandes  chroniques,  excellents  faitz  et  vertueux  gestes  des...  roys  de  France, 
composées  en  latin,  par  Rob.  Gaguin  et  depuys,  eu  laii  ckristilér  mil  cinq  cens  et 
quatorze  soigneusement  réduictes  et  translatées  à  la  lettre  de  latin  en  nostre  vulgaire 
francoys,  Paris,  1514,  f°. 

2  Vers.  6  :  t  Car  tu  as  rejeté  ton  peuple,  la  maison  de  Jacob,  parce  qu'ils  étaient 
pleins  de  l'Orient  et  sorciers  comme  les  Philistins  et  qu'ils  s'attachent  aux  enfants 
des  étrangers.  •  C'est  probablement  sur  ces  derniers  mots,  qu'on  aura  traduits  par  : 
«  ils  prennent  en  suffisance  les  enfants  des  étrangers  »,  que  s'appuie  De  l'Ancre,  ou 
plutôt  l'auteur  qu'il  copie,  pour  attribuer  l'anthropomancie  aux  Juifs.  La  Vulgate 
traduit  simplement  pueris  alienis  adhœrerunt.  Cette  croyance  découle  encore,  d'ail- 
leurs, de  la  conception  du  sorcier,  ou,  pour  parler  plus  exactement,  de  l'idée 
que  le  peuple  se  forme  de  tous  ceux  qui  se  singularisent.  Ainsi,  sous  le  second 
Empire,  les  habitants  de  Perpignan  attendirent,  à  leur  sortie  de  loge,  les  francs- 
maçons  avec  l'intention  de  leur  faire  un  mauvais  parti,  sur  le  bruit  que,  à  chaque 
réunion,  ils  avaient  l'habitude  de  dévorer  un  membre  de  leur  société.  Voir  Mélu- 
sine,  IV,  col.  370. 


LR  TRAITE  SUR  LES  JUIFS  DE  PIERRE  DE  L'ANCRE  243 

Ceux  de  Toulouse  promirent  à  Abdérame  de  lui  livrer  la  ville. 

Quand  Charlemagne  y  entra  et  qu'on  lui  rapporta  cette  trahison, 
il  fit  condamner  à  mort  tous  les  Juifs  de  Toulouse.  Cependant,  sur 
leurs  prières,  il  ne  fit  périr  que  les  coupables;  mais  il  établit 
l'usage  de  la  colophisation  à  Noël,  à  Pâques  et  à  l'Assomption. 

Leur  cruauté  s'est  manifestée  encore  sous  une  autre  forme,  té- 
moin l'histoire  de  ce  médecin  juif  nommé  Sédéchias,  «  lequel  lit 
certains  jeux  magiques  devant  l'empereur  Louis  et  plusieurs 
autres  princes,  l'an  876.  Il  dévorait  les  hommes  armés  avec  leurs 
armes  et  chevaux,  avalait  un  chariot  avec  les  chevaux  et  le 
cocher,  il  coupait  la  tête  et  les  pieds  aux  personnes  et,  avec  leur 
sang,  il  les  mettait  dans  un  bassin.  Il  volait  en  l'air,  il  excitait  des 
voix  comme  s'il  y  eût  eu  une  infinité  de  chasseurs,  et  plusieurs 
semblables  illusions,  enfin  il  empoisonna  et  fit  mourir  le  roi 
Charles  le  Chauve  '. 

Naturellement,  et  De  l'Ancre  était  bien  de  son  temps  en  parlant 
ainsi,  les  Juifs  sont«  grands  magiciens2  ».  La  preuve  qu'il  en  rap- 
porte est  bien  intéressante  et  il  est  clair  qu'après  l'avoir  lue,  per- 
sonne ne  peut  douter  de  cette  vérité. 

«  Les  Juifs,  dit-il,  sont  ordinairement  grands  magiciens,  comme 
témoigne  saint  Antonin,  qui  nous  a  laissé  par  écrit  qu'un  jeune 
homme,  se  voulant  venger  d'une  fille  qui  n'avait  voulu  consentir 
à  ses  mauvaises  volontés,  s'était  adressé  à  un  médecin  juif,  il  la 
convertit  en  jument,  afin  que,  ne  l'ayant  pu  fléchir  à  la  volupté 
pendant  qu'elle  était  en  forme  humaine,  il  l'attirât  l'ayant  métamor- 
phosée en  forme  brutale  3.  » 

«  En  Espagne,  continue-t-il,    les  Juifs  et  Arabes  laissaient  pour 

1  Sans  doute  d'après  Joh.  Trithemius,  Annal.  Hirsaug.,  t.  I,  ad  ann.  879. 

2  Matthieu  Paris,  dans  son  Histoire  d'Angleterre,  à  l'année  1188,  dit  qu'il  fut 
interdit  aux  Juifs  d'assister  au  couronnement  de  Richard  1er,  parce  qu'ils  ont  l'habi- 
tude de  se  servir  d'arts  magiques  à  cette  occasion.  Jean-Godefroy  Thomas,  Disserta- 
tio  ex  Antiquitate  ebraea  de  EptiJlD  rDtfbfa  sive  Stecdio  tnagico  Judœorum;  Wittem- 
berg,  1728,  4°,  cite  un  certain  nombre  d'auteurs  d'après  lesquels  les  Juifs  étaient 
experts  en  magie.  Bodin,  Démo  no  manie,  liv.  IV,  ch.  vi,  raconte  qu'en  l'an  1554, 
«  les  Juifs  de  Rome  rendirent  quatre-vingts,  tant  filles  que  femmes  possédées  du 
diable  ».  Luther,  qui  ne  les  aimait  pas  et  qui  partageait  plus  d'un  préjugé  du 
moyen  âge,  disait  :  «  Ein  Jude  stickt  so  voll  Abgotterey  und  Zauberey,  als  neun  Kûhe 
llaar  haben,  d.  i.  unzehlig  u.  unendlich  >.  Loin  de  nous  la  pensée  de  vouloir  laver  les 
Juifs  de  cette  accusation  ;  il  suffit  de  lire  les  auteurs  juifs  eux-mêmes  (entre  autres, 
Salomon  b.  Adret,  §  413  de  ses  consultations)  pour  voir  qu'ils  donnèrent  dans  les 
billevesées  du  moyen  âge,  surtout  depuis  l'invention  de  la  Kabbale  pratique.  Nous 
prétendons  seulement  qu'aux  yeux  des  chrétiens,  tout  Juif  était  sorcier,  de  la 
même  façon  que  les  Chrétiens  sont  sorciers  chez  les  Musulmans,  et  les  Musulmans  et 
les  Chrétiens  chez  les  Hindous,  les  Finlandais  chez  les  Suédois,  et  les  Lapons  chez 
les  Finlandais,  et,  en  général,  les  hérétiques  chez  les  orthodoxes.  Voir  Tucbmann, 
M  ri  usine,  IV,  col.  342  et  suiv. 

3  C'est  un  de  ces  contes  facétieux  qui  furent  très  répandus  au  moyen  âge. 


244  BEVUE  DES  ETUDES  JUIVES 

héritage  à  leurs  successeurs  la  Clavicule  de  Salomon  !  et  un  autre 
grand  volume  divisé  en  sept  parties,  pleins  de  sacrifices  et  enchante- 
ments des  Démons  et  faisaient  par  i  celuy  des  choses  merveilleuses 
et  incroyables,  mais  les  inquisiteurs  ont  brûlé  tous  les  exemplaires 
qu'ils  ont  pu  trouver  ~. 

«  Nous  lisons,  dans  l'histoire  de  Jean  Tritesne  3,  que  l'an  970,  un 
Juif  nommé  Baian,  fils  de  Siméon,  se  transformait  en  loup,  et  se 
rendait  invisible  quand  il  voulait. 

«  D'ailleurs,  les  Juifs  ne  savent  rien  faire  que  du  mal,  ils  n'ont 
jamais  fait  chose  quelconque  qui  vaille,  que  j'aie  pu  remarquer  par 
toute  l'histoire  ancienne  »,  sauf,  ajoute-t-il  cependant,  de  n'avoir  pas 
voulu  adorer  Caligula  comme  un  dieu. 

»  Depuis,  continue-t-il,  ils  ont  toujours  témoigné  une  telle  haine 
contre  les  serviteurs  de  Jésus-Christ  et  il  y  en  a  des  histoires  si 
exécrables  qu'il  y  a  horreur  de  les  raconter  et  presque  autant  de  les 
lire  ;  néanmoins  elles  sont  si  publiées  et  connues  que  la  lie  même  du 
peuple  n'en  est  que  trop  informée.  Car  la  vérité  est  qu'ils  ne  se  con- 
tentent pas  d'avoir  mis  une  fois  Jésus-Christ  en  croix,  qu'ils  le  vou- 
draient encore,  s'il  leur  était  permis,  le  crucifier  tous  les  jours, 
témoin  cette  histoire  célèbre  rapportée  par  Richard  Vasseburge,  qui 
dit  qu'Eberard,  archevêque  de  Trêves,  ayant  fait  publier  un  décret 
portant  que  tous  les  Juifs  eussent  à  vider  en  cas  qu'ils  ne  se  fissent 
baptiser  dans  la  veille  de  Pâques,  un  d'entre  eux  fut  si  malin 
qu'ayant  fabriqué  par  art  diabolique  une  image  de  cire,  il  la  fit  bap- 
tiser par  un  méchant  prêtre  de  l'église  de  Saint-Paul  corrompu  par 
argent,  et  la  veille  de  Pâques  venue,  auquel  jour  les  Juifs  devaient 
vider  la  ville  ou  recevoir  le  baptême,  ce  juif  magicien  fit  allumer 
cette  image  de  cire,  pendant  que  le  bon  évêque  était  occupé  aux 
fonts  baptismaux,  et  comme  cette  image  fut  à  demi  brûlée,  une 
grosse  fièvre  le  saisit  avec  de  si  âpres  douleurs  qu'il  fut  contraint  de 
s'ôter  de  cet  exercice  pour  s'aller  agenouiller  devant  un  crucifix,  en 
priant  le  bon  Dieu  de  lui  pardonner  ses  péchés,  ensemble  à  ces  mé- 
chants juifs  ;  il  rendit  l'âme  à  Dieu  et  mourut  Tan  1607*.  » 

Voici  la  fin  du  traité,  qui  couronne  bien  ces  admirables  pages  : 

1  La  Clavicule  de  Salomon  est  bien  connue,  voir  Steinschneider,  Catal.  Bold.  229S. 
Une  traduction  latine  en  a  été  faite  par  Balt.  Neydecker,  sous  le  titre  suivant  :  Clavis 
tfalomonis  et  thésaurus  omnium  scientiarum  régi  Salomoni  per  angelum  Deijuxta  altare 
revelatamm  et  per  antiq.  Rabonem  Hama  descriptus  (1716,  in-4°). 

a  Ce  paragraphe  est  copié  de  Delrio,  Disquisitionum  magicarum  libri  VI,  Lou- 
vain,  1599;  ouvrage  traduit  en  français  sous  le  titre  de  Controverses  et  recherches  ma- 
giques, traduites  du  latin  de  Delrio,  par  André  Duchesne,  jésuite  ;  Paris,  1611,in-8°. 

i  11  faut  lire  Trithème  [Chronicon  Cœnobii  Rirsaugiensis ,  diocesis  Spirensis,  ad 
aun.  970).  11  est  piquant  que  Trithemius,  qui  rapporte  gravement  toutes  ces  fables,  a 
lui-même  été  taxé  de  magicien  et  de  sorcier. 

«  Même  histoire  dans  Trithemius,  Chron.  Eirsaug.,  t.  I,  ad.  ann.  1059;  Christoph. 
Browerus,  Annal.  Trevirens.,  lib.  XI,  ad  ann.  1066.  La  légende  a  donc  été  rééditée 
plusieurs  fois,  toujours  avec  la  même  conviction.  —  1607  est  probablement  mis  ici 
pour  1067. 


LE  TRAITE  SUR  LES  JUIFS  DE  PIERRE  DE  L'ANCRE  2'iS 

«  Et  pour  les  Juifs  en  particulier  qui  ont  mieux  aimé  le  traître, 
Judas  que  le  vrai  Messie  Jésus-Christ,  ayant  bâti  un  oratoire  en  son 
honneur  et  choisi  leur  cimetière  en  la  vallée  de  Josaphat,  au  même 
lieu  où  il  se  pendit  et  se  creva,  qu'ils  se  souviennent  de  la  créance  et 
tradition  commune  qui  se  promène  en  terre  Sainte,  qui  est  qu'à  ce 
grand  jour  du  jugement,  afin  qu'ils  puissent  plus  facilement  s'écou- 
ler de  ce  cimetière  particulier  en  cet  autre  qui  leur  sera  et  général  et 
éternel  :  la  terre  se  crèvera  en  ce  même  endroit  où  Judas  leur  patron 
se  pendit  et  se  creva,  pour  les  engloutir  et  engouffrer  irrémissiblement 
en  flammes  éternelles  des  enfers,  dès  lors  que  celui  qu'ils  ont  mal- 
heureusement crucifié  aura  fulminé  contre  eux  ce  décret  épouvan- 
table :  Ite  maUdicti  in  ignem  œternum1.  » 

On  chercherait  donc  vainement  dans  De  l'Ancre  des  renseigne- 
ments inédits  sur  l'histoire  des  Juifs  au  moyen  âge;  mais  on  y 
trouvera  ce  qui  n'est  pas  moins  intéressant,  un  élément  nouveau 
pour  établir  l'histoire  des  opinions  des  chrétiens  sur  les  Juifs.  Le 
moyen  âge  s'est  fait  un  type  du  juif,  qui  encore  aujourd'hui  obsède 
l'imagination  du  peuple  et  des  écrivains,  et  dont  les  esprits  les  plus 
indépendants  ne  s'affranchissent  qu'avec  peine.  Comment  s'est 
élaboré  ce  type,  quel  esprit  a  présidé  à  sa  création,  quelle  était  la 
culture  intellectuelle  de  ses  inventeurs,  c'est  ce  que  les  recherches 
de  détail  seules  pourront  élucider.  En  exhumant  toutes  les  absur- 
dités qu'on  vient  de  lire,  mon  seul  but  a  été  de  défricher  un  coin 
de  ce  vaste  champ  d'étude. 

Israël  Lévi. 


»  De  l'Ancre,  à  la  suite  de  ces  pages,  dans  un  chapitre  à  part,  raconte  tout 
au  long  une  histoire  d'hostie  qui  s'était  passée  peu  de  temps  auparavant  à  Saint-Jean- 
de-Luz.  On  ne  peut  rien  lire  de  plus  lamentable  que  cette  tragédie.  Quatorze  Portu- 
gais, en  grande  partie  des  femmes,  étaient  venus  dans  cette  ville,  où,  semble-t-il,  ils 
éveillèrent  les  soupçons  des  membres  du  clergé.  L'un  d'eux  crut  voir  une  de  ces 
Portugaises  cacher  l'hostie  dans  son  mouchoir.  Immédiatement  elle  fut  arrêtée,  tout 
un  appareil  d'officiers,  de  lieutenants  généraux  fut  mandé  pour  interroger  l'inculpée, 
qui  répondit  que  c'était  dans  un  accès  de  toux  qu'elle  avait  craché  cette  hostie. 
Pendant  qu'on  instruisait  l'aifaire,  elle  resta  incarcérée  dans  1  église.  Le  peuple,  qui 
avait  été  informé  du  sacrilège,  envahit  l'église,  réclama  la  jeune  fille,  puis  la  traîna 
dans  la  campagne,  où  enfin  il  la  brûla.  Tous  ces  faits  sont  racontés  par  Doiharard, 
recteur  de  l'évêque  de  Bayonne,  à  l'archevêque  de  Tours,  à  la  date  du  22  mars  16 19. 
Il  ajoute  à  son  récit  qu'il  fut  dit  que  ces  gens  étaient  cause  du  mauvais  temps  et  que 
depuis  leur  arrivée  ceux  du  pays  n'avaient  pu  prospérer.  C'est  à  cette  histoire  que 
fait  allusion  la  Sentinelle  contre  les  Juifs  [Revue,  t.  VI,  p.  113). 


UN  DOCUMENT 


SUR 


LES  JUIFS  EU  BARROIS  EN  1321-23 


Nous  signalons  aux  lecteurs  de  la  Revue  une  pièce  très  curieuse 
faisant  partie  des  archives  de  la  Meuse  à  Bar-le-Duc  l.  Elle  porte 
comme  titre  :  Recepts  des  Juys.  C'est  un  tableau  des  sommes 
prélevées  sur  les  Juifs  habitant  le  Barrois  en  1321-22-23.  Ces 
sommes  de  plusieurs  natures  sont  les  suivantes  : 

1°  Droits  de  résidence,  désignés  sous  le  nom  de  Censives  et 
payés  annuellement  par  les  Juifs  admis  à  demeurer  dans  le  comté 
de  Bar. 

2°  Droits  de  capitation,  proportionnels  au  nombre  des  membres 
composant  les  familles. 

3°  Droits  d'inhumation  dans  le  cimetière  commun  de  la  région. 

4°  Droits  de  passage  acquittés  par  des  Juifs  étrangers  traversant 
le  territoire  du  Comté. 

5°  Amendes  infligées  à  des" Juifs  qui  s'étaient  battus  entre  eux. 

De  l'ensemble  de  cette  pièce  résultent  les  données  suivantes  : 

Des  Juifs  habitaient  plusieurs  villes  et  villages  du  Barrois,  qui 
comprenait  tout  le  département  de  la  Meuse  (moins  le  Verdunois, 
qui  fut  toujours  fermé  aux  Juifs),  des  parties  plus  ou  moins  consi- 
dérables des  départements  de  Meurthe-et-Moselle,  de  l'Aube,  de  la 
Marne,  de  la  Haute-Marne,  des  Vosges  et  de  la  Haute-Saône. 

Ils  y  étaient  tolérés  momentanément  moyennant  censives  fixées 
selon  la  fortune  de  chacun,  d'après  un  inventaire  qui  fut  fait  de 
leurs  biens. 

Chaque  ménage  [conduit  dans  le  texte)  était,  en  outre,  imposé 
pour  une  certaine  somme. 

1  Registre  B,  492,  in-folio,  167  feuillets  papier.  Ce  registre  est  mentionné  dans  le 
catalogue  sous  cette  rubrique  :  Comptes  de  recettes  et  dépenses  (1321-1322)  faites  par 
Jennet  Petitprêtre  de  Reviguey,  receveur  de  la  Comté  de  Bar,  dès  le  mercredi  après 
la  fête  de  saint  Pierre  et  saint  Paul  qu'il  entrât  à  l'office  de  la  receverie. 


DOCUMENT  SUR  LES  JUIFS  DU  liAliliOls  247 

Ils  étaient  soumis  à  la  juridiction  du  Comté  pour  les  différends 
qui  s'élevaient  entre  eux. 

Il  n'y  avait  qu'un  seul  cimetière  dans  le  Barrois.  Un  droit  était 
perçu  pour  chaque  inhumation. 

Les  Juifs  étrangers  voulant  traverser  le  territoire  étaient  obligés 
de  payer  un  droit  de  passage. 

La  pièce  est  contemporaine  de  l'époque  où  les  Juifs,  successive- 
ment chassés  et  rappelés  par  les  rois  de  France,  accusés  d'avoir 
empoisonné  les  fontaines  publiques,  victimes  des  fureurs  popu- 
laires, cherchaient  refuge  et  protection  dans  des  pays  plus  clé- 
ments. De  ce  nombre  furent  sans  doute  les  Juifs  dont  les  villes 
d'origine  sont  mentionnées  dans  notre  document,  et  qui  obtinrent, 
au  prix  de  lourdes  impositions,  et  pour  peu  de  temps,  le  droit  de 
résider  dans  le  comté  de  Bar. 

Nous  établirons  plus  loin,  par  ordre  alphabétique,  un  tableau  de 
ces  différentes  villes,  en  faisant  suivre  l'orthographe  de  l'original 
par  l'orthographe  actuelle  et  en  indiquant  les  départements  aux- 
quels elles  appartiennent. 

Cette  pièce  nous  a  été  :ndiquée  par  M.  Jacob,  archiviste  dépar- 
temental de  la  Meuse.  Nous  lui  en  exprimons  toute  notre  gratitude 
et  nous  le  remercions  également  de  la  bonne  grâce  avec  laquelle 
il  a  bien  voulu  se  mettre  à  notre  disposition  pour  nous  faciliter  le 
déchiffrement  et  la  correction  du  manuscrit. 

Emile  Lévy. 


RECEPTE  DES  JUYS. 


Premièrement  IIe  lb.  des  Juys  de  S1  Mihiel  pour  le  premier  escort 
fait  à  eulx. 

Item  Ve  lb.  des  dis  Juys  pour  le  dernier  escort. 

Item  XL  lb.  de  Lyon  de  Revigney  pour  le  premier  escort  et  unes 
lettres  de  XL.  lb.  qu'il  avoist  prestez  à  mons.  par  lettres  rendues  au 
compte. 

Item  IIIIXX  lb.  doudit  Lyon  pour  le  darrien  escort. 

Item  XX  lb.  de  Moyses  de  Revigney  pour  le  premier  escort. 

Item  XX  lb.  doudit  Moyses  pour  le  darrien  escort. 

Item  X  lb.  de  Viviant  de  Bar  pour  le  premier  escort. 

Item  X  lb.  doudit  Viviant  pour  le  darrien  escort. 

Item  L  XX  lb.  de  Salomin  de  Gondrecourt  pour  le  premier  escort. 

Item  de  lui  C  lb. 


248  REVUE  DES  ETUDES  JUIVES 

Item  G  lb.  doudit  Salemin  pour  le  darrien  escort.  Et  doit  rendre  à 
monss.  par  escort  fait  à  lui  les  lettres  queil  at  de  Gautier  et  de  Robert 
de  Prie  et  mous,  les  doit  rendre  as  dis  Gautier  et  Robert  pour  laquest 
queil  a  fait  à  eulx  lesquelles  lettres  sunt  rendues  compt. 

Item  on  doit  requérir  à  Robert  de  Prie  les  lettres  de  lâchât  de 
Gondrecourt  liquez  ne  les  welt  rendre  pour  tant  que  on  len  doit 
encore  si  corne  il  dit. 

Item  X  lb.  de  Helyet  et  Haquin  de  Fou  pour  le  premier  escort. 

Item  X  lb.  doudit  Helyet  et  Haquin  pour  le  darien  escort. 

Item  LXIII  lb.  XVIII  sols  receus  dou  grant  Jehie  de  Ste  Ménehout 
pour  vaisselment  dargent  que  on  vendit  à  la  monnoie  de  Bar  pour  X 
mars  dargent,  V  oaces  et  V  estelins,  c'est  à  savoir  en  II  grans  platels 
dargent,  VI  henaps  dargent  dont  li  II  estoient  dorés,  I  couvercle  a 
couppedorey,  IV  pies  à  henaps  d'argent,  II  cuillerettes  d'argent  et  la 
serrure  et  I  coutel  en  IIII  pièces  dargent,  et  mess  en  ont  une  courone 
et  un  petit  henap  dargent  lequel  il  donnât  à  pierrecevaul  de  Nepton- 
court  et  trois  courriettes  en  demeuroient  par  devers  le  receveur. 

Item  IIIe  lb.  tournois  de  Juys  de  la  comté  pour  le  cimetière. 

Sume  et  recepte  des  Juys  XVe  XXXIII  lb.  XVIII  s.  ;  doit-on  savoir 
quel  monoie. 

SENCIVES  DES  JUYS. 

Premiers  receu  G  s.  tournois  de  Amideu  et  Haquin  pour  lor  sen- 
cive  lan  de  xxn  commensant  en  may. 

Item  encor  G  s.  de  eulz  pour  lor  sencive  lan  de  xxm. 

Item  encor  G  s.  que  Amideu  prestet  à  mons.  et  délivrât  à  Jehan, 
clerc  de  la  cuisine  madame. 

Item  LX  s.  de  Amendent  et  Molin  pour  lor  sencive  à  la  S1  Remy 
lan  xxi. 

Encor  XXX  s.  dou  .dit  Molin  pour  sa  sencive  lan  de  xxn,  et  Amen- 
dens  sen  alat. 

Item  L  s.  de  Morei  Lalemant  pour  sa  sencive  à  la  Magdeleine  lan 
de  xxn. 

Item  XXX  s.  de  Jacob  serourge  Denix  pour  sa  sencive  en  may 
lan  xxn  ;  encor  XXX  s.  dou  dit  Jacob  pour  lan  de  xxm. 

Item  LX  de  Vivant  de  la  Haie  pour  sa  sencive  à  la  S1  Lorent  lan 

XXII. 

Item  LXXV  s.  de  Maistre  Haque  de  Grant  pour  marc  I  dargent 
pour  sa  sencive  à  la  Pentecouste  lan  de  xxn. 

Item  L  s.  de  Mosa  serourge  Morel  pour  sa  sencive  à  Pasques  lan 
de  xxn  ;  encor  L  s.  pour  sa  sencive  lan  de  xxm. 

Item  LX  s.  de  Lyon  freire  Leaul  pour  sa  sencive  au  jour  de  la 
Toussains  lan  de  xxn. 

Item  XL  s.  de  Jacob  de  Ghauny  pour  sa  sencive  à  Pasques  l'an  de 
xxn  ;  encor  XL  s.  pour  sa  sencive  à  Pasques  lan  de  xxm. 


DOCUMENT  SUR  LES  JUIFS  DU  BAKROIS  249 

Item  XXXV  s.  de  Vivant  Coheia  pour  sa  seucive  à  Pasques  lan 
xxii  ;  encor  XXXV  s.  pour  sa  sencive  laa  de  xxm. 

Item  IV  lib.  de  David  de  Chauny  pour  sa  sencive  en  may  lan  de 
xxii  ;  encore  IV  lib.  pour  lan  de  xxiij. 

Item  XX  s.  de  Vivion  pour  sa  sencive  lan  xxii  ;  encor  XX  s.  pour 
lan  de  xxm. 

Item  XX  s.  de  Sensonnet  pour  sa  sencive  à  la  Pentecouste  lan 
de  xxii. 

Item  XXX  s.  de  Habraham  Gohein  pour  sa  sencive  au  nouel,  lan 
de  xxii. 

Item  XL  s.  de   Sonnet  de  Mescrignes  pour  sa  sencive  en  may 
lan  xxii. 

Encor  XL  s.  pour  sa  sencive  lan  de  xxm. 

Item  XL  s.  de  Remon  de  Mescrignes  genre  Jacob  de  Troignon  pour 
sa  sencive  en  may  lan  xxii. 

Eucor  XL  s.  pour  sa  sencive  l'an  de  xxm. 

Item  LX  s.  de  Vivant  de  Bar  pour  sa  sencive  en  may  lan  de  xxii. 

Encor  LX  s.  pour  sa  sencive  lan  de  XXIII. 

Encor  XL  s.  lesquelz  il  prestet  à  mons.  pour  la  première  venue  des 
Roiaulz. 

Item  LX  s.  de  Josce  de  Troion  et  son  fil  pour  lor  sencive  en  may 
lan  de  xxii. 

Item  XX  s.  de  Helyet  de  Fou  pour  sa  sencive  lan  de  xxii. 

Item  XX  s.  pour  lan  de  xxm. 

Item  XX  s.  de  Haquin  de  Fou  pour  sa  sencive  l'an  de  xxii. 

Item  LX  s.  de  Moys  de  Revigney  pour  sa  sencive  lan  de  xxii. 

Encor  LX  s.  pour  sa  sencive  lan  de  xxm. 

Item  IIII  lb.  de  Lyon  de  Revigney  po»r  sa  sencive  lan  de  xxii. 

Encor  IIII  lb.  pour  sa  sencive  l'an  de  xxm. 

Item  X  lb.  queii  prestet  à  mons.  pour  la  venue  des  Roiaulz  à  Gler- 
mont. 

Encor  XVIII  lb.  dou  dit  Lyon  lesquelz  Jeh.  Micheles  at  délivrey  en 
vins  en  losteil  madame  pour  ce  quil  en  rachetait  les  gages  mons. 
Guy  d'Angleure  quil  estoit  en  gage  en  losteil  le  dit  Lyon. 

Item  XL  s.  de  dame  Belle  et  Haquin  son  freire  pour  lor  sencive  à  la 
Toussaint  lan  de  xxi. 

Item  XL  s.  de  Josce  de  Sermaise  pour  sa  sencive  lan  de  xxi. 

Item  XL  s.  de  Simon  juyf  demeurant  à  Revigney  pour  sa  sencive 
commensant  as  chandoiles  lan  de  xxi. 

Item  XX  s.  de  Josce  de  Goussanssuelles  pour  garde  de  quaresme 
prenant  lan  xxi  jusques  à  1  an. 

Item  XX  s.  de  lui  pour  sa  garde  dez  quaresme  prenant  lan  xxn 
jusques  à  1  an. 

Item  XX  s.  de  Vive  juyve,  par  Lyon. 

Item  XX  s.  de  Henay  juyve  pour  sa  sencive  lan  de  xxn. 

Item  XX  s.  de  Lyonnet  de   Fîmes  pour  trespasseir  par  la  terre 
monss. 


2S0  REVUE  DES  ETUDES  JUIVES 

Item  LX  s.  de  Salemin  et  Josson  pour  lor  première  sencive. 

Ttem  XX  s.  de  Lyonnet  de  Ghaalons  et  Doucine  sa  meire  pour  lor 
sencive  à  la  S1  Jehan  lan  xxn. 

Item  XX  s.  de  Benoiton  de  Ghauny  pour  sa  première  sencive  à  teil 
terme. 

Item  XX  s.  de  Denix  et  Lyonnet  pour  lor  première  sencive  lan 

XXJI. 

Item  XX  s.  de  Benoiton  marchant  de  Parix  pour  sa  première  sencive 
à  la  S*  Jehan  lan  xxn. 

Item  XX  s.  de  Jenisce  pour  sa  première  sencive  lan  xxn. 

Item  XL  s.  de  Haquinet  de  Rus  pour  sa  première  sencive  lan  xxn. 

Item  XX  s.  de  Jacob  freire  Judaz  de  Suzanne  pour  sa  première 
sencive  lan  xxn. 

Item  XXX  s.  de  Molin  de  S1  Mihiel  pour  sa  première  sencive  lan 
xxn. 

Item  XL  s.  de  Jacob  Gohoin  pour  sa  sencive  lan  xxn. 

Item  X  s.  de  Croissant  nevou  Croisant  de  Corbueilpour  conduit. 

Item  X  s.  de  Sonnet  de  Leheicourt  pour  conduit. 

Item  demi  mar  dargent  (XXXVII  sols  VI  deniers)  de  Mosce  de  Sens 
à  la  Magdeleine  lan  xxn. 

Item  XL  sols  de  Lyon  de  Baunes  pour  sa  sencive  dez  la  S1  Jehan 
lan  xxij  jusques  à  un  an. 

Item  XX  sols  de  Haquin  d'Arsiliares  pour  sa  sencive  à  la  Magde- 
leiune  lan  de  xxij. 

Item  X  sols  de  Haquin  messagier  pour  conduit. 

Item  XXV  s.  de  Evronim  à  teil  terme. 

Item  L  s.  de  Morel  de  Baunes  pour  sa  sencive  dèz  la  S'  Jeh.  lan 
xxn  jusques  à  1  an. 

Item  XXX  s.  de  Morel  de  Chaalons  pour  sa  sencive  par  teil  terme. 

Item  demi  mar  dargent  de  Merot  pour  sa  sencive  lan  xxn. 

Item  XL  s.  de  Bon  juyf  pour  sa  sencive  lan  de  xxn. 

Item  demi  marc  dargent  de  Helyet  et  Torine  pour  lor  sencive  lan 
de  xxn. 

Item  XX  s.  de  Royne  pour  sa  sencive  lan  de  xxn. 

Item  XXXVI  s.  III  deniers  en  XXX  gros  de  Huguet  de  Coule- 
miers  pour  sa  sencive  à  la  Magdeleine  lan  de  xxn. 

Item  XXV  s.  de  Salemin  et  son  soror  à  teil  terme. 

Item  XX  s.  de  Chière  famé  Denix  de  Chatel  Thierri  à  teil  terme. 

Item  XX  s.  de  Doucin  le  bouchier  à  teil  terme. 

Item  XX  s.  de  Saras  et  Rose  à  teil  terme. 

Item  demi  marc  dargent  de  Sonnet  à  teil  terme. 

Item  XXX  s.  de  Mosce  fil  Sansonnet  de  Leheicourt  à  la  Magdeleine 
lan  de  xxn. 

Item  L  s.  d'Elye  de  Vertus  et  Sansonnet  son  fil  à  la  S1  Remy  lan 
de  xxin. 

Item  XXX  s.  de  Buersatnée  et  Salemin  son  lil  jusques  à  la  Mag- 
deleine lan  xxn. 


DOCUMENT  SUR  LES  JUIFS  DU  BARK01S  2o1 

Item  XXX  s.  de  TTorion  la  boitouze  pour  sa  sencive  par  teil 
terme. 

Item  L  s.  de  Symon,  sa  meire,  sa  brus  et  sa  seuire,  demorans  à  un 
conduit  par  teil  terme. 

Item  LX  s.  de  Gaye  et  Saire  pour  garde  jusques  à  la  Toussaint  lan 

XXII. 

Item  XXX  s.  de  Jaquert  d'Épences  et  David  son  sorourge  par  teil 
terme. 

Item  XV  s.  de  Jacob  d'Arches  et  Jacob  son  serourge  pour  conduit 
au  dit  lan  xxn. 

Item  X  s.  en  VIII  gros  de  Croissant  genre  Lyotin  pour  conduit 
jusques  au  dit  jour. 

Item  LVII  s.  VI  d.  receus  de  i  juyf  qui  ce  combatit  à  un  juyf  de 
Leheicourt. 

Item  XL  s.  de  Perelz  de  Baumes  pour  sa  sencive  dèz  la  S1  Remy 
lan  xxn  jusques  à  i  an. 

Item  XII  s.  VI  d.  de  Juza  des  la  S1  Matheu  lan  xxn  jusques  à 
la  Pasques  enseuguant 

Item  XII  s.  VI  d.  de  Rose  de  Gorbueil  par  teil  terme. 

Item  VIII  s.  de  Belye  famé  Samuel  Blondel  par  teil  terme. 

Item  XII  s.  VI  d.  en  X  gros  de  Gosson  Milepas  par  teil  terme. 

Ilem  XX  s.  de  Menissée  de  Tbiaucourt  pour  sa  sencive  dez  la 
S1  Matheu  lan  xxn  jusques  à  i  an. 

Item  XX  s.  de  Samuel  pour  sa  sencive  dez  la  S1  Rémi  lan  de  xxn 
jusques  à  i  an. 

Item  XV  s.  de  Doucin  pour  sa  sencive  par  teil  terme. 

Item  XX  s.  de  Croissant  de  Hondeville  pour  sa  sencive  par  teil 
terme. 

Item  XV  s.  en  XII  gros  de  Raham  par  teil  terme. 

Item  X  s.  de  Morel  par  teil  terme. 

Item  XX  s.  en  XVI  gros  de  Haquin  de  Laye  pour  sa  sencive  par 
teil  terme. 

Item  XX  s.  de  Gentilz  par  teil  terme. 

Item  X  s.  de  Judas  de  S1  Mihiel  pour  i  sien  enfant  mort. 

Item  XX  s.  de  Deusaye  de  Ste  Menehoult  pour  sa  sencive  dez  lan 
neuf  lan  xxn  jusques  à  i  an. 

Item  XX  s.  de  Salomin  de  Retel  pour  sa  sencive  à  la  S1  Symon  et 
S1  Jude  lan  de  xxn. 

Item  XX  s.  de  i  juyf  paratre  Salomin  de  Gondrecourt. 

Item  XII  s.  VI  d.  de  Denis  de  Ste  Menehoult  pour  conduit  dez  Noeil 
lan  de  xxn  jusques  à  Pasques  enseugant. 

Item  VII  s.  VI  d.  de  Sare  et  sa  compaigne  demorans  chies  Lyon  à 
Revigney  pour  conduit  par  teil  terme. 

Item  X  s.  de  i  juyf  de  Bar  pour  un  enfant  mort. 

Item  X  s.  de  Haquin  de  Vitry  pour  conduit  dez  la  S1  Vincent  lan 
xxi  jusques  à  Pasques  lan  de  xxn. 

Item  X  s.  de  la  fille  Bonjuif  qui  fut  morte. 


252  BEVUE  DES  ETUDES  JUIVES 

Item  XXX  s.  de  Moyses  juyf  pour  sa  sencive  dez  les  bures  lan  de 
xxii  jusques  à  i  an. 

Item  XXX  s.  de  Haquin  de  Reins  par  teil  terme. 

Item  LX  s.  de  Dey  dou  sap  par  teil  terme. 

Item  L  s.  de  Vivant  de  Mondidier  par  teil  terme. 

Item  XXX  s.  de  Vivant  de  Doucy  par  teil  terme. 

Item  X  s.  de  Croissant  de  Troion  qui  adons  morut. 

Item  X  s.  de  Melyot. 

Item  X  s.  de  Deus  (fils)  de  Sonnet  de  Mescrignes. 

Item  LX  s.  de  Deulesault  de  Chasteltierri  pour  sa  sencive  par 
i  an. 

Encor  LXVIII  s.  doudit  Deulesault  pour  le  renouvelement  de  sa 
lettre. 

Item  XXX  s.  de  Mart  et  Bonne  par  teil  terme. 

Item  XXX  s.  de  Josep  de  Chaumont  par  teil  terme. 

Item  XX  s.  de  Benoit  fil  Deulegart  par  teil  terme. 

Item  XX  s.  de  Haquin  de  Feire  par  teil  terme. 

Item  XX  s.  de  Josep  le  prestre  par  teil  terme. 

Item  VII  s.  VI  d.  en  VI  gros  de  Joyye  de  cens  pour  conduit  jusques 
à  la  quinzeinne  de  Pasques. 

Item  X  s.  de  maistre  Deuaye  de  Troies  pour  conduit  par  teil  terme. 

Item  X  s.  de  Jacob  de  Pontoise  et  Josep  son  peire  pour  conduit 
par  teil  terme. 

Item  XV  s.  de  Samuel  de  Pontoise  pour  conduit  dez  le  lundi  devant 
la  S1  Pierre  jusques  à  Pentecouste. 

Item  XV  s.  de  Vivelin  de  Bar  pour  conduit  par  teil  terme. 

Item  X  s.  de  Gaye  et  Sairon  sa  serourge  pour  conduit  jusques  au 
mois  de  Pasques. 

Item  XXX  s.  de  Juda  d'Autreche  et  Moyses  son  nevou  pour  lor 
sencive  dez  le  mescredi  lendemain  de  feste  S1  Pierre  en  février  jusques 
à  i  an. 

Item  XX  s.  de  Croissant  Levesque  par  teil  terme. 

Item  XX  s.  de  Mosse  de  Mante  par  teil  terme. 

Item  XX  s.  de  Mosse  serourge  Jacob  de  Troignon  par  teil  terme. 

Item  X  s.  de  Gentil  de  Vertus  pour  conduit  dez  ledit  mescredi 
jusques  à  la  quinzeinne  de  Pasques. 

Item  X  s.  de  Bienvenue  pour  sa  sencive  dez  le  joedi  jour  de  feste 
S1  Mathie  lan  xxn  jusques  à  i  an. 

Item  X  s.  de  Menissie  et  Bienvenue  sa  dame  dèz  le  lendemain  de  la 
dicte  feste  S1  Mathie  jusques  à  i  an. 

Item  XXX  s.  de  Mosse  de  Colomiers  pour  sa  sencive. dez  le  mardi 
devant  mi  quaresme  lan  xxn  jusques  à  i  an. 

Item  XX  s.  de  Bienliveigne  de  Passeavant  pour  sa  sencive  par 
teil  terme. 

Item  XX  s.  de  Judaz  de  Colomiers  pour  sa  sencive  par  teil  terme. 

Item  XX  s.  de  Josse  nevou  Mosse  de  Colomiers  pour  sa  sencive 
par  teil  terme. 


DOCUMENT  SUK  LES  JUIFS  DU  BARROIS  253 

Item  XXX  s.  de  Ilabraham  de  Prouvins  pour  sa  sencive  dez  le 
mardi  après  mi  quaresme  lan  de  xxn  jusques  à  i  an. 

tem  XL  s.  de  Mordchay  et  son  aprentis  par  teil  terme. 

tem  XL  s.  de  Molin  de  Prouvins  pour  sa  sencive  par  teil  terme. 

tem  XL  s.  de  Haquin  de  Prouvins  pour  sa  sencive  par  teil  terme. 

tem  L.  s.  de  Merot  de  Trainel  par  teil  terme. 

tem  XXX  s.  de  Samuel  de  Coulons  par  teil  terme. 

tem  XXX  s.  de  Samuel  Courtoix  de  Prouvins  par  teil  terme. 

tem  XL  s.  de  Jehie  Courtois  et  son  fil  par  teil  terme. 

tem  XXX  s.  de  Habraham  de  Nangis  par  teil  terme. 

tem  XXX  s.  de  Samuel  de  Villenesse  par  teil  terme. 

tem  XXX  s.  de  Jacob  de  Coulemiers  et  son  genre  par  teil  terme. 

tem  XXX  s.  de  Sencinet  de  Bray  par  teil  terme. 

tem  XXX  s.  de  Vivelet  de  Nogent  par  teil  terme. 

tem  XXV  s.  de  Cretinet  de  Vesou  par  teil  terme. 

tem  XXX  s.  de  David  le  mire  et  Molin  et  son  compaingnon  par  teil 
terme. 

tem  XXX  s.  de  Bonnevie  de  Bray  par  teil  terme. 

tem  XL  s.  de  Samuel  Le  Cloc  ces  ij  genres  et  son  clerc  par  teil 
terme. 

tem  XXX  s.  de  Samuel  et  Sanourey  bouchiers  par  teil  terme. 

tem  XXX  s.  de  David  de  Dompierre  par  teil  terme. 

tem  XXX  s.  de  Belieste  de  Vesou  pour  sa  sencive  dez  le  mescredi 
après  mi  quaresme  lan  de  xxn  jusques  à  i  an. 

tem  XX  s.  de  Bon  Enfant  dez  le  joedi  après  Pasques  jusques  à  i  an. 

tem  XX  s.  de  Joyye  Contesse  et  Charité  par  teil  terme. 

tem  XX  s.  de  Bonne  de  Prouvins  et  Nurieste  sa  suer  par  teil 
terme. 

tem  XX  s.  de  Curamin  le  bouchier  par  teil  terme. 

tem  XX  s.  de  Sensson  la  Vaute  par  teil  terme. 

tem  XX  s.  de  David  de  Chauloy  par  teil  terme. 

tem  XL  s.  de  Bonne  Vie  de  Troies  et  Domim  son  fil  par  teil  terme. 

tem  XXX  s.  de  Mosse  d'Avalon  dez  le  venredi  après  mi  quaresme 
lan  de  xxn  jusques  à  i  an. 

tem  XX  s.  de  Croissant  le  clerc  de  Miaulz  par  teil  terme. 

tem  XX  s.  de  Bonne  Vie  de  Troies  par  teil  terme. 

tem  XX  s.  de  Habraham  le  Mire  par  teil  terme. 

tem  XX  s.  de  Doucin  et  Ghastelainne  sa  suer  par  teil  terme. 

tem  XX  s.  de  Benien  et  Rose  suer  sa  famé  par  teil  terme. 

tem  XX  s.  de  Hagum  d'Alemaingne  par  teil  terme. 

tem  XX  s.  de  Denix  de  Villemar  par  teil  terme. 

tem  X  s.  dou  fil  Samuel  bouchier  mort  à  Revigney. 

tem  XL  s.  de  Jacob  de  Coulemiers  pour  sa  sencive  dez  Pasques 
llories  lan  xxn  jusques  à  i  an. 

tem  XL  s.  de  Sena  freire  Lyon  par  teil  terme. 

tem  XX  s.  de  Denix  freire  Lyon  par  teil  terme. 

tem  XX  s.  de  Haquin  de  La  Neuveville  au  pont  par  teil  terme. 


254  REVUE  DES  ETUDES  JUIVES 

Item  XX  s.  de  la  famé  Bonne  Vie  de  Troies  qui  fut  morte. 

Item  L  s.  des  enfans  Salemin  de  Gondrecourt  pour  lor  sencivc  à 
la  S1  Rémi  lan  de  xxij. 

Item  LVII  s.  VI  d.  de  Olenoise  famé  Vincent  de  la  Cerne  pour 
conduit. 

Item  XX  s.  de  Lyon  genre  Salomin  de  Gondrecourt  pour  sa  sen- 
cive  dez  Pasques  flories  lan  xxn  jusques  à  i  an. 

Item  XX  s.  de  Terine  de  Troies  et  Haquinet  son  genre  par  teil 
terme. 

Item  XXX  s.  de  Senior  et  Josson  son  genre  par  teil  terme. 

Item  XX  s.  de  Vivant  de  Gompieingne  dez  le  mescredi  devant 
Pasques  flories  le  dit  an  de  xxn  jusques  à  i  an. 

Item  XXX  s.  de  Meniessie  de  S1  Florentin  pour  sa  sencive  com- 
mençant à  Pasques  lan  de  xxin. 

Item  XXX  s.  de  Benoit  Pastoure  pour  sa  sencive  par  teil  terme. 

Item  XXX  s.  de  Gopin  de  la  Haye  par  teil  terme. 

Item  LX  s.  de  maistre  Jacob  d'Arches  par  teil  terme. 

Item  XL  de  Lyon  son  fil  par  teil  terme. 

Item  LX  s.  de  Jossé  de  Vernon  et  Lyonnet  son  fil  par  teil  terme. 

Item  XL  s.  de  Croissant  genre  maistre  Jacob  d'Arches  par  teii 
terine. 

Item  LX  s.  de  i  juys  de  Ghaalons  qui  se  combatit  à  i  aultre  juys 
pour  amende  et  doit  demorer  de  sous  monsr  de  Pasques,  lan  xxjii 
jusques  à  i  an. 

Item  L  s.  de  Mosce  pour  sa  sencive  de  Pasques  lan  de  xxin. 

Item  XX  s.  delà  famé  Judaz  morte. 

Item  XX  s.  de  Gehie  d'Aubenaille  pour  sa  sencive  dez  le  grant 
joedi  lan  de  xxn  jusques  à  i  an. 

Item  XX  s.  de  Merot  mort. 

Item  XXX  s.  de  Bonjuyf  fil  Bon  juyf  de  Troyes  pour  sa  sencive 
dez  la  tierce  feste  de  Pasques  lan  de  xxij  jusques  à  i  an. 

Item  XX  s.  de  Moraul  de  S1  Marc  freire  Vivant  de  Bar  pour  sa 
sencive  dez  le  mescredi  après  Pasques  lan  de  xxiij  jusques  à  i  an. 

Item  XX  s.  de  Miriam  de  Vitry  et  Guietle  sa  fille  pour  sa  sencive 
par  teil  terme. 

Item  XX  s.  de  Salemin  Coquert  pour  sa  sencive  pour  i  ancommen- 
sant  lendemain  de  Quasimodo. 

Item  X  s.  de  Lyon  le  preste  par  teil  terme. 

Item  XX  s.  de  Josce  genre  Jacob  de  Pontiz  et  son  serourge  par 
^teil  terme. 

Item  XL  s.  de  Hagin  Blondel  pour  sa  sencive  dez  environ  la 
S1  Rémi  lan  xxn  jusques  à  i  an. 

Item  XL  s.  de  Sanourey  de  Vesou  pour  sa  sencive  dez  le  mardi 
après  la  quinzeinne  de  Pasques  jusques  à  i  an. 
Item  XL  s.  de  Lyon  de  Fîmes  par  teil  terme. 

Item  XL  s.  de  Denix  de  S*  George  par  teil  terme. 

Item  XXX  s.  de  Jacob  freire  la  famé  Denix  pour  sa  sencive  pour 


DOCUMENT  SUR  LES  JUIFS  DU  BARROIS  25S 

i  an  commensant  le  jour  de  la  translation  Si  Nieholaïs  lan  de  xxin. 

Item  XX  s.  de  Ilaquin  cusin  Nascem  de  Fou  pour  sa  sencive  par 
i  an  commensant  le  jour  de  la  S1  Jaque  et  S1  Phelippe  may  entrant 
lande  xxiii. 

Item  XL  s.  de  Benion  filiatre  Sonnet  et  Baru  d'Orliens  pour  lor 
sencive  par  teil  terme. 

Item  XX  s.  de  Royne  d'Orliens  Haquin  son  nevou,  Habraham  Lein- 
gloix,  Samuel  Leingloix  et  Benoit  Cohein  pour  conduit  dez  le  mes- 
credi  après  la  quiuzeinne  de  Pasques  lan  de  xxiii  jusques  à  la  Mag- 
deleinne. 

Item  X  s.  de  i  enfant  Molin  de  S1  Mihiel  mort. 

Item  XXX  s.  de  Judaz  de  Provins,  Denix  de  la  Fertey  et  Hagin  de 
Baumes  pour  lor  sencive  par  i  an  commensant  le  dimenge  jour  des 
m  semaines  de  Pasques  lan  de  xxiii. 

Item  XX  s.  de  Morel  de  Chauny  pour  sa  sencive  commensant  le 
jour  de  la  S'  Jaque  et  S1  Phelippe  may  entrant  lan  de  xxiii. 

Item  XX  s.  de  Perels  genre  Nascem  pour  sa  sencive  par  teil  terme. 

Item  XL  s.  de  Flor  de  Lix,  de  Bienvenue  et  de  sa  suer  pour  lor 
sencive  dez  le  mardi  devant  la  S' George  jusque  a  i  au. 

Item  XX  s.  de  Cochet  de  Montoix  pour  sa  sencive  dez  le  mescredi 
devant  la  dite  S1  George  lan  de  xxiii  jusques  à  i  an. 

Item  XXV  s.  de  Jacob  de  Biaulquene  et  de  Buerfumée  sa  suer  par 
teil  terme. 

Item  XV  s.  de  Mosse  de  Ghonny  par  teil  terme. 

Item  XX  s.  de  Habraham  Raphaël  et  Vivant  son  compaignon  par 
teil  terme. 

Item  L  de  Vivant  de  Verbire  et  la  merie  sa  famé  pour  lor  sencive 
dez  le  venredi  devant  la  dite  S1  George  jusques  à  i  au. 

Item  XL  s.  de  Lyon  freire  le  dit  Vivant  par  teil  terme. 

Item  XXX  s.  de  Mosse  de  Nuilley  serourge  le  dit  vivant  par  teil 
terme. 

Item  XX  s.  de  Jacob  Cohein  mort. 

Item  XX  s.  de  Char  de  Ribaut  mort. 

Item  C  s.  de  Rubi  Lyon  de  Corbueil  pour  sa  sencive  à  la  S1  Jehan 
lan  de  xxn  et  en  at  lettres  de  monsr. 

Item  C  s.  de  Vivant  de  Chastel  Thieri  pour  sa  sencive  à  teil 
terme. 

Item  XX  lb.  de  Helyet  de  Gousansuelles  pour  les  sencives  de  mi 
juys  au  dit  terme  et  en  ont  lettres  de  monsr. 

Item  demy  marc  dargent  (XXXVII  s.  V  d.)  de  Josse  Batheleir  à  teil 
terme. 

Item  C  s.  de  Dey  dou  sap.  seurre  Nascem  de  Fou  pour  sa  sencive 
pour  teil  terme. 

Item  IX  s.  VIII  d.  tournois  vies  de  Belenson  juyve  qui  sen  alat 
par  escort  fait  à  li  par  maistre  Jaque  de  S  Mihiel. 

Item  XX  s.  adons  de  Lyon  de  Sethenay  par  Jaquet  clerc  jurey  de 
S'  Mihiel. 


236  REVUE  DES  ETUDES  JUIVES 

Item  viij  s.  iij  den.  tournois  de  Benoiton  par  ledit  Jaquet. 
Relevé  summe  de juys  IIIIC  XIIII  1b.  XX  d. 


SUMME  TOUTE  DE  REGEPTE  DE  DENIERS  XIXM  LXIX  LB. 
XIII  S.  IX  D. 


Item  receu  GII  lb.  VI  s.  VIII  d.  de  Jehan  de  S1  Mihiel  jadiz  rece- 
veur en  CI  florins  de  Florence  pour  XVI  s.  VIII  deniers  la  pièce,  en 
XVI  florins  à  laigoel  pour  XIX  s.  II  deniers  la  pièce,  en  i  dur  florin 
pour  XXIX  s.  II  d.  et  en  XXII  gros  pour  XV  d.  la  pièce,  liqueil 
deniers  furent  priz  suz  les  Juys  de  Leheycourt  quan  on  fit  l'inven- 
toire  des  biens  des  juys  de  la  comtei  de  Bar. 

EncorIXxxXVI  lb.  XIIII  s.  receuz  de  Jaquet  Massart  en  petiz 
florins  pour  XVI  s.  VIII  deniers  la  pièce,  liqueil  deniers  furent 
prix  en  l'inventoire  des  juys  de  Bar,  de  Gondei,  de  Savonnieres  ne 
Pertoix  et  de  Longeaue. 

Et  doivent  valoir  en  n  parties  IIIe  lb.  dont  il  fault  XIX  s.  IIII  d. 
et  ne  sais  le  receveur  comme  il  les  at  receuz. 

Gommandei  à  reporter  la  certaineté  aus  comptes  et  de  cui  ce  fut 
et  combien  ;  ciz  comptes  des  juis  nest  mies  acceptez,  jusques  atant 
quon  en  at  parlei  à  nions1'. 

Ensi  summe  toute  de  recepte  de  deniers  XIXM  IIIe  LXIX  lb.  XIII 
s.  IX  d. 

Require  encor  altre  recepte  de  deniers  retroversus,  fines  qui  monte 
à  VM  1111e  XXXIII  lb.  XI  s.  IX  deniers. 


Tableau  alphabétique  des  noms  géographiques  qui  se 
trouvent  dans  le  manuscrit1. 


Arches  :  Arches-sur-Moselle  ;  ancien  département  de  la  Moselle. 

Aubenaille. 

Avalon  :  Avallon,  sous-préfecture,  Yonne. 

Alemaingne  :  Allemagne. 

Arsiliares  :  Arzillières,  Marne. 

Autriche. 

Bar  :  Bar-le-Duc,  Meuse. 

Baune,  Beaune,  Côte-d'Or. 

Biaulquène  :  Beaucaire. 

Bray,  arr.  Provins,  Seine-et-Marne. 

1  Nous  reproduisons  sans  explication  les  noms  que  nous  n'avons  pas  pu  identifier. 


DOCUMENT  SUU  LUS  JUIFS  DU  BARROIS  237 

Chaalons  :  Châlons-sur-Marne,  Marne. 

Ghamiy  :  Ghamoy,  Aube  ;  ou  Ghamigny,  Seine-et-Marne. 

Gharny,  Meuse,  arr.  de  Verdun,  canton  de  Gharny. 

Ghastel-Tieri  :  Château-Thierry,  Aisne. 

Chauloy  :  Choloy,  Meurthe-et-Moselle,  canton  de  Toul. 

Ghaumont  :  Chaumont,  Haute-Marne;  ou  Ghaumont,  Meuse. 

Ghauny,  arr.  Laon,  Aisne. 

Ghonny  :  Chauny. 

Gens  :  Sens,  Yonne. 

Glermont  :  Clermont  en  Argonne,  Meuse. 

Compiègne  :  Gompiègne,  Oise. 

Colomiers,  Colmiers,  Goloms,   Coulons  :    Goulommiers,   Seine-et- 
Marne. 

Condei  :  Gondé,  arr.  Bar-le-Duc,  Meuse. 

Gorbueil  :  Corbeil,  Seine-et-Marne. 

Goussanssueles  :  Cousancelles,  arr.  Bar-le-Duc,  Meuse. 

Dompierre  :  Dampierre,  arr.    Arcis-sur-Aube,  canton    Ramerupt, 
Aube. 

Doucy  :    Doucey,    Marne,    arr.    de   Vitry  ,   canton  d'Heiltz  -  le - 
Maurupt. 

Épences  :  Épanse,  Marne,    arr.   de  Sainte-Ménehould,  canton    de 
Dommartin-sur-Yèvre. 

La  Feire  :  La  Fère  champenoise,  Marne. 

La  Fertey  :  La  Ferté-sous-Jouarre,  Aisne. 

Fimes  :  Fismes,  arr.  Reims,  Marne. 

Fou  :  Foug,  arr.  de  Toul,  Meurthe-et-Moselle. 

Gran  :  Grand,  arr.  Neufchâteau,  Vosges. 

Gondreeourt  :  arr.  Gommercy,  Meuse. 

Hondeville  :  Hadonville  ou  Haudainville,  Meuse. 

Ileudicourt  :  arr.  Gommercy,  Meuse. 

La  Cerne. 

La  Haie  :  peut-être  Halles,  Meuse. 

La  Haye  :  Lahaye,  arr.  Bar-le-Duc. 

Laye  :  Laye-Saint-Remy,  Meurthe-et-Moselle. 

Leheicourt  :  Laheycourt,  arr.  Bar-le-Duc,  Meuse. 

Longeau  :  arr.  Bar-le-Duc,  canton  de  Ligny,  Meuse. 

Mescrignes  :  Mécrin,  arr.  Gommercy. 

Mante  :  Mantes,  Seine-et-Oise. 

Moudidier  :  Montdidier,  Somme. 

Miaulz  :  Meaux,  Seine-et-Marne. 

Montoix  :  Montoie,  petit  pays  de  l'ancienne  France  entre  Provins 
et  Bray. 

Mulley. 

Naugis,  Seine-et-Marne. 

Neptoncourt  :  Nettancourt,  arr.  Bar-le-Duc,  Meuse. 

Nogent  :  Nogent-sur-Seine,  Aube  ;  ou  Nogent,  canton  Ramerupt, 
arr.  Arcis-sur-Aube,  Aube. 

T.  XIX,  n°  38.  17 


258  REVUE  DES  ETUDES  JUIVES 

La  Neuveville-au-Pont  :  Neuville-au-Pont,  Haute-Marne. 

Nuilley  :  Neuilly,  dans  l'Yonne  ? 

Orliens  :  Orléans,  Loiret. 

Paris. 

Passeavant  :  Passavant,  Marne,  arr.  et  cant.  de  Sainte-Ménehould. 

Pontiz. 

Pontoise  :  Pontoise,  Seine-et-Oise. 

Pouliz  :  Pouilly,  Meuse,  arr.  de  Montmédy,  canton  de  Stenay. 

Prie  :  peut-être  Pretz,  arr.  Bar-le-Duc,  Meuse. 

Prouvins  :  Provins,  Seine-et-Marne. 

Reins  :  Reims,  Marne. 

Retel  ;  Réthel,  Ardennes. 

Revigney  :  Revigny,  arr.  Bar-le-Duc,  Meuse. 

Ribaut. 

Rus  :  Rupt-aux-Nonnains,  arr.  Bar-le-Duc,  Meuse. 

Savoniers  :  Savonnières  en  Pertois,  arr.  Bar-le-Duc,  Meuse. 

Selenson  :  Selens,  Aisne  ? 

Sermaise  :  Sermaize,  arr.  Vitry-le-François,  Marne. 

Stenay,  arr.  Montmédy,  Meuse. 

St-Florentin  :  St-Florentin,  Yonne,  arr.  d'Auxerre,  canton  de  St- 
Florentin. 

St-Georges  :  St-Georges,  Yonne,  arr.  et  canton  d'Auxerre. 

St-Marc  :  St-Marc-sur-Seine,  Côte-d'Or,  arr.  de  Châtiilon-sur-Seine, 
canton  de  Baigneux-les-Juifs. 

St-Mihel  :  St-Mihiel,  arr.  Gommercy,  Meuse. 

Sens,  Yonne. 

Sethenay  :  Stenay,  Meuse. 

Suzanne  :  Sézanne,  arr.  Épernay,  Marne. 

Thiaucourt,  arr.  Pont-à-Mousson,  Meurthe-et-Moselle. 

Trainel,  arr.  Nogent-sur-Seine,  Aube. 

Troie,  Troies  :  Troyes,  Aube. 

Troignon  :  aujourd'hui  Heudicourt,  arr.  de  Gommercy,  Meuse. 

Troion  :  Troyon,  arr.  Gommercy,  Meuse. 

Verviers:  Verbire,  province  de  Liège,  Belgique. 

Vernon,  Eure. 

Vertus,  arr.  Épernay,  Marne. 

Vesou  :  Vesoul,  Haute-Saône  (V). 

Villemard  :  Villemerron  (?)  :  Aube,  arr.  de  Troyes,  canton  d'Aix-en- 
Othe. 

Villenesse,  Aube,  aujourd'hui  disparu. 

Vitry,  Marne. 


DOCUMENTS  INEDITS 

SUR 

LES  JUIFS  DE  MONTPELLIER 

AU  MOYEN  AGE 


La  communauté  israélite  de  Montpellier  était,  au  moyen  âge, 
une  des  plus  importantes  du  Languedoc.  Son  premier  établisse- 
ment remonte  à  la  seconde  moitié  du  xie  siècle  de  l'ère  chré- 
tienne. C'est,  du  moins,  ce  qui  paraît  résulter  du  testament  de 
Guillem  V,  daté  de  l'année  1121.  Le  seigneur  de  Montpellier  y 
défend  à  ses  héritiers  d'instituer  dans  son  domaine  des  bailes 
juifs1.  Or,  l'on  sait  qu'à  Montpellier  ces  fonctions  étaient  élec- 
tives. Il  fallait  donc  que  les  Juifs  fussent  établis  dans  cette  ville 
depuis  un  certain  nombre  d'années,  et  arrivés  à  une  situation 
assez  considérable,  pour  que  Guillem  V  se  fût  cru  obligé  de  leur 
interdire  l'accès  d'un  des  postes  importants  de  l'administration 
publique. 

Nous  avons  eu  la  bonne  fortune  de  découvrir  aux  archives 
municipales  de  la  ville  de  Montpellier,  quelques  documents  rela- 
tifs aux  Juifs  de  cette  ville.  Nous  publions  ici  ces  documents  en 
les  faisant  précéder  d'une  analyse  explicative. 

Document  n°  I. 
Au  commencement  du  xme  siècle,  le  midi  de  la  France  était 

1  Dom  Vaissète,  Histoire  générale  du  Languedoc,  t.  II,  preuves  416.  —  La  même 
prohibition  est  reproduite  dans  les  testaments  de  Guillem  VI,  en  1148,  de  Guillem 
Vil,  en  1172,  et  de  Guillem  VIII,  en  1202.  —  Guillem  VIII  cependant,  tout  en 
excluant,  à  l'exemple  de  ses  prédécesseurs,  les  Juifs  de  la  bailie,  se  servait  d'eux 
comme  percepteurs  et  receveurs  des  impôts.  C'est  au  Juif  Saltel  que  cette  fonction  est 
confiée  en  1201  [Mémorial  des  Nobïes,  fol.,  107).  —  Le  même  Saltel  ligure  au 
nombre  des  témoins  instrumentaires  dans  une  quittance  de  1197  dont  nous  parlerons 
plus  loin. 


260  REVUE  DES  ETUDES  JUIVES 

profondément  troublé  par  la  guerre  des  Albigeois.  Dans  la  croi- 
sade conduite  par  Simon  de  Mont  fort,  contre  les  hérétiques,  les 
Juifs  ne  furent  pas  toujours  épargnés.  Lorsque  les  troupes  de 
Simon  de  Montfort  entrèrent  dans  Béziers,  deux  cents  Juifs 
furent  passés  au  fil  de  l'épée  et  beaucoup  d'autres  jetés  en  prison. 
L'histoire,  heureusement,  ne  relève  aucun  fait  de  ce  genre  à 
Montpellier.  Les  Consuls  de  la  ville,  jaloux  des  libertés  et  des 
privilèges  de  leur  commune,  firent  de  grands  efforts  pour  empê- 
cher Simon  de  Montfort  de  pénétrer  dans  leur  cité,  ils  résolurent 
d'en  faire  garder  jour  et  nuit  les  remparts.  Notre  document1  nous 
fait  assister  au  curieux  démêlé  qui  éclata,  à  cette  occasion,  entre 
les  Consuls  et  les  représentants  de  la  communauté  israélite2.  Non 
contents  de  soumettre  les  Juifs  à  une  taxe  exorbitante,  les  Consuls 
exigeaient  encore  qu'ils  fournissent,  tant  pour  la  garde  que  pour 
la  défense  de  la  ville  e  omnes  quadrillos  »,  toutes  les  flèches 
dont  on  pourrait  avoir  besoin  pendant  la  durée  du  siège  de  Mont- 
pellier ou  des  châteaux  de  Castelnau  et  de  Lattes.  Invoquant,  en 
outre,  un  engagement  que  les  Juifs  auraient  autrefois  pris  envers 
les  seigneurs  de  Montpellier,  ils  leur  demandaient  de  livrer  toutes 
les  flèches  nécessaires  à  l'armée  que  l'on  pourrait  un  jour  se  voir 
dans  l'obligation  de  former.  Les  Juifs  protestèrent  vivement  contre 
une  imposition  aussi  lourde,  et  prétendirent  n'être  tenus  qu'à  une 
taxe  bien  inférieure  (deux  saumates  de  fer3  «  duas  saumatas  ferri 
ad  opus  quadrillorum  »),  et  cela  seulement  dans  le  cas  où  l'ennemi 
viendrait  à  mettre  le  siège  pendant  deux  ou  trois  jours  devant 
Montpellier  ou  ses  châteaux  forts;  ils  ajoutèrent  que,  si  jamais 
eux  ou  leurs  prédécesseurs  avaient  consenti  à  la  fourniture  d'une 
aussi  grande  quantité  de  flèches,  ce  n'était  point  en  vertu  d'un 
droit  ou  d'un  engagement  pris,  mais  uniquement  par  crainte  ou  à 
la  suite  d'un  acte  de  violence.  L'enquête  faite  par  les  Consuls  con- 
firma en  tous  points  l'assertion  des  Juifs.  Désirant  cependant 
éviter  à  l'avenir,  dans  l'intérêt  bien  entendu  de  leur  ville,  toute 
nouvelle  discussion,  les  Consuls  conclurent  avec  les  Juifs  le  traité 
suivant4  : 

4°  Si  une  armée  se  présente  devant  Montpellier  ou  les  châteaux 

1  Pièces  justificatives,  n°  4. 

2  Le  document  que  nous  publions  donne  leurs  noms,  à  côté  de  ceux  des  consuls,  au 
commencement  et  à  la  lin  de  la  pièce  :  Bonisach,  Bonet,  fils  d'Abram,  Jusce  de  Lunel, 
David,  fils  de  Guersom,  Mossé,  fils  de  Mairon,  Bonjusce  du  Gastel  et  Vivas,  fils  de 
Jacob. 

3  Une  saumate  équivaut  à  une  charge  d'un  âne  ou  d'un  mulet. 

4  Ce  traité  entre  les  Juifs  de  Montpellier  et  les  Consuls  de  cette  ville  fut  renouvelé, 
au  mois  de  janvier  4373,  par  Estienne  de  Clapiers,  baile  de  Montpellier  pour  le  roi  de 
Navarre  (Arch.  mun.,  Cass.  de  Louvet,  D.  XX). 


DOCUMENTS  INEDITS  SUR  LES  JUIFS  DE  MONTPELLIER  261 

de  Castelnau  et  de  Lattes  et  y  campe  pendant  plus  de  deux  jours,  les 
Juifs  fourniront,  dès  la  première  heure  du  troisième  jour,  tant  pour 
la  garde  que  pour  la  défense  de  la  ville,  vingt  mille  flèches  «  viginti 
milia  quadrillorum  balistarum  »  de  «  croc  »  qu'ils  tiendront,  d'ailleurs, 
toujours  prêtes. 

2°  Si  la  dite  armée,  après  la  livraison  par  les  Juifs  de  ces  flèches, 
lève  le  siège  de  Montpellier  ou  de  ses  châteaux,  mais  revient  de- 
vant ces  lieux  dans  les  trois  mois,  comptés  à  partir  du  jour  de  sa 
retraite,  les  Juifs  ne  seront  pas  tenus  de  fournir  vingt  mille  autres 
tlèches. 

3°  Mais,  si  la  dite  armée  revient  après  les  trois  mois,  comptés  à 
partir  du  jour  de  son  retour,  une  nouvelle  imposition  de  vingt  mille 
flèches  sera  réclamée  des  Juifs. 

4°  Si  une  autre  armée,  après  la  retraite  de  la  première,  vient  assiéger 
Montpellier  ou  ses  châteaux  et  campe  autour  de  leurs  murs  pendant 
deux  jours,  pareille  quantité  de  tlèches  sera  exigée  des  Juifs. 

5°  Les  Juifs  sont  dispensés,  eux  et  tous  leurs  successeurs,  de  toutes 
les  autres  taxes  auxquelles  les  Consuls  voulaient  les  soumettre. 


Documents  nos  II-IV. 

Il  est  inutile  de  dire  que  les  Juifs  de  Montpellier  et  de  la  région 
subirent  les  vexations  qui  étaient  le  pain  quotidien  des  Juifs  au 
moyen  âge.  En  1252,  le  roi  Jayme  Ier  intervint  en  leur  faveur  et 
enjoignit  à  son  intendant,  G.  de  Rochefeuille,  au  baile,  R.  de 
Conques  et  aux  Consuls  de  ne  plus  tolérer,  à  l'avenir,  qu'ils 
fussent  molestés  d'aucune  façon  *. 

«  Quoique  les  Juifs  soient  sous  le  joug  de  la  servitude  dans 
»  presque  toutes  les  terres  des  princes  chrétiens,  dit  le  roi  d'Ara- 
»  gon  et  de  Majorque  dans  sa  charte  d'amnistie  du  10  décembre 
»  1258,  il  ne  convient  pourtant  pas  de  les  humilier,  de  leur  faire 
»  subir  de  mauvais  traitements  ni  de  leur  causer  aucun  préjudice 
»  dans  notre  juridiction2,   * 

Le  Concile  de  Montpellier,  de  1258,  déclara  qu'à  l'avenir  nul 
contrat  fait  par  un  Juif  ne  serait  reconnu  valable  qu'autant  que 
ce  dernier  n'eût,  à  l'avance,  prêté  serment  sur  la  Loi  de  Moïse 
«  sacra  lege  mosaïca  ».  Le  Concile  stipula,  en  outre,  qu'il  suffirait 
à  un  chrétien  de  jurer  qu'il  y  a  usure  pour  qu'il  fût  aussitôt  dé- 

1  Archives  municipales  de  Montp.,  Grand  Thalamus,  fol.,  44  v°. 

2 Quia  vero  Judei  1ère  in  terris  omnibus  Christianorum  principuru  subjacent 

servituti nos  consulibus  hnjus  ville,  présentions  et  futur is,  tirmiter  precipimus 

quod  judeis  hic  morantibus,  vel  in  posterum  moraturis,  nullam  exactionera  seu  de- 
mandam  l'aciant,  in  jurisdictionis  nosiro  prejudicium  seu  honoris  (Arch.  rnun.. 
Grand  Charlrier,  Arm.  A,  Cass.  IV,  n°  7  quater,  et  Graud  Thalamus,  fol.,  47  v°). 


262  REVUE  DES  ETUDES  JUIVES 

chargé  de  sa  dette1.  Jayme  Ier  lui-même,  dont  les  sentiments 
bienveillants  envers  les  Juifs  s'étaient  maintes  fois  manifestés, 
céda,  au  mois"  d'avril  1259,  aux  plaintes  qui  s'élevaient  contre  eux 
de  la  part  de  débiteurs  ruinés  ou  de  mauvaise  foi,  et  consacra  la 
mesure  édictée  par  le  Concile.  Il  ordonna,  en  conséquence, 
qu'avant  de  faire  un  contrat,  les  Juifs  fussent  tenus  de  jurer  sur 
la  Loi  de  Moïse,  comme  les  chrétiens  sur  les  Evangiles,  qu'ils  ne 
se  sont  livrés  à  aucune  fraude  ni  usure.  Défense  fut  également 
faite  aux  notaires  de  recevoir  aucun  contrat  usuraire  *. 

Forts  du  décret  de  ce  Concile,  les  Consuls  de  Montpellier  élabo- 
rèrent un  règlement  par  lequel  ils  défendirent  aux  Juifs  de  prêter 
aucune  somme  à  intérêt,  par  écrit  ou  autrement,  à  tout  chrétien 
âgé  de  moins  de  vingt-cinq  ans,  à  l'insu  et  sans  l'exprès  consen- 
tement de  ses  parents,  et  annulèrent  tout  contrat  fait  contraire- 
ment à  cette  défense  3. 

Les  Consuls  dès  lors  donnèrent  libre  carrière  à  leur  antipathie 
contre  les  Juifs.  Les  plaintes  les  plus  mensongères  leur  servirent 
de  prétexte  pour  sévir  contre  eux  et  les  poursuivre  avec  la  der- 
nière rigueur.  Jayme  Ier  remédia  à  cet  abus  et,  dans  une  ordon- 
nance du  1er  février  1266-67 4,  datée  de  Montpellier,  régla  comme 
suit  la  procédure  contre  les  Juifs  : 

!"  Avant  le  prononcé  d'un  jugement  contre  un  Juif,  le  baile  lui 
accordera  un  délai  de  quatre  jours  pendant  lequel  il  pourra,  s'il  le 
juge  à  propos,  se  concerter  avec  des  hommes  versés  dans  la  science 
du  droit.  Le  baile,  assisté  de  deux  jurisconsultes  expérimentés,  ne 
pourra  infliger  la  question  ni  rendre  l'arrêt  qu'après  avoir  pris  con- 
naissance des  arguments  allégués  pour  sa  défense  par  le  Juif  et  par 
son  avocat.  Toute  information  faite  contre  un  Juif  par  toute  autre 
personne  que  le  baile  sera  de  nul  effet. 

2°  Nulle  information,  non  précédée  d'une  accusation  ou  d'une 
dénonciation,  dont  l'auteur  aura  son  nom  inscrit  en  tête  de  l'enquête, 
ne  sera  faite  ni  ne  pourra  être  faite  contre  un  Juif,  sans  qu'elle  soit 
frappée  de  nullité.  Après  la  constatation  de  l'accusation  ou  de  la 
dénonciation,  les  accusateurs  ou  les  dénonciateurs  seront  tenus  de 
présenter  au  baile  deux  garants  bons  et  solvables  pouvant  répondre, 
le  cas  échéant,  des  conséquences  de  la  procédure.  A  défaut  de 
preuves,  l'accusateur  sera  puni  de  la  peine  du  talion,  et  le  dénoncia- 
teur condamné  à  une  forte  amende 

3°  Le  Juif  aura  entre  ses  mains  la  copie  de  l'acte  d'accusation  ou 

1  Labbe,  Concîl.,  XI,  781  ;  cf.  d'Achéry,  Spicileg.,  I,  725,  et  Gariel,  Ser.  Praes., 
I,  383. 

2  Arch.  mun.,  Arra.  D.  Cass.  XX,  n°  3. 

3  Petit  Thalamus,  p.  139  et  140. 

4  Pièces  justificatives,  n°  2. 


DOCUMENTS  INEDITS  SUR  LES  JUIFS  DE  MONTPELLIER  263 

de  dénonciation  ;  il  pourra,  s'il  le  juge  convenable,  consulter  des 
hommes  experts  sur  cet  acte,  qui  devra  contenir  avec  les  noms  des 
deux  garants  celui  de  l'accusateur  ou  du  dénonciateur. 

4°  Nul  Juif  pouvant  fournir  une  caution  suffisante  ne  sera  maintenu 
en  prison  pour  dette,  crime  ou  toute  autre  cause,  si  ce  n'est  pour  un 
crime  entraînant  le  dernier  supplice. 

5°  Le  baile  de  Montpellier  s'engagera  chaque  année,  par  serment, 
à  faire  exécuter  le  présent  règlement. 

On  ne  tint  aucun  compte  à  Montpellier  de  cette  ordonnance  si 
libérale.  Aussi  le  roi  d'Aragon  se  vit-il  obligé,  le  25  octobre  1268, 
d'en  rappeler  la  teneur  au  baile  et  de  lui  intimer  l'ordre  de  s'y 
conformer  ponctuellement  '. 

Les  deux  ordonnances  dont  nous  venons  de  parler  furent  enre- 
gistrées à  Montpellier,  le  2  avril  1269,  par  devant  le  notaire  Lau- 
rent Michel,  sur  les  instances  de  Ferrier  Bonafos,  syndic  de  la 
Communauté  juive  de  Montpellier  «  ad  instantiam  et  postulatio- 
nem  Ferrarii  Bonafos,  judei,  qui  dicebat  se  esse  sindicum  totius 
universitatis  Judeorum  Montispessulani  in  parte  dicti  domini 
régis  habitantium  ».  Nous  publions  également  aux  Pièces  justifi- 
catives le  certificat  par  le  notaire  de  la  transcription  de  ces  deux 
actes2. 


Document  n°  V. 

La  synagogue  de  Montpellier,  ainsi  que  nous  l'apprend  l'acte  de 
vente  de  1277  3,  se  trouvait  dans  la  rue  de  la  Barallerie.  La  mai- 
son que  concerne  cet  acte  était  située  près  de  cette  synagogue 
«  sita  in  Montepessulano  juxta  sinagogam  Judeorum  ».  Elle  avait 
été  vendue  par,  Hugo  Robert  et  Alamande,  sa  femme,  aux  Juifs 
Bonisach,  le  gros,  Jacob,  de  Locherva  (?),  Jacob,  fils  de  Bomraan- 
cip,  Provençal,  Bonastruc,  de  Pignan,  Abram,  d'Alet,  etc.  Les 
droits  auxquels  elle  était  assujettie  n'ayant  pas  été  acquittés,  elle 
tomba  en  commise  et  devint  la  propriété  du  roi  d'Aragon. 
Jayme  II,  par  faveur  spéciale,  la  céda,  avec  bail  emphytéotique, 
«  in  acapicum  sive  in  emphiteosim  perpetuam  »,  aux  représen- 
tants de  la  Communauté  Israélite,  Jacob,  de  Lunel,  Tauros  de 
Beaucaire,  Ferrier  Bonafos,  Bondia,  de  Beaucaire,  Isaac,  de 
Locherva  (?)  et  Abram,  de  Béziers,  sous  la  réserve  d'une  redevance 
annuelle  de  cinq  sous   Melgoriens.  Le  roi  d'Aragon  exigea,  en 

1  Pièces  justificatives,  n°  3. 

2  Pièces  justificatives,  n°  4. 

3  Pièces  justificatives,  n<>  5. 


264  REVUE  DES  ETUDES  JUIVES 

outre,  des  Juifs  de  Montpellier,  cent  livres  de  Melgoriens  pour  le 
bail  qu'il  avait  consenti  à  leur  faire.  On  remarquera  dans  cet 
acte  de  vente  la  clause  particulière  par  laquelle  Jayme  II 
exclut  les  Juifs  habitant  la  partie  épiscopale  de  la  faveur  accordée 
à  leurs  coreligionnaires  placés  sous  la  dépendance  des  seigneurs 
laïques  *. 

A  côté  de  la  synagogue  se  trouvait  l'établissement  spécial  où  se 
baignaient  les  femmes,  mptt.  La  plus  grande  partie  en  a  été  con- 
servée dans  un  des  sous-sols  de  la  maison  Espéronnier  2.  Le  cha- 
noine d'Aigrefeuille  a  fait  une  description  à  peu  près  exacte  de  ces 
bains  des  Juives3. 

La  Communauté  israélite  avait  aussi  son  cimetière;  il  était 
situé  entre  les  portes  de  la  Saunerie  et  de  Saint-Guillem.  Jayme  Ier 
en  fit  don  aux  Cisterciens  de  Valmagne  qui  y  établirent  un  collège 
de  théologie.  Un  document  de  1263  met  ce  fait  hors  conteste.  On 

y  lit  en  effet  :  «  Noverint  universi  quod,  cum  nos  Jacobus da- 

mus  et  concedimus,  per  nos  et  successores  nostros,  monasterio 
Vallismagne,  et  vobis  fratri  Bertrando  abbati,  et  conventui  mona- 
chorum  ejusdem,  et  successoribus  vestris  in  perpetuum,  totum 
illum  locum  ab  integro,  quem  habemus  in  Montepessulano,  prope 
illum  furnum  nostrum,  et  juxta  hortum  et  domos  Vallismagne 
antiquas,  in  quo  Judei  Montispessulani  sepeliri  solebant. . .  4  » 
Mais  si  le  seigneur  de  Montpellier  jugea  à  propos  de  s'emparer  du 
cimetière  des  Juifs,  il  imposa  cependant  à  Bertrand,  abbé  de  Val- 
magne, l'obligation  de  contribuer  aux  dépenses  que  nécessitèrent 
l'exhumation  et  la  translation  des  ossements  de  leurs  mprts  dans 
un  autre  terrain.  A  cet  effet,  l'abbé  Bertrand  accorda,  par  traité 
spécial,  à  la  Communauté  de  Montpellier  une  indemnité  de  dix 
livres  de  Melgoriens  5. 

Ce  nouveau  cimetière  était  situé  au  faubourg  de  Villefranche, 
entre  le  séminaire  actuel  et  Boutonnet G.  Il  fut  vendu,  en  1306,  par 

1  Au  moyen  âge  la  ville  de  Montpellier  était  divisée  en  deux  villes  distinctes,  sépa- 
rées par  la  ligne  continue  des  rues  du  Pila  St-Gély,  de  la  Monnaie,  de  Saiote-Foy  et 
de  la  Grand'rue.  D'un  côté,  vers  le  Peyrou,  était  Montpellier,  capitale  des  Guillems  : 
de  l'autre,  vers  l'Esplanade,  Montpelliéret,  fief  des  évêques  de  Maguelone.  Voir  Ger- 
main, Hist.  de  la  Commune  de  Montp.,  t.  III,  p.  350.  En  1292,  Bérenger  de  Frédol, 
évêque  de  Maguelone,  céda  au  roi  de  France,  Philippe  le  Bel,  les  Juifs  qui  résidaient 
à  Montpelliéret,  en  se  réservant  toutefois  la  moitié  du  produit  des  cens,  lods  et  usages 
auxquels  ils  étaient  assujettis.  —  Arch.  dép.,  Registre  des  Lettres-royaux  concernant 
l'évêché  de  Maguelone,  fol.  4  et  8.  Cf.  Cart.  de  Maguelone,  Reg.  B.  fol.  161  et 
Reg.  D.  fol.  136. 

2  Cette  maison  porte  le  n°  1  de  la  rue  de  la  Barallerie. 

3  D'Aigrefeuille,  Hist.  de  Montp.,  t.  II,  p.  548. 
*  Germain,  ouvr.  cité,  t.  III,  p.  414. 

5  D'Aigrefeuille,  ouvr.  cité,  t.  III,  p.  602. 

6  Gariel,  Ser.  Praes.,  p.  436.  Cf.  Germain,  t.  III,  p.  255. 


DOCUMENTS  INEDITS  SUR  LES  JUIFS  DE  MONTPELLIER  265 

Philippe  le  Bel  lors  de  l'expulsion  des  Juifs  de  Montpellier.  En 
1319,  le  roi  Sanche  autorisa  les  Israélites  à  le  racheter  moyennant 
cinquante  livres  de  Melgoriens  l.  Les  Juifs  possédaient  également 
une  boucherie  spéciale;  elle  leur  fut  accordée,  en  126T ,  par 
Jayme  Ier,  au  cours  d'un  voyage  qu'il  fit,  à  cette  époque,  à  Mont- 
pellier. Un  règlement  de  police  du  6  mai  1368  interdisait  aux 
bouchers  chrétiens  de  vendre  ou  de  faire  vendre  de  la  viande  aux 
Juifs.  Ils  auront  pour  cela,  ajoute  ce  règlement,  un  endroit  spécial 
qui  leur  sera  indiqué  2. 


Documents  nos  VI-VII. 

Les  Juifs  occupaient  à  Montpellier  un  quartier  particulier.  Ce 
quartier  fut  tantôt  le  faubourg  de  Villeneuve  ou  de  la  Saunerie, 
tantôt  la  place  des  Cévenols,  aujourd'hui  place  de  l'Herberie, 
tantôt  la  rue  de  la  Barallerie  «  Sabatarié  »,  aux  environs  de  la 
Canourgue  et  du  Palais3.  C'est  dans  cette  rue  et  près  du  car- 
refour de  Castelmoton  qu'un  document  de  1365  nous  les  montre 
établis4.  Le  duc  d'Anjou,  écoutant  les  plaintes  que  les  Consuls  lui 
avaient  adressées  de  la  part  des  habitants  des  faubourgs,  que  la 
commune  clôture  ne  mettait  point  à  l'abri  des  incursions  des  gens 
de  guerre,  ordonna  au  baile  de  Montpellier  de  faire  sortir,  sans 
délai,  les  Juifs  du  quartier  qu'ils  occupaient  «  ex  sua  ubertate 
peccunie  et  aliquorum  potencia  »  et  de  les  reléguer  dans  la  rue 
de  la  Vacherie  «  Vacaria  »  près  de  la  porte  de  la  Saunerie. 

Le  conservateur  sous  délégué  par  le  comte  d'Etampes,  gardien 
des  privilèges  des  Juifs,  était,  à  cette  époque,  M0  Pierre  Taurel. 
Ayant  appris  que  le  baile  de  Montpellier  avait  exécuté  le  mande- 
ment du  duc  d'Anjou  et  continuait  à  connaître  des  affaires  des 
Juifs,  il  le  fit  assigner  par  devant  lui  et,  faute  d'avoir  comparu, 
lui  infligea  une  amende  de  quatre  cents  marcs  d'argent.  Le  baile 
en  appela  au  roi  et  au  duc  d'Anjou.  Celui-ci,  à  la  prière  des 
Consuls,  supprima  l'amende  et  ordonna  au  gouverneur  de  Mont- 


1  Gariel.  Ser.  Pracs.,  p.  448.  —  D'après  le  même  historien  {Idée  générale  di  la 
Ville  de  Montpellier,  p.  S),  on  aurait  trouvé  sur  l'emplacement  de  ce  cimetière  «  un 
marbre  qui  portoit  une  chaisne  semée  de  larmes  et  de  certains  mots  hébreux  qui 
signifioient  :  Nous  ne  sommes  même  pas  libres  dans  nos  tombeaux  et  la  mort  qui 
deslie  les  autres  nous  tient  toujours  liés  ». 

s  Petit  Thalamus,  p.  166. 

3  Gariel,  ouvrage  cité,  lre  partie,  p.  436  ;  et  Germain,  Hi^t.  de  la  Commune  de 
Montpellier,  t.  III,  p.  361.  —  D*Aigrefeuille,  Uist.  de  Montp.,  t.  II,  p.  54S.  — 
Germain,  ouvrage  cité,  t.  III,  p.  246. 

4  Pièces  justificatives,  n°  6. 


266  REVUE  DES  ETUDES  JUIVES 

pellier  de  ne  pas  souffrir  que  le  baile  fût  poursuivi  ou  inquiété 
pour  ce  fait l. 

Document  n°  VIII. 

Les  registres  des  notaires  de  Montpellier  renferment  un  grand 
nombre  de  documents  relatifs  aux  Juifs  de  cette  ville;  ce  sont 
pour  la  plupart  des  reconnaissances  d'emprunts,  etc.  Nous  en 
avons  dépouillé  les  sept  premiers  folios  et  voici  les  noms  des  Juifs 
qui  y  figurent 2  : 

Profag,  fils  de  Vivas,  deNosséran  (commune  du  Gros,  canton  du 
Caylar,  arrondissement  de  Lodève)  ;  Jaco  ou  Jacob  et  son  frère 
Vivas,  de  Nosséran  ;  Isaac,  d'Avignon;  Bon  Senhor,  fils  d'Isaac  ; 
Durant,  fils  deBonafos,  de  Nîmes  ;  Vidas,  fils  de  Salve,  de  Nîmes  ; 
Mossé,  de  Béziers,  médecin .  ;  Grescon  ou  Crescas  Cohen  ;  Bonanas 
ou  Bonanasc,  de  Béziers;  Jusse  ou  Joseph,  fils  de  Jacob,  de 
Bollène  ;  Astrugue,  sa  femme. 

D'autres  noms  juifs  nous  ont  été  conservés  par  le  Mémorial 
des  Nobles;  ce  sont  ceux  de  :  Mossé,  fils  d'Abraham,  Maimon, 
fils  d'Abraham  et  Bonet,  fils  d'Abraham.  Ils  sont  cités  dans  la 
Révision  des  rôles  de  censive  de  la  ville  de  Montpellier,  faite  au 
mois  de  mars  1201 3, 

Le  même  recueil  contient  trois  quittances  délivrées,  les  deux 
premières,  en  1196,  à  Guillem  VIII,  seigneur  de  Montpellier,  par 
Salve  et  Mossé  de  Posquières  (Vauvert),  Bonastruc,  de  Montels, 
David,  fils  de  Blanche,  et  Mossé,  fils  de  Mairon.  La  troisième  de 
ces  quittances  a  été  donnée,  en  1197,  à  Agnès,  seconde  femme 
de  Guillem  VIII,  par  David  Cohen,  fils  de  Salomon,  de  Lunel. 
Plusieurs  Juifs  figurent  comme  témoins  instrumentales  dans  ces 
documents.  Ils  s'appellent  :  Abram  Rufus,  Bonet,  son  fils,  Fosset, 
Maimon,  Jacef,  Abram  de  Mairon,  Mossé  de  Mairon,  Abraham, 
son  frère,  Bondias,  Saltel,  Mossé,  frère  de  David,  Mossé  de 
Lunel. 

Document  n°  IX. 

Les  Juifs  prêtent  le  serment  dans  les  mêmes  termes  que  les" 
chrétiens.  Ils  s'engagent  simplement   «  bona  fide,  sine  dolo,  sine 

1  Pièces  justificatives,  n°  7. 

2  Pièces  justificatives,  n°  8. 

3  Mém.  des  Nobles,  fol.  78,  79  et  80. 


DOCUMENTS  INÉDITS  SUR  LES  JUIFS  DE  MONTPELLIER  267 

omni  dolo  »;  ils  ne  jurent  pas  sur  la  Loi  de  Moïse.  D'autres  fois 
l'engagement  pris  par  le  Juif  «  bona  fi  de  »  ne  suffisait  pas,  il  était 
encore  obligé  de  prêter  serment  sur  le  livre  dp  la  Loi.  C'est 
suivant  cette  formule,  ainsi  que  nous  l'apprend  un  document 
de  1390,  que  Salomon  Bon  Senlio,  Juif  d'Alais,  s'engage  envers 
Pierre  Roque,  de  Saint- André-de-Crugôre  (Gard),  en  son  propre 
nom  et  au  nom  de  Thoron  Marma,  Juif  de  Montpellier;  il  jure 
«  bona  fide  et  super  quodam  libro  legis  ipsorum  Judeorum,  in 
quo  idem  Salomon,  ut  dixit,  assuetus  in  contractibus  et  aliis  est 
près  tare  juramentum  ». 

La  formule  môme  du  serment  n'a  pas  été  insérée  dans  le 
contrat,   suivant  l'usage  généralement  adopté  par  les  notaires1. 

L'article  121  de  la  Charte  d'Alais,  de  1200 2,  nous  autorise 
à  croire  que  ce  serment  était  identique  à  celui  que  les  Juifs 
du  midi  de  la  France  étaient  tenus  de  prêter  dans  certaines 
occasions. 

Nimes,  le  27  novembre  1889. 

Salomon  Katin. 


PIECES  JUSTIFICATIVES 


i. 


Traité  entre  les  juifs  de  Montpellier  et  les  consuls  de  cette 
ville  au  sujet  de  la  défense  de  montpellier. 

1208  (12  mai). 

In  nomine  Domini,  anno  ejusdem  incarnationis  millesimo  ducen- 
tesimo  octavo,  quarto  idus  Madii,  omnibus  et  singulis  presentibus 

1  Voir  Saige,  Les  Juifs  dio  Languedoc,  p.  53. 

2  Cet  article  est  ainsi  conçu  :  Sacramentale  judeorum  fiât  de  cetero  sicut  in  sacra- 
mentali  antiquo  contioetur,  et  interrogatio  et  responsio  fiât  sicut  in  eo  continetur.  Cf. 
Petit  Thalamus,  Livre  des  Serments,  art.  16,  p.  68.  —  L'article  55  de  la  Charte  de 
1200  s'occupe  également  des  Juifs.  «  Conslituemus,  ainsi  s'expiime-t-il,  ut  inter 
christianos  et  judeos,  quos  pro  sola  humanitate  sustinemus,  in  habitu  vestium  mani- 
festus  habeatur  delectus,  ut  facile.  Judei  a  quovis  discernantur  ;  et  eis  indicimus  ut 
habitum  déférant  dissimilem  habilui  christianorum  Prœterea  eis  districte  diebus  et 
precipuis  festis  nostris,  ne  sub  oculis  christianorum  id  est  ut  a  christianis  possint 
videri  ;  sed  clausis  jaunis  et  occulte  operentur  licita.  Forciùs  et  sub  pena  corporum 
inhibemus  ne  in  publicum  audeant  aparere  quinta  et  sexta  et  septima  f'eria  ante 
pascha  nostrum.  » 


268  REVUE  DES  ETUDES  JUIVES 

et  futuris  pateat  et  certum  sit  quod  discordia  et  controversia  erat 
inter  duodecim  consules  Montispessulani,  scilicet  Johannem  Bocados , 
Guiraldum  Raimundum ,  Stephanum  Tabernarium  ,  Bertrandum 
medicum,  Johannem  de  Gaza,  Guillelmum  de  Veranias,  P.  Bauzilium, 
Rainaldum  Stornellum,  Gerardurn  Tahonem,  Salvaire,  P.  Porcellum 
et  Bernardum  Grès,  petentes  pro  se  et  pro  tota  universilate  Montis- 
pessulani, ex  ima  parte,  et  Bonisachura  et  Bonetum,  filium  habrahe, 
et  Jusce  de  Lunello,  et  David,  filium  Guersom,  et  Mosse,  filium 
Mairone,  et  Bonjusce  de  Gastello,  et  Vivas,  filium  Jacob,  certos  ac 
spéciales  procuratores  constitutos  ad  hoc  ab  aliis  Judeis  et  litiganles 
pro  se  et  pro  omnibus  aliis  Judeis,  habitatoribus  Montispessulani, 
ex  altéra.  Dicebant  siquidem  predicti  consules  etcostanter  asserentes 
proponebant  quod,  quandocumque  aliqua  potestas  contra  villam 
Montispessulani,  vel  aliquod  castrorum  ad  dominationem  ville  Mon- 
tispessulani pertinentium,  equitabat,  ita  quod  exercitum  ibi  duceret 
et  tentoria  ibi  figeret,  Judei,  quotcumque  habitarent  villam  Montis- 
pessulani, tenebantur,  de  suo  proprio  jure  servicii  constituti,  habere 
et  prestare  omnes  quadrillos,  quotcumque  et  quicumque  expende- 
rentur  et  necessarii  essent,  tam  ad  municionem  quam  ad  defensio- 
nem  ville  Montispessulani  et  dictorum  castrorum,  quamdiu  excer- 
citus  esset  circa  dicta  loca.  Similiter  dicebant  et  proponebant  quod, 
si  tota  communio  Montispessulani  faceret  alicubi  communem  excerci- 
tum,  ita  quod  tentoria  ibi  poneret  per  diem  unicam,  predicti  Judei 
tenebantur  prestare  de  suo  omnes  quadrillos  qui  ab  illo  excercitu 
expenderentur,  et  pro  certo  allegabant  quod,  communicato  consilio  et 
consensuproborum  hominum  Montispessulani,  preteriti  domini  dicte 
ville  Montispessulani  cum  Judeis  ita  constituerant  et  sic  longissimis 
temporibus  fuerat  obtentum,  et  his  rationibus  nitebantur  inducere 
dictos  Judeos  ad  predictum  servicium  prestandum.  E  contra  supra- 
scripti  Judei,  ad  sui  defensionem  omnia  fere  predicta  infîciantes,  dice- 
bant quod  ad  nichil  aliud  de  prescriptis  serviciis  tenebantur,  nisi 
tantummodo  ad  prestandum  duas  saumatas  ferri  ad  opus  quadril- 
lorum,  eo  tempore  quo  potestas  cum  suo  excercitu  juxta  et  contra 
villam  Montispessulani  vel  castrum  de  Castro  Novo  vel  de  Latis  ten- 
toria poneret  per  duos  vel  per  très  dies,  et  si,  aliquo  tempore,  ipsi 
vel  antecessores  sui  petitum  servicium  prestiterant,  hoc  fecerant 
metu  et  cohactione  violenta  district!  et  non  aliquo  jure  vel  statuto 
facto  ;  et  cum  ad  probanda  ea,  que  dicti  Judei  negaverant,  predicti 
consules  diligentem  fecissent  inquisitionem  et  cum  antiquis  homi- 
nibus  veritatem  plenissime  indagassent,  nichil  certum  potuerunt 
invenire  vel  probare.  Tandem  prefati  Judei,  pro  se  et  omnibus  aliis 
Judeis,  habitatoribus  Montispessulani,  presentibus  et  futuris,  mise- 
runt  se  in  posse  predictorum  consulum,  recipientium  pro  se  et  pro 
omnibus  successoribus  suis  futuris,  consulibus  Montispessulani,  et 
pro  tota  universitate  Montispessulani,  et  promiserunt  quod  eorum 
starent  coguicioni  et  arbitrio  de  predictis.  Qui  consules,  habito  con- 
silio, et  voluntate  expressa  et  speciali  consensu  omnium  consulum, 


DOCUMENTS  INEDITS  SUR  LES  JUIFS  DE  MONTPELLIER  269 

officialium  et  eorum  omnium  qui  consulunt  communitati  hujusmodi, 
conventiouem  el  compositionem  super  his  que  petebant  fecerunt, 
propter  evidentem  et  maximam  utilitatem  ville  Montispessulani,  et 
ne  aliqua  in  poslerum  posset  fieri  dubitatio  seu  oriri  discordia 
cum  Judeis  propter  predicta,  quod,  si  aliqua  potestas  juxtaet  contra 
villam  Montispessulani  vel  castrum  de  Latis  vel  de  Castro  Novo  cum 
excercitu  vel  «  cavalcada  hosteian  »  veniret,  ita  quod  ultra  duos  dies 
tentoria  ibi  haberet  et  poneret,  prima  hora  tercie  diei,  udei  habitantes 
villam  Montispessulani,  présentes  et  futuri,  teneantur  prestare  et 
prestent  de  suo  tantum  viginti  milia  quadrillorum  balistarum  de 
«  croc  »,  tam  ad  municiouem  quam  ad  defensionem  predictorum 
locorum,  et  totam  predictam  summam  quadrillorum  de  cetero  continue 
leneant  paratam  ;  et  si  contigeret  quod  predicta  potestas,  prestito 
illo  servicio,  cum  excercitu  suo  recederet  de  predictis  locis  vel  de 
aliquo  predictorum  locorum  et  infra  très  menses,  computandos  ab 
illo  recessu,  rediret  contra  predicta  loca  vel  aliquod  predictorum 
locorum  cum  excercitu,  etiam  si  tentoria  figeret,  non  teneantur  iterum 
Judei  prestare  aliquid  de  predicto  servicicio  (sic),  infra  très  menses, 
a  die  dicli  reditus  computandos.  Si  vero  ultra  très  menses,  a  dicto 
reditu  computandos,  moram  cum  excercitu  contra  dicta  loca  fecerit, 
aut  si,  post  très  menses,  ipsa  potestas,  ut  supradictum  est,  redierit, 
iterum  prestent  dicti  Judei  alia  viginti  milia  quadrillorum;  item, 
quandocumque  alia  potestas  ,  post  recessum  alterius  potestatis  , 
veniret  cum  excercitu  juxta  et  contra  villam  Montispessulani  vel 
alterum  predictorum  castrorum,  teutoria  ibi  ponendo  seu  ngendo,  ex 
quo  per  duos  dies  ibi  stetisset  castrametatus,  similiter  et  sub  dicta 
forma,  per  umnia  observata,  teneantur  Judei  prestare  et  prestent 
tantum  alia  viginti  milia  quadrillorum,  et  sic  de  ceteris  perpétue 
observetur.  De  ceteris  omnibus  aliis  serviciis  que  supra  jamdicti 
consules  petierunt,  Judei  et  successores  sui  omnes  sint  perpetuo 
liberi  et  absoluti.  Et  nos  suprascripti  Judei,  Bonisachus,  Bonetus, 
rilius  Habrahe,  Jusce  de  Lunello,  David,  films  Guersom,  Mosse,  filius 
Mairone,  et  Bonjusce  de  Castello,  constituti  spéciales  procuratores 
ab  universitate  Judeorum  Montispessulani  ad  hanc  compositionem 
vobiscum,  prenominatis  consulibu?,  faciendam,  ipsam  compositionem 
voluntate  et  consensu  omnium  Judeorum  Montispessulani,  per  nos 
et  per  omnes  ipsos  Judeos,  habitatores  Montispessulani,  présentes  et 
futuros,  laudamus,  approbamus  et  perpetuo  valituram  concedimus 
et  confirmamus  et,  prout  supra  determinatum  est  a  vobis,  perpetuo 
a  nobis  et  ab  omnibus  successoribus  nostris,  habitatoribus  Mon- 
tispessulani, perpetuo  teneri  et  observari  promittimus.  Acta  sunt 
hec  et  laudata  anno  et  mense  et  die  quo  supra.  Horum  omnium, 
exceptis  P.  Porcello  et  Bonisacho,  qui,  duo  tantum  non  adfuerunt 
laudationi,  sunt  testes  :  R.  Benedictus,  P.  Belianus,  Petrus  Capel- 
lerius,  P.  Magister,  P.  Gras,  Ugo  Gorrigerius,  Johannes  Corrige- 
rais, P.  de  Arciacio,  B.  Borra,  B.  de  Ambileto,  Johanues  Lucianus, 
Poncius  Andréas,  Petrus  de  Mascone,   P.  Guiraldi,  causidicus,  et 


270  REVUE  DES  ETUDES  JUIVES 

Jacobus  Laurencii,  notarius,  qui  hoc  scripsit  rogatus  a  partibus. 

(Cotes  anciennes)  : 

Consulum,  per  XXm  quairels  dels  Juzieus.  (xnie  s.) 

(effacé).  (xme  s.) 

Hec  sunt  carte  pacte  Judeorum  et  qualiter  tenentur  de  près- 

tacione  XX  mil.  cadrillorum.  (xiîi6  s.) 
Aiso  sont  cartas  del  Juzeus.  (xiv°  s.) 
La  carta  dels  Juoiaous  (?)  de  XXm  cayrels.  (xiv°  s.) 

Parch.  0m,  43  cent,  de  haut  sur  0m,  33  de  large.  Ghirographe,  parti 
en  tète  et  sur  la  marge  de  gauche. 

(Archives  municipales  de  Montpellier,  cassettes  de  Louvct,  D.  XX,  n°  2). 


IL 

Ordonnance  du  roi  Jacques  Ier  d'Aragon,  sur  la  procédure 

CONTRE   LES  JUIFS. 

1266  (1  février)  =  1  février  1267  (n.  st.). 

Noverint  universi  quod  nos,  Jacobus,  Dei  gratia  rex  Aragonum 
Majoricarum  et  Valencie,  cornes  Barchinone  et  Urgelli  et  dominus 
Montispessulani,  per  nos  et  nostros  statuimus,  habito  sano  et  maturo 
consilio,  etiam  damus  et  concedimus  in  perpetuum  in  liberitatem  et 
favorem  omnibus  et  singulis  Judeis,  presentibus  et  futuris,  tam 
masculis  quam  feminis,  in  parte  nostra  Montispessulani  habitanti- 
bus  et  habitaturis,  quod  aliquis  ex  ipsis  Judeis,  aliqua  causa  vel 
ratione  in  judicium  deducta  vel  non  deducta,  non  questionetur  nec 
questionari  possit  nec  alicui  eorum  fiât  vel  incuciatur  aliquo  tem- 
pore,  facto  sive  dicto  timor  vel  terror  questionis,  nisi  sub  hac  forma  : 
perducto  enim  judicio  vel  inquisitione,  incepto  vel  incepta  contra 
Judeum,  usque  ad  finem,  ita  quod  non  restet  nisi  sententia,  tradi- 
tisque  Judeo  in  omnibus  actis,  et  datis  post  eidem  Judeo  induciis 
quatuor  dierum  utilium,  in  quibus  deliberet  cum  peritis,  si  voluerit, 
bajulus  curie  Montispessulani  cum  actis  omnibus  collationem  habeat, 
cum  duobus  discretioribus  et  legalioribus  jurisperitis  Montispessu- 
lani, auditis  rationibus  et  deffentionibus  Judei  et  periti  ejus,  presen- 
tium,  et  tune,  si  res  flagitaverit,  questio  de  Judeo  juste  fiât,  et  omnis 
inquisitio,  que  fiet  contra  Judeum,  fiât  semper  per  bajulum  curie 
nostre  Montispessulani,  et  non  aliter.  Item,  aliqua  inquisitio  non  fiât 
nec  fieri  possit  contra  Judeum,  et,  si  facta  fuerit,  ipso  jure  nulla  sit, 
nisi  facta  fuerit  précédente  accusatore  vel  denuntiatore,  cujus  accusa- 
toris  vel  denuntiatoris  nomen  in  principio  inquisitionis  inseratur  et 
cum  reperietur  accu>atio  vel  denunfiatio,  ipsi  accusatores  vel  denun- 
tiatores  teneantur  dare  curie  bonos  et  idoneos  fidejussores  secundum 


DOCUMENTS  INEDITS  SUH  LES  JUIFS  DE  MONTPELLIER  271 

i'acti  qualitatem  punieudos,  si  deffecerint  in  probatione  ;  si  vero 
acusator  non  habuerit,  sustineat  talionem,  et  deuuntiator  non  pro- 
bans in  peccunia  durius  per  bajulum  puniatur.  Item,  Judeus  habeat 
transcriptum  acusationis  vei  denuntiationis  et  fidejussionum  cum 
nomine  acusatoris  vel  denuntiatoris  et  cum  nominibus  fidejussorurn 
et  etiam  cum  ipso  transcripto  deliberet  cum  peritis,  si  voluerit.  Et 
hec  omuia  fiant  antequam  procedatur  inquisitione.  Item,  aliquis 
Judeus  captus  non  retineatur  pro  aliquo  debito  vel  crimine  aut  alia 
causa,  qui  dare  velit  curie  idoneos  fidejussores,  nisi  pro  crimine  pro 
quo  est  ultimum  supplicium  inponendum.  Item,  bajulus  nostre  curie 
Montispessulani  juret  singulis  annis,  cum  faciet  juramentum  con- 
suetum,  se  predicta  servare  et  contra  non  facere,  et  locum  nostrum 
tenens  id  singulis  annis  procuret  et  facere  fieri  teneatur.  Quicumque 
autem  curiales,  et  alii  qui  contra  predicta  fecerint,  ipso  quidem  facto 
sint  infâmes  et  omni  houore  et  dignitate  perpetuo  careant.  Datum  in 
Montepessulano,  kalendis  Febroarii,  anno  Domini  millesimo  GC°  LX° 
sexto. 

Signum -f-  Jacobi,  Dei  gratia  régis  Aragonum,Majoricarum  et  Valen- 
cie,  comitis  Barchinone  et  Urgelli  et  dominus  (sic)  Montispessulani. 

Testes  sunt  :  Berengarius  A1  de  Angela  ;  Gaucerandus  de  Pinos, 
G.  de  Ganeto,  P.  Martin  de  Luna,  Garcias  Orciz  de  Azagra. 

Sig -f- num  Bartholomei  de  Porta,  qui  mandato  domini  régis  hoc 
scribi  fecit  et  clausit,  loco,  die  et  anno  prefixis. 

(Les  pièces  II,  III  et  IV  sont  à  la  suite  les  unes  des  autres, 
sur  le  même  rouleau). 


III. 

Mandement  du  roi  d'Aragon  pour  l'exécution  du  l'ordonnance 

précédente. 

1268  (25  octobre). 

Jacobus,  Dei  gratia  rex  Aragonum,  Majoricamm  et  Valencie,  cornes 
Barchinone  et  Urgelli  et  domiuus  Montispessulani,  fidelibus  suis 
bajulis  curie  Montispessulani  et  aliis  curialibus  ejusdem  curie,  salu- 
tem  et  gratiam.  Intelleximus  quod,  licet  concesserimus  Judeis  nos- 
tre Montispessulani  (sic)  ne  possit  fieri  inquisitio  contra  eos,  nisi 
accusatore  vel  denunciatore  précédente,  inquisitionem  faciatis  contra 
eos,  asserentes  ad  aures  nostras  pervenisse  ea  super  quibus  ipsam 
facitis  inquisitionem.  Quare  mandamus  vobis  nrmiter  quatinus  dic- 
tam  concessionem  a  nobis  dictis  Judeis  factam  super  inquisitionibus 
faciendis,  ut  dictum  est,  observetis  eisdem,  ut  in  carta,  quam  iode  a 
nobis  habent,  plenius  continetur  ;  et  nisi  accusator  vel  denunciator 
prefuerit,  nullam  contra  aliquem  ipsorum  inquisitionem  ullo  modo 


272  BEVUE  DES  ETUDES  JUIVES 

faciatis.  Datum  Cervarie,   octavo  kalendas  Novembris,  anno  Domini 
millesimo  GG°  LX°  octavo. 

(A  la  suite  de  la  pièce  précédente). 


IV. 


Certificat  par  le  notaire  de  Montpellier  de  la  transcription 
des  deux  actes  précédents. 

1269  (2  avril). 

Sit  certum  cunctis  quod  dominus  Ugo  Faber,  bajulus  curie  Mon- 
tispessulani,  dédit  michi  Laurentio  Micbaeli,  publico  Montispessu- 
lani notario,  iu  mandatis  anno,  Domini  millesimo  ducentesimo  sexa- 
gesino  nono,  scilicet  quarto  nonas  Aprilis,  in  presencia  et  testimonio 
Jacobi  Fornerii  et  Augerii  Arnaldi,  advocatorum,  et  Raimundi  de 
Ruchernis,  notarii,  quatinus  de  quodam  instrumento,  sigillo  majori 
pendenti  domini  régis  Aragonum  comunito,  et  de  quibusdam  litteris, 
sigillo  minori  ejusdem  domini  régis  comuuitis,conficerem  transcrip- 
tum  autenticum,  ad  instantiam  et  postulationem  Ferrarii  Bonafos, 
Judei,  qui  dicebat  se  esse  sindicum  totius  universitatis  Judeorum 
Montispessulani  in  parte  dicti  domini  régis  habitantium  ;  quod  ego 
idem  Laurentius  feci  bene  et  diligenter,  prout  superius  continetur, 
nil  addendo,  mutando  vel  detrahendo,  preterquam  in  dicto  instru- 
mento et  litteris  continetur,  postmodum  presens  transcriptum  pers- 
crutatus  sun  (sic)  bene  et  diligenter  cum  Petro  de  Gapitevilario  et 
Berengario  Montanerii,  Montispessulani  tabellionibus,  me  presens 
transcriptum  legente  ipsisque  dictis  originalibus  prospicientibus  et, 
ad  majorem  firmitatem  habendam,  hic  subscripsi  et  signum  meum 
apposui  et  feci  unam  rasuram  ubi  dicitur  «  Petro  de  Gapitevilario.  » 

—  Prefatis  autem  perscrutiniis  dictarum  litterarum  avidissime  fac- 
tis,  ego  Petrus  de  Gapitevilario,  notarius  publicus  Montispessulani, 
una  cum  dictis  notariis,  testis  vocatus  et  rogatus,  interfui  et,  ad 
majorem  firmitatem  premissis  habendam,  hic  signum  meum  appono. 

—  Litterarum  predictarum  perscrutinio  provide  facto  una  cum  tabel- 
lionibus memoratis,  ego,  Berengarius  Montanerii,  notarius  Montis- 
pessulani predictus,  testis  vocatus  interfui  et  rogatus  hic  subscripsi, 
meum  signaculum  apponendo. 

(Archives  municipales  de  Montpellier,  cassettes  de  Louvet,  D.  XX,  n°  4). 


DOCUMENTS  INEDITS  SUK  LES  JUIFS  DE  MONÏTIXL1EK  273 


V. 

lods  de  la  vente  d'une  maison  située  près  la  synagogue  de 
Montpellier,  faisant  redevance  au  roi  d'Aragon,  seigneur 
de  Montpellier. 

1277  (8  juillet). 

Noverint  universi  quod  nos,  Jacobus,  Dei  gratia,  rex  Majoricarum, 
cornes  Rossilionis  et  Geritauie  et  domiuus  Montispessulani,  viso  et 
diligenter  attento  quoddam  instrumente  venditionis  facte  per  Hugo- 
nera  Rotberii  quondam  et  Alamandam,  ejus  ûxorem,  quondam  Boni- 
sacho  Grosso,  Jacob  de  Locherva,  Jacob  filio  Bonimacip,  provinciali, 
Bonastrugo  de  Piniano,  Abraon  de  Alesto  et  quibusdam  aliis  Judeis 
quondam  Montispessulani,  contentis  in  dicto  instrumente  dicte  ven- 
dicionis  facto  per  quondam  Silvestrum,  notarium  publicum  Montis- 
pessulani, de  quadam  domo  sita  in  Montepessulano  juxta  sinagogam 
Judeorum,  que  confrontatur  ab  una  parte  cum  dicta  siuagoga  et  ab 
alia  parte  cum  furno  Guillelmi  Lamberti  et  ab  alia  parte  cum  domo 
Duranti  Givace,  que  fuit  Simonis  Ricardi  et  cum  via  publica,  que 
domus  tenetur  sub  domino  nostro  et  teneri  consuevit  sub  dominio 
domini  Montispessulani  sub  annuo  usatico  trium  obolorum,  consi- 
derato  etiam  quod  dicta  domus  incidit  nobis  in  comissum  et  eam  ut 
comissam  nobis  propriam  tenemus,  quia  sineconsensu  domini  Mon- 
tispessulani vel  bajuli  sue  curie  laudata  non  fuerit  venditio  merao- 
rata,  prout  aparet  per  tenorem  dicti  instrumenti  et  aliis  etiam  de 
causis,  immo  laudimium  defraudatum  fuerit  in  nostri  dominacionis 
prejudicium.  Idcirco  per  nos  et  successores  nostros,  volantes  (sic) 
facere  gratiam  specialem  universitati  Judeorum  habitantium  in  parte 
nostra  Montispessulani,  donamus  et  concedimus  in  acapicum  sive  in 
emphiteosim  perpetuam  vobis,  Jacob  de  Lunello  et  Tauros  de  Belli- 
cadro  et  Ferrario  Bonafos  et  Bondie  de  Bellicadro  et  Ysaco  de  Lo- 
cherva et  Habram  de  Biterris,  Judeis  preseutibus  et  hoc  acapicum 
recipientibus  pro  universitate  omnium  Judeorum  habitantium  in 
parte  nostra  Montispessulani,  et  omnibus  et  singulis  Judeis  predictis 
tantum,  domum  superius  confrontatum  totam,  cum  omnibus  juribus 
et  pertinenciis  suis,  quam  quidem  domum  vobis,  dictis  Judeis  in  parte 
nostra  habitantibus  ad  acapicum  concedimus,  ut  dictum  est,  ad 
omnes  voluntates  ipsius  universitatis  plenarie  faciendas  et  specialiter 
ad  statuendam  eam  in  causa  sive  facto  elemosine,  si  voluerit  univer- 
sitas  antedicta,  item  ad  habendum,  tenendum,  possidendum,  dandum, 
vendendum,  permutandum,  pignori  (sic)  obligandum  seu  quolibet 
alio  alienationis  titulo  aliènandum  cuicumque  et  quibuscumque 
dicta  universitas  Judeorum  voluerit  personis,  exceptis  sanctis.  cleri- 
cis,  mililibus,  et  lecis  religiosis,  et  exceptis  judeis  habitantibus  in 

T.  XIX,  N°  38.  18 


274  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

parte  episcopi,  salvo  tamen  ibi  jure  et  dominio,  laudimio  et  consilio 
nostri  et  nostrorum  vel  tenentis  locum  nostrum  in  Montepessulano 
et  usatico  sive  censu  quinque  solidorum  Melgoriensium  semper 
annuatim  nobis  et  nostris  successoribus  dando  et  solvendo  in  festo 
sancti  Micahelis  [sic)  septembres,  et  confitemur  et  recognoscimus 
vobis,  dictis  Judeis,  quod  vos  pro  dicta  universitate  solvistis  nobis 
pro  hoc  acapico  centum  libras  Melgoriensium  de  quibus  nos  per 
paccatos  tenemus,  renunciantes  exceptioni  peccunie  non  habite  et 
non  recepte  et  doli,  promittentes  vobis,  dictis  Judeis,  quod  nos 
faciemus  dictam  universitatem  dictorum  Judeorum  dictam  domu-m 
perpetuo  hahere  et  tenere  pacifiée  et  quiète  sine  contradictione  ali- 
cujus  persone  eteam  dicte  universitati  defï'endemus  ab  omni  persona 
et  personis  ibi  aliquid  petentibus  et  de  evictione  teneri  volumus 
judeos  dicte  universitatis.  Datum  in  Montepessulano,  VIII  idus  Julii, 
anno  Domini  millesimo  CC°  LXX°  septimo. 

Signum  +  Jacobi,  Dei  gratia  régis  Majoricarum,  comitis  Rossi- 
lionis  et  Geritanie  et  domini  Montispessulani. 

Testes  sunt    Petrus  de  Claromonte, 
Bernardus  de  Ulmis, 
Guillelmus  de  Caneto, 
Ermegaudus  de  Urgio, 
Berengarius  Surdi. 

Signum  +  Pétri  de  Galidas,  qui  mandata  dicti  domini  régis,  hoc 
scribi  fecit  et  clausit,  loco  die  et  anDO  prefixis. 

(Archives  municipales  de  Montpellier,  Liber  instrumentorum  memorialium, 
fol.  202  v»,  n°  584.  Pièces  liminaires) . 


VI. 


Ordonnance  du  duc  d'Anjou  enjoignant  au  bai  le  de  Montpellier 

DE   FAIRE    SORTIR    LES  JUIFS    DU   CARREFOUR   DE    GaSTELMOTON. 

1365  (18  juin). 

Ludovicus,  quondam  Francorum  régis  filius,  domini  nostri  régis 
germanus  ejusque  locumtenenens  (sic)  in  partibus  Occitanis,  dux  An- 
degavensis  et  cornes  Genomanensis,  bajulo  regio  Montispessulani  vel 
ejus  locumtenenti,  salutem.  Querelam  dilectorum  nostrorum  consu- 
lum  ville  Montispessulani  audivimus  conlinentem  quod,  licet  propter 
guerras  et  discurssus  latrumculorum  (sic)  inimicorum  domini  nostri 
régis  et  totius  ejus  regni,  quidam  dicte  ville  suburbiorum  habitatores 
infra  clausuram  murorum  dicte  ville  se  constituerunt  et  ibidem  suas 
habitaciones  feceruat,  ex  eo  quia  in  dictis  suburbiis  non  clausis  vel 
minus  bene  secure  cum  suis  uxoribus,  filiis,  familia  et  rébus  non 


DOCUMENTS  INÉDITS  SUR  LES  JUIFS  DE  MONTPELLIER  275 

poterant  habitare  absque  periculo  dictorum  inimicortim  regnum  dis- 
currentium  antedictum  et  disraubacione  et  apprezonamento  suarum 
personarum  et  rerum,  propter  quod  dicte  ville  hospicia  iufra  com- 
munem  clausuram  murorum  fuerunt  quarn  plurimum  occupata,  sic 
et  iu  tantum  quod,  pretextu  Judeorum,  cjui  quendam  locum,  carre- 
riam et  statigiam  dicte  ville  latam,  longam  et  quarn  plurimum  spa- 
ciosam  et  sauiorem  dicte  ville  iufra  dictam  clausuram  murorum, 
prope  quadrivium  de  «  Gastelmoto  »,  ex  sua  ubertate  peccunie  et  ali- 
quorum  potencia,  in  grande  prejudicium  habitatorum  dicte  ville, 
jam  diu  est,  occuparuut,  et  dictam  carreriam  et  locum  detinent 
occupatum,  vix  dicte  ville  habitatores  recipi  possunt  infra  commu- 
nem  clausuram  murorum  predictam,  ymo  tfccasione  predicta  et 
restrictione  dictorum  habitatorum  quamplurimi  mortui  sunt  et  inter 
eosdem  irifirmitates  maxime  generantur,  propter  quod  supplicarunt 
dicli  consules  (sic)  de  remedio  opportuno  providere.  Tibi  igitur,  bajulo 
vel  tuo  locumteneuti,  precipimus  et  mandamus  et,  si  opus  fuerit, 
committimus  quatinus,  visis  presentibus,  indilate  dictos  Judeos  in 
loco  predicto  commorantes  seu  in  carreria  predicta  amoveas  seu 
amoveri  facias  indilate,  inhibentes  eisdem  ne  in  dicto  loco  morentur 
infra  villam  predictam,  nisi  in  carreria  seu  loco  vocato  «  la  Vacaria  » 
prope  portale  de  «  la  Saunaria  »,  quem  locum  nos  ipsis  Judeis,  ad 
dictorum  consulum  requisitionem,  tenore  presencium  assignamus, 
inhibeasque  dictis  Judeis,  sub  magnis  pénis,  domino  nostro  régi  seu 
nobis,  nomine  regio,  applicandis,  et  per  capcionem  persone  et  aliis 
remediis  opportunis,  ne  dictum  locum  occuppent  (sic),  carreriam  seu 
hospicia  ejusdem,  ymo  hospiciis  dicte  carrerie  christianos  dicte 
ville  uti  facias  paciffice  et  gaudere,  volentes  inhibi  (sic)  habitare, 
absque  contradictione  Judeorum  et  alterius  cujuscumque,  quibus 
nos.  tenore  presencium,  inhibemus  ;  volentes  insuper  et  tibi  preci- 
pientes  quatinus  loca  seu  hospicia  in  carreria  Vacarie  prefala  eisdem 
Judeis  assignes  et  tradi  facias  ad  suas  habitaciones  pro  salario  seu 
loquerio  competenti  et  prout  tibi  videbitur  faciendum.  sic  in  pre- 
missis  te  habendo,  quod  dicti  consules  ad  nos  non  redeant  querelosi. 
Que  omnia  concedimus  dictis  consulibus  et  dicte  ville  habitatoribus 
de  speciali  gratia,  si  sit  opus,  et  auctoritate  regia,  qua  fungimur  in 
bac  parte,  litteris  in  coutrarium  impetratis  seu  impetrandis,  sub 
quacumque  verborum  forma,  non  obslantibus  quibuscumque,  ab 
omnibus  autem  justiciarum  et  domini  nostri  régis  subditis  pareri 
volumus  efficaciter  et  intendi.  Datum  Nemausi,  die  XVIII  mensis 
Junii,  anno  Domini  millesimo  CGC  sexagesimo  quinto,  sub  nostro 
secreti  sigillo. 

Per  dominum  Ducem. 

J.  Chantepie. 

(Archives  municipales  de  Montpellier,  cassettes  de  Louvet,  E.  VII,  n°  33,  5e  pièce.) 


270  REVUK  DES  ETUDES  JUIVES 


VIL 


Mandement  du  duc  d'Anjou  au  gouverneur  de  Montpellier  lui 
ordonnant  de  s'opposer  a  l'exécution  de  la  peine  prononcée 
par  Me  Pierre  Taurel,  conservateur  des  privilèges  des  Juifs, 

CONTRE   LE   BA1LE. 

1365  (23  juin). 

Ludovicus,  quondaui  Francorum  régis  filius,  domini  nostri  régis 
germanus,  ejusque  locumtenens  in  partibus  Occitanis,  dux  Ande- 
gavensis  et  cornes  Genomanensis,  gùbernatori  regio  ville  Montispessu- 
lani  vel  ejus  locumtenenti,  salutem.  Querelam  dilectorum  nostrorum 
consulum  ville  Montispessulani  audivimus,  cootinentem  quod,  licet 
per  nostras  litteras  bajulo  dicte  ville  jussum  et  mandatum  fuisset 
quod  Judeos,  habita  tores  dicte  ville,  coram  se  faceret  evocari  et  de  ipsis 
conquerentibus  quibuscumque  ministrare  faceret  justicie  comple- 
mentum  ac  de  omnibus  causis  ipsos  Judeos  tangentibus,  ut  ordina- 
rius  dicte  ville,  cognosceret  et  justiciam  ministraret,  propter  quod 
idem  bajulus  per  magistrum  Petrum  Taurelli,  conservatorem  sub- 
delegatum,se  asserentem  per  dilectum  consanguineum  nostrum  , 
comitem  Stamparum,  super  privilegiis  Judeorum  conservatorem, 
eumdem  bajulum  coram  se  evocari  fecit  et  tandem,  quia  perso - 
naliter  non  comparuit  coram  eo  ac  de  causis  Judeorum  predictis 
cognoscere  nitebatur,  in  multam  quater  centum  marcharum  argen- 
tieumdem  bajulum  incidisse  declaravit,  licet  ab  eadem  declara- 
cione  idem  bajulus  seu  ejus  procurator  ad  dominum  nostrum 
regem  seu  nos  se  asserat  legittime  (sic)  appellasse,  nos,  prefatorum 
consulum  supplicacionibus  inclinati,  omnes  processus  per  dictum 
magistrum  Petrum  contra  dictum  bajulum  factos ,  ordinaciones, 
declaraciones ,  multarum  imposiciones  anullavimus  ,  revocavimus 
et  tenore  presencium  anullamus,  ipsam  multam  quater  centum 
marcharum  argenti  seu  penam  ac  aliam  quamcumque,  si  in  quam 
idem  bajulus  incidit  vel  incidere  potuit  quoquomodo,  remittimus, 
quittamus  et  eidem  bajulo,  si  opus  fuerit,  damus  dono  gracioso 
liberaliter  per  présentes.  Hinc  est  quod  vobis,  gùbernatori,  precipi- 
mus  etmandamus  et,  si  opus  fuerit,  comittimus,  ne  ipsum  bajulum 
exsequtari  permittas  seu  ab  eodem  exhigi  (sic)  dictam  multam, 
inhibeasque  dicto  magistro  Petro  Torelli  et  alteri  cuicumque,  per 
multarum  imposiciones  et  declaraciones,  si  opus  fuerit,  ne  occasioue 
multe  predicte  ipsum  bajulum  inquietet,  perturbet  seu  inquietare 
audeat  quomodo,  cui  nos  tenore  presencium  inhibemus,  litteris  in 
contrarium  impetratis  vel  impetrandis,  sub  quacumque  verborum 
forma,  non  obstantibus  quibuscumque,  quas  litteras  isti  contrarias 
nos  tenore  presencium  revocamus.   Que  omnia   concedimus  dictis 


DOCUMENTS  INÉDITS  SUH  LES  JUIFS  DE  MONTPELLIEK  277 

consulibus  et  bajulo  predictis  de  nostra  certa  scieucia  et  speciali 
gratia,  si  sit  opus,  auctoritateque  regia,  qua  fungimur  in  hac  parte, 
ab  omnibus  autem  justiciariis  et  domini  nostri  régis  subditis  vobis 
pareri  volumus  et  intendi.  Datum  Nemausi,  die  XXIII3  mensis  Junii, 
anno  Domini  M0  CCG°  sexagesimo  quinto. 

Per  dominum  Ducem. 

G.  Gontier. 

(Archives  municip.  de  Montpellier,  cassettes  de  Louvet,  E.  Vil, 
n°  33,  6e  pièce.) 


VIII. 

Extrait  des  registres  des  notaires  de  Montpellier. 

1293. 

Item,  septimo  idus  septembris. 

Ego,  Johannes  Vitalis,  filius  Hugonis  Vitalis,  et  ego  Micahela, 
ejus  uxor,  de  Piniano,  confitemur  et  quisque  in  solidum  nos  debere 
tibi,  Profag,  Judeo,  filio  Vivas  de  Naserana,  Judei,  quadraginta  et 
VIII0  solidos  Melgoriensium,  ex  causa  mutui,  in  quibus  renunciantes, 
etc.,  quos  XLVIII0  sol.  promitimus  et  quisque  in  solidum  sub  nostri 
et  bonorum  nostrorum  obligatione  dare  et  solvere  tibi  recipienti  ab 
instanti  festo  Sancti  Micahelis  in  unum  annum,  aliter  dabimus  tibi 
pro  lucro,  etc.,  ren.,  etc.,  et  jur.,  etc.  Actum  quod  supra,  etc. 

T.  Bonafos  Bidocii,  Guillelmus  de  Crescio,  et  ego,  etc. 

(Archives  municipales  de  Montpellier,  Registres  des  notaires-de  la  ville, 
1293,  fol.  1  r°.) 

...  tibi,  Jaco  de  Naserena,  Judeo,  septem  sol.  Mlgr.,  ex  causa 
mutui. . . 

(Ib.,  fol.  1  r°.J 

. . .  tibi,  Ysac  de  Avinione,  Judeo,  et  tuis,  quinquaginta  et  octo  sol. 
Mlgr.,  ex  causa  mutui... 

(Ib.,  fol.  1  r«.) 

...  tibi,  Bon  Senhor,  filio  Ysac  de  Avinioue,  Judeo,  unum  seste- 
rium  pulcre  toselle,  ex  causa  mutui. .. 

(Ib.,  loi.  1  r°.) 

Item,  XVI.  kls.  octobr.  —  Ego  Durantus  de  Nemauso.  Judeus, 
filius  quondam  Bonafos  de  Nemauso,  per  me  et  meos,  bona  fide  et 
bono  animo,  vendo,  do,  cedo  et  mando  tibi,  Jaco  de  Naserena,  Judeo, 
et  tuis,  omnia  jura,  omnes  omnino  actiones,  etc.,  mihi  quocumque 
modo  et  ex  quacumque  causa  compétentes  et  competentia,  contra  e 


278  HE  VUE  DES  ETUDES  JUIVES 

adversus  dominam  Mariam  de  Arenis,  uxorem  quondam  B.  de  Sancto 
Justo,  domicelli  de  Montefferrario,  et  contra  liberos  suos  et  dicti 
quondam  B.  et  bona  sua. . . 

(Ib.,  fol.  2  r°.) 

Ego,  Jaco  (sic)  de  Naserena,  Judeus,  pro  me  et  Vivas,  fratre  meo,  a 
quo  etc.,  prorogo  et  elongo  absque  omni  lucro  seu  usura  tibi,  Bernardo 
Penchenati  de  Sancto  Nazario,  recipienti  pro  te  et  niatre  tua,  et  Petro 
Auguini  et  Poncio  Laurencii,  hinc  ad  proxime  instans  festum  Sancti 
Pétri  de  Augusto,  solutionem  et  solutiones  omnium  debitorum  in 
quibus  tu  una  cum  aliis  predictis  quocumque  modo  es  mihi  et 
dicto  fratri  meo  aut  alteri  nostrum  obligatus  usque  in  hune  diem 
presentem. 

T.  Johannes  de  Podio  de  Arsacio  et  ego  etc. 

(Ib.,  fol.  2  v°.) 
1k 

. . .  tibi,  Vidas,  filio  Salves  de  Neinauso,  Judei,  et  tuis,  XL.  sol. 
Mlgr.,  ex  causa  mutui. . . 

(Ib.,  fol.  3  v°.) 

. . .  tibi,  Mosse  de  Biterris,  Judeo,  phisico,  quinquaginta  et  très  sol. 
Mlg.,  ex  causa  mutui. . . 

(Ib.,  fol.  6  vo.) 

...  tibi,  Mosse  de  Biterris,  Judeo,  phisico,  quatuordeeim  ss.  minus 
uua  quartali  bone  civate  et  mercadabilis,  de  terra  ista,  ex  causa 
mutui... 

(Ib.,  fol.  6  V») 

.. .  tibi,  Crescon  (?)  Cohen,  Judeo,  et  tuis,  sexaginta  sol.  Mlgr.,  ex 
causa  mutui... 

(Ib.,  fol.  6  vo.) 

...  tibi,  Bonanas  de  Biterris,  Judeo,  sex  sol.  Mlgr.,  ex  causa 
mutui. .. 

(Ib.,  fol.  7  r°.) 

Item,  IIII.  kls.  octobr.  —  Ego  Jusse  de  Bolena,  Judeus,  films  Jaco 
de  Bolena,  Judei,  et  ego  Astruga,  ejus  uxor,  confitemur  et  quisque 
in  solidum  nos  debere  tibi,  Marie  Orlhaque,  uxori  quondam  B.  de 
Orlhaco,  mercerii,  et  tuis,  IIIIor.  lbr.  et  XV  sol.  et.  IIIIor.  d.  Mlgr., 
pro  scrico  tantum  valeuti,  quod  a  te  ex  causa  emptionis  hujusmodi 
etc.,  in  quibus  ren.  etc.. 

(Ib.,  fol.  7  r°.) 

...  tibi,  Mosse  de  Biterris,  Judeo.  IIII0r.  ss.  bone  civate  de  terra 
ista,  ex  causa  mutui. . . 

(Ib.,  fol.  7  r°.) 


DOCUMENTS  INEDITS  SUR  LES  JUIFS  DR  MONTPELLIER  279 

...  tibi,  Profag.  Judeo,  filin  Vivas  de  Naserena,  Judei,  viginti  sol. 
Mlgr.  et  très  eminas  toselle,  ex  causa  mutui 

(Ib.,  fol.  7  r>.) 

Item,  tercio  kls.  octobr.  —  Ego,  Bonanasc  de  Biterris,  Judeus, 
confiteor  tibi  Symerie,  uxori  quondam  Micahelis  Boneti  de  Miris 
Vallibus,  quod  tu  satisfecisti  mihi  iu  sexaginta  sol.  Mlgr.  de  XII. 
libr.  in  quibus  tu  mihi  es  obligata. .. 

(Ib.,  fol.  7  r°.) 


IX. 

Quittance  délivrée  par  Salomon  Bon  Senho,  en  son  propre  nom 

ET   AU   NOM   DE  ThORON   MARMA ,    JUIF   DE    MONTPELLIER,    A   PlERRE 

Roque. 

1390  (12  juillet). 

Anno  ab  incarnatione  Domini  millesimo  triscentesimo  (sic)  nona- 
gesimo  et  die  duodecima  mensis  Julii,  regnantibus  et  presidentibus 
quibus  supra,  noverint  universi  et  singuli  quod,  cum  Petrus  Roqui 
et  Petrus  Pinoli,  loci  Saucti  Andrée  de  Cingeria,  Uticensis  diocesis, 
tenerentur  et  essent  obligati  Salomoni  Bon  Senho,  Judeo.  habitanti 
Alesti,  Nemausensis  diocesis,  in  triginta  et  sex  franchis  auri,  racione 
et  ex  causa,  ut  dicitur,  contenta  in  quodam  publico  instrumento, 
recepto  per  magistrum  Petrum  Adhemarii,  notarium  regium  dicti 
loci  Alesti,  sub  anno  et  die  in  eodem  instrumento  contentis,  item 
cum  dictus  Petrus  Roqui  teneretur  et  esset  obligatus,  ut  dicitur, 
Thorono  Marma,  Judeo  Montispessulani,  in  sexdecim  franchis  auri, 
ex  causa  contenta  in  quodam  publico  instrumento,  recepto  per  ma- 
gistrum Johannem  Ferrerii,  notarium  publicum  de  Sancto  Ambrosio, 
sub  auno  et  die  in  eodem  contentis,  hinc  est  et  fuit  siquidem  quod, 
persoualiter  constitutus  in  presentia  mei,  notarii  publici,  et  testium 
subscriptorum,  dominus  Salomon  Bon  Senho,  Judeus,  nomine  suo 
proprio,  dixit,  confessus  fuit  et  in  veritate  publiée  recognovit  dicto 
Petro  Roqui,  licet  absenti,  et  nobili  Guiraudo  Guayferii,  condomino 
castri  de  Tarancio,  sororioque  dicti  Pétri,  presenti,  ac  michi,  notario 
infrascripto,  ut  publiée  persone,  stipulantibus  et  recipientibus  no- 
mine dicti  Pétri  Roqui,  absentis,  et  suorum  heredum  et  successo- 
rum,  se  ab  eodem  Petro  Roqui  habuisse  et  realiter  numerando  et  in 
bona  pecunia  numerata  récépissé,  videlicet  triginta  fraucos  auri,  qui 
pertinebant  ad  solvendum  de  dicta  summa  dictorum  triginta  sex 
frauchorum  dicto  Petro  Roqui.  Item,  idem  Salomon,  Judeus,  ut  pro- 
curator  et  procuratorio  nomine  dicti  Thoroni  Marma,.  Judei  Montis- 
pessulani, prout  de  ejus  procuratione  constare  dicitur  [in]  quodam 
publico  instrumento  suinpto  per  magistrum  Gregorium  Raimondi, 


280  REVUE  DES  ETUDES  JUIVES 

notarium  Alesti,  sub  anno  et  die  in  eodem  contentis,  habens  idem 
Salomon,  ut  dixit  in  dicta  sua  procuratione,  potestatem  nec  non 
spéciale  mandatuni  recipiendi  et  exhigendi  crédita,  res  et  jura 
dicti  Thoroni  Judei  et  de  receptis  quitantiam  seu  quitantias  et  pac- 
tum  de  ulterius  non  petendo  faciendi,  procuratorio  nomine  quo 
supra,  dixit,  confessus  fuit  et  in  veritate  publiée  recognovit  dicto 
Petro  Roqui,  licet  absenti,  et  michi,  notario  infrascripto,  ut  supra 
stipulanti  nomine  dicti  Pétri  Roqui  et  suorum  heredum  et  suc- 
cessorum,  se  ab  eodem  Peiro  Roqui,  procuratorio  nomine  quo  supra, 
habuisse  et  récépissé  dictum  debitum,  in  quo  idem  Petrus  Roqui 
dicto  Thorono,  ut  prefertur,  tenebatur  et  est  obligatus,  exceptio- 
nique  dictorum  triginta  francorum,  ex  parte  una,  et  dicti  debiti, 
ex  parte  altéra,  pe/  eundem  Salomonem,  Judeum,  tam  nomine 
suo  proprio  quam  procuratorio  nomine  dicti  Thoroni,  aiterius 
Judei,  a  dicto  Petro  Roqui  non  habitorum  et  non  receptorum,  spei- 
que  future  receptionis  eorumdem  idem  Salomon,  quibus  supra 
nominibus,  renunciavit,  pactumque  fecit  idem  Salomon,  quibus 
supra  nominibus,  predicto  Petro  Roqui,  licet  absenti,  tanquam 
presenti,  et  dicto  nobili  Guiraudo  ac  michi,  infrascripto  notario, 
stipulantibus  et  recipientibus  quo  supra  nomine  dicti  Pétri  Roqui, 
sollempnique  stipulatione  vallatum  de  ulterius  non  petendo  ab 
eodem  Petro  Roqui  nec  a  suis  aut  in  bonis  suis  dictos  triginta 
francos  auri,  ex  parte  una,  per  ipsum  Petrum  Roqui  dicto  Sa- 
lomoni  debitos  et  debitum  per  ipsum  Petrum  Roqui  dicto  Thorono 
debitum,  ex  altéra,  nec  aliquid  pro  eisdem,  set  de  predictis  tri- 
ginta francis  auri,  ex  parte  una,  et  de  predicto  debito  dictorum 
sexdecim  francorum,  ex  altéra,  idem  Salomon,  tam  nomine  suo 
proprio  quam  eciam  procuratorio  nomine  dicti  Thoroni,  aiterius 
Judei,  tenens  se  pro  contento  pariter  et  paccato  et  de  fidejussione, 
per  dictum  Petrum  Roqui  facta  pro  dicto  Petro  Pinoli  seu  ad  requi- 
sitionem  ipsius  Pétri  Pinolis  ipsi  Salomoni  Judeo  nec  non  eciam  de 
omnibus  universis  et  singulis  in  quibus  dictus  Petrus  Roqui  tene- 
retur  seu  repperiretur  quomo[do]libet  obligatus  dictis  Salomoni  et 
Thorono  Judeis  seu  alteri  eorumdem  quacumque  racione  seu  causa 
hic  tacita  vel  expressa  sita  vel  ignorata  usque  in  hune  diem  pre- 
sentem,  idem  Salmon  (sic),  nomine  suo  proprio  et  nomine  eciam 
procuratorio  et  ut  procurator  dicti  Thoroni,  aiterius  Judei,  dictum 
Petrum  Roqui,  absentem,  tanquam  presentem,  et  suos  et  bona  sua 
quitavit,  liberavit  penitus  et  absolvit,  et  hoc  per  acceptilationem, 
aquilaria  stipulatione  légitime  précédente,  renuncians  super  pre- 
missis  omnibus  et  singulis  idem  Salomon,  quibus  supra  nominibus, 
exceptioni  doli  mali,  vis,  metus  et  in  factum  condicioni  ob  causam 
et  sine  causa  vel  ex  injusta  causa,  beneficioque  restitutionis  in  in- 
tegrum  quod  majoribus  competit  et  eciam  minoribus  ex  clausula 
generali  «  Si  qua  justa  causa  michi  inesse  videbitur  »,  jurique  di- 
cenli  confecionem  factam  extra  judicium  non  valere  et  juri  dicenti 
generalera  renunciationem,   nisi   precesserit  specialis,  non   valere, 


DOCUMENTS  INEDITS  SUR  LES  JUIFS  DE  MONTPELLIER  281 

errorique  et  ignorantie  juris,  dicti  et  facti,  ceterisque  aliis  juris  et 
facti  legum  et  canonum  auxiliis,  beneficiis  et  remediis,  quibus  me- 
dianlibus  contra  predicta  vel  aliqua  de  predictis  venire  posset  aut 
se  in  aliquo  deflendere  veljuvare,  et  ita  tenere,  servare,  attendere  et 
complere  contraque  nunquam  facere  vel  venire,  de  jure  vel  de  facto, 
per  se  neque  per  alium  seu  alios  in  judicio  sive  per  soliempnem  el 
validam  stipulationem  et  sub  obligatione  omnium  bonorum  suorum, 
presentium  et  futurorum  et  dicti  Thoroni,  cujus  est  procurator  idem 
Salomon  Bon  Senlio,  Judeus,  nomine  suo  proprio  et  nomine  procu- 
ratorio  et  ut  procurator  dicti  Thoroni,  alterius  Judei,  dicto  nobili 
Guiraudo  Guayfïerii  ac  michi,  notario  infrascripto,  nomine  dicti 
Pétri  Roqui,  absentis,  stipulantibus,  boua  fide  promisit  et  super 
quodam  libro  legis  ipsorum  Judeorum,  in  quo  idem  Salomon,  ut 
dixit,  assuetus  in  contractibus  et  aliis  est  prestare  juramentum  et 
sub  fide  legis  sue  predicte  juravit,  protestans  idem  Salomon  quod 
per  hanc  presentem  quitantiam  non  intendit  quitare  dictum  Petrum 
Pinoli  de  sex  francis  ad  dictum  Petrum  Pinoli  pertinentibus,  ad  sol- 
vendum  eidem  Salomoni  de  dicta  summa  dictorum  triginta  sex  fran- 
corum  et  quod  per  ipsam  presentem  quitantiam  dicto  Petro  Roqui, 
ut  prefertur,  factam,  per  eundem  Salomonem  non  possit  eidem  Salo- 
moni Judeo  prejudicare  quin  possit  sibi  facere  satisfieri  per  dictum 
Petrum  Pinoli  de  dictis  sex  francis  ;  de  quibus  omnibus  et  singulis 
predictis  idem  Salomon,  quibus  supra  nominibus,  dicto  Petro  Roqui 
concessit  et  idem  nobilis  Guiraudus  Guayferii,  nomine  dicti  Pétri 
Roqui,  absentis,  peciit  fieri  publicum  instrumentum  per  me,  nota- 
rium  infrascriptum,  quod  instrumentum  idem  Salomon  'voluit  quod 
ego,  dictus  infrascriptus  notarius,  possim  facere  dictari,  corrigi  et 
emendari  unam  clausulam  vel  plures,  addendo  vel  detrahendo  inde, 
reffici,  sive  sit  extractum  de  nota  vel  non  extractum  et  licet  sit  pro- 
ductum  in  judicio  vel  non  et  tociens,  donec  plenanam,  perpetuam  ac 
omnimodam  obtineat  roboris  firmitatem  ad  dictamen  et  concilium 
cujuslibet  sapientis  vel  plurium  sapientum,  ita  tamen  quod  facti 
substancia  in  aliquo  non  mutetur.  Acta  fuerunt  hec  apud  pontem 
Tarancii  et  ante  hospicium  Guillermi  Ribayroli,  hostalerii  dicti 
pontis,  testibus  presentibus  ad  hec  vocatis  specialiter  et  rogatis, 
nobili  Bernardo  de  Chorrossio,  condomino  dicti  castri  de  Tarancio, 
pro  uxore,  Guiraudo  Leussati  de  Sancto  Ambrosio,  Stephano,  do- 
mino de  Rippaccuta,  Petro  Portalis,  fabro  dicti  pontis,  et  me,  Petro 
de  Usacio,  clerico,,  publico  notario  etc. 

(Registre  des  minutes  du  notaire  Pierre  de  Usacio,  1387-1392, 
appartenant  à  M.,  fol.  23  v°-24  v°.) 


PROCÈS  DE  R.  JOSELMANN 

CONTRE  LA  VILLE  DE  COLMAR1 


Au  commencement  du  xvic  siècle,  il  régnait  contre  les  Juifs, 
dans  le  sud-ouest  de  l'Allemagne,  une  très  vive  agitation,  qui  pro- 
voqua leur  expulsion  d'un  grand  nombre  de  villes.  On  voit  par  le 
Journal  de  Joselmann  que  ce  mouvement  s'étendit  jusque  dans 
les  villes  impériales  de  l'Alsace.  La  ville  de  Colmar  se  distingua 
particulièrement  par  son  acharnement  contre  les  Juifs  et,  en  1510, 
elle  obtint  l'autorisation  de  les  chasser  tous.  M.  Scheid  a  raconté 
dans  cette  Revue  (tome  XIII,  p.  70-74)  les  pourparlers  des  Juifs 
avec  la  ville  de  Colmar  et  leur  expulsion  définitive.  Je  reprends  le 
récit  à  l'endroit  où  M.  Scheid  l'a  arrêté. 

A  la  diète  de  Ratisbonne  (1541),  Charles-Quint  avait  accordé 
aux  bourgeois  de  Colmar  le  nouveau  privilège  de  défendre  à 
«  tous  les  Juifs  et  Juives  d'entrer  dans  la  ville,  sans  l'assentiment 
du  conseil  ».  Les  magistrats  de  Colmar  communiquèrent  à  Josel- 
mann, le  16  août  1541,  le  décret  impérial  et  l'invitèrent  à  le  faire 
connaître  à  tous  les  Juifs  dont  il  était  le  chef  et  à  appeler  leur 
attention  sur  le  châtiment  qui  menaçait  ceux  qui  seraient  arrêtés 
dans  le  territoire  de  Colmar.  Joselmann,  sur  la  prière  des  Juifs, 
insista  vainement  auprès  du  conseil  de  Colmar  pour  qu'il  autorisât 
les  Juifs  à  assister  au  moins  aux  foires  et  marchés  hebdomadaires. 
Il  eut  beau  promettre  au  nom  des  Juifs  qu'ils  ne  donneraient  lieu 
à  aucun  sujet  de  plainte,  et  qu'ils  ne  mécontenteraient  aucun  bour- 
geois :  le  conseil  persista  dans  son  refus.  Joselmann  s'adressa 
alors  à  l'empereur.  A  ce  moment,  il  jouissait  de  la  faveur  parti- 
culière de  Charles-Quint,  parce  que,  pendant  sa  campagne  contre 

1  Les  actes  du  proies,  qui  se  trouvaient  autrefois  à  Wetzlar,  sont  maintenant  à 
la  bibliothèque  de  l'Université  à  Strasbourg,  d'où  je  lçs  ai  reçus  avec  l'autorisation 
du  ministère  impérial. 


PROCÈS  DE  U.  JOSELMANN  CONTRE  LA  VILLE   DE  COLMAK  283 

la  France,  il  lui  avait  donné,  au  nom  des  Juifs  d'Allemagne,  une 
forte  somme  d'argent  (voir  Pièces,  I  et  II),  et  que  ceux-ci 
avaient  fourni  pendant  la  guerre  de  Smalkalde  des  approvision- 
nements considérables  aux  troupes  impériales  (voir  le  Journal 
de  Joselmann). 

Aussi  Charles-Quint  tint  compte  des  vœux  de  Joselmann  et,  le 
23  décembre  1541,  il  publia  à  Augsbourg  une  déclaration  (voir 
Pièce  III)  par  laquelle  il  intimait  l'ordre  aux  magistrats  de 
Colmar  de  ne  plus  interdire  aux  Juifs  l'entrée  de  la  ville  et,  en 
général,  de  ne  leur  plus  donner  aucun  sujet  de  plainte.  Cette 
«  déclaration  »  n'eut  pas  le  résultat  que  Joselmann  en  attendait. 
Les  magistrats  de  Colmar  informèrent  bien  Joselmann  de  la  récep- 
tion de  la  déclaration  impériale,  mais  ils  ajoutèrent  qu'ils  ne  pou- 
vaient pas  encore  prendre  de  décision  à  ce  sujet,  et,  pour  qu'il 
ne  s'avisât  pas  de  porter  plainte  contre  eux  auprès  de  l'empereur, 
ils  le  prièrent  de  leur  accorder  un  délai  de  trois  à  quatre  se- 
maines, parce  qu'ils  attendaient  l'arrivée  du  bailli,  qui  était  déjà 
au  courant  de  l'affaire,  et  avec  lequel  ils  allaient  examiner  la 
question.  Ils  exprimaient  ironiquement  le  vœu  que  Joselmann  ne 
vît  pas  avec  trop  de  déplaisir  ce  léger  retard,  attendu  qu'il  leur 
avait  fait  attendre  longtemps  la  déclaration  impériale,  probable- 
ment parce  qu'il  pensait,  comme  eux,  qu'il  ne  faut  pas  de  préci- 
pitation dans  les  affaires  sérieuses.  Les  pourparlers  avec  le  bailli 
n'aboutirent  à  aucun  résultat.  Enfin  le  2  novembre  1548,  ils  lui 
annoncèrent  qu'à  leur  regret,  ils  ne  pouvaient  se  conformer  ni 
au  désir  du  bailli,  ni  à  l'ordre  de  l'empereur,  et  ils  l'engagèrent 
à  «  faire  renoncer  les  Juifs  à  une  demande  vaine  et  inutile  et  à 
les  inviter  à  se  tenir  tranquilles.  »  Ils  justifièrent  leur  refus  en 
s'en  rapportant  à  leur  privilège  de  1541. 

Charles-Quint  écrivit  alors  une  deuxième  fois  au  conseil  de 
Colmar.  Le  19  décembre  1548,  il  leur  déclara  qu'en  leur  qualité  de 
sujets  du  saint  empire  romain,  les  Juifs  étaient  autorisés  à  résider 
parmi  les  chrétiens  et  à  jouir  des  droits  communs,  comme  les 
chrétiens.  Aussi  «  est-il  défendu  de  leur  interdire  l'accès  d'une 
ville  quelconque  de  notre  empire  ou  de  leur  créer  des  difficultés 
pour  leur  commerce.  Du  reste,  ajoute  Tempereur,  nos  prédéces- 
seurs les  ont  autorisés  par  des  privilèges  spéciaux  à  fréquenter 
les  foires  et  marchés,  pour  les  mettre  à  même  de  gagner  leur  vie. 
Les  habitants  de  Colmar  invoquent  leur  privilège  de  Ratisbonne 
de  1541,  mais  tout  privilège  perd  son  action  quand  il  est  en  con- 
tradiction avec  le  droit  commun.  Du  reste,  ce  privilège  n'indique 
nullement  que  les  Juifs,  comme  «  cives  romani  »,  doivent  être 
exclus  des  marchés  ».  Il  invite  donc  les  magistrats  de  Colmar  à 


28/j  REVUK  DES  ETUDES  JUIVES 

comparaître,  vingt-quatre  jours  après  qu'ils  auront  reçu  la  pré- 
sente lettre,  devant  le  «  Kammergericht  »,  sur  la  plainte  de  Josel- 
mann,  le  commandant  des  Juifs,  et  des  chefs  des  communautés  de 
Turckheim,  Wintzenlieim,  Ammerswiller,  Tankelsheim  (=  Dan- 
golsheim) ,  Surbourg  et  Haguenau ,  représentés  par  les  trois 
avocats  du  «  Kammergericht  »,  MM.  Breunle ,  J.  Portius  et 
J.  Kochell. 

Le  procès  contre  Golmar  commença  le  25  janvier  1549  devant 
le  «  Kammergericht  »  de  Spire.  Dans  sa  plaidoirie  pour  les  Juifs, 
Breunle  remonta  jusqu'aux  lettres-patentes  de  l'empereur  Sigis- 
mond,  où  il  est  dit,  entre  autres,  que  «  toutes  les  rues  doivent  être 
accessibles  aux  Juifs,  qu'ils  doivent  y  jouir  d'une  entière  liberté  et 
y  vivre  en  paix  et  en  sécurité,  qu'ils  peuvent  se  rendre  librement 
d'une  ville  dans  une  autre.  »  11  ajouta  que  Charles-Quint  avait  con- 
firmé ces  droits,  en  1530,  à  la  diète  d'Augsbourg,  déclaré,  onze  ans 
plus  tard,  à  Ratisbonne,  que  les  Juifs  ne  pouvaient  pas  être  ex- 
pulsés des  villes  ou  des  villages  où  ils  étaient  alors  établis,  ni  gênés 
dans  leurs  affaires  ou  leur  circulation  par  des  taxes  ou  contribu- 
tions non  justifiées,  et  menacé  d'une  amende  considérable  ceux 
qui  porteraient  atteinte  aux  privilèges  des  Juifs.  Ceux-ci  avaient 
donc  le  droit,  disait  Breunle,  de  parcourir  le  Sundgau,  le  Brisgau 
et  l'Alsace,  et,  par  conséquent,  de  visiter  les  foires  et  marchés  de 
Colmar.  Comme  cette  dernière  ville  s'opposait  à  l'entrée  des  Juifs, 
Breunle  proposait  :  1°  de  condamner  Colmar  aux  frais  du  procès  ; 
2°  d'obliger  cette  ville  à  laisser  libre  accès  aux  Juifs,  et  3°  à  les 
indemniser  des  dommages  qu'ils  avaient  subis  depuis  qu'ils  n'a- 
vaient plus  pu  se  rendre  aux  marchés  de  Colmar. 

L'avocat  de  la  partie  adverse,  Christophe  Schwapach,  chercha 
à  faire  traîner  le  procès  en  longueur.  Il  souleva  d'abord  une  ques- 
tion de  compétence,  en  s'appuyant  sur  un  paragraphe  d'une 
ordonnance  impériale  d'après  lequel  un  ordre  de  l'empire  qui  était 
accusé  avait  le  droit  de  soumettre  à  l'accusation  une  liste  de  trois 
princes  ou  électeurs  de  l'empire  dont  l'accusateur  pouvait  choisir 
comme  arbitre  celui  qui  lui  convenait.  La  ville  de  Colmar  proposa 
donc  de  porter  l'affaire  devant  l'évêque  de  Strasbourg,  le  mar- 
grave de  Bade  ou  l'administration  habsbourgeoise  dEnsisheim, 
mais  elle  récusa  le  «  Kammergericht  ». 

Sur  le  refus  de  la  chambre  d'adopter  sa  proposition,  Schwapach 
écrivit  pour  Colmar  un  mémoire  justificatif,  qu'il  soumit  le  22  août 
aux  juges  impériaux.  Il  rappela  naturellement,  dans  ce  mémoire, 
les  édits  impériaux  promulgués  en  faveur  de  Colmar  en  1510  et 
en  1541,  à  la  suite  des  plaintes  des  habitants  de  cette  ville,  qui 
avaient  prétendu  que  les  Juifs  d'Alsace  ne  professaient    aucun 


PROCÈS  DE  R.  JOSELMANN  CONTRE  LA  VILLE  DE  COLMAR    285 

métier,  prêtaient  sur  gages  et  prenaient,  contre  tous  les  droits 
civils  et  canons,  des  intérêts  tellement  élevés  qu'ils  ruinaient  peu 
à  peu  tous  leurs  débiteurs.  Les  Juifs,  dit-il,  font  valoir  en  leur 
faveur  la  déclaration  impériale  de  1547  et  le  décret  de  1548,  mais 
ils  passent  sous  silence  les  décisions  prises  à  la  diète  d'Augsbourg 
en  1530  et  qui  défendent  à  tout  Juif  usurier  de  demeurer  dans  une 
ville  de  l'Empire  et  lui  enlèvent  la  protection  de  toutes  les  mesures 
prises  en  faveur  des  Juifs  par  les  empereurs  précédents.  Du  reste, 
il  est  faux,  comme  ils  le  prétendent,  qu'ils  aient  besoin  de  se 
rendre  aux  foires  et  marchés  de  Colmar  pour  gagner  leur  vie  ; 
il  y  a  encore  bien  d'autres  foires  et  marchés  en  dehors  de  ceux  de 
Colmar,  où  ils  pourront  acheter  et  vendre  à  volonté.  Enfin,  ajouta 
Schwapach  en  terminant,  les  privilèges  obtenus  par  la  ville  de 
Colmar  lui  ont  été  accordés  pour  les  services  importants  qu'elle 
a  rendus  à  l'Empire,  et  de  tels  privilèges  sont  irrévocables. 

A  ces  arguments  l'avocat  Breunle  répondit  par  ceux-ci  :  Les 
décrets  contre  les  Juifs  n'ont  pas  de  valeur,  parce  qu'ils  ont  été 
arrachés  par  ruse  aux  empereurs  Maximilien  et  Charles-Quint, 
qui  les  ont  promulgués  sans  avoir  entendu  d'abord  la  justification 
des  Juifs,  contrairement  au  décret  impérial  rendu  par  Maximilien 
en  1516  et  qui  défend  «  d  accuser  les  Juifs  et  de  les  priver  de 
leurs  droits  en  leur  absence,  sans  les  entendre  auparavant  ».  On 
ne  peut  pas  reprocher  aux  Juifs  de  faire  de  l'usure,  car  ils  y  ont 
été  autorisés  par  les  Etats  et  l'empereur,  parce  qu'ils  ne  prati- 
quent pas  de  métiers.  Quant  à  ceux  qui  n'agissent  pas  loyale- 
ment, Joselmann  est  également  d'avis  de  les  traiter  avec  sévérité. 
Mais,  si  l'on  veut  se  montrer  rigoureux  envers  les  Juifs,  pourquoi 
ne  pas  appliquer  également  la  sévérité  des  lois  aux  grands  com- 
merçants qui  accaparent  le  vin  et  le  blé,  ces  objets  de  première 
nécessité  pour  les  pauvres  gens,  afin  d'en  augmenter  le  prix?  De 
ce  que  l'empereur  a  expulsé  les  Juifs  de  quelques  districts  du 
Haut-Rhin,  qui  ont  sans  doute  mérité  leur  châtiment,  on  ne  peut 
rien  conclure  contre  les  Juifs  des  environs  de  Colmar,  qui  n'ont 
encouru  aucune  punition.  Les  Colmariens  se  vantent  des  services 
qu'ils  ont  rendus  à  l'empire  et  qui  leur  ont  valu  leurs  privilèges. 
Mais  Charles-Quint  a  reconnu  aussi  plus  d'une  fois  le  dévoue- 
ment de  Joselmann  et  des  Juifs  et  les  sacrifices  qu'ils  ont  faits 
pour  lui,  et  les  privilèges  qu'il  leur  a  accordés  sont  la  récompense 
de  leurs  services  (Voir  Pièces  I  et  II). 

L'avocat  de  la  ville  de  Colmar,  Capito,  —  Schwapach  était  mort 
dans  l'intervalle  —  répéta  les  arguments  de  son  prédécesseur, 
insistant  surtout  sur  ce  fait  que  l'usure  était  défendue  dans  maint 
passage  de  la  Bible  et  que,  par  conséquent,  ni  pape  ni  empereur 


286  REVUE  DES  ETUDES  JUIVES 

n'avaient  le  droit  de  permettre  ce  qui  était  interdit  par  la  Loi 
divine;  il  ajouta  que  les  mesures  prises  par  les  Etats  de  l'Empire 
contre  les  Juifs  usuriers  n'avaient  jamais  été  révoquées.  Donc, 
malgré  les  privilèges  des  Juifs,  tout  magistrat  avait  le  droit  de 
les  chasser  et  de  leur  interdire  les  foires  et  marchés  dès  qu'ils 
faisaient  de  l'usure.  Du  reste,  Joselmann  n'avait  jamais  produit 
que  les  copies  des  prétendus  privilèges  de  ses  coreligionnaires, 
sans   en   montrer  l'original. 

Les  documents  que  nous  avons  eus  sous  les  yeux  s'arrêtent  là. 
Nous  savons  seulement  par  le  catalogue  des  actes  administratifs 
que  le  procès  traîna  jusque  vers  1570  Joselmann  était  mort  aupa- 
ravant, il  avait  été  remplacé  dans  le  procès  contre  Colmar  par 
«  les  représentants  des  Juifs  de  la  Haute-Alsace,  Guerschon,  juif 
de  Tùrckheim,  et  Lazarus  de  Surbourg;  »  Les  actes  ne  nous  font 
pas  connaître  l'issue  du  procès,  nous  savons  seulement  d'autre 
part  que  les  réclamations  des  Juifs  furent  repoussées  et  qu'ils  ne 
rentrèrent  à  Colmar  qu'à  la  Révolution  française  (Voir  Revue, 
XIII,  p.  74,  note  2). 


APPENDICE. 


1.  Dans  son  travail  sur  «Joselmann  de  Rosheim  »,  M.  Scheid 
dit  ces  mots  (Revue,  XIII,  p.  248)  :  «  MM.  Graetz,  Lehmann  et 
Isidore  Loeb  ont  raconté  le  rôle  joué  par  Joselin,  en  1509  et 
1510,  dans  l'affaire  de  Pfefferkorn  et  de  la  confiscation  des  livres 
hébreux.  »  Mais  Joselmann  ne  dit  nulle  part,  dans  son  Journal, 
qu'il  ait  été  mêlé  en  1509  et  1510  à  l'affaire  de  Pfefferkorn,  et  les 
documents  juifs  et  chrétiens  du  temps  ne  mentionnent  non  plus 
son  intervention  (voir  mon  travail  sur  cette  question  dans  la 
Zeitschrift  de  M.  L.  Geiger).  11  faut  en  conclure  que  Joselmann 
n'y  a  pris  aucune  part. 

IL  M.  Loeb,  dans  son  article  sur  «  Rabbi  Joselmann  de  Ros- 
heim »,  dans  la  Revue  (tome  II,  p.  2*72),  fait  la  remarque  suivante  : 
a  II  est  difficile  de  dire  par  suite  de  quelles  circonstances  l'empe- 
reur Maximilien  Ior  le  nomma  «  commandant  et  gouverneur, 
Befelilshaber  und  Regierer  »  des  Juifs  de  l'empire.  Cette  nomi- 
nation, d'après  Carmoly,  eut  lieu  en  1502  ;  M.  Lehmann  dit, 
au  contraire,  que,  dans  le  journal  de  Joselmann,  elle  est  rapportée 
à  l'année  1510.  »  A  mon  avis,  Joselmann  n'a  reçu  ce  titre  ni  de 


PROCÈS  DE  R.  JOSELMANN  CONTRE  LA  VILLE  DE  COLMAR    2S7 

Maximilien  Ier,  ni  de  Charles-Quint.  Ses  coreligionnaires  lui  ont 
donné  le  titre  honorifique  de  Manhig  ou  Parnéss,  et  lui  Ta  tra- 
duit par  «  commandant  »  ou  «  gouverneur  de  tous  les  Juifs1  ». 
Car:  1°  Joselmann  ne  mentionne  pas  cette  prétendue  nomination 
dans  son  Journal  ;  ce  qu'il  n'aurait  pas  manqué  de  faire  si  elle  lui 
avait  été  accordée  par  Maximilien  Ier;  2°  en  1535,  il  est  cité  devant 
le  «  Kammergericht  »  de  Spire  parce  qu'il  signait  du  titre  de  Be* 
fehlshaber  ou  Regterer  des  Juifs  les  lettres  qu'il  adressait  aux 
particuliers  et  aux  autorités  (voir,  à  ce  sujet,  Revue,  XIII,  05).  S'il 
avait  réellement  reçu  ce  titre  de  Maximilien  ou  de  Charles-Quint, 
il  aurait  pu  facilement  repousser  l'accusation  du  procureur  fiscal 
en  montrant  le  décret  qui  lui  confère  ce  titre.  Il  n'en  a  rien  fait, 
parce  qu'il  n'avait  jamais  eu  dénomination  officielle,  et  il  se  jus- 
tifie en  disant  qu'il  a  traduit  simplement  en  allemand  sans  arrière- 
pensée  aucune,  le  titre  hébreu  de  Parnéss  et  Manhig  que  lui 
donnaient  ses  coreligionnaires.  Plus  tard  (actes  de  1545,  154*7  et 
1548;  voir  Pièces  l  et  \ll),  Charles-Quint  l'appelle  Be  fehlshaber, 
mais  nous  ne  savons  pas  s'il  lui  a  donné  ce  titre  officiellement. 

J.  Kracauer. 


PIÈGES  JUSTIFICATIVES. 


Wir  stettmeister  vnnd  der  rath  der  stat  Roszhaim  thun  kundt 
allermeniglichen  hiemit  das  vnns  vnnser  hinderses  Josel  be- 
velchhaber  gemeiner  judischait  im  heyligen  reych  einen  perga- 
menten  brieff  mit  des  aller  durchleuchtigsten  grosmechtigsten 
fursten  vnd  herrn,  herrnn  Karol  des  funfl'tenn  erwelten  romi- 
schen  kaysers,  zu  allenn  zeiten  mehrer  des  lîeyligen  reychs  etc. 
vnnsers  aller  gnedigsten  herrn  ihrer  kayserlichen  majestet  an- 
hangendem  insigel  versigelt  furbracht  vnnd  dennselben  zu  vidie- 
miren  ernstlich  gebeten  hat,  dann  er  dessen  ann  frembdenu  orttenn 
sich  geprauehen  muste  zu  hilff  seines  rechlenns,  dahin  er  denn 
hauptbrieff  ohne  sorg  der  leuff,  vngewitters  vnnd  anderer  gefer- 
lichhait  halb  nit  wuste  zu  pringen  etc.,  also  angesehen  sein  zimb- 

1  Regierer  oder  Befehlshaber  der  gemeiuea  Jùdischeit. 


288  REVUE  DES  ETUDES  JUIVES 

lich  bith  habenn  wir  dennselben  besichtigt  vnnd  ann  perment, 
schrifift  vnnd  insigel  gantz  gerecht,  ungedeliert  vngeradiert  vnnd 
sunst  aller  massenn  argwons  frey  funden,  vnnd  darumb  inen  her- 
nacli  schreiben  lassenn  von  wort  zu  wort  lautenndt  also  : 

Worms  7.  VIII  1545. 

«  Wir  Cari  der  funfft  vonn  gottes  genaden,  romischer  kayser,  zu 
allenn  zeiten  mehrer  des  reichs  in  Germanien,  zu  Hispanien, 
baider  Sicilien,  Hierasalem ,  Hungern,  Dalmatien,  Croatien  etc. 
Konig ,  erlzhertzog  zu  Osterreich,  hertzog  zu  Burgunden  etc., 
graue  zu  Habspurg,  Flanndernn  vnnd  Tyrol  etc.  bekennen,  als 
vnns  vnser  jud  Josel  vonn  Roshaim  beuelchhaber  gemeiner 
vnnser  judenschafft  im  hey[ligen]  reych  in  namen  derselben 
vnnser  judischait  drew  thausent  guldenn  reynisch  in  muntz, 
jedenn  gulden  zu  fuuft'zehen  patzen  gerechnet,  zu  der  negstver- 
schinen  Speyrischen  défensive  hilff  auf  vnnser  erfordernn  also 
par  eriegt  vnnd  bezalt  ;  die  wir  auch  gnediglich  vonn  inen 
empfangen  habenn  ;  darumb  so  sagen  wir  den  selbenn  Josel  ann 
statt  gemeiner  vnnser  judischait  solcher  erlegung  der  treythausent 
gulden  reynisch,  als  obstehet,  quit,  ledig  vnnd  los  ;  ob  auch 
ann  solcher  suma  ain  oder  mehr  juden  dem  itz  gedachten  Josell 
iren  gepurennden  thail  gantz  oder  zu  thail  noch  nit  eriegt  hettenn, 
oder  sich  solcher  erlegung  vnnd  bezalung  widdern  oder  sperren 
wurde,  so  soli  hiemit  demselbigen  Josel  erlaubt  i-ein,  das  er 
solche  anlag  vonn  inen  nochmals  zu  seiner  gelegenhait  ein- 
fordernn  vnnd  einpringen  vnnd  gegenn  denen,  so  sich  solchenn 
iren  gepurennden  thail  zuerlegen  widdern  vnnd  sperren  wurden, 
mit  dem  judischen  bann  vnnd  sunst  inn  ander  weg  nach  judi- 
scher  ordnung  zu  procediren,  zu  handlenn  vnnd  zu  uerfaren, 
wie  sich  gebuert  ;  es  soll  auch  solche  erlegung  gemeiner  judi- 
schait ann  iren  privilegien,  freihaiten,  altem  herkommen  vnnd 
geprauch  ganntz  unschedlich  vnnd  vnnachthailich  sein  vnnd  kein 
neuerung  oder  ingang  bringen  vnd  geperen  inn  kain  weiss  noch 
wege  ;  vnnd  dieweil  pillich,  das  dyselb  vnnser  gemain  judischait 
vnnser  kayserlich  gnad  vnnd  miltigkeit  auch  wider  vnns  em- 
pfinde  genediglich  zu  geniessenn,  wollen  wir  inen  ire  privilegien 
vnnd  freyhaiten,  so  sie  vonn  vnnser  vorfaren  am  reyche  ro- 
mischen  kaysernn  vnnd  konigenn,  auch  hertzogen  zu  Osterreich, 
vnns  vnnd  dem  heyligen  reiche,  in  massen  wir  inen  hieuor 
auf  vnnserm  jungst  gehaltem  reychstag  zu  Speyr  des  negst  ver- 
schienen  vier  vnnd  viertzigsten  jare  dieselben  zu  confirmieren 
bewilligt  vnnd  aber  aus  furfallender  verhinderung  biszhere  nit 
gescheen  konnen,  nachmals  gnediglichenn  confîrmiren,  bestetten 
vnnd  verneven  vnnd  inen  daruber  gepurlich  vrkundt  verferti- 
genn  vnnd  mitthailen  lassenn  vnnd  sie  sunst  inn  iren  heschwer- 
ten  vnnd  anligenn  gnediglichenn  bedencken  vnnd  fursehen  one 
geuerte;   mitt  vrkundt  dis  brieffs  besigelt  mit  vnnserm   kayserii- 


PROCES  DE  R.  JOSELMANN  CONTRE  LA  VILLE  DE  COLMAR  289 

cliem  anhangendem  insigel.  Geben  inn  vnnser  vnnd  des  reychs 
statt  Wurmbs  ara  sibenden  tag  des  monats  Augusti  nach  Christi 
gepurte  funffzehen  hundert  vnnd  im  funff  vnnd  viertzigten,  vnnsers 
kayserthumbs  im  funff  vnnd  zwaintzigsten  vnnd  vnnserer  reyche 
im  dreyssigsten  jaren.  »  Vnnd  stunde  indwendig  der  geschrifft  vf 
dem  inscblag  des  brieves  geschriben  also  «  Ad  mandatum  csesareœ 
et  catholicse  maiestatis  propriumus  im  spacio  Garol  »,  vnnd  vnnden 
stunde  geschribenn  «  Obernburger.  *  —  Vnnd  das  solcher  haupt 
vnnd  original  brieff  vonn  vnns  maystern  vnnd  rath  gantz  vnnd 
obne  allen  argwhon1,  wie  obstet,  befunden,  auch  hiegegen  ver- 
lesenn  vnnd  collationiren  lassenn,  so  habenn  wir  davon  obgenan- 
ten  Josell  juden  des  vidimus  vnnd  transumpt  allenn  wortten 
des  hauptbrieffs  gleich  lauttendt  vf  sein  ernnstlich  bitt  sich  des 
nit  minders  glaubenns  dann  des  rechtenn  besigeltenn  hauptbriefs 
zu  aller  notturft  zu  gebrauchen  mit  vnnser  statt  anhangendem 
insigel  besigelt.  Gebenn  vff  sambstags  nach  Philippi  vnnd  Jacobi 
der  heyligen  zwolff  botten  tag  inn  dem  jare  nach  Christi  vnnsers 
erlosers  gebuert  thausennt  funffhundert  viertzig  vnnd  sechs  gezalt. 


II 


Augsburg  28.    II.    4548. 

Wir  Karl  der  funfft  von  gottes  gnadenn ,  romischer  kayser  etc. 
bekerraen  offentlich  mit  diesem  brief  vnnd  thun  kundt  allerme- 
niglich,  als  vnns  vnser  jud  Josel  vonn  Rosszhaim  gemeiner  juden 
beuelchhaber  vndertheniglich  zu  erkennen  gebenn,  wiewol  er  sein 
weyb,  ire  kinder,  knecht,  haab  vnnd  guttèr  vonn  weilandt  vnn- 
serm  anhern,  kayser  Maximilian  loblicher  gedechtnus,  vnnd  nach 
seiner  lieb  abgang  vonn  vnns  vnnd  vnserm  freundtlichenn  lieben 
bruder,  dem  romischen  kunig  mit  kayserlichenn  vnnd  konigli- 
chem  schutz,  schirmb  vnnd  glait  versehen  vnnd  gnediglich  gefriet, 
das  sie  allenthalben  inn  heyligenn  reych  vnnd  vnnsern  erblichen 
furstenthumben  vnnd  lannden  frey,  sicher,  wandeln,  handeln 
vnnd  one  allen  meut  oder  zollstetten  frey,  sicher,  ledig  passiern 
moge,  von  meniglich  vnnbeschwert  vnnd  vnaufgehalten,  so  sey 
ime  aber  itzo  inn  vnnserm  negstenn  zugh  im  sybenn  vnnd  viert- 
zigsten  jar,  als  er  in  Behem  bey  hochgedachtem  vnserm  lieben  bru- 
der dem  romischen  konig  in  geschefftenn  zu  Leitmeritz  gewe- 
senn,  solliche  freybrif  auf  der  strassen  abgedrungen  und  verlorenn 
worden,  also  das  er  nichts  darumb  zu  zaigen  hab,  dan  allein  ein 
vidimus  oder  transumpt  vnserer  gegebenn  freyhait,  vnnder  unn- 
serer  vnnd  des  reichs  lieben  gelreuen  maister  vnnd  raths  der 
statt  Obernn  Ehenhaim  anhangendem  insigel  verfertigt,  welches 
er  unns  auch  alsbalt  furbringen  lassen  vnnd  vnnsz   daruf  demu- 

T.  XIX,  N°  38.  19 


290  REVUE  DES  ETUDES  JUIVES 

tiglich  angerufenn  vnd  gebetenn,  das  wir  ime  sollchen  gegebnenn 
schutz,  schirmb,  freyhait  vnnd  glait  zuvernewern,  zubestetten 
vnnd  vonn  neuem  zu  gebenn  gnediglich  geruchten  ;  des  haben 
wir  angesehen  solche  sein  vnderthenig  pitte,  auch  die  gehorsa- 
men  dienst,  die  er  vnns  vnd  dem  heyligen  reich  bisher  gethon 
hatt  vnnd  darunib  inn  betrachtung  des  vnnd  seines  wolhaltens, 
daruon  er  vnns  glaubwurdigen  scliriffïichen  schein  von  etlichen 
landtvogten,  herrn  vnnd  andern  vom  adel,  darzu  von  namhaff- 
tigen  stetten  im  Elsass  gelegenn  furbrackt,  darinnen  sich  befindt, 
das  sich  gemeiner  Josel  jud  bei  hochgedachts  vnnsers  anherrn 
hoff  loblicher  gedechtnus  vnnd  denn  vnnder  landtvogten  zu 
Hagenaw  vnnd  inn  derselbenn  landts  arth  seinem  stanndt  vnnd 
wesen  nach  vnstrafbar  vnd  wollgehaltenn,  wie  er  dann  auch  seit- 
her  inn  gemeiner  judischait  geschefften  auf  reychsta)gen  vnnd  an- 
derswo  mit  trewem  embsigen  fleysz,  auch  hieuvor  inn  vnnserm 
junngsten  zugh  inn  Frannkreich  unnd  inn  diesem  negstuergangem 
krieg  mit  gelt  vnnd  profiandt  dasselbig  vnnserm  kriegsvolk  zu- 
zefurdern  gehormsamlich  nach  seinem  vermogen  bewiesen,  ime 
solchen  hievor  gegeben  schutz,  schirmb,  glait  vnnd  freyhait  erne- 
wert,  confirmirt  vnd  besteet,  auch  ine  sein  weyb,  sone  vnnd 
tochtermenner,  auch  irer  aller  haab  vnd  gutter  inn  vnser  vnnd 
des  reichs  schutz  vnnd  schirmb  von  neuem  genomen  vnnd  em- 
phangen  habenn,  vnnd  thun  das  ailes  hiemit  wissentlich  inn 
chrafft  dis  brieffs  also,  das  gedachter  vnnser  judt  Josel  von 
Roszhaim  vnnd  seine  sone  vnnd  tochtermenner  sampt  iren 
weybern,  kynndern,  knechtenn,  protgesindt  vnnd  irer  aller  hab 
vnnd  guetter,  die  sie  itzo  haben  vnnd  hinfurter  an  vberkomen, 
in  vnnser  vnnd  des  reichs  bsonder  gnad  ,  verspruch ,  schutz, 
schirmb  vnnd  glait  sein  vnd  sich  derselben  geprauchen  vnnd 
geniessen,  auch  allenthalbenn  im  heyligen  reich  desselbenn  zuge- 
thanen  vnd  vnnsern  erblichen  fursteiithumen  vnnd  lannden  durch 
stet,  merckte,  dorffer  vnd  gepiet  auf  wasser  vnud  lannde,  vnnd 
ann  zoll  vnnd  mautt  steten  frey,  ledig,  vnaufgehaltenn  passieren, 
hanndeln,  wandeln  vnnd  nach  judischer  ordnung  vnnd  freyhai- 
tenn ,  so  sy  die  judischait  habenn,  geprauchen  sollenn  vnnd 
mogen  vonn  allermeniglichs  vnuerhindert;  wir  thun  ine  auch 
dièse  besonder  gnadt  vnd  freyhait  also,  das  sie  ann  allenn  stet- 
tenn  vnnd  flecken  im  heyligen  reyche,  da  andere  juden  sitzenn, 
eingenomen  werden  daselbst  mit  sampt  irenn  weybernn,  kindern, 
protgesindt,  haaben  vnnd  guetternn  vmb  ain  zimblichenn  zinsz 
nach  irem  vermogenn,  auch  whonen  mogen  vnnd  sollen  ;  ob  auch 
jemandt  zu  irenn  lieb,  haab  vnnd  guettern  zuspruch  zu  haben 
vermeint  oder  gewinne,  der  soll  sy  nindert  annders,  dann  inn 
denn  gerichten,  darin  sie  seszhafFt  sein,  wie  recht  ist,  furnemen;  sy 
sollenn  auch  aile  kayserliche  gnadenn  vnd  freyhaitenn,  so  vnnsere 
judischait  inn  gemain  vnnd  sy  inn  sonderhait  von  vnnsernn 
vorfaren  romischen  kaysern  vnnd  konigen  vnnd    vnns   verlangt 


PROCÈS  DE  R.  JOSELMANN  CONTRE  LA  VILLE  DE  COLMAR  291 

habenn,  niessen  vnnd  geprauchen,  vnnd  ob  denn  zu  wider  ichts 
furgenomen  were  oder  noch  wurde,  das  solle  inenn  an  solchen 
vnnsernn  kayserlichen  gnadenn  vnnd  freyhaitten  keinen  schadenn 
oder  nachthail  pringen  sonnder  gantz  vnschedlich  sein.  Vnnd 
gebieten  daruf  allenn  vnnd  iglichenn  churfurstenn,  fursten  etc. 
vnnd  sonst  allenn  andernn  vnnsernn  vnnd  des  reichs  vnndertha- 
nen  vnnd  getreuen,  inn  was  wurden,  stants  oder  wesenns  die 
sein,  ernstlich  vnnd  vestiglich  mit  diesem  brieff  vnnd  wollenn, 
das  sie  denn  obgenantenn  vnnsernn  juden  Josel,  sein  sonn  vnnd 
tochtermann,  ir  weyber,  kindt  vnnd  haussgesinndt  bei  obgemel- 
ten  vnnsernn  kayserlichenn  ernewerung,  confirmation,  versprucli 
schutz,  schirmb,  glait  vnnd  freyhait  vestiglich  hanndhabenn,  ge- 
ruebiglich  pleibenn  vnnd  des  ailes  geprauchen  lassen,  auch  inn 
iren  sclmlden  furderliche  bezalung  lautt  briefflicher  vrkunde 
der  pillichait  nach  verhelflenn,  sy  auch  allenthalbenn  inn  rey- 
che,  desselbenn  zugethanen  vnnd  vnnsernn  erblichen  fursten- 
thumben,  lannden,  steten,  fleckenn,  herrschafften,  gebieten  frey, 
sicher  handlenn  vnnd  wandeln  lassen,  dawider  nit  tringen,  be- 
kommernn  oder  beschwerenn ,  noch  des  jemandts  andernn  zu 
thuen  gestatten  in  kainn  weyse ,  als  lieb  einem  jedenn  sey 
vnnser  vnnd  des  reychs  schwere  vngnadt  vnnd  straff  vnnd  dar- 
zu  ein  peen,  nemlich  zehenn  marckh  lotigs  golts,  die  ain  jeder, 
so  off't  er  frefenlich  hiewider  thete,  vnns  in  vnnser  kayserlich 
chammer  vnableslich  zu  bezalenn  verfallen  sein  soll,  vnnd  em- 
pfelhenn  daruff  vnnserm  gegenwertigen  vnnd  ainem  jeden  kunfï- 
tigen  fiscal,  von  ainem  jeden,  der  wider  dièse  vnnsere  gegebnen 
freyhait  angeregte  juden  frefenlich  bekomernn  oder  beschweren 
thete,  die  bestimpt  peen  inn  vnnser  kaiserliche  chaîner  zuerfor- 
dern  vnnd  einzupringen  ;  das  mainen  wir  ernstlich.  Mit  vrkundt 
disz  brieffs  besigelt  mit  vnnserm  kayserlichen  anhanngendem  in- 
sigel.  G-eben  inn  vnnser  vnnd  des  reichs  statt  Augspurg  am  acht 
und  zwaintzigsten  tag  des  monats  Februarij  nach  Ghristi  vnnsers 
herren  gepuert  funfzehen  hundert  vnnd  im  acht  vnnd  viertzig- 
stenn,  unnsers  kayserthumbs  im  acht  vnnd  zwaintzigsten,  vnnd 
vnserer  [reiche   im  drey  vnnd  dreyssigsten  jarenn.      Carolus. 

Yt   Max  archidux.  Ad  mandatum  Caesareee    et 

Vt  E.  A.  Berenos  Catholicce  maiestatis  proprium 

Jo.  Obernburger. 

Dièse  Copie  wurde  mit  dem  Original  verglichen  vom  Bùrger- 
meister  und  Rath  der  Stadt  Oberehnheim,  Montag  nach  Matthei 
Apostoli  4549. 


292  REVUE  DES  ETUDES  JUIVES 


III 


Augsburg  23  XII.  1547. 

Wir  Karl  der  funfft  vonn  gottes  genadenn,  romischer  kayser, 
zu  allenn  zeiten  meherer  des  reichs  in  Germanien,  zu  Hispanien, 
bayder  Sycilien,  Jherusalem,  Hungern,  Dalmatien,  Croatien  etc. 
konig,  ertzhertzog  zu  Osterreich,  hertzog  zu  Burgundi  etc.  graue 
zu  Habspurg,  Flandern  vnad  Tyrol  etc.  embieten  vnserm  vnnd 
des  reichs  lieben  getrewen  burgermeistern  vnnd  rath  der  statt 
Golmar  vnnser  gnadt  vnd  ailes  guets.  Lieben  getreuen,  vnns  hat 
vûnser  jud  Josel  vonn  Roszhaim,  beuelchhaber  der  judenschafft 
im  heyligen  reych  furpracht,  wie  wol  dieselb  vnnsere  gemeine 
judenschafft  vonn  vnnsern  vorfordern  am  reyche ,  romischen 
kaysern  vnnd  konigen,  auch  vnns  selbs,  gnediglich  begabt  vnnd 
gefreyet  also,  das  sie  allenthalbenn  im  reiche  zu  wasser  vnnd 
laDnde  vnnd  sonnderlich  inn  vnnsern  vnnd  des  reichs  steten  auf 
die  freye  kayserliche  mœrckte  irer  notturfft  nach  sicher  vnnd 
vnuerhindert  passieren ,  handlen  vnnd  wandlenn  mogenn  ,  so 
wurdt  doch  inen  des  pasz  vnnd  aile  freye  jar  vnnd  wochenn 
mœrckte  daselbst  bei  euch  in  der  stat  Golmar  vnnder  furge- 
wendtem  schein  ainer  freyhait ,  die  wir  euch  am  verschienen 
ain  vnnd  viertzigsten  jare  der  wenigern  jarzall  zu  Regenspurgh 
gegebenn ,  genntzlichen  verspert  vnnd  gewaigert  ;  vnnd  wiewol 
sich  derselb  vnnser  jud  Josel  zum  oftermal  schrifftlichen  vnnd 
durch  bottschafften  vonn  gemeiner  judischait  wegenn  erpottenn, 
das  sich  diejuden  derselben  vnnserer  freyhaiten  der  gepuer  nach 
halten  vnnd  nach  komen  sollen,  mit  angehefftem  begern,  das  ir 
inen  eure  jar  vnnd  wochen  mœrckte  allain  zu  irer  leibs  nahrunge 
vnnd  sonder  aile  arghwonige  vnnd  beschwerliche  handlungen 
vermoge  irer  habennden  freyhaiten,  auch  altem  herkomenn 
vnnd  gebrauch  nach,  zu  besuechen  nachlassenn  VDnd  gestattenn, 
so  hette  doch  sollichs  ailes  bei  euch  nit  verfangen  wollenn, 
dessenn  er  sich  dann  an  statt  gemeiner  judischait  bey  vnns 
hochlich  beschwert  vnnd  vnns  darauf  vmb  vnnser  genedigs 
einsehen  vnnd  hilff  vndertheniglich  angerufen  vnnd  gebettenn  ; 
dieweil  dann  in  obgedachter  vnnser  kayserlichen  freyhait  euch  ge- 
gebenn di  vrsachen  vnnd  warum  dieselb  auf  eur  begeren  gege- 
benn, auch  wie  ferr  sich  die  erstreckt,  gnugsamblich  angezaigt 
vnnd  auszgetruckt,  vnnd  sich  aber  darin  nit  befindt,  auch  vnnser 
will  vnnd  meynung  nit  gewest  vnnd  noch  nit  ist,  das  denn  juden 
der  pasz  vnnd  zugang  zu  irer  notturfft  vndter  dem  schein  sol- 
cher  gegebnen  freyhait  gespert  oder  verbotten  werdenn  solle, 
demnach  begeren  wir  ann  euch   hiemit  ernstlich   bevelhendt  vnnd 


PROCÈS  DE  R.  JOSELMANN  CONTRE  LA  VILLE  DE  COLMAR         203 

wollen,  das  ir  die  gemeltenn  judea  vnnd  judin  vber  vnnd  wider 
inhalt  solcher  vnnserer  gegebenen  freyhaiten  nit  beschwaeret, 
sonnder  inen  denn  zugang  inn  die  stat  Colmar  zu  iren  notturf- 
ten,  wie  von  alters  her,  gestattet  vnnd  euch  hierin  willfaehrig 
vnnd  dermassen  erzaiget,  damit  sich  die  juden  pillicher  weyse  des 
nit  zu  beclagen,  noch  vnns  vmb  ferrer  hilff  vnnd  einsehens  an- 
zulauffen  habenn  ;  das  wollenn  wir  vnns  zn  euch  endtlich  verse- 
henn,  vnnd  ir  thut  daran  vnnser  gefellige  ernstliche  mainung. 
Gebenn  vnndter  vnnserm  aufgedruckteDn  insigel  inn  vnnser  vnnd 
des  reichsstatt  Augspurg  am  drey  vnnd  zwaintzigsten  tag  des 
monats  decembris  nach  Ghnsti  gepurt  funfzehen  hundert  vnnd  im 
sieben  vnnd  viertzigslenn,  vnnsers  kayserthumbs  ini  acht  vnnd 
zwaintzigsten,  vnnd  vnnser  reyche  im  zway  vnnd  dreysigstenn 
jarenn. 

Garolus 

Vt  Max  archidux  Ad  mandatum  Ceesareae  et  catholicae 

Vt  A.  Perenot.  maiestatis  proprium 

Johan  Obernburger. 


LES  JUIFS  DE  MITES  ET  DU  PAYS  NANTAIS 


( SUITE   ET   FIN 


III 


Si  l'autorité  administrative  et  les  jurés  de  la  corporation  des 
maîtres  fripiers  n'avaient  pas  eu  des  rapports  particulièrement 
sympathiques  avec  les  quelques  colporteurs  et  marchands  juifs 
établis  à  Nantes  ou  de  passage  dans  cette  ville,  il  n'est  pas  sans 
intérêt  de  constater  ce  que  pensaient  d'eux  les  juges  et  consuls 
de  Nantes,  qui  correspondaient  à  ce  que  nous  appelons  aujour- 
d'hui la  chambre  de  commerce. 

En  1731,  un  arrêt  du  Conseil  d'Etat  avait,  à  la  date  du  20  fé- 
vrier, cassé  deux  arrêts  rendus  au  parlement  de  Dijon,  l'un  le 
22  juin  1724,  l'autre  le  29  juillet  1730,  qui  permettaient  à  Joseph 
Raphaël  de  Sazia  père  et  fils,  Saine  Roger,  David  Ranez,  Joseph 
de  Saint-Paul,  Lange  Mossé,  David  Petit  et  Jacob  Dalpuget, 
marchands  juifs  résidant  à  Bordeaux,  d'exercer  leur  commerce 
pendant  un  mois  de  chaque  saison  de  l'année  dans  toutes  les 
villes  de  la  Bourgogne. 

Ces  permissions  étaient  contraires  aux  lettres  patentes  données 
au  mois  de  juin  1723,  qui  autorisaient  les  Juifs  Portugais  établis 
et  domiciliés  dans  l'étendue  des  généralités  de  Bordeaux  et  d'Auch 
«  d'y  demeurer,  vivre,  trafiquer  et  négocier  ainsi  que  font  les 
»  sujets  naturels  du  Roy  ». 

Sur  les  plaintes  des  marchands  de  la  ville  de  Dijon,  le  roi 
Louis  XV,  désirant,  dit  l'arrêt,  expliquer  plus  précisément  ses 
intentions,  fit  défense  aux  Juifs  de  faire  le  commerce  «  dans 
»  aucunes  villes  et  lieux  du  royaume  autres  que  celles  où  ils 
»  sont  domiciliés  ». 

»  Voir  tome  XIV,  p.  80  et  tome  XVII,  p.  125. 


LES  JUIFS  DE  NANTES  ET  DU  PAYS  NANTAIS  295 

Cet  arrêt  avait  un  caractère  général,  les  intendants  et  commis- 
saires chargés  de  l'exécution  des  ordres  du  roi  dans  les  provinces 
et  généralités  du  royaume  reçurent  l'injonction  de  tenir  la  main 
à  l'exécution  de  cet  arrêt,  qui  devait  être  lu,  publié  et  affiché 
partout  où  besoin  serait. 

Jean-Baptiste  Desgalois,  chevalier,  seigneur  de  La  Tour  et 
autres  lieux,  était  alors  commissaire  départi  par  Louis  XV  en  la 
province  de  Bretagne.  Il  rendit  à  Rennes,  le  14  mars  1731,  une 
ordonnance  conforme,  portant  que  l'arrêt  royal  recevrait  toute 
la  publicité  voulue  dans  l'étendue  de  son  ressort. 

C'est  ainsi  qu'il  en  adressa  aux  juges  et  consuls  de  Nantes  une 
copie,  encore  conservée  aux  archives  de  la  chambre  de  commerce 
de  cette  ville1  qui  en  accusa  évidemment  réception,  bien  qu'il 
n'en  reste  pas  de  mention  spéciale  aux  copies  de  lettres  que  nous 
avons  pu  consulter. 

Le  11  juillet  1742,  les  juges  et  consuls  de  Chalon-sur-Saône 
adressaient  à  leurs  collègues  de  Nantes  une  lettre  où  ils  leur 
demandaient  des  renseignements  relatifs  à  diverses  questions 
d'ordre  commercial. 

Une  de  ces  questions  avait  trait  aux  Juifs  et  voici  ce  qu'en 
disait  la  lettre  dont  nous  parlons  : 

Nous  vous  prions  aussy,  Messieurs,  de  nous  dire  en  réponçe  si 
les  négociais  juifs  ont  la  liberté  de  commercer  dans  votre  prouince. 
Elle  leur  ettoit  interditte  dans  la  notre  par  arrest  du  Conseil  du  20 
feurier  1731  *  et  quoique  cest  arrest  ne  soit  point  reuoqué,  Monsieur 
notre  Intendant  se  disant  authorisé  de  Monsieur  le  Controlleur  géné- 
ral leur  a  donné  des  permissions  escrittes  pour  vendre  et  débitter 
leurs  marchandises  pendant  le  temps  des  foires.  Nous  vous  obser- 
uerons  encore  que  Mrs  les  négotiants  de  Neuers  ont  obtenu  un 
arrest  du  Conseil  le  19  àuril  1740  quy  fait  les  mesmes  deffensses  aux 
Juifs  de  faire  aussy  commerce  en  leur  ditte  ville  à  peine  de  mil  livres 
d'amende  et  de  confiscation  des  marchandises  et  que  le  même  arrest 
fait  aussy  deffenses  aux  marchands  forains  et  colporteurs  de  vendre 
et  débiter  aucunes  marchandises  dans  la  ville  de  Neuers  sinon  es 
jours  de  foire.  Comme  le  commerce  desdits  Juifs  et  colporteurs  fait 
un  tord  considérable  à  celluy  de  notre  prouince,  nous  travaillions  à 
réunir  les  villes  d'icelle  pour  faire  rendre  les  dits  arrests  communs  ; 
ce  quy  nous  engage  à  vous  prier,  Messieurs,  de  nous  faire  part  de  ce 
quy  se  passe  à  ce  sujet  dans  votre  prouince  et  de  vos  lumières  pour 
y  parvenir, 

Nous  espérons  que  vous  nous  honoreres  d'une  prompte  réponçe  et 
vous  prions  nous  croire,  aveq  toutte  l'estime  possible,  Messieurs 

1  Archives  de  la  Chambre  de  Commerce  de  Nantes,  n°  42,  cote  10. 

2  C'est  l'arrêt  analysé  plus  haut. 


296  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

et  chers  confrères,  vos  très  humbles  et  très-obéissants  servitteurs. 

Les  Juge  et  Consuls , 
Bellon,  Le  Bret,  consul,  René  Boulanger. 
A  Chalou,  le  41  juillet  4  742. 

Cette  lettre1  ne  resta  pas  longtemps  sans  réponse,  et  nous  trou- 
vons, au  copie  de  lettres  de  la  Chambre  de  commerce,  les  ren- 
seignements qu'elle  envoyait  aux  juge  et  consuls  de  Châlon  : 

Il  n'y  a  pas  de  Juifs  establis  en  cette  Province,  et  nous  n'en  voyons 
pas  venir  à  Nantes  pour  y  faire  de  commerce,  si  ce  n'est  quelques 
espèces  de  colporteurs  auxquels  l'on  ne  fait  nulle  attention  dans 
l'idée  où  l'on  est  qu'un  commerce  si  peu  considérable  n'en  mérite 
aucune  \ 

Quelques  années  plus  tard,  les  juges  et  consuls  de  Nantes 
recevaient  de  leurs  collègues  de  Saintes  la  lettre  suivante  : 

Saintes,  le  2  juin  1752. 
Messieurs, 

L'affront  que  nous  venons  de  recevoir  dans  la  personne  de  deux 
de  nos  anciens  Juges  Consuls,  à  l'occasion  des  Juifs,  intéresse  trop 
l'honneur  de  toutes  les  jurisdictions  et  le  bien  du  commerce,  pour 
que  nous  ne  nous  croyions  pas  dans  l'obligation  de  vous  en  informer. 
Le  Placet  que  nous  nous  proposons  de  présenter  au  Conseil  vous  ins- 
truira de  tout  ce  qui  s'est  passé  :  Nous  en  joignons  ici  une  copie  et 
nous  sommes  persuadez,  Messieurs,  que  vous  y  prendrez  assez  de 
part,  pour  vous  engager,  lorsqu'il  en  sera  temps,  à  écrire  à  M.  votre 
député  du  commerce,  de  se  joindre  au  nôtre  avec  tous  les  autres 
Députez,  que  nous  intéresserons,  afin  d'appuyer  nos  raisons  au  Con- 
seil. Nous  vous  demandons  instamment,  Messieurs,  de  vouloir  nous 
accorder  votre  secours  ;  si  nous  réussissons,  comme  nous  avons 
lieu  de  l'espérer,  vous  aurez  contribué  à  un  avantage  public  qui 
rejaillira  sur  tout  le  commerce,  dont  vous  êtes  le  soutien  et  l'orne- 
ment. Nous  vous  prions  de  vouloir  bien  nous  honorer  d'une  réponse, 
elle  confirmera  les  sentiments  de  respect  avec  lesquels  nous  sommes, 
messieurs,  vos  très  humbles  et  très  obéissans  serviteurs. 

Voici  à  quel  incident  faisait  allusion  cette  lettre  3  : 
Un  arrêt  du  Conseil  d'État,   rendu   le  31    mai  1735,  sur  les 
plaintes  des  marchands  de  la  ville  de  Saintes,  avait  expulsé  les 

1  Archives  de  la  Chambre  de  Commerce  de  Nantes,  carton  A,  année  1742, 
cote  3. 

2  Archives  de  la  Chambre  de  Commerce  de  Nantes,  copie  de  lettres  n°  6,  1737 
à  1744. 

3  Archives  de  la  Chambre  de  Commerce  de  Nantes,  carton  A,  année  1752, 
cote  16. 


LES  JUIFS  DE  NANTES  ET  DU  PAYS  NANTAIS  297 

Juifs  de  cette  ville  et  de  toute  la  généralité  de  La  Rochelle,  avec 
défense  d'y  séjourner.  Néanmoins  les  commerçants  juifs  ne 
laissaient  pas  de  venir  à  Saintes,  d'y  porter  des  marchandises, 
même  en  dehors  des  temps  de  foires,  et  d'y  écouler  pendant  plu- 
sieurs jours  ces  marchandises,  et  ce  à  de  nombreuses  reprises 
au  cours  de  l'année.  Pour  se  soustraire  aux  visites  que  les 
gardes  jurés  étaient  tenus  de  faire  de  leurs  marchandises  or- 
dinairement défectueuses,  disaient  les  plaignants,  en  tous  cas 
fabriquées  contrairement  aux  règlements,  sans  plomb  de  con- 
trôle et  par  là  même  exposées  à  la  saisie,  ils  avaient  imaginé  de 
les  déposer  dans  des  maisons  de  condition  et  là,  ils  avaient  réussi 
à  les  vendre  publiquement,  en  toute  liberté.  Gomment  les  gardes 
jurés  auraient-ils  osé  braver  les  bienséances  en  pénétrant  dans 
l'asile  que  les  Juifs  avaient  trouvé?  Gomment  auraient-ils  verba- 
lisé contre  des* délinquants  haut  placés? 

En  mars  1752,  c'était  un  sieur  de  Saint-Simon,  mestre  de 
camp  des  armées  de  Sa  Majesté,  dont  la  maison  servait  de  ma- 
gasin et  de  dépôt  à  toutes  les  marchandises  des  Juifs.  Les  gardes 
jurés  se  turent  d'abord  par  respect  et  n'osèrent  pas  agir  ;  mais 
en  face  des  protestations  des  marchands,  ils  se  décidèrent  à 
requérir  l'exécution  de  l'arrêt  du  Conseil  et  s'en  vinrent  prévenir 
le  sieur  de  Saint-Simon.  Il  était  absent  ;  sa  femme  reçut  fort  mal 
les  remontrances  des  gardes  jurés,  leur  déclarant  qu'elle  con- 
sidérait leur  démarche  comme  injurieuse  pour  sa  personne. 

Ceux-ci  protestèrent  de  l'innocence  de  leurs  intentions  à  l'égard 
du  sieur  et  de  la  dame  de  Saint-Simon  et  se  retirèrent,  non 
sans  dresser  procès-verbal  ;  mais  toujours  par  déférence  pour  le 
mestre  de  camp,  ils  n'en  firent  pas  usage. 

Aussi  quelle  ne  fut  pas  la  colère  des  gens  de  Saintes,  quand, 
deux  mois  plus  tard,  le  sieur  de  Saint-Simon  obtint  des  ordres 
pour  faire  traîner  en  prison  les  gardes  jurés  qui  avaient  ver- 
balisé. Ils  y  furent  effectivement  détenus  pendant  cinq  jours. 

C'étaient  d'anciens  juges-consuls,  revêtus  à  l'époque  d'offices 
municipaux,  et  l'on  conçoit  sans  peine  que,  sous  l'empire  de 
l'irritation  qu'une  pareille  mesure  provoquait  dans  le  commerce 
de  Saintes,  les  juges-consuls  de  cette  ville  aient  fait  'part  de  cet 
affront  à  leurs  collègues  des  villes  voisines,  en  leur  demandant 
de  se  joindre  à  eux  pour  obtenir  vengeance  du  traitement  ignomi- 
neux  infligé  à  deux  des  leurs. 

Les  juges  et  consuls  de  Nantes  prirent  aussitôt  fait  et  cause 
pour  ceux  de  Saintes1;   ils   répondirent  qu'ils   ne  négligeraient 

1  Archives  de  la  Chambre  de  Commerce  de  Nantes,  copie  de  lettres  n°  8,  année 
1752.  folio  68. 


298  REVUE  DES  ETUDES  JUIVES 

rien  pour  aider  à  leur  obtenir  justice,  qu'à  cet  effet  ils  écriraient 
à  M.  Bouchaud  de  se  joindre  à  leur  député  pour  faire  valoir  les 
raisons  développées  dans  leur  mémoire. 

M.  Bouchaud  était  le  député  du  commerce  de  Nantes  à  Paris  et 
c'était  à  lui  que  les  juges  et  consuls  adressaient  les  documents, 
pétitions,  mémoires,  instructions  diverses  destinés  à  faire  pré- 
valoir auprès  de  l'autorité  supérieure  les  griefs  et  réclamations 
des  négociants  nantais. 

Il  ne  reste  pas  trace  au  copie  de  lettres  de  la  chambre  de 
Commerce  des  recommandations  qui  durent  être  faites  à  M.  Bou- 
chaud pour  protester  contre  «  l'affront  »  dont  les  Juifs  avaient 
été  cause  pour  les  deux  gardes  jurés  de  Saintes.  Il  semble  même 
que  la  justice  réclamée  par  le  commerce  de  cette  dernière  ville 
se  soit  fait  singulièrement  attendre,  si  l'on  en  juge  par  la  nouvelle 
lettre  qui  suit,  écrite  par  les  juges  et  consuls  de  Saintes,  relative- 
ment au  même  objet l  : 

Saintes,  12  avril  1753. 
Messieurs, 

L'impatience  d'aprendre  l'événement  du  Placet  que  nous  avons 
adressé  à  M.  le  Garde  des  Sceaux  il  y  a  six  mois,  à  l'occasion  de 
l'emprisonnement  de  deux  de  nos  anciens  Juges  Consuls  et  dont  nous 
vous  avons  envoyé  un  exemplaire,  nous  a  déterminés,  Messieurs,  à 
lui  en  présenter  un  second,  dans  lequel  nous  lui  exposons  «  que 
»  nous  ne  doutons  point  que  l'immensité  des  affaires  qui  sont  sou- 
»  mises  à  ses  soins,  est  la  seule  cause  qui  l'ait  empêché  de  décider 
»  celle  qui  intéresse  également  l'honneur  du  commerce  et  celui  des 
»  commerçans  ;  qu'il  ne  permettra  pas  que  les  Arrêts  du  Conseil 
»  et  les  Règlements  soient  sans  force  et  sans  exécution  ;  que  des 
»  citoyens  qui  ont  l'honneur  d'occuper  les  premières  charges  d'une 
»  ville,  demeurent  plus  longtemps  dégradés  à  l'occasion  d'une 
»  Nation  proscrite  ;  que  ces  motifs  sont  trop  puissans  pour  ne  pas 
»  exciter  sa  justice;  que  nous  sommes  assurés  que  toutes  les  villes 
»  du  Royaume  attendent  comme  nous  avec  confiance  l'obtention  des 
»  conclusions  que  nous  avons  prises  par  notre  premier  Placet.  » 

Ce  Placet  a  été  présenté  à  M.  le  Garde  des  Sceaux  par  Me  Rolland, 
notre  avocat  au  Conseil,  qui  a  jugé  à  propos  d'y  joindre  un  mot  de 
requête  ;  il  nous  marque  «  que  ce  Ministre  a  remis  le  tout  à  Mrs  les 
»  députés  du  commerce,  qui  ont  dit  à  notre  avocat  qu'ils  travaillaient 
»  actuellement  à  cette  affaire  ;  qu'il  fallait  se  donner  patience  et  que 
»  plusieurs  provinces  demandaient  pour  nous  la  même  chose.  » 

Ce  sont  sans  doute  les  villes  qui,  n'ayant  po}nt  de  Député  et  voulant 
prendre  notre  fait  et  cause,  ont  adressé  directement  des  Placets  au 

1  Archives  de  la  Chambre  de  Commerce  de  Nantes,  carton  A,  année  1753, 
cote  18. 


LES  JUIFS  DE  NANTES  ET  DU  PAYS  NANTAIS  299 

Ministre,  tendans  aux  mêmes  fins  et  dont  la  plupart  nous  ont  envoyé 
des  copies,  qui  nous  ont  convaincus,  avec  autant  de  joie  que  de 
consolation,  du  zèle  et  de  l'empressement  avec  lesquels  toutes  les 
jurisdictions  se  sont  rendues  cette  affaire  commune.  La  part  que 
vous  nous  avez  témoigné  prendre  à  cet  événement,  est  digne  de  vous, 
Messieurs,  et  conforme  à  toutes  les  principales  villes  du  Royaume  ; 
ce  qui  nous  fait  espérer  que  vous  voudrez  bien  récrire  à  M.  votre 
Député,  pour  l'engager  de  nouveau  à  nous  être  favorable  et  à  accé- 
lérer de  concert  avec  tous  les  autres  Députés,  la  décision  d'une  affaire 
d'où  en  quelque  façon  dépend  l'honneur  des  juridictions  consulaires 
et  celui  de  tous  les  négociants  du  Royaume.  Nous  sommes  persuadés, 
Messieurs,  que  les  sentiments  qui  vous  ont  animés  à  la  vue  de  ce  qui 
nous  est  arrivé,  ne  sont  point  ralentis  et  que  vous  ne  nous  refuserez 
pas  encore  cette  marque  de  votre  bienveillance,  qui  vous  confirmera 
de  plus  en  plus  dans  les  sentimens  de  reconnaissance  et  de  respect 
avec  lesquels,  nous  sommes,  Messieurs,  vos  très  humbles  et  obéis- 
sants serviteurs. 

Les  Juae  et  Consuls  de  Saintes, 


Chasteauneu,  juge,  Mathieu,  Mareschal,  Toussaint. 

En  marge  de  cette  lettre  figurent  ces  mots  :  Répondu  le  7  may 
17So.  Effectivement,  à  cette  date,  le  copie  de  lettres  de  la  Chambre 
de  commerce  de  Nantes  !,  porte  que  la  Chambre,  toujours  dis- 
posée à  concourir  à  ce  qui  peut  intéresser  les  juridictions  consu- 
laires, recommandera  de  nouveau  à  M.  Bouchaud  d'appuyer  leur 
requête. 

Le  même  jour,  les  juges  consuls  de  Nantes  écrivaient  à  leur 
député  à  Paris,  M.  Bouchaud,  une  lettre  fort  longue  qu'ils  ter- 
minaient en  lui  recommandant  de  se  joindre  à  ses  collègues 
députés  du  Commerce  pour  assurer  le  succès  de  la  réclama- 
tion des  jurés  de  Saintes. 

Voici  le  passage  de  cette  lettre  daté  du  1  mai  1754  2  : 

Nous  vous  avons  aussy  cy  devant  prié  de  vouloir  bien  vous 

intéresser  en  faveur  de  MM.  les  Juges  et  Consuls  de  Xaintes  dans 
l'affaire  qu'ils  ont  au  Conseil.  Comme  ils  viennent  de  donner  un 
nouveau  Mémoire,  ayes  la  bonté  de  renouveller  vos  sollicitations. 

Il  n'est  pas  dans  les  archives  de  la  Chambre  de  commerce  d'au- 
tres documents  relatifs  aux  Juifs  jusqu'en  1*789.  Toutefois,  nous 

1  Archives  de  la  Chambre  de  Commerce,  copie  de  lettres  n°  8,  année  1753, 
folio  87. 

*  Archives  de  la  Chambre  de  Commerce,  copie  de  lettres  n°  8,  année  1753. 
folio  87. 


300  REVUE  DES  ETUDES  JUIVES 

croyons  devoir  signaler  un  procès  fait  par  les  armateurs  israé- 
lites,  MM.  Gradis,  de  Bordeaux,  devant  l'amirauté  de  Nantes  aux 
sieurs  Monneron  de  Launay  et  autres  qui  avaient  assuré  en  1*786 
50,000  francs  sur  les  corps  et  armement  du  David,  chargé  de 
marchandises  pour  le  compte  de  MM.  Gradis  et  destiné  à  faire  le 
voyage  de  Bordeaux  à  l'Ile-de-France.  Le  navire  périt,  mais  on 
sauva  la  cargaison  dont  le  délaissement  fut  fait  aux  assureurs. 
Le  texte  du  connaissement  donna  lieu  à  un  procès.  Le  29  décem- 
bre 1787,  une  sentence  par  défaut  condamnait  M.  Monneron  de 
Launay  à  payer  6,000  francs,  montant  de  sa  part  dans  l'assurance. 
Il  y  forma  opposition.  Les  autres  assureurs  se  réunirent  pour  en 
appeler  au  parlement  de  Rennes  qui  fut  dispersé  en  1790  et  rem- 
placé par  une  Cour  provisoire.  Bref,  après  toute  une  procédure 
dans  les  détails  de  laquelle  il  serait  oiseux  d'entrer  à  cette  place, 
l'opposition  de  Monneron  de  Launay  fut  rejetée  par  le  tribunal  de 
cassation  le  28  septembre  1792  '. 


Les  débats  auxquels  donna  lieu  de  1789  à  1791  à  l'Assemblée 
Constituante  l'émancipation  civile  et  politique  des  Juifs,  passion- 
nèrent surtout  les  provinces  de  France  où  les  Israélites  étaient 
en  grand  nombre,  c'est-à-dire  Bordeaux,  la  Lorraine,  l'Alsace, 
le  comtat  Venaissin.  A  Nantes,  tandis  que  la  seule  perspective 
de  l'affranchissement  des  Noirs  et  de  la  suppression  de  la  traite 
bouleversait  le  haut  négoce  et  soulevait  d'unanimes  protestations, 
la  cause  des  Juifs  passa  presque  inaperçue.  Toutefois  il  convient 
de  noter  à  l'éloge  des  rédacteurs  du  Journal  de  la  Correspon- 
dance de  Nantes,  publié  sous  l'inspiration  des  députés  du  tiers- 
Etat  de  la  sénéchaussée  de  Nantes  et  avec  leur  collaboration, 
qu'ils  approuvèrent,  sans  restriction,  les  décisions  de  nature  à 
restituer  aux  Juifs,  les  droits  de  l'homme  et  du  citoyen. 

«  La  cause  des  Juifs  espagnols,  portugais  et  avignonnais  est  donc 
»  gagnée  !  s'écrie  l'auteur  anonyme  du  compte-rendu  de  la  séance  du 
»  28  janvier  1790.  «  Que  le  ciel  en  soit  béni  et  que  la  raison  humaine 
»  s'en  réjouisse  !  C'est  un  triomphe  pour  elle.  Mais,  dans  ce  triomphe, 
»  il  lui  reste  encore  des  regrets.  Les  Juifs  d'Alsace  et  de  la  Lorraine 
»  peuvent  dire  à  l'Assemblée  nationale,  comme  Esaù  à  son  père  : 

1  Journal  du  Palais,  recueil  de  la  Jurisprudence  française,  par  Ledru-Rollin, 
tome  I,  page  22.  Détail  curieux,  le  premier  jugement  civil  rendu  par  le  tribunal  de 
cassation,  à  la  date  du  10  juin  1791,  avait  été  rendu  entre  un  négociant  israéiite  bien 
connu  de  Paris,  Benjamin  Calmer,  et  un  de  ses  débiteurs,  Sébastien  Gholet. 


LES  JUIFS  DE  NANTES  ET  DU  PAYS  NANTAIS  301 

»  N'avez-vous  qu'une  bénédiction  à  donner1}  Ah!  sans  doute,  il  faut 
»  l'espérer,  il  n'y  aura  pas  d'injustice  qui  ne  soit  réparée,  il  n'y  aura 
»  pas  un  malheur  qui  ne  reçoive  un  bienfait.  L'Assemblée  nationale 
»  n'apercevra  pas  une  vérité  dont  elle  ne  fasse  une  loi.  L'erreur  a 
»  beau  se  défendre  de  poste  en  poste,  elle  sera  délogée  de  toutes  ses 
»  antiques  forteresses  et  la  lumière  qui  est  partout,  prépare  à  la 
»  raison  des  triomphes  universels.  » 

On  ne  pouvait  mieux  dire  et  il  n'est  pas  douteux  que  les 
députés  de  la  sénéchaussée  de  Nantes  n'aient  voté  en  faveur  de 
l'émancipation  des  Juifs. 

Il  suffit,  pour  en  être  convaincu,  de  jeter  les  yeux  sur  le 
Journal  de  la  Correspondance,  qui,  toutes  les  fois  qu'il  s'oc- 
cupe des  Juifs,  parle  d'eux,  de  leurs  revendications,  de  leurs 
cérémonies  religieuses  en  termes  bienveillants  et  empreints  d'une 
réelle  tolérance  ». 

Les  décrets  de  l'Assemblée  Nationale  relatifs  à  l'émancipation 
des  Juifs  reçurent  à  Nantes  la  promulgation  habituelle.  Ce  fut 
l'imprimerie  Brun  aîné  de  Nantes  qui  publia,  dans  le  format  in- 
quarto,  les  deux  documents  suivants  dont  la  Bibliothèque  muni- 
cipale possède  des  exemplaires  : 

Lettres  patentes  du  Roi  sur  un  décret  de  l'Assemblée  nationale, 
portant  que  les  Juifs  connus  en  France  sous  le  nom  de  Juifs  portu- 
gais, espagnols  et  avignonnais,  y  jouiront  des  droits  de  citoyen 
actif.  Données  à  Paris,  au  mois  de  janvier  4790.  —  Nantes,  impr. 
Brun  aine,  13  février  1790,  in-4°,  3  pp. 

Lettres  patentes  du  Roi  sur  le  décret  de  l'Assemblée  nationale  du 
20  juillet  dernier,  portant  suppression  des  droits  d'habitation,  de 
protection,  de  tolérance  et  de  redevances  semblables  par  les  Juifs. 
Données  à  Saint-Gloud,  le  7  août  1790.  —  Nantes,  impr.  Brun  aîné, 
le  24  août  1790,  in-4°,  4  pp. 

Les  Juifs  d'alors  n'étaient  pas  très  nombreux  à  Nantes  ;  toute- 
fois, aux  termes  d'une  notice  nécrologique  publiée  dans  les  Ar- 
chives Israélites,  année  1842,  pages  11"?  et  337  et  due  à  M.  Lévi, 
ministre  officiant  à  Metz,  l'un  d'eux,  originaire  de  Metz  précisé- 
ment, Raphaël  Dennery,  avait,  quoique  fort  jeune,  fait  partie 
de  la  légion  nantaise  et  s'y  était  fait  remarquer  honorablement. 

1  Journal  de  la  Correspondance  de  Nantes. 

Tome  second,  n°  V,  11  septembre  1789,  p.  63;  n°  IX,  23  septembre  1789,  supplé- 
ment p.  146;  n°  XI,  28  septembre  1789,  supplément  p.  162;  n°  XII,  séance  du  28 
septembre  1789,  p.  168.  —  T.  III,  n°  VIII,  supplément  p.  125;  n°  XXVIII,  séance 
du  28  janvier  1790,  pages  441  et  suivantes.  —  T.  X,  séance  du  27  septembre  1791, 
pages  564  et  suivantes.  —  T.  XI,  page  201.  —  T.  XII,  n°  du  19  janvier  1792,  p. 
171  ;  n«>  du  22  janvier  1792,  page  187. 


302  REVUE  DES  ETUDES  JUIVES 

Raphaël  Dennery,  mort  à  Nantes  le  21  août  1840,  à  l'âge  de 
soixante-dix-huit  ans,  y  était  venu  en  1789.  Au  plus  fort  de  la 
tourmente  révolutionnaire,  lorsque  tous  les  cultes  étaient  con- 
fondus ou  plutôt  quand  aucune  religion  n'était  plus  pratiquée, 
Dennery  épousa  Elisabeth  Thiot,  belle-sœur  d'un  chantre  de  la 
cathédrale. 

C'était  à  une  époque  où  tous  les  cultes  étaient  également  mis 
à  l'index.  C'est  ainsi  que  nous  relevons  dans  une  adresse  du 
principal  club  nantais  de  l'époque,  la  Société  populaire  de  Saint- 
Vincent-la-Montagne,  à  la  Convention,  les  vœux  suivants  : 

«  La  Société  populaire  de  Saint-Vincent  à  Nantes  demande  qu'aucuu 
prêtre  ou  ministre  d'un  culte  quelconque  ne  puisse  être  chargé  d'une 
fonction  publique,  à  moins  qu'il  ne  renonce  pour  jamais  à  l'état  de 
prêtre. 

»  La  Société  demande  aussi  que  les  Juifs  qui  sont  au  nombre  des 
agents  les  plus  actifs  de  l'agiotage  soient  surveillés.  » 

La  Convention  ordonna  l'insertion  au  Bulletin  et  le  renvoi  au 
Comité  d'instruction  publique  de  cette  adresse  4,  qui  ne  visait  cer- 
tainement pas  les  Juifs  de  Nantes  même,  puisqu'ils  y  étaient  tous 
de  modestes  colporteurs,  de  petits  marchands  qui  ne  deman- 
daient qu'à  gagner  tranquillement  le  pain  de  leur  nombreuse 
famille. 

Ce  n'est  qu'en  1806  que  le  préfet  de  la  Loire-Inférieure , 
Belleville,  demandait  à  la  date  du  18  juin,  au  maire  de  Nantes 
de  dresser  un  état  de  la  population  juive,  chefs  de  famille, 
femmes  et  enfants,  en  y  joignant  une  note  relative  à  leur  âge, 
leur  profession,  leurs  moyens  d'existence,  leur  moralité  et  au 
degré  de  considération  dont  ils  jouissaient.  L'état  en  question 
fut  fourni  quelques  jours  après,  le  27;  mais  il  fut  sans  doute 
transmis  à  Paris  et  nous  ne  le  connaissons  pas.  11  eût  été  curieux 
cependant  de  savoir  l'avis  du  maire  de  Nantes  ou  plutôt  du 
commissaire  de  police  dont  le  maire  ratifiait  les  renseignements 
sur  la  moralité  et  l'honorabilité  des  deux  seules  familles  israélites 
qui  habitaient  la  ville  en  1806.  Autant  qu'il  est  permis  de  le 
déduire  d'informations  ultérieures,  elles  vivaient  obscures  et 
ignorées,  heureuses  de  jouir  d'une  liberté  à  laquelle  elles  étaient 
encore  peu  accoutumées. 

En  1808,  circulaire  ministérielle  pour  obliger  les  Israélites  à 
adopter  un  nom  de  famille  et  un  prénom  fixes  ;  nouvelle  lettre 

;Procès-verbal  de  la  séance  de   la  Convention  du  4  décembre  1793,  14  frimaire 
au  II,  tome  XXVI  des  procès-verbaux,  page  338. 


LES  JUIFS  DE  NANTES  ET  DU  PAYS  NANTAIS  303 

du  préfet  au  maire  le  13  septembre  ;  ordre  donné  le  14  par  le 
maire  au  bureau  de  l'état  civil  d'ouvrir  deux  registres  ad  hoc, 
ce  qui  eut  lieu  la  semaine  suivante. 

Nous  avons  eu  la  curiosité  de  feuilleter  ces  registres  l  qui  con- 
statent officiellement  l'existence  à  Nantes  du  noyau  de  la  commu- 
nauté actuelle,  et  voici  la  liste  exacte  de  la  petite  communauté  qui 
résidait  dans  cette  ville  en  1808  et  1809,  telle  qu'elle  est  portée 
sur  ces  deux  cahiers  tout  minces,  mais  plus  que  suffisants  pour 
les  mentions  des  vingt-cinq  noms  qu'ils  contiennent  : 

1808. 

Alfenne  Isaac,  né  en  France,  marchand,  place  Pilori,  déclare  con- 
server le  nom  d'Alfenne  et  prendre  celui  d  Isaac. 

Alfenne  Victoire,  née  à  Nantes  le  4  2  avril  4790,  fille  mineure  du 
précédent  ;  Alfenne  Adélaïde,  née  à  Nantes,  le  4  6  avril  4793,  fille  mi- 
neure du  précédent;  Alfenne  Caroline,  née  à  Nantes,  le  4  5  germinal 
an  III,  fille  mineure  du  précédent  ;  Alfenne  Emilie,  née  à  Nantes,  le 
4  2  floréal  an  V,  fille  mineure  du  précédent,  conservent  leurs  noms. 

Lion  Jacob,  né  en  France,  marchand,  cours  du  Peuple,  déclare  con- 
server le  nom  de  Lion  Jacob. 

Alcan  Anne,  épouse  de  Jacob  Lion,  déclare  conserver  son  nom. 

Lion-Yosse  Jacob,  née  à  Nîmes  (Gard),  le  4  3  juillet  4786,  modiste, 
cours  du  Peuple,  fille  de  Jacob  Lion  et  de  Nanette  Alcan,  déclare 
prendre  ce  nom. 

Lion-Alcah  Jacob,  né  à  Nîmes,  le  27  juillet  4791,  Lion-Salomon 
Jacob,  né  à  Nimes,  le  24  mai  4793,  Lion-Guéric  Jacob,  né  à  Poitiers  en 
germinal  an  III,  fils  mineurs  de  Jacob  Lion  ;  Lion-Lia  Jacob,  née  à 
Poitiers,  le  28  février  4796,  fille  mineure  du  précédent,  Lion  Mayer- 
Jacob,  né  à  Nantes,  le  4  7  juin  1806,  fils  mineur  du  précédent,  pren- 
nent ces  noms. 

Joseph  Moyse,  né  en  France,  marchand,  rue  Franklin,  déclare  con- 
server son  nom. 

Joseph  Nathan-Moyse,  né  en  France,  fils  majeur  de  Joseph  Moyse, 
déclare  prendre  ce  nom. 

Dennery  Raphaël,  né  en  France,  marchand,  rue  Crébillon,  déclare 
conserver  ce  nom. 

Dennery-Israël  Raphaël,  né  à  Nantes,  le  10  thermidor  an  VII,  fils 
mineur  du  précédent  ;  Dennery  Esther,  née  à  Nantes,  le  4  germinal 
an  XIII,  fille  mineure  du  précédent  ;  Dennery  Aaron  Raphaël,  né  à 
Nantes,  le  20  février  4  808,  fils  mineur  du  précédent,  prennent  ces 
noms. 

Samuel  Lion,  né  dans  le  margraviat  d'Anspach,  marchand,  route  de 
Paris,  déclare  conserver  ce  nom. 

1  Ils  sont  conservés  dans  les  bureaux  de  l'état  civil  de  Nantes,  à  la  mairie  de  cette 
ville. 


304  REVUE  DES  ETUDES  JUIVES 

lsaac  Nathan,  né  à  Hambourg  (Allemagne),  marchand,  quai  Fosse, 
déclare  conserver  ce  nom. 

Cohen  Joseph,  né  à  Bois-le-Duc  (royaume  de  Hollande),  marchand, 
demeurant  en  cette  ville  depuis  quatre  mois,  rue  de  Bayle,  déclare 
conserver  ce  nom. 


1809. 

Levi  Michel,  né  à  Frauberg  (Moselle),  marchand,  demeurant  à 
Nantes  depuis  quatre  mois,  rue  Fontenelle,  y  fixe  son  domicile.  Il 
déclare  conserver  son  nom. 

Michel  Joseph,  né  à  Travilsdorf,  en  Franconie  (Allemagne),  mar- 
chand, célibataire,  demeurant  depuis  trois  mois  rue  Follard,  à 
Nantes,  a  déclaré  vouloir  y  fixer  son  domicile  et  conserver  son  nom. 

David  Lion  de  Bittenheim  (Allemagne),  marchand,  demeurant  à 
Nantes  depuis  cinq  mois,  rue  Follard,  a  déclaré  y  fixer  domicile  et 
conserver  son  nom. 

Le  5  juin  1809,  sur  la  demande  du  préfet,  M.  de  Celles,  la  mairie 
de  Nantes  dressait  un  état  des  facultés  pécuniaires  des  Juifs,  do- 
miciliés en  ville,  d'après  leurs  propres  déclarations. 

Alfenne  lsaac,  56  ans,  quatre  enfants,  marchand  de  clincaillerie, 
place  du  Pilori  :  n'en  avait  que  pour  120  francs,  quand  il  partit  pour 
Paris  en  mars  dernier,  à  l'effet  de  rejoindre  quelques  amis  (déclara- 
tion faite  et  signée  par  Nathan  lsaac). 

Lyon  Jacob,  45  ans,  femme  et  sept  enfants,  marchand-colporteur, 
cours  du  Peuple,  possédant  en  marchandises,  argent  et  meubles 
1,200  francs  :  produit  son  contrat  de  mariage  passé  à  Nîmes  en  oc- 
tobre 1786. 

Joseph  Moïse,  66,  veuf,  cinq  enfants,  ancien  marchand  de  mer- 
cerie, rue  Franklin,  ne  possède  rien  en  argent  ni  en  meubles  :  vit  de 
dons  de  ses  enfants  dont  trois  sont  à  Paris  et  un  à  Lunéville. 

Dennery  Raphaël,  47  ans,  une  femme  et  trois  enfants,  rue  Crébil- 
lon,  marchand  d'étoffes  et  de  blanc,  possède  en  marchandises  et  en 
argent  3,000  francs  :  prouve  son  nom  par  un  extrait  des  registres  de 
l'état-civil  de  Metz  daté  de  l'année  1789. 

lsaac  Nathan,  36  ans,  marié,  sans  enfants,  quai  de  la  Fosse  :  col- 
porteur, en  argent  et  en  marchandises,  1,500  francs. 

Cohen  Joseph,  38  ans,  célibataire,  marchand  de  papier  rue  de 
Gorges  :   en  argent  et  en  marchandises,  1,200  francs. 

David  Lyon,  45  ans,  marié,  deux  enfants,  rue  Folard,  marchand 
de  clincaillerie  (sic),  en  marchandises  et  en  argent,  300  francs. 

Lévy  Michel  Mayer,  36  ans,  marié,  marchand  de  lunettes,  rue  Fon- 
tenelle, possède  environ  100  francs. 

Michel  Joseph,  30  ans,  célibataire,  marchand  de  lunettes,  rue  Fo- 
lard, possède  100  francs. 


LES  JUIFS  DE  NANTES  ET  DU  PAYS  NANTAIS  303 

Joseph  Nathan  Moïse,  26  ans,  marchand  de  mercerie  rue  Fran- 
klin, possède  environ  4,000  francs. 

Samuel  Lyon,  60  ans,  colporteur,  route  de  Paris,  en  marchandises, 
environ  4,000  francs. 

Détail  à  noter,  bien  que  l'instruction  ne  fût  guère  répandue  à 
cette  époque,  sur  les  onze  déclarations  qui  précèdent,  sept  furent 
signées  par  les  déclarants,  six  en  français,  une  en  caractères 
hébraïques;  Alfenne  était  momentanément  absent  de  Nantes, 
Michel  Joseph  et  Lévy  Michel  Mayer  étaient  en  tournée,  ainsi 
qu'il  résulte  d'une  note  de  police  jointe  à  ce  document.  Un  seul, 
Samuel  Lyon,  ne  sut  pas  signer. 

Ces  renseignements,  quelque  circonstanciés  qu'ils  fussent,  ne 
satisfirent  pas  le  préfet  de  Celles.  Dans  une  nouvelle  lettre  du 
13  juillet  1809,  il  fit  remarquer  que  les  Israélites  avaient  gardé  un 
nom  de  ville  ou  de  la  Bible,  sans  justifier  par  la  production  de 
leur  acte  de  naissance,  que  leurs  pères  l'avaient  porté  avant  eux. 
D'où  la  nécessité  pour  ceux  qui  n'exhiberaient  pas  la  pièce  en 
question,  de  prendre  un  autre  nom. 

Lettre  de  rappel  du  16  août  1809,  mais  il  ne  semble  pas  que  la 
mairie  de  Nantes  ait  donné  suite  aux  ordres  du  préfet,  qui  changea 
du  reste  peu  après,  et  que  les  Juifs  se  soient  prêtés  à  cette  nou- 
velle fantaisie  administrative. 

L'année  suivante,  sur  les  indications  qui  lui  avaient  été  trans- 
mises par  le  maire,  M.  Bertrand  Geslin,  le  consistoire  Israélite 
de  la  circonscription  de  Paris,  entré  en  fonctions  peu  de  temps 
auparavant,  chargea  Lyon  Samuel,  originaire  de  Fùrth,  près 
Nuremberg  et  qui  habitait  à  Nantes,  rue  de  Flandres,  près  de  la 
Fosse,  chez  M.  Aury,  de  percevoir  le  contingent  que  les  Juifs 
de  la  ville  devaient  supporter  dans  les  frais  communs  de  leur 
culte.  Il  est  à  peine  besoin  de  dire  qu'il  n'était  pas  alors  payé 
par  l'État,  comme  il  le  fut  progressivement  à  partir  du  règne  de 
Louis-Philippe. 

C'est  ici  que  nous  arrêterons  cette  courte  notice. 

Léon  Brunschvicg. 


T.  XIX,  N°  38. 


NOTES  ET  MÉLANGES 


L'OUVRA&E  PERDU  DE  JEHODDA  HAJJOUDJ 

Parmi  les  ouvrages  du  fameux  grammairien  Hajjoudj  énumérés 
par  Ibn-Ezra  dans  son  introduction  du  Moznaïm,  il  y  a  un  écrit 
dont  le  titre  est  douteux  et  dont  le  contenu  est  complètement 
inconnu.  Tandis  que  les  éditions  du  Moznaïm  appellent  cet  ouvrage 
nnp^ïi  -ido  «  livre  du  parfum  \  »,  quelques  manuscrits  donnent 
la  variante  i-impïi  nso  «  livre  de  la  calvitie  »,  et  d'autres  encore, 
celle  de  rrtDpnn  *idd  «  livre  des  parterres  fleuris2  ».  Quant  au 
contenu  du  livre,  M.  J.  Derenbourg,  s'appuyant  sur  un  passage 
d'Ibn-Ezra,  Ps.  102,  27,  dans  lequel  est  citée  une  explication  de 
Hajjoudj  qui  ne  se  rencontre  dans  aucun  des  ouvrages  connus  de 
cet  auteur,  a  supposé  que  ce  livre  traitait  de  philosophie  reli- 
gieuse 3.  Mais  M.  Jastrow4  a  déjà  fait  observer  qu'il  était  peu 
probable  qu'un  tel  travail  eût  pu  trouver  place  dans  l'introduc- 
tion du  Moznaïm,  qui  ne  s'occupe  que  d'ouvrages  de  grammaire  et 
de  lexicographie.  Il  sera  donc  intéressant  d'apprendre  que  l'ou- 
vrage est  encore  cité  par  un  des  derniers  représentants  de  l'école 
judéo-arabe  de  l'Espagne,  par  Tanhoum  Ieruschalmi.  Le  passage 
que  nous  avons  en  vue  ne  dissipera  pas  les  ténèbres  qui  couvrent 
le  contenu  de  l'ouvrage,  mais  il  nous  fixera  définitivement  sur 
son  titre. 

On  sait  que  Tanhoum  a  fait  précéder  ses  commentaires  sur  la 
Bible  d'une  introduction  fort  étendue  traitant  de  grammaire  et 
d'exégèse.  De  grands  fragments  de  cette  introduction  se  trouvent 

1  Manuscrit  de  Paris  n°  1221,  et  mss.  de  la  Bodléienne  nos  1254,6  et  1486,3. 
Cf.  J.  Derenbourg,  Manuel  du  lecteur,  p.  192. 

1  De  Rossi,  Dizùonario,  p.  89  ;  Dukes,  Literaturgesckichtliche  Mittheilungen, 
p.  3  et  160;  Hupfeld,  De  rei  grammatical  apud  Judœos  initiis,  p.  18;  Cat.  Bodl., 
col.  1302  ;  Man.  du  lecteur,  l.  c;  Wolf,  Biblioth.  Eebr.,  II,  595  (il  faut  lire  iinp"! 
au  lieu  de  ïlttp1-))  ;  cf.  Munk,  Notice  sur  Aboulvalid  dans  le  /.  asiat.,  1850,  II,  31. 
Voy.  Wolf,  ibid.,  I,  424,  où  deux  autres  noms  de  ce  même  écrit  sont  cités. 

8  Opuscules,  introduction,  p.  xi. 

*  Abu-Zakarijja  und  seine  zwei  grammatische  ^chriften^  p.  7. 


NOTES  ET  MÉLANGES  307 

heureusement  à  la  Bibliothèque  impériale  de  Saint-Pétersbourg1. 
En  tète  de  cette  introduction,  se  lit  encore  une  sorte  d'avant-propos 
dans  lequel  l'auteur  attaque  vivement  les  docteurs  juifs  qui  s'op- 
posent à  toute  étude  scientifique,  et,  en  particulier,  à  l'étude  de  la 
grammaire  et  de  l'exégèse.  A  ce  propos,  il  donne  d'abord  un  grand 
nombre  de  passages  tirés  du  Talmud  et  des  ouvrages  des  Gaonim 
qui  prouvent  que  les  anciens  docteurs  avaient  reconnu  l'utilité  de 
la  science  pour  l'intelligence  du  texte  biblique  ;  puis  il  énumère 
les  noms  d'un  grand  nombre  de  ses  prédécesseurs  qui  s'étaient 
occupés  de  grammaire  et  d'exégèse,  et,  à  cette  occasion,  il  donne 
les  titres  de  leurs  ouvrages,  tout  en  remarquant  expressément 
qu'il  ne  les  a  pas  tous  vus.  Voici  ce  qu'il  dit,  dans  cet  avant- 
propos,  au  sujet  de  Hajjoudj  : 

rirûttn^N  b^abnbN  inbai  ^ba  nm  im  apbftba  -T-n  n"n  rmrr  'n 
t^ib  rpnn  lï'nb'n  \)2  sàx  bj>D  "psi  Nb  "jn  *hy  rteuNpba  ■prwnabN'i 
V?no  N?û  ^b?  sninsi  nsN  îtjd  ^na  ma*  n?ûN  b^a  nbtt  b'nft  "Vp« 
fiftda  nniûi  nbao^noa  n'ro  finis  as-iabn  t\hr^  Ktt  EjnnNbN  yà  l&n 
aabpaKbfin  "pbba*  tpjn  an  j-tûa  "pai  np  npb  }En  ■jn  )r\i  p  bn-ps 
n^NDi  inftb*  y&misn  rtteB  nbs  '■jb1!  -in:n  toamaban  bannNban 
t^innDi  i-rb^Nb^  pia  abisDba  n^i  nbaipa  p^an  ^ba  biprb^ 
p  rpsi  riâBWi  !f*ma  nrjbsj  prtàïtïtttt)  F'PttŒJto-  arûboi  mm  ■* 
bip  n'nN  !ms  hahi  rratsas  .fcabsba  "j?  dànm  r&rwi  nN^nssb^ 
(rt53>  nbba  *fc"i  =  ]  stâh  nVi  .rnn»  nmb  nn^n  ta-ab*  p»bn  ysba 
apsba  aaroi  "pbhnba  riN'H  nandi  ybba  tn-in  asna  aro  ya-w 
^d  Nmsi  bîsriN  rfba  basbaôN  Bpnsr  a»na  im  t|n3  b^  aanan 
nNsoaba  dNb3  "bj  raab  'pb'nttbN  n&rn  aanpi  ybba  Bpnn  a»na 
ûnb  ina  &n?a-)N  man  û^ib^m   rip^pnbN  ^bsh  bma  bii<  ynsabai 

.  rroam  nso  bsa  baram  3H7a  û^nban 

«  R.  Jehouda  ben  David,  surnommé  Hajjoudj,  établit  par  des 
preuves  évidentes  et  des  arguments  décisifs  que  les  racines  verbales 
ne  contiennent  pas  moins  de  trois  lettres,  comme  ttbia,  b^N,  etc., 
comme  nous  l'expliquerons  plus  loin  ;  et  que,  pour  alléger  la  pro- 
nonciation, on  laisse  tomber  des  lettres  lorsque  le  mot  est  d'un 
usage  fréquent  et  quand  les  formes  nominales  qui  en  dérivent  se 
présentent  souvent.  Ainsi  "jnD  forme  "jn,  npb  donne  np,  !^U3  forme 
C3Ï1  etc.  11  reconnut  la  nature  des  verbes  faibles,  la  permutation  des 
lettres,  l'assimilation  et  des  phénomènes  semblables2...  Hajjoudj, 

1  On  croyait  cependant  cette  introduction  complètement  perdue  ;  voy.  Goldzieher, 
Stuâien  iiber  Tanchum  Jérusalem,  p.  8. 

2  Suivent  ici,  dans  le  texte,  quelques  lignes  qui  exaltent  la  valeur  de  Hajjoudj, 
et  qu'il  est  superflu  de  traduire.  Le  même  enthousiasme  dans  la  peinture  des  mérites 
de  Hajjoudj  se  retrouve  dans  Moustalhik,  p.  4  ;  Louma,  p.  15  et  ailleurs.  Ibn-Ezra 
est  tantôt  exagéré  dans  son  éloge,  tantôt  sans  mesure  dans  son  blâme;  voy.  J.  De- 
renbourg,  Revue  des  Études  juives,  t.  XVII,   p.  175.   Le  jugement  de  Tanchoum 


308  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

que  Dieu  lui  soit  propice,  composa  quatre  livres  :  4°  Le  livre  des 
racines  à  lettres  faibles  ;  2°  le  livre  des  racines  géminées  ;  3°  le  livre 
de  la  ponctuation,  et  4°  le  livre  de  la  calvitie.  Ce  dernier  traite  de  la 
flexion  des  mots  qui  n'avaient  pas  été  mentionnés  dans  les  deux 
premiers  livres,  en  suivant  exactement  Tordre  des  livres  et  des 
textes  de  l'Ecriture.  Et  vraiment  «  à  ces  quatre  enfants  de  son 
esprit,  Dieu  a  prêté  de  la  science  et  de  l'intelligence  »  (Daniel,  i,  17). 

Nous  possédons  donc  ici  un  nouveau  témoignage  sur  l'existence 
du  quatrième  ouvrage  de  Hajjoudj  qui  ne  nous  est  pas  parvenu; 
ce  témoignage  ne  nous  en  donne  pas  seulement  le  titre,  mais  pré- 
tend, en  outre,  nous  en  exposer  le  contenu.  Mais  voici  de  nouvelles 
difficultés  qui  se  présentent.  Si  nous  ajoutions  foi  aux  paroles  de 
Tanhoum,  Hajjoudj  aurait  lui-même  écrit  un  ouvrage  destiné  à 
compléter  ses  travaux  sur  les  racines  faibles  et  les  racines  gémi- 
nées, en  d'autres  termes,  traitant  le  même  sujet  que  le  Moustalhik 
d'Ibn-Djanah  et  ne  s'en  distinguant  que  par  l'ordre  dans  lequel 
ces  additions  étaient  disposées  l. 

Mais  d'abord  on  s'expliquerait  difficilement  pourquoi  Ibn-Djanah 
aurait  recommencé  un  travail  entrepris  déjà  par  Hajjoudj  lui- 
même  ;  et,  qui  plus  est,  Ibn-Djanah  dit,  dans  son  introduction 
au  Moustalhik,  ce  qui  suit  :  «  Et,  sans  aucun  doute,  s'il  avait  vécu 
assez  longtemps,  il  aurait  ajouté  lui-même  tous  ces  verbes  et 
résolu  tous  les  doutes  que  ces  deux  traités  ont  laissé  subsister2  ». 
Nous  croyons  donc  pouvoir  soutenir  que  Tanhoum  n'a  jamais  vu 
ce  quatrième  ouvrage,  et  qu'il  n'a  fait  ici,  comme  ailleurs,  que 
copier  la  liste  donnée  par  Ibn-Esra,  ce  qui  paraît  ressortir  du 
verset  de  Daniel  qu'il  applique  à  Hajjoudj  comme  l'auteur  du 
Moznaïm. 

Rien  ne  démontre  avec  autant  d'évidence  que  Tanhoum  parle 
d'ouvrages  qu'il  ne  connaît  pas  de  visu,  comme  le  passage  qui  est 
consacré  à  Salomon  ibn  Gebirol  :  mnrraFi  nb  pprr  ïimbttî  "mi 
WiD'natm  rnbbtt  bisa  ^s  ma  rinwa  3>:na  imitra  sps  bpttii  ab  nbiprat-ï 
Nï-pafcwa    yrism,    qui  s'accorde   presque  littéralement   avec   les 

dans  sa  préface  du  Mou-rschid  a  été  déjà  donné  par  Munk,  Notice,  ibid.,  p.  32,  et 
Goldzieher,  l.  ç.,  p.  49.  Nous  donnons  ici  de  nouveau  ce  passage  d'après  le  ms.  de 
Saint-Pétersbourg  : 

bfiWBNb&t    tsî-jjpfcà    i"npn2i    •pmpn^bN  ^  ïTnabba   Mao    ^Tn 
nabp^bNi  ûfimabfio  "pbba  N-i»b^  ùbi  'rrnnsbN  bN3>B8b&o  riWnba 
fa*    "p^N-nbio   b^bnbN  ûNpîji   iw    âi^n  ï^^î,  "na   "îtrô  1^  iba 
rpriabai  ïïftba  tpnabN  no  £ai  tpnn  ri'nb'n  ï»  ^pa  ^b*  b^c  nâT  ab 
.  rwio  «73  br>  basi  'bn&Ni  pnb«  nars  fioJpnfcbK 

1  On  sait  qu'Ibn-Djanak   a  suivi  dans  son   supplément   Tordre  alpkabétique  des 
racines. 

2  Moustalhik,  p.  4. 


NOTES  ET  MELANGES  300 

paroles  d'Ibn-Ezra.  Nous  pensons  donc  qu'en  indiquant  le  contenu 
de  l'ouvrage  de  Ilajjoudj,  Tanhoum  n'a  fait  que  tirer  une  fausse 
conséquence  du  titre  donné  par  Ibn-Ezra,  et  qu'en  s'attachant  au 
sens  du  mot  nmp  «  lacune  !  »,  il  a  cru  que  ce  livre  était  destiné 
à  remplir  les  lacunes  des  autres  ouvrages  de  cet  auteur.  Ce  qui 
est  incontestable,  c'est  que  Tanhoum  avait  sous  les  yeux  la  leçon 
!-imp!t,  la  seule  qui  soit  correcte,  et  que  les  copistes  ont  mal  à 
propos  changée  en  ttnp'-iii  ou  îrap^n,  deux  mots  qui  leur  étaient 
parfaitement  connus.  Mais  on  peut  se  demander  si  le  titre  arabe 
S|D3bN  aarù  était  bien  celui  que  Hajjoudj  avait  donné  à  son 
ouvrage,  puisque  Tanhoum  ne  le  connaissait  que  par  la  traduction 
du  titre  hébreu  qui  lui  avait  été  fourni  par  Ibn-Ezra.  Il  paraît 
même  que  Tanhoum  ne  connaissait  les  autres  travaux  de  Ilajjoudj 
que  par  la  liste  d'Ibn-Ezra,  puisqu'il  nomme  le  livre  de  la  ponc- 
tuation apsbN  tiNrû,  ce  qui  est  la  version  de  i^in  too,  tandis  que 
le  vrai  titre  arabe  en  est  B^panba  2Nrû2. 

Il  ne  reste  plus  qu'une  seule  difficulté  à  résoudre.  Tanhoum 
soutient  que  le  livre  rimpît  n'était  pas  seulement  un  supplément 
des  autres  ouvrages  de  Ilajjoudj,  mais  encore  qu'il  était  disposé 
selon  l'ordre  des  livres  bibliques.  Gomment  pouvait-il  concevoir 
cette  opinion  s'il  n'a  connu  l'existence  de  l'ouvrage  que  par  la 
citation  d'Ibn-Ezra  ?  Nous  croyons  voir  ici  également  une  simple 
supposition  de  la  part  de  Tanhoum.  Il  est  probable  qu'en  dehors 
de  ses  études  grammaticales,  Ilajjoudj  se  sera  occupé  aussi  d'exé- 
gèse, et  que,  sans  composer  de  commentaires  étendus,  il  aura 
écrit  des  gloses  sur  des  passages  difficiles  de  l'Écriture. 

M.  Neubauer a  communiqué,  dans  sa  «  Notice  sur  la  lexicogra- 
phie hébraïque  3  »,  quelques  gloses  explicatives,  se  trouvant  à  la 
marge  d'Ézéchiel,  attribuées  à  Hajjoudj,  et  qu'on  chercherait  en 
vain  dans  ses  écrits  connus.  Joseph  Ibn  Aknin,  dans  l'introduction 
de  son  commentaire  sur  le  Cantique,  compte  Hajjoudj  parmi  les 
exégètes  qui  ont  interprété  ce  livre  d'après  son  sens  naturel 
(aasba  ^b^)4.  On  a  bien  voulu  soutenir 5  qu'il  s'agissait,  dans  ce 
passage,  des  versets  du  Cantique  expliqués  dans  les  ouvrages  de 
grammaire,  mais  là  ils  ne  le  sont  que  sous  le  rapport  des  formes 
de  la  langue  et  nullement  pour  le  sens  naturel  ou  allégorique  que 
les  différents  interprètes  de  tous  les  temps  ont  attribué  au  Can- 
tique. Rien  ne  s'oppose  donc  à  ce  que  Hajjoudj  ait  écrit  des  gloses 

1  Cf.  Sanhédrin,  109,  bfintt^n   ~mp  TtâTS   mp. 

*  J.     Nutt. 

3  Journal  asiat.,  1862,  I.  p.  211.  Voyez  le  catal.  de  M.  Neubauer,  n°  316. 

4  Cf.  M.  Steinschneider,  dans  l'Encyclopédie  d'Ersch  et  Griiber,  11°  série,  vol.  31, 
p.  54  ;  A.  Neubauer,  Monatsschr.,  1870,  p.  396  et  suiv. 

5  B.-S.  Salfeld,  Das  Hohelied  Salomo's  bei  dcn  "'ildischen  Erklàrern,  p.  31  et  suiv. 


310  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

pour  le  Cantique,  comme  il  en  a  composé  pour  Ézéchiel,  pour  les 
Psaumes  et  pour  d'autres  livres  de  l'Écriture  ;  Tanhoum  aura  en- 
tendu parler  de  ces  gloses  sans  les  avoir  jamais  vues,  et  les  aura 
identifiées  avec  le  î-»mp!-î,  cité  par  Ibn-Ezra,  et  qu'il  n'avait  pas 
vu  davantage. 

Le  wnpfi  nso  cité  deux  fois  dans  le  Manuel  du  lecteur  était-il 
le  même  que  celui  qui  est  attribué  à  Hajjoudj  ?  Nous  ne  saurions 
le  dire,  ne  connaissant  exactement  ni  le  contenu  de  l'un  ni  le 
contenu  de  l'autre.  La  seule  chose  qu'on  puisse  supposer  avec  une 
grande  vraisemblance,  c'est  que  le  rânptt  'o  a  pu  traiter  d'un 
sujet  grammatical. 

Saint-Pétersbourg.  I.   ISRAELSOHN. 

OBSERVATIONS  SUR  LE  MÊME  SUJET. 

L'intéressant  article  qu'on  vient  de  lire  m'a  été  communiqué 
par  son  savant  auteur,  qui  a  bien  voulu  me  permettre  de  l'accom- 
pagner de  quelques  observations. 

M.  Israelsohn  croit  :  1°  que  Tanhoum  n'a  jamais  vu  ni  connu 
le  i-trnprr  'o,  et  que  le  titre  DnibN  narû  qu'jd  lui  donne  est'  une 
traduction  arabe  imaginée  par  Tanhoum  ;  2°  que  le  passage  de 
Tanhoum,  et  ce  serait  là  son  seul  mérite,  prouve  avec  évidence 
l'exactitude  de  la  leçon  î-impri  ;  3°  que  l'indication  du  contenu  du 
livre  donné  par  Tanhoum  n'a  aucune  valeur,  et  n'est  en  partie 
qu'une  conséquence  tirée  par  ce  grammairien  du  mot  rtrnpïr,  qui 
signifierait  «  lacune  »,  et,  en  partie,  la  suite  d'une  confusion  qu'il 
aura  faite  entre  ce  livre  de  grammaire  et  un  cinquième  ouvrage 
qui  contenait  les  gloses  de  Hajjoudj  sur  différents  livres  de 
l'Écriture. 

Il  nous  est  impossible  d^adopter  les  conclusions  de  M.  Israel- 
sohn. Premièrement,  si  tttnpïi  a  le  sens  de  «  lacune  »,  ce  que 
nous  contestons,  et  si  ce  titre  de  «  lacune  »  a  décidé  Tanhoum  à 
considérer  ce  livre,  qu'il  ne  connaissait  pas  autrement,  comme  un 
supplément  des  autres  ouvrages  de  grammaire  de  Hajjoudj,  il  ne 
devait  pas  le  traduire  par  srûba  'o  «  livre  de  la  calvitie  »,  mais 
par  un  mot  tel  que  naiaba,  ou  fN^p^btf  ou  StoîiMabtt,  ce  qui  aurait 
donné  le  sens  de  livre  des  choses  «  passées  »,  «  manquantes  »  ou 
«  négligées  »  ;  avec  la  version  qu'il  a  choisie,  il  n'y  avait  plus 
moyen  de  conclure  du  titre  au  contenu  qu'il  supposait.  En  second 
lieu,  la  leçon  de  inmpn  ne  serait  définitivement  prouvée  que  dans 
le  cas  où  Ibn-Ezra  aurait  choisi  ce  mot  pour  traduire  en  hébreu 
l'arabe  aroba,  fourni  par  Tanhoum;  si,  au  contraire,  ce  dernier 
mot  était  inventé  pour  traduire  rrrnpïi,  il  n'y  aurait  qu'un  témoin 


NOTES  ET  MELANGES  311 

de  plus  en  faveur  de  cette  leçon,  puisque  Tanhoum  devrait  alors 
l'avoir  rencontré  dans  son  exemplaire  du  Moznaïm  ;  le  témoi- 
gnage des  mss.  qui  portent  ïrrîpHfi  ou  ^top^rs  serait  tout  au  plus 
affaibli,  mais  aucunement  anéanti.  Troisièmement,  comment  croire 
qu'un  esprit  aussi  solide  et  aussi  consciencieux  que  Tanhoum  se 
serait  hasardé  à  attribuer  à  un  ouvrage  qu'il  ne  connaissait  pas 
un  contenu  qu'il  ne  pouvait  pas  avoir,  et,  qui  plus  est,  le  con- 
fondre avec  un  cinquième  ouvrage  découvert  par  M.  Israelsohn, 
et  dont  il  n'est  question  nulle  part? 

Tout  s'explique,  si  nous  supposons  que  Tanhoum  avait  vu  et 
connu  le  srûba  naro,  et  qu'Ibn-Ezra  n'a  fait  que  traduire  ce  titre 
en  hébreu,  comme  il  le  fait  pour  d'autres  titres  arabes  des  ou- 
vrages dont  il  parle  dans  son  introduction  du  Moznaïm.  Mais  sns 
ne  signifie  pas  «  lacune  »  et  pas  davantage  «  calvitie  »  ;  le  vrai 
sens  de  ce  mot  est  «  épilation  »,  c'est-à-dire  action  d'arracher  les 
cheveux  pour  établir  un  vide  à  un  endroit  où  les  cheveux  conti- 
nuaient naturellement  à  pousser.  C'est  ainsi  qu'il  était  défendu 
aux  israélites  d'établir,  en  l'honneur  d'un  mort,  une  ttmp  entre 
les  yeux  (Deut.,  xrv,  14  *).  Partant  de  là,  les  Arabes  ont  donné 
le  titre  de  sna  à  plusieurs  ouvrages  composés  d'extraits  faits 
d'autres  ouvrages.  Nous  savons  par  Ibn-Djanah  que,  pour  écrire 
son  Moustalhik,  il  a  lu  et  relu  huit  fois  toute  la  Bible  2.  Nous  ne 
croyons  donc  pas  nous  tromper  en  supposant  que  Hajjoudj,  pour 
compléter  ses  deux  premiers  ouvrages  de  grammaire,  a  parcouru 
de  nouveau  l'Écriture,  qu'il  a,  à  cette  occasion,  d'une  part,  noté 
les  omissions  qu'il  avait  faites  et,  d'autre  part,  mis  à  la  marge  des 
interprétations  de  passages  difficiles  et  obscurs.  Si,  après  cela, 
Hajjoudj  a  relevé  toutes  ses  observations  et  les  a  réunies  dans 
un  ouvrage  à  part,  ce  livre  pouvait,  avec  raison,  porter  le  titre 
de  hmpn  '0  .cnsba  '5,  et  Tanhoum,  de  son  côté,  était  en  droit  de 
faire  suivre  ce  titre  de  ce  qu'il  avait  remarqué  au  sujet  de  son 
contenu,  et  de  compléter  ainsi  ce  qui  manquait  dans  la  liste  d'Ibn- 
Ezra.  Peut-être  même  ce  travail  de  fixation  de  notes  éparses 
dans  un  corps  d'ouvrage  n'a-t-il  été  fait  qu'après  la  mort  de 
Hajjoudj  par  l'un  de  ses  disciples,  et,  dans  ce  cas,  on  comprend 
facilement  qu'Ibn-Djanah,  qui  vivait  à  Saragosse,  loin  du  centre 
habité  par  le  parti  de  Hajjoudj,  ait  pu  ignorer  jusqu'à  l'existence 
d'une  telle  composition. 

Si  l'on  adopte  notre  opinion,  la  leçon  de  ïimpii  devient  incon- 
testable. J.  Derenbourg. 

1  En  effet,  Saadia  traduit,  dans  ce  verset,  MrHp  par  NDiTlS  ;  'a  calvitie,  en  hébreu 
ïlîTTp  (Lévit.,  xm,  42)  est  rendue  par  le  même  traducteur  par  î"îi*?]£. 

2  Voy.  Opuscules,  p.  244. 


BIBLIOGRAPHIE 


Glaser  (Edouard).  Skizze  der  Gesrliichte  Arabiens  von  den  seltesten 
Zeiten  bis  zum  Propheten  Muhammed .  Ausschliesslich  nach 
inschriftlichen  Quellen.  Erstes  Hef't,  Munich,  1889. 

L'Arabie  antéislamique  commence  depuis  quelque  temps  à  sortir 
de  l'épaisse  obscurité  que  les  fables  musulmanes  ont  répandue  sur 
ses  origines  et  sur  son  histoire.  Grâce  aux  inscriptions  découvertes 
par  plusieurs  voyageurs  dans  diverses  parties  du  pays,  on  voit  se 
dessiner  graduellement  les  contours  d'une  histoire  pleine  de  faits 
et  englobant  de  longs  siècles  de  durée  et  de  nombreux  facteurs 
ethnographiques  entièrement  inconnus  naguère.  Cet  heureux  résultat 
est  dû  surtout  aux  découvertes  récentes  et  absolument  hors  ligne 
du  célèbre  voyageur  autrichien  Edouard  Glaser,  l'auteur  du  savant 
mémoire  que  nous  allons  faire  connaître  aux  lecteurs  de  cette  Revue. 

Les  documents  épigraphiques  rapportés  par  M.  Glaser  de  ses  trois 
voyages  dans  le  Yémen  dépassent  le  chiffre  de  4,500,  dont  quelques- 
uns  contiennent  plus  de  cent  trente  lignes.  Plus  heureux  que  moi 
en  4  870,  M.  Glaser  a  même  pu  prendre  l'estampage  de  la  grande  ins- 
cription dont  la  copie  m'a  été  enlevée  par  les  Arabes,  et  qui  relate 
une  victoire  remportée  pa,r  un  roi  sabéen  sur  les  R  (u)  man  (Romains? 
Byzantins  ?). 

Pourvu  de  trésors  épigraphiques  encore  inaccessibles  aux  autres, 
le  savant  voyageur,  qui  est  en  même  temps  un  orientaliste  distingué, 
a  voulu  nous  donner  un  avant-goût  des  conclusions  historiques  aux- 
quelles les  textes  qu'il  a  en  sa  possession  sont  de  nature  à  conduire 
du  premier  coup  et  sans  une  étude  très  approfondie.  Bien  entendu, 
et  l'auteur  le  fait  remarquer  avec  soin,  ces  résultats  n'ont  pas  la  pré- 
tention d'être  définitifs  ;  ce  sont  de  simples  ébauches  historiques  des- 
tinées à  montrer  la  richesse  et  la  variété  du  cadre  futur  qui  pourra 
se  découper  différemment  quand  la  nécessité  en  sera  démontrée.  Le 
point  important  est  que  de  telles  questions  puissent  déjà  être  dis- 
cutées sur  une  base  solide  et  avec  l'espoir  de  les  résoudre  à  l'aide  de 
documents  authentiques,  et  c'est  là  que  réside  l'immense  progrès 
que  nous  promettent  les  découvertes  de 'M.  Glaser. 


BIBLIOGRAPHIE  313 

Le  fascicule  que  j'examine  renferme  les  six  premiers  chapitres  nue 
doit  contenir  l'ouvrage  entier.  Gomme  de  juste,  le  savant  auteur 
discute  en  premier  lieu  le  point  de  départ  de  l'ère  que  l'on  trouve 
assez  souvent  dans  les  inscriptions  de  l'Arabie  méridionale.  Cette 
ère,  que  Reinaud  avait  identifiée  avec  celle  des  Séleucides,  a  été  fixée 
par  moi  à  l'an  415  avant  J. -G.,  en  m'appuyant  sur  l'inscription  de 
Hiçn-el-Ghurâb,  datée  de  640  et  faisant  allusjon  à  la  mort  du  roi 
d'Himyar  due  aux  envahisseurs  abyssiniens,  événement  qui  rappelle 
la  chute  de  Dhou-Nouwâs  en  525.  Mon  opinion  n'a  été  adoptée,  jusqu'à 
présent,  que  par  M.  Fell;  mais  M.  G.  cite  à  l'appui  une  nouvelle  ins- 
cription de  Marib,  appartenant  à  Abraha,  le  vice-roi  chrétien,  portant 
les  dates  de  657-658  et  mentionnant  une  expédition  militaire  contre 
le  territoire  romain.  Ici  nous  sommes  sans  conteste  au  vp  siècle  de 
l'ère  vulgaire,  et,  de  telle  sorte,  l'ère  himyarite  ne  saurait  être  plus 
ancienne  que  115  avant  J.-C.  Procope  raconte  qu'Abraha  a  plusieurs 
fois  promis  du  secours  à  Justinien  contre  les  Perses,  et  qu'il  a,  en 
effet,  entrepris  une  expédition  dans  le  territoire  perse,  d'où  il  est  ra- 
pidement revenu;  M.  G.  pense,  avec  raison,  qu'il  s'agit,  non  de  l'ex- 
pédition contre  la  Mecque,  qui  n'eut  lieu  qu'en  560  ou  570,.  mais 
d'une  expédition  antérieure  s'étant  passée  en  542  et  543  et  dans  la- 
quelle les  princes  Al-Harith-ben-Gabala  de  Ghassan  et  son  adversaire 
Al-Mundhir  III  de  Hira,  ainsi  que  d'autres  personnages  connus  par 
les  historiens  de  l'Islam,  jouaient  les  rôles  principaux  et  dont  les 
noms  sont  mentionnés  dans  l'inscription. 

L'auteur  commente  ensuite  l'inscription  de  Hiçn-el-Ghurâb  et  con- 
sidère le  personnage  placé  en  tête  d'autres  noms  propres,  Samayfa 
Ashwà  comme  identique  à  l'Esimiphaios  de  Procope,  le  premier  vice- 
roi  abyssinien  en  Himyar  et  prédécesseur  d'Abraha.  Le  chapitre  se 
termine  par  une  revue  des  personnages  marquants  des  Arabes  du 
nord  :  Abukarib-ben-Gabalat,  Murrat,  Yezid-ben-Kabshat,  Marthad, 
Dhou-Gadan,  Dhou  Yaz'an  et  d'autres  encore  qui  sont  cités  dans  le. 
texte  de  Marib.  Fait  curieux,  les  princes  de  Hira  et  de  Ghassan  sont 
appelés  en  sabéen  :  mudhdlwân  «  les  Mundhir  »;  en  arabe  ManâdJiira. 
Gela  prouve  que  ces  princes,  contrairement  à  la  tradition  arabe, 
n'étaient  pas  d'origine  sabéenne,  mais  araméenne,  ainsi  que  je  l'ai 
supposé  dans  mes  écrits  antérieurs. 

Après  avoir  établi  l'ère  sabéenne,  l'auteur  nous  apprend,  dans  le 
2°  chapitre,  une  nouvelle  des  plus  précieuses,  l'existence  d'inscrip- 
tions juives  et  chrétiennes.  Bien  que  tout  à  fait  inconnus  auparavant, 
les  textes  de  la  seconde  espèce  étaient,  pour  ainsi  dire,  attendus,  étant 
donnée  Ja  longue  domination  du  christianisme  en  Arabie  méridio- 
nale, et  l'on  pouvait  supposer  d'avance  que  les  rois  chrétiens  qui  ont 
gouverné  ce  pays  depuis  525  jusqu'à  l'invasion  des  musulmans 
avaient  laissé  quelques  traces  épigraphiques  de  leur  gouvernement. 
Autre  chose  est  l'apparition  subite  des  textes  de  la  première  espèce. 
Personne  ne  s'attendait  à  trouver  dans  l'ancien  pays  de  Saba  des 
inscriptions  de  princes  juifs,  et  j'avoue  que  je  ne  suis  pas  encore 


3! 4  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

revenu  de  mon  ètonnement.  On  a  bien  une  tradition  relative  à  la 
conversion  au  judaïsme  des  derniers  rois  d'Himyar,  en  particulier  de 
Dhou-Nouwâs,  le  dernier  de  tous;  mais,  ainsi  que  je  l'ai  démontré 
dans  un  travail  récent,  cette  tradition  est  tendancielle  et  apocryphe. 
Cependant  tous  nos  scrupules  critiques  doivent  disparaître  devant 
l'évidence.  Il  faut  donc  voir  si  les  faits  signalés  par  l'auteur  suffisent 
pour  établir  sa  thèse  d'une  manière  indubitable,  et  là-dessus  quel- 
ques réserves  me  semblent  encore  nécessaires.  Ceci  dit,  je  donnerai 
la  substance  des  points  sur  lesquels  il  s'appuie,  et  qui  sont  de  la 
plus  haute  importance. 

Une  inscription  de  Shammar  Yuhar'isch,  roi  de  Saba  et  de  Raïdân, 
gravée  en  396-281  après  J.-C,  porte  encore  l'invocation  franchement 
payenne  :  «  Par  la  puissance  de  leur  seigneur  Athtar  (Astarté  mâle)  de 
Sharqân  et  de  leurs  déesses  et  de  leurs  dieux.  »  97  ans  après  (de  281 
à  378)  commence  une  série  d'inscriptions  dans  lesquelles  les  divinités 
payennes  sont  remplacées  par  l'expression  «  le  seigneur  du  ciel  »  ; 
parfois  on  y  ajoute  «  et  de  la  terre  ».  Plusieurs  donnent  l'épithète 
rahmanân  «  le  miséricordieux  »  ;  une,  enfin,  l'expression  autrement 
significative  :  «  [seigneur]  du  ciel  et  d'Israël  ».  Il  semble  évident  que 
les  princes  de  cette  série  se  distinguent  de  leurs  prédécesseurs  par 
un  culte,  non  plus  payen,  mais  monothéiste,  de  même  qu'ils  s'en 
distinguent  politiquement  par  un  protocole  plus  long,  où.  à  Saba  et 
Raïdan  viennent  se  joindre  Hadramaout  et  Jemnat,  accompagnés  par- 
fois de  l'expression  «  et  de  leurs  Arabes  dans  la  montagne  et  dans 
le  Tihâmat  ». 

Toutefois,  il  faut  faire  remarquer  que  la  désignation  du  dieu  su- 
prême par  le  titre  de  «  seigneur  du  ciel  et  de  la  terre  »  revient  aussi 
dans  les  inscriptions  d'Axum  qui  datent  d'une  époque  où  le  roi 
[Ajzêna  était  encore  payen.  L'épithète  «  le  miséricordieux  »  pour 
Jupiter-Céleste  se  trouve,  de  son  côté,  dans  les  inscriptions  de  Pal- 
myre  et  de  Nabatène  avant  la  prédominance  d'une  religion  mono- 
théiste dans  ces  pays.  Dans  tous  les  cas,  elles  ne  révèlent  aucun 
trait  particulier  au  judaïsme.  Ce  trait  caractéristique  ne  s'observe 
que  dans  la  seule  inscription  qui  porte  le  membre  de  phrase  que 
M.  G.  complète  [seigneur  du  cijel  et  Israël.  Malheureusement,  par 
suite  de  la  mutilation  du  texte,  une  autre  interprétation  est  égale- 
ment imaginable,  et  le  mot  Ishrr'l  peut  bien  être  un  nom  propre 
sabéen  faisant  partie  d'une  nouvelle  phrase  :  «  [par  la  puissance  du 
seigneur  du  cijel.  Et  quant  à  [Yesharêl. . .]  ».  J'ajouterai  que  la  tra- 
duction de  Rahmanân  comme  un  singulier  doué  de  l'article  défini  : 
«  le  Miséricordieux  »,  me  paraît  encore  assez  douteuse,  et  l'idée  d'y 
voir  un  nom  au  pluriel  :  *  les  miséricordieux  »,  n'est  pas  tout-à-fait 
exclue.  En  un  mot,  même  en  admettant  pour  cette  série  une  forme 
de  culte  différente,  rien  ne  force  à  lui  supposer  un  caractère  juif  : 
les  auteurs  des  inscriptions  dont  il  s'agit  peuvent  aussi  être  des 
chrétiens  quelque  peu  judaïsants,  par  exemple  des  ariens,  secte  dont 
l'extension  dans  le  pays  d'Himyar  est  en  effet  signalée  par  les  histo- 


BIBLIOGRAPHE  315 

riens  byzantins.  La  confession  arienne  répandue  par  Théophile  pen- 
dant le  règne  de  Constance  (337-361)  s'y  serait  ainsi  maintenue  jus- 
qu'à l'établissement  de  la  vice-royauté  d'Abraha,  prince  monophysite 
auquel  appartient  le  grand  prisme  de  Marib  des  années  542  et  543  qui 
débute  par  ces  mots  :  «  Par  la  puissance  et  le  secours  et  la  miséri- 
corde du  Miséricordieux  et  de  son  messie  et  du  saint  Esprit  et  leurs 
Arabes  dans  la  région  montagneuse  et  la  plaine  maritime.  » 

Naturellement,  ces  doutes  disparaîtront  le  jour  où  les  inscriptions 
se  rapportant  à  cette  intéressante  période  pourront  être  étudiées  à 
tête  reposée  et  leur  teneur  pesée  en  pleine  connaissance  de  cause.  Je 
remarquerai  seulement  que  M.  le  professeur  Hommel  affirme  avoir 
trouvé  le  nom  de  Dhou-Nouwâs  dans  la  première  inscription  de  Shirà 
(Halévy  63).  Il  fait  probablement  allusion  au  dernier  mot  de  l'avant- 
dernière  ligne,  qui  pourrait  au  besoin  être  lu  DfcCÏ,  mais  le  caractère 
douteux  de  la  quatrième  lettre,  joint  à  la  mutilation  du  texte,  n'est 
pas  fait  pour  nous  permettre  d'être  affirmatif  à  cet  égard.  Pour  pou- 
voir nous  prononcer  d'une  façon  décisive,  il  faut  avoir  l'explication 
exacte  de  ce  fait  très  important  que  le  savant  voyageur  lui-même 
laisse  indécise,  savoir  l'invocation  des  divinités  payennes  Athtar  et 
Almaqah  dans  une  inscription  appartenant  à  un  roi  au  long  titre  men- 
tionné plus  haut  et  ayant  par  conséquent  régné  environ  en  493  ou 
après.  Y  aurait-il  l'indice  d'une  rechute  dans  le  paganisme,  ou  bien 
l'inscription  est-elle  antérieure  à  l'an  400?  M.  Glaser  laisse  debout  ces 
deux  alternatives,  sans  se  déclarer  en  faveur  de  l'une  ou  de  l'autre; 
mais  si  le  titre  royal  n'est  plus  la  marque  certaine  de  l'époque,  il 
nous  manque  un  point  de  repère  assuré  pour  fixer  le  début  de  la 
domination  du  judaïsme,  si  les  personnages  qui  invoquent  «  le  Misé- 
ricordieux »  sont  de  religion  juive  et  non  des  ariens  judaïsants,  ainsi 
que  je  l'ai  supposé  en  analysant  le  premier  chapitre. 

Je  recommande  aux  historiens  de  lire  avec  attention  le  reste  de  ce 
chapitre,  où  ils  trouveront  une  discussion  des  plus  intéressantes  sur 
la  date  du  Périple  et  les  inscriptions  axumitaines,  discussion  au  cou- 
rant de  laquelle  M.  Glaser  nous  apprend  que  Raïdân  n'est  pas  le  nom 
d'un  château,  mais  d'une  contrée  voisine  de  Harib-Baïhân,  environ  à 
deux  journées  de  Mârib  ;  que  Thafar  est  le  nom  commun  à  toutes  les 
capitales  ;  que  le  Salhên  des  rois  d'Axum  est  aussi  un  nom  de  pays. 
Il  place  en  Arabie  les  pays  de  Çiyâmô,  Kalaa,  Lasine,  etc.  mention- 
nés dans  les  textes  abyssiniens  et  les  identifie,  en  partie,  avec  des 
localités  sabéennes.  Très  attachant  est  le  tableau  qu'il  trace  des  ingé- 
rences de  la  politique  romaine  dans  les  rapports  entre  l'Abyssinie  et 
le  royaume  sabéen  et  des  rivalités  sociales  et  religieuses  qui  en 
étaient  la  conséquence. 

On  peut  rarement  traiter  un  point  d'ethnographie  sémitique  sans  y 
intéresser  les  études  bibliques.  La  population  arabe  des  Minéens  à 
laquelle  M.  G.  consacre  le  troisième  chapitre  en  fournit  un  nouvel 
exemple.  Mon  voyage  a  révélé  pour  la  première  fois  dans  le  Djaouf 
moyen,  au  nord  de  Marib,  trois  villes  anciennes  ayant  appartenu  à 


316  REVUE  DES  ETUDES  JUIVES 

ce  peuple  qui  portait  le  nom  de  sa  capitale,  Ma'în  0^:).  Les  nom- 
breuses inscriptions  y  recueillies,  rédigées  dans  un  dialecte  particu- 
lier, mentionnent  nominativement  plus  de  20  rois  de  Ma'în,  mais  très 
rarement  les  rois  de  Saba.  De  plus,  contrairement  aux  Sabéens,  les 
Minéens  ne  frappaient  pas  monnaie  et  n'avaient  pas  une  ère  particu- 
lière. Enfin,  comme,  d'une  part,  les  géographes  classiques  ne  parlent 
jamais  de  rois  minéens  et  que,  de  l'autre,  les  villes  détruites  par 
A^elius  Gallus  dans  sa  marche  sur  Maryaba  (Marib)  sont  exclusive- 
ment sabéennes,  tous  ces  faits  pris  ensemble  donnent  à  penser  que 
les  deux  royaumes  de  Ma'îu  et  de  Saba  n'ont  pas  existé  l'un  à  côté 
de  l'autre,  mais,  en  grande  partie,  l'un  après  l'autre.  M.  G.  s'attache 
fermement  à  cette  solution,  en  insistant  surtout  sur  cette  circons- 
tance, vraiment  remarquable,  que  les  villes  minéennes  forment  des 
îlots  perdus  dans  le  territoire  sabéen  et  n'auraient  pu  conserver 
si  longtemps  leur  indépendance  si  le  royaume  de  Saba  était  alors  en 
force.  M.  G.  regarde  le  royaume  minéen  comme  antérieur  à  celui  de 
Saba,  ce  à  quoi  semble  conduire  la  différence  cultuelle  entre  les  deux 
peuples,  ainsi  que  le  caractère  plus  archaïque  du  dialecte  de  Ma'in. 
La  Bible  elle-même,  ajoute  M.  G.,  s'oppose  décidément  à  l'idée  que  la 
Minée  ait  été  contemporaine  de  la  Sabée,  puisque  Ma'îu  n'y  est  pas 
mentionné  à  côté  de  Saba.  Une  fois,  I  Chroniques,  iv,  41,  on  lit  le 
récit  relatant  qu'au  temps  d'Ezéchias,  les  Siméonites  chassèrent  les 
Ahlim  et  les  Me'ûnîm  du  Sud.  «  C'étaient,  dit  M.  Glaser,  évidemment 
les  restes  d'une  population  puissante,  les  Minéens,  qui,  conformément 
à  mes  inscriptions,  possédaient  certainement  la  contrée  de  Ghazzat 
(Gaza)  en  Syrie,  peut-être  encore  d'autres  districts  dans  le  nord.  Que 
les  Minéens  avaient  dans  la  haute  antiquité  presque  tous  les  terrains 
fertiles  depuis  le  Hadramaout  jusqu'au  loin  dans  le  nord,  c'est  ce  qui 
résulte  d'ailleurs  des  inscriptions  minéennes  rapportées  par  M.  Eu- 
ting.  »  Ces  faits,  s'ils  venaient  à  se  confirmer  par  une  étude  plus 
mûrie  des  textes,  constitueraient  une  des  plus  grandes  découvertes 
historiques  de  notre  siècle.  La  plus  grande  difficulté  qui  s'oppose  à 
cette  manière  de  voir  réside  dans  les  inscriptions  lihyanites  d'El-'Ola 
qui  semblent  être  contemporaines  à  la  fois  des  textes  minéens  et  des 
inscriptions  nabatéenues,  lesquelles  vont  notoirement  jusqu'à  la  qua- 
trième année  de  Rabèl,  roi  de  Nabath,  74  après  J.-C.  Attendons  cepen- 
dant et  laissons  la  question  ouverte  pour  le  moment. 

Les  trois  derniers  chapitres  sont  intitulés  respectivement  :  Chute 
du  royaume  minéen  et  apparition  du  royaume  sabéen  ;  Les  Makârib 
de  Saba,  fondation  de  Çirwâh'  et  Marib  ;  Les  rois  de  Saba  :  Pre- 
mière apparition  de  Habashât  (Abyssiniens)  et  des  Himyarites  ;  Rois 
du  Hadramaout.  Le  savant  auteur  nous  y  fournit  une  foule  de  rensei- 
gnements nouveaux  et  à  peine  soupçonnés  jusqu'à  ce  jour.  Ne  pouvant 
les  analyser  ici,  je  me  bornerai  à  en  relever  quelques  propos  qui 
peuvent  intéresser  ceux  mêmes  qui  sont  étrangers  au  sabéisme.  M.  G. 
croit  trouver  dans  Hal.  535  une  allusion  à  une  guerre  ayant  eu  lieu 
entre  l'Egypte  (Miçr)  et  la  peuplade  iduméenne  nommée  Mizza,  dans 


BIBLIOGRAPHIE  317 

Genèse,  xxxvi,  13  et  47.  Ce  nom  ethnique  s'écrit  en  sabéen  "^tt,  mot 
qui  me  faisait  jadis  penser  aux  Mèdes  "H7p,  dont  la  forme  iranienne  est 
Mâdlia,  en  dialecte  moderne  Mâh,  mais  l'une  et  l'autre  de  ces  identi- 
fications auront  de  la  peine  à  se  soutenir.  Très  séduisante  est  l'expli- 
cation de  l'ancien  nom  de  la  Mecque,  Macoraba,  par  le  sabéen  Mikrab 
«  temple  »,  le  mot  éthiopien  Makuerab  conviendrait  encore  mieux  ;  on 
s'attendrait  cependant  à  Machoraba.  Une  heureuse  découverte  est  le 
nom  Yesran  pour  le  wâdi  de  Marib.  Non  moins  heureuse  est  l'autre 
découverte  que  l'ancien  nom  de  Ganâa  était  Tafîdh,  ce  qui  fait  dis- 
paraître l'identification  de  Ganâa  avec  l'Ouzal  de  la  Genèse  que  les 
rédacteurs  du  premier  fascicule  de  la  partie  sabéenne  du  Corpus  ins- 
criptionum  semiticarum  ont  cherché  à  défendre  contre  mes  objec- 
tions. D'un  caractère  plus  général  sont  les  données  sur  la  suite  des 
princes  de  Makârib,  sur  la  naissance  de  la  puissance  abyssinienne 
en  Arabie,  sur  les  relations  réciproques  entre  Saba,  Hadramaout  et 
Himyar.  M.  G.  déplore  la  rareté  des  monuments  de  provenance  ha- 
dramotite,  qui  ne  renferment  pas  plus  de  neuf  noms  royaux,  et  il 
insiste,  avec  raison,  sur  le  résultat  précieux  qu'une  exploration  épi- 
graphique  de  ce  pays  pourrait  avoir  pour  la  science. 

Est-il  besoin  de  répéter  que  les  trésors  épigraphiques  rapportés 
par  M.  Glaser  dépassent  en  valeur  intrinsèque  tout  ce  qu'ont  fait 
connaître  les  autres  Voyageurs  ?  On  voit  poindre  une  nouvelle  ère 
pour  l'histoire  des  Sémites  méridionaux.  Les  ténèbres  de  jadis  sont 
en  voie  de  faire  place  à  un  jour  brillant,  coloré  de  mille  nuances. 
Nous  commençons  à  distinguer  les  peuples  de  ces  contrées  naguère 
fermées  à  notre  investigation.  Nous  les  voyons  presque  défiler  devant 
notre  curiosité  étonnée  depuis  leur  naissance  à  la  vie  civilisée  jusqu'au 
moment  de  leur  disparition  de  la  scène  politique.  Nos  anciennes  idées 
sont  renversées  et  de  nouveaux  domaines  historiques  s'ouvrent  à 
notre  activité.  Gomment  ne  pas  être  reconnaissant  envers  M.  Glaser 
de  nous  avoir  fourni  tant  de  moyens  excellents  d'augmenter  notre 
savoir?  Quant  à  moi,  j'ose  croire  que  la  meilleure  façon  de  témoigner 
notre  gratitude  au  savant  voyageur  serait  de  lui  faciliter  la  tâche 
d'entreprendre  un  nouveau  voyage  dans  une  autre  province  de  cette 
Arabie  méridionale,  à  laquelle  ces  découvertes  récentes  sont  en 
voie  de  restituer  son  ancien  titre  d'  «  heureuse  »,  du  moins  au  point 
de  vue  épigraphique,  comparativement  à  quelques  pays  sémitiques 
du  nord,  notamment  la  Syrie  et  la  Palestine. 

J.  Halévy. 


CORRESPONDANCE 

M.  Israelsohn,  de  Saint-Pétersbourg,  nous  écrit,  sous  la  date  du 
18  décembre,  que  M.  le  Dr  Harkavy  vient  de  faire,  dans  l'inépui- 
sable fonds  Firkowitz,  une  trouvaille  qui  aurait  été  intéressante 
en  tout  temps,  mais  qui  gagne  encore  en  importance,  eu  égard  au 
projet  conçu  par  notre  collaborateur,  M.  J.  Derenbourg,  de  faire 
une  édition  complète  des  œuvres  de  Saadia,  à  l'occasion  du  mil- 
lénaire de  ce  célèbre  Gaon,  né  à  Fayyoûm  en  892.  L'ouvrage  que 
M.  Harkavy  a  découvert  porte  le  titre  :  «  ï-mro  ^b?  *nbN  a«rô  », 
«  critique  de  Saadia  ».  L'auteur  est  nommé  «  Mebasser  »  (*Tiï5n») 
et  doit  être  certainement  le  même  que  celui  qui  fut  nommé  Gaon 
par  le  Resch-Gelouta  David  ben  Zaccai.  Notre  correspondant 
nous  dit  que  l'ouvrage  est  considérable.  On  peut  donc  s'attendre 
à  de  nouveaux  détails  sur  les  fameuses  luttes  qui,  au  commence- 
ment du  xe  siècle,  éclatèrent  au  sein  des  communautés  de  la  Ba- 
bylonie. 


ADDITIONS  ET  RECTIFICATIONS 


T.  XVIII,  page  283,  ligne    1,  lisez  hoja,      au  lieu  de  hooja 

—  »  ligne  12,    —    siendo,         —         siedo 

—  »  ligne  25,    —    estatuto,       —         estaluto 

—  285,  ligne    9,  enlevez  le  point  avant  Ishao 

—  »  ligne  26,  lisez  Almeyda,  au  lieu  de  Almeyada 

—  287,  ligne    6,    —    Terceras  —        Jerceras 

—  288,  ligne    7,    —    de  sala  —         a  sala 

—  »  ligne    8,    —    a  las  —         de  las 

—  289,  ligne    9,    —    donde  —         dende. 

T.  XIX,  p.  78.  —  Notre  collaborateur  M.  le  D1'  Simonsen,  de  Copen- 
hague, a  bien  voulu  -m'adresser  quelques  observations  intéressantes  au 
sujet  de  l'inscription  de  Narbonne  que  j'ai  publiée  dans  le  dernier  numéro 
de  la  Revue.  J'en  extrais  les  renseignements  suivants.  Dans  une  inscription 
juive  gréco-latine  publiée  par  Fr.  Lenormant  (Essai  sur  la  propagation  de 
l'alphabet,  etc.,  I,  265)  on  trouve  le  nom  nap-riydpio;  (latin  :  Parecorius)  dont 
j'ai  signale'  l'usage  fréquent  chez  les  Juifs  du  haut  moyen  âge.  Le  nom 
Matrona  (Dj"1*Ilû^),  dont  je  ne  connaissais  pas  d'exemple  littéraire  anté- 
rieur au  xie  siècle,  se  lit  sur  un  fragment  de  papyrus  hébreu  du  Musée  de 
Berlin,  publié  en  1879  par  Steinschneider  et  depuis  par  Ghwolson  (Corpus, 
p.  124-5).  —  Th.  Reinach. 


Le  gérant, 

Israël  Lévi. 


TABLE  DES  MATIERES 


ARTICLES  DE  FOND. 

Brunschvicg  (Léon).  Les  Juifs  de  Nantes  et  du  pays  nantais 

{fin) 294 

Bruzzone  (P.-L.).  I.  Documents  sur  les  Juifs  des  États  ponti- 
ficaux   1  31 

II.  Les  Juifs  au  Piémont 1 41 

Darmesteter   (James).   Textes   pehlvis    relatifs    au   judaïsme 

[suite) 41 

Derenbourg-  (J.).  Gloses  d'Abou  Zachariya  ben  Bilam  sur  Isaïe 

[suite) 84 

Gr^tz  (H.).  But  réel  de  la  correspondance  échangée  entre  les 
Juifs  espagnols  et  provençaux  et  les  Juifs  de  Constan- 

tinople 4  06 

Guttmann.  Alexandre  de  Haies  et  le  judaïsme 224 

Halévy  (J.).  Recherches  bibliques.  —  XVI.  Le  psaume  lxviii..  1 
XVII.  Le  royaume  héréditaire  de  Cyrus.  —  XVIII.  L'é- 
poque d'Abraham 1  61 

Kahn  (Salomon).  Documents   inédits  sur  les  Juifs  de  Mont- 
pellier   259 

Kaufmann  (David).  Extraits  de  l'ancien  livre  de  la  communauté 

de  Metz 115 

Kracauer  (J.).  Procès  de  R.  Joselmann  contre  la  ville  de  Colmar  282 

Lévi  (Israël).  Le  traité  sur  les  Juifs  de  Pierre  De  l'Ancre 235 

Lévy  (Emile).  Un  document  sur  les  Juifs  du  Barrois 246 

Loeb  (Isidore).  I.  Les  dix-huit  bénédictions 17 

II.  Chandeliers  à  sept  branches 1 00 

III.  Notes  sur  le  chapitre  Ier  des  Pirké  Abot 1 88 

IV.  Notes  sur  l'histoire  des  Juifs 202 

Reinach  (Théodore).  I.  Inscription  juive  de  Narbonne 75 

II.  Inscription  juive  d'Auch 21 9 

Thiaugourt  (G.).  Ce  que  Tacite  dit  des  Juifs  au  commencement 

du  livre  V  des  Histoires 57 


320  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 


NOTES  ET  MÉLANGES. 

Derenbourot  (J.).  Le  nom  de  Fangar : 148 

Furst.  Mélanges  lexicographiques 4  47 

Israelsohn  et  Derenbourg  (J.)-  L'ouvrage  perdu  de  Jehouda 

Hajjoudj 306 

Kaufmann  (David).  Un  portrait  de  Faradj,  le  traducteur 4  52 

Lévi  (Israël).  I.  Note  sur  le  traité  de  polémique  pehlvi 149 

II.  Encore  un  mot  sur  un  alphabet  hébreu-anglais  au 

xive  siècle 4  51 

Loeb  (Isidore).  Le  Mémoire  de  Ganganelli 151 


BIBLIOGRAPHIE. 

Halévy  (J.).  Skizze  der  Geschichle  Arabiens  von  den  seltesten 
Zeiten  bis  zum  Propheten  Muhammed,  par  Edouard 
Glaser..  , 312 

Loeb  (Isidore).  Revue  bibliographique 1 55 

Additions  et  rectifications 1 60  et  31 8 

Correspondance 318 

Table  des  matières 319 


ACTES  ET  CONFERENCES. 


Liste  des  Membres  de  la  Société  pendant  l'année  1888 i 

Procès-verbaux  des  séances  du  Conseil xiv 


FIN. 


VERSAILLES,   IMPRIMERIE  CERF  ET  FILS,  RUE  DUPLESS1S,  50. 


ACTES 


ET 


CONFÉRENCES 


VERSAILLES 

CERF   ET   FILS,    IMPRIMEURS 
59,   RUE   DUPLESSIS,    59 


ACTES 


ET 


CONFÉRENCES 


DE    LA 


SOCIETE  DES  ETUDES  JUIVES 


TOME  PREMIER 

ANNEES    1886    A    1  88 


PARIS 
A  LA    LIBRAIRIE   A.   DURLAGHER 

83  USy  RUE   DE  LAFAYETTE 

1889 


LISTE  DES   MEMBRES 

DE   LA 

SOCIÉTÉ   DES   ÉTUDES   JUIVES 

PENDANT  L'ANNÉE  1888. 


Membres  fondateurs  1. 

1  Camondo  (feu  le  comte  A.  de). 

2  Camondo  (feu  le  comte  N.  de). 

3  Gunzburg  (le  baron  David   de),    boulevard   des  Gardes-à- 

Cheval,  17,  Saint-Pétersbourg. 

4  Gunzburg   (le  baron   Horace  de) ,   boulevard  des  Gardes-à- 

Cheval,  17,  Saint-Pétersbourg. 

5  Lévy-Crémieux  (feu). 

6  Poliacoff  (feu  Samuel  de). 

7  Rothscjbild  (feu  la  baronne  douairière  de). 

8  Rothschild  (feu  le  baron  James  de). 

Membres  perpétuels  *. 

9  Albert  (feu  E.-J.). 

10  Bardac  (Noël),  rue  de  Provence,  43  3. 

1  Les  Membres  fondateurs  ont  versé  un  minimum  de  1,000  francs. 
8  Les  Membres  perpétuels  ont  versé  400  francs. 

3  Les  Sociétaires  dont  l'adresse  n'est  pas  suivie  d'un  nom  de  ville  demeurent 
à  Paris. 

ACT.    ET    CONF.  A 


ACTES  ET  CONFERENCES 


11  Bischoffsheim  (Raphaël),  rue  Taitbout,  3. 

12  Cahen  d'Anvers  (feu  le  comte) . 

13  Dreyfus  (feu  Nestor). 

14  Goldschmidt  (S. -H.),  rond-point  des  Champs-Elysées,  6. 

15  Hecht  (Etienne),  rue  Lepelletier,  19. 

16  Hirsch  (feu  le  baron  Lucien  de). 

17  Kann  (Jacques-Edmond),  avenue  du  Bois-de-Boulogne,  58. 

18  Kohn  (Edouard),  rue  Blanche,  49. 

19  Lazare  (A.),  boulevard  Poissonnière,  17. 

20  Lévy  (Calmann),  éditeur,  rue  Auber,  3. 

21  Montefiore  (Claude),  Portman  Square,  12,  Londres. 

22  Oppenheim  (feu  Joseph). 

23  Penha  (Immanuel  de  la),  rue  de  la  Victoire,  28. 
.24  Penha  (M.  delà),  rue  Tronchet,  15. 

25  Ratisbonne  (Fernand),  rue  Rabelais,  2. 

26  Reinach  (Hermann-Joseph),  rue  de  Berlin,  31. 

27  Rothschild  (le  baron  Adolphe  de),  rue  de  Monceau,  47. 

28  Troteux  (Léon),  rue  de  Mexico,  1,  le  Havre. 

Membres  souscripteurs  l. 

29  Adelson-Monteaux  (feu). 

30  Adler  (Rev.  D'  Hermann),  Queensborough-Terrace,  5,  Hyde 

Park,  Londres. 

31  Aghion  (Victor),  Alexandrie,  Egypte. 

32  Albert-Lévy,  professeur  à  l'Ecole  municipale  de  chimie  et  de 

physique,  rue  des  Ecoles,  25. 

33  Aldrophe  (Alfred),  architecte,  faubourg  Poissonnière,  37. 

34  Alexandre  Dumas,  de  l'Académie  française,  avenue  de  Vil- 

liers,  98. 

35  Allatini,  Salonique. 

36  Alliance  Israélite  universelle,  35,  r.  deTrévise  (175  fr.). 

37  Allianz  (Israelitische),  Kaerntnerstrasse,  14,  Vienne. 

38  Andrieux,  député,  avenue  Friedland,  32. 

1  La  cotisation  des  Membres  souscripteurs  est  de  25  francs  par  an,  sauf  pour 
ceux  dont  le  nom  est  suivi  d'une  indication  spéciale. 


LISTE  DES  MEMBRES  DE  LA  SOCIÉTÉ  111 

39  Aron  (Arnaud),  grand  rabbin,  Strasbourg. 

40  Astruc  (E.-A.),  grand  rabbin,  Bayonne. 

41  Basch,  cité  Condorcet. 

42  Bechmann  (Ernest-Georges),  ingénieur  en  chef  des  eaux  de  la 

ville  de  Paris,  place  de  l'Aima,  1. 

43  Bechmann  (J.-L.),  rue  delà  Chaussée- d'Antin,  45. 

44  Beck  (Dr),  rabbin,  Bucharest. 

45  Benedetti  (S.  de),  professeur  à  l'Université,  Pise. 

46  Bernhard  (Mlle  Pauline),  24,  rue  de  Lisbonne. 

47  Bickart-Sée,  boulevard  Malesherbes,  101. 

48  Bing,  président  de  la  Communauté  israélite  de  Dijon. 

49  Blin  (Albert),  Elbeuf. 

50  Bloch  (Félix),  Haskeuy,  Constantinople. 

51  Bloch  (Isaac),  grand  rabbin,  Alger. 

52  Bloch  (Maurice),  agrégé  des  lettres,  boulevard  Bourdon,  13. 

53  Bloch  (Moïse),  rabbin,  Versailles, 

54  Bloche  (feu  Louis-Lazare). 

55  Blocq  (Mathieu),  Toul. 

56  Blum  (Victor),  le  Havre. 

57  Boucris  (Haïm),  rue  de  Médée,  Alger. 

58  Bruhl  (David),  rue  de  Châteaudun,  57. 

59  Bruhl  (Paul),  rue  de  Châteaudun,  57. 

60  Brunschwicg  (Léon),  avocat,  18,  rue  Lafayette,  Nantes. 

61  Cahen  (Abraham),  grand  rabbin,  rue  Vauquelin,  9. 

62  Cahen    (Albert) ,   professeur    agrégé    au    collège  Rollin ,  rue 

Condorcet,  53. 

63  Cahen  (Gustave),  rue  des  Petits-Champs,  61. 

64  Cahen  d'Anvers  (Albert),  rue  de  Grenelle,  118. 

65  Carcassonne  (Darius),  président  de  la  Communauté  israélite, 

Salon  (Bouches-du-Rhône). 

66  Carrière,  prof,  à  l'Ecole  des  Hautes-Etudes,  rue  de  Lille,  35. 

67  Cattaui  (Elie),  rue  Lafayette,  14. 

68  Cattaui  (Joseph-Aslan),  ingénieur  civil,  au  Caire,  Egypte. 

69  Cerf  (Hippolyte),  rue  Française,  8. 

70  Cerf  (Léopold),   ancien  élève  de  l'Ecole   normale  supérieure, 

éditeur,  Versailles. 


IV  ACTES  ET  CONFÉRENCES 

71  Cerf  (Louis),  rue  Française,  8. 

72  Chwolson  (Daniel),   conseiller  d'Etat,  professeur  de  langues 

orientales,   rue  Wassili   Ostrov,  7,  ligne  n°  42,  Saint- 
Pétersbourg. 

73  Cohen  (Hermann),  rue  Ballu,  36. 

74  Cohen  (Isaac-Joseph),  rue  Lafayette,  75. 

75  Cohn  (Léon),  préfet  de  la  Haute-Garonne,  Toulouse. 

76  Consistoire  Israélite  de  Belgique  ,  rue  du  Manège ,  12 , 

Bruxelles. 

77  Consistoire  Israélite  de  Bordeaux,-  rue  Honoré-Tessier,  7, 

Bordeaux. 

78  Consistoire  Israélite  de  Lorraine,  Metz. 

79  Consistoire  Israélite  de  Marseille. 

80  Consistoire  Israélite  d'Oran. 

81  Consistoire  Israélite  de  Paris  (200  fr.). 

82  Dalsace  (Gobert),  rue  Rougemont,  6. 

83  Darmesteter  (feu  Arsène). 

84  Darmesteter  (James),  professeur  au  Collège  de  France,  rue 

Bar  a,  9. 

85  Debré  (Simon),  rabbin,  Neuilly-sur-Seine. 

86  Delvaille  (Dr  Camille),  Bayonne. 

87  Dennery  (Gustave-Lucien),  rue  des  Pyramides,  10. 

88  Derenbourg  (Hartwig),  directeur- adjoint  à  l'Ecole  des  Hautes- 

Etudes,  professeur  à  l'Ecole  des  Langues  orientales,  rue 
de  la  Victoire,  56. 

89  Derenbourg   (Joseph),  membre  de   l'Institut,  rue    de  Dun- 

kerque,  27. 

90  Dreyfus  (Abraham),  rue  du  Faubourg-Saint-Honoré,  102. 

91  Dreyfus  (Anatole),  rue  de  Trévise,  28. 

92  Dreyfus  (H.-L.),  rabbin,  Saverne. 

93  Dreyfus  (Henri),  faubourg  Saint-Martin,  162. 

94  Dreyfus  (Jules),  faubourg  Saint-Martin,  162. 

95  Dreyfus  (L.),  avenue  de  l'Opéra,  13. 

96  Dutau,  rue  de  Sèvres,  35. 

97  Durlacher  (Armand),  libraire-éditeur,  rue  Lafayette,  83  bis. 

98  Duval  (Rubens),  boulevard  Magenta,  18. 


LISTE  DES  MEM'UiES  DE  LA   SOCIETE 


99  Eichthal  (Eugène  d'),  rue  Jouffroy,  57. 

100  Emerique  (Ernest),  rue  Larochefoucaulcl,  21. 

101  Ephraïm  (Armand),  rue  Boccador,  24. 

102  Epstein,  Grilparzerstr. ,  11,  Vienne. 

103  Erlanger  (Charles),  place  des  Vosges,  9. 

104  Erlanger  (Michel),  place  des  Vosges,  9. 

105  Errera   (Léo),  professeur  à  l'Université,  rue  Stéphanie,    1, 

Bruxelles. 

106  Ettinghausen  (Hermann),  rue  Richer,  15. 

107  Feldmann  (Armand),  avocat,  rue  dlsly,  8. 

108  Fernandez  (Salomon),  à  la  Société  générale  de  l'empire  otto- 

man, Constantinople. 

109  Fita  (le  Rév.  P.  Fidel),  membre  de  l'Académie  royale   d'his- 

toire, Calle  Isabella  la  Catholica,  12,  Madrid. 

110  Fould  (Léon),  faubourg  Poissonnière,  30. 

111  Foy  (Edmond),  rue  Chégaray,  Bayonne. 

112  Franck  (Adolphe),  membre  de  l'Institut,  rue  Ballu,  32. 

113  Gautier  (Lucien),  professeur  de  théologie,  Lausanne. 

114  Georges  (Paul),  rue  Béranger,  17. 

115  Gerson  (M. -A.),  rabbin,  Dijon. 

110  Giavi,  avenue  de  la  Gare,  13,  Nanterre. 

117  Goeje  (J.  de),  professeur  d'arabe  à  l'Université,  Leyde. 

118  Gommés  (Armand),  rue  Chégaray,  33,  Bayonne. 

119  Griolet  (Gaston),  rue  de  Berne,  2. 

120  Gross  (Dr  Heinrich),  rabbin,  xAugsbourg. 

121  Grunwald  (Dr),  rabbin,  Jungbunzlau,  Autriche. 

122  Gubbay,  boulevard  Malesherbes,  165. 

123  Gudemann  (Dr),  rabbin,  Vienne. 

124  Guizot  (Guillaume),  professeur  au  Collège  de  France,  rue  de 

Monceau,  42. 

125  Hadamard  (D.),  rue  de  Châteaudun,  53. 

126  Haguenau  (David),  rabbin,  boulevard  Voltaire,  13. 

127  Halberstam  (S.-J.),  Bielitz,  Autriche. 

128  Halévy  (Joseph),  professeur  à  l'Ecole  des  Hautes-Etudes,  rue 

Aumaire,  26. 

129  Halévy  (Ludovic),  de  l'Académie  française,  rue  de  Douai,  22. 


VI  ACTES  ET  CONFÉRENCES 

130  Halfen  (Edmond),  rue  Legendre,  20. 

131  Halfon  (Michel),  rue  de  Monceau,  60. 

132  Halfon  (Mme  S.),  rue  du  Faubourg  Saint-Honoré,  21  (50  fr.). 

133  Hammerschlag,  II,  Ferdinandstrasse,  23,  Vienne. 

134  Harkavy  (Albert),  bibliothécaire,  Saint-Pétersbourg. 

135  Hayem  (feu  Armand). 

136  Hayem  (Dr  Georges),  membre  de  l'Académie  de  médecine,  rue 

de  Vigny,  7. 

137  Hayem  (Julien),  avenue  de  Villiers,  63  (40  fr.). 

138  Helne-Furtado  (Mme  G.),  28,  rue  de  Monceau  (100  fr.). 

139  Herzberg  (Dr),  Jérusalem. 

140  Herzog  (Henri),  ingénieur  des  ponts  et  chaussées,  à  Guéret. 

141  Heymann  (Alfred),  avenue  de  l'Opéra,  20. 

142  Hirsch  (Henri),  rue  de  Médicis,  19. 

143  Hirsch  (Joseph),  ingénieur  en  chef  des  ponts  et  chaussées,  rue 

de  Castiglipne,  1. 

144  Isaacs,  115,  Broadway,  New- York. 

145  Isidor  (feu  le  grand  rabbin). 

146  Jastrow  (Dr  M.),  rabbin,  Philadelphie. 

147  Jellinek  (Dr),  rabbin-prédicateur,  Vienne. 

148  Jourda,  directeur  de  l'Orphelinat  de  Rothschild,  rue  de  Lam- 

blardie,  7. 

149  Kahn  (Coschel),  président  de  la  Communauté  israélite,  Bahia, 

Brésil. 

150  Kahn  (Jacques),  rue  Larochefoucauld,  35. 

151  Kahn  (Salomon),  boulevard  Baile,  172,  Marseille. 

152  Kahn  (Zadoc),  grand  rabbin  de  Paris,  rue  Saint-Georges,  17. 

153  Kaufmann   (David),  professeur  au  Séminaire  israélite,  20, 

Andrassystrasse,  Budapest. 

154  Kespi,  rue  René- Caillé,  Alger. 

155  Kinsbourg  (Paul),  rue  de  Cléry,  5. 

156  Klotz  (Eugène),  place  des  Victoires,  2. 

157  Klotz  (Victor),  avenue  Montaigne,  51. 

158  Kohn  (Georges),  rue  Blanche,  49. 

159  Komitet  Synagogi  na  Tlomackiem,  Varsovie. 

160  Kunst.  rue  des  Petites-Ecuries,  48. 


LISTE  DES  MEMBRES  DE  LA  SOCIETE  Vil 

161  Lambert  (Abraham),  avoué,  rue  Saint-Dizier,  17,  Nancy. 

162  Lambert  (Eliézer),  avocat  à  la  Cour  d'appel,  rue  Baudin,  26. 

163  Lassudrie,  rue  Laffitte,  21. 

164  Lazare  (Maurice),  rue  Fénelon,  13. 

165  Lehmann  (Joseph),  rabbin,  boulevard  Voltaire,  44. 

166  Lehmann  (Léonce),  avocat  à  la  Cour  de  cassation,  rue  de  Ma- 

rignan,  16. 
16*7  Lehmann  (Mathias),  rue  Taitbout,  29. 

168  Lehmann  (Samuel),  rue  d'Hauteville,  38. 

169  Léon  (Xavier),  boulevard  Haussmann,  127. 

170  Léopold  (Lyon),  directeur  de  l'Ecole  communale,  rue  des  Hos- 

pitalières-Saint-Gervais  (30  fr.). 

171  Levaillant,  trésorier  général,  Saint-É tienne. 

172  Leven  (Emile),  rue  de  Maubeuge,81. 

173  Leven  (Léon),  rue  de  Trévise,  37. 

174  Leven  (Louis),  rue  de  Trévise,  37. 

175  Leven  (Dr  Manuel),  rue  Richer,  12. 

176  Leven  (Narcisse),  avocat  à  la  Cour  d'appel,  rue  de  Trévise,  45. 

177  Leven  (Stanislas) ,   conseiller  général  de  la  Seine ,  rue  Ri- 

cher, 12. 

178  Lévi  (Charles),  boulevard  Magenta,  49  (30  fr.). 

179  Lévi  (Israël),  rabbin,  rue  Condorcet,  53. 

180  Lévi  (Sylvain),  maître  de  conférences  à  l'Ecole  des  Hautes- 

Etudes,  rue  Simon-le-Franc,  17. 

181  Lévy  (Alfred),  grand  rabbin,  Lyon. 

182  Lévy  (Paul-Calmann),  rue  Auber,  3. 

183  Lévy  (Charles),  Colmar. 

•184  Lévy  (Emile),  rabbin,  Verdun. 

185  Lévy  (Aron-Emmanuel),  rue  Marrier,  19,  Fontainebleau. 

186  Lévy  (Jacques),  grand  rabbin,  Constantine. 

187  Lévy  (Léon),  rue  Logelbach,  9. 

188  Lévy  (^Raphaël),  rabbin,  rue  d'Angoulême,  6. 

189  Lévy  (feu  Sichel). 

190  Lévy  (Sylvain),  rue  des  Allemands,  Metz. 

191  Lévy-Bruhl   (Lucien),  professeur  de  philosophie,  rue  Mon- 

talivet,  8. 


VIII  ACTES  ET  CONFERENCES 

192  Lévy-Frankel  (Dr  Edouard),  rue  Ordener,  103. 

193  Lévylier,  ancien  sous-préfet,  rue  Vignon,  9. 

194  Loeb  (Isidore),  professeur  au  Séminaire  israélite,  rue  de  Tré- 

vise,  35. 

195  Lœwenstein  (MM.),  rue  Lepeletier,  24. 

196  Lœwenstein  (Dr),  rabbin,  Mosbach,  Allemagne. 

197  Lœvy  (A.),  100,  Sutherland  Gardens,  Londres. 

198  Lôw  (Dr  Immanuel),  rabbin,  Szegedin. 

199  Lyon-Cahen  (Charles),  professeur  à  la  Faculté  de  droit,  rue 

Soufflot,  13. 

200  Mannheim  (Amédée),  colonel,  professeur  à  l'Ecole  polytech- 

nique, rue  de  la  Pompe,  11. 

201  Mannheim  (Charles-Léon),  rue  Saint-Georges,  7. 

202  Manuel  (Eugène),  inspecteur  général  de  l'enseignement  se- 

condaire, rue  Raynouard,  6. 

203  Mapou,  avenue  Mac-Mahon,  13. 

204  Marc  us  (Saniel),  Smyrne. 

205  May,  chaussée  de  Bockenheim,  31,  Francfort-sur-le-Mein. 

206  May  (Louis-Henry),  rue  Saint-Benoit,  7. 

207  Mayer  (Ernest),  rue  Moncey,  9. 

208  Mayer  (Gaston),    avocat  à  la    Cour  de  Cassation,   avenue 

Montaigne,  3. 

209  Mayer  (Michel),  rabbin,  boulevard  du  Temple,  25. 

210  Mayrargues  (Alfred),  boulevard  Malesherbes,  103. 

211  Merzbach  (Bernard),  rue  Richer,  17. 

212  Meyer  (Dr  Edouard),  boulevard  Haussmann,  73. 

213  Michel-Lévy  (Paul),  rue  Gluck,  2. 

214  Mocatta  (Frédéric-D.),  Connaught  Place,  9,  Londres  (50  fr.). 

215  Modona   (Leonello) ,    sous-bibliothécaire  de  la  Bibliothèque 

royale,  Parme. 

216  Montefiore  (Edward-Lévi),  avenue  Marceau,  58. 

217  Montefiore  (Mosé),  ministre  officiant,  rue  Rochechouart,  49. 

218  Morhange  (Eugène),  cours  Gaffe,  103,  Marseille. 

219  Mortara  (Marco),  grand  rabbin,  Mantoue. 

220  Netter  (Dr  Arnold),  rue  du  Château-d'Eau,  15. 

221  Netter  (Moïse),  rabbin,  Saint-Étienne. 


LISTE  DES  MEMBRES  DE  LA  SOCIETE  IX 

222  Neubauer  (Adolphe),  bibliothécaire  à  la  Bodléienne,  Oxford. 

223  Neumànn  (Dr),  rabbin,  Gross-Kanisza,  Autriche-Hongrie. 

224  Neymarck  (Alfred),  rue  Vignon,  18. 

225  O'Neill  (John),  Selling,  Taversham  (Kent),  Angleterre. 

226  Ochs  (Alphonse),  rue  Chauchat,  22. 

227  Oppenheim  (P.-M.),  11,  rue  Taitbout  (50  fr.). 

228  Oppenheimer  (Joseph-Maurice),  rue  Lepeletier,  7. 

229  Oppert  (Jules),  membre  de  l'Institut,  professeur  au  Collège 

de  France,  rue  de  Sfax,  2. 

230  Osiris  (Ifla),  rue  Labruyère,  9. 

231  Oulman  (Camille),  rue  de  Grammont,  30. 

232  Oulry   (Godchaux),  avenue  de  Neuilly,   104,  Neuilly-sur- 

Seine. 

233  Ouverleaux  (Emile),  conservateur  de  la  Bibliothèque  royale, 

Bruxelles. 

234  Paris  (Gaston),  membre  de  l'Institut,  rue  du  Bac,  110. 

235  Péreire  (Gustave),  rue  de  la  Victoire,  69. 

236  Perles  (J.),  rabbin,  Munich. 

237  Perreau  (le  chevalier),  bibliothécaire  royal,  Parme. 

238  Picciotto  (Moïse  de),  Aie  p. 

239  Ptcot  (Emile),  avenue  de  Wagram,  135. 

240  Pintus  (J.),  place  du  Rivage,  1,  Sedan. 

241  Pontremoli  (Albert),  avenue  des  Champs-Elysées,  129. 

242  Popelin  (Claudius),  rue  de  Téhéran,  7. 

243  Porgès  (Charles),  81,  rue  de  Monceau  (40  fr.). 

244  Proppei  (S.),  rue  Volney,  4. 

245  Reale  Istituto  superiore,    sezione  di  filologia  e  filosofia, 

Florence. 

246  Reinach  (Joseph),  avenue  Van  Dyck,  6. 

247  Reinach  (Salomon),  ancien  élève  de  l'Ecole  d'Athènes,  con- 

servateur-adjoint du   musée  de  Saint-Germain  ,  rue  de 
Berlin,  31. 

248  Reinach  (Théodore),  docteur  en  droit,  rue  Murillo,  26. 

249  Reiss  (Albert),  rue  de  Londres,  60. 

250  Reitlinger  (Frédéric),  avocat  à  la  Cour  d'appel,  rue  Scribe,  7. 

251  Reitlinger  (Sigismond),  boulevard  Haussmann,  63. 


ACTES  ET  CONFERENCES 


252  Renan   (Ernest),   membre  de   l'Institut,  administrateur    du 

Collège  de  France. 

253  Rheims  (Isidore),  rue  Boissy-d'Anglas,  35. 

254  Robert  (Charles),  rue  des  Dames,  12,  Rennes. 

255  Robert  (Ulysse),  Grande-Rue,  31,  Saint-Mandé. 

256  Rodrigues  (Hippolyte),  rue  de  la  Victoire,  14. 

257  Rothschild   (le  baron   Alphonse  de),  membre  de  l'Institut, 

rue  Saint-Florentin,  2  (400  fr.). 

258  Rothschild   (le  baron  Arthur  de),  rue  du  Faubourg-Saint- 

Honoré,33  (400  fr.). 

259  Rothschild  (le  baron  Edmond  de),  rue  du  Faubourg- Saint- 

Honoré,  41  (400  fr.). 

260  Rothschild    (le  baron  Gustave    de)  ,   avenue   Marigny ,   23 

(400  fr). 

261  Rothschild  (la  baronne  James  de),  avenue  Friedland ,  38 

(50  fr). 

262  Rozelaar  (Lé vie- Abraham),  Sarfatistraat,  30,  Amsterdam. 

263  Sack  (Israël),  Saint-Pétersbourg. 

264  Saint-Paul  (Georges),  place  Malesherbes,  5. 

265  Salomon  (Alexis),  rue  Croix-des-Petits-Champs,  38. 

266  Salvador  (feu  le  colonel). 

267  Salvador-Lévy,  rue  de  la  Tête-d'Or,  34,  Metz. 

268  Sayce    (Rev.    A.-H.),  professeur   de   philologie   comparée, 

Queen's  Collège,  Oxford. 

269  Schafier  (D'),  rue  de  Trévise,  41. 

270  Scheid  (Elie),  rue  Saint-Claude,  4. 

271  Schloss  (Ernest),  rue  du  Paradis-Poissonnière,  21  Us. 

272  Schuhl  (Moïse),  grand  rabbin,  Vesoul. 

273  Schuhl  (Moïse),  rue  Bergère,  29. 

274  Schwab  (Moïse)  ,   sous-bibliothécaire  de  la  Bibliothèque  na- 

tionale, cité  Trévise,  14. 

275  Schweisch,  rue  Jean-Jacques-Rousseau,  49. 

276  Sée  (Camille),  conseiller   d'Etat,   avenue   des   Champs-Ely- 

sées, 65. 

277  Sée  (Eugène),  préfet  de  la  Haute-Saône,  Vesoul. 

278  Simon  (Joseph),  instituteur,  Nîmes. 


LISTE  DES  MEMBRES  DE  LA  SOCIÉTÉ  XI 

279  Simonsen,  rabbin,  Copenhague. 

280  Singer,  rue  de  Galilée,  62. 

281  Société  des  Progressistes,  Andrinople. 

282  Spire,  ancien  notaire,  rue  d'Alliance,  12,  Nancy. 

283  Stetn  (Henri) ,  ancien  élève  de  l'École  des  Chartes,  rue  Saint- 

Placide,  54. 

284  Stern  (Hermann),  rue  Royale,  22,  Bruxelles. 

285  Stern  (René),  rue  du  Quatre-Septembre,  14. 

286  Straus   (Emile),  avocat  à  la  Cour  d'appel,  boulevard  Hauss- 

mann,  134. 

287  Szold,  rabbin  de  la  Congrégation  Oheb  Schalom,  Baltimore. 

288  Taub,  rue  Lafayette,  10. 

289  Tédesco  (Joseph),  rue  Lafayette,  43. 

290  Trénel  (Isaac),  directeur  du  Séminaire   israélite,  rue  Vau- 

quelin,  9. 

291  Trêves  (Albert),  rue  Prony,  76. 

292  Trêves  (Georges),  rue  Prony,  78. 

293  Ulmann  (Emile),  rue  de  Trévise,  33. 

294  Veneziani  (feu  le  chevalier). 

295  Vernes   (Maurice) ,   directeur-adjoint   à  l'école  des   Hautes- 

Etudes,  boulevard  Saint-Germain,  76. 

296  Vidal-Naquet,  président  du  Consistoire  israélite,  Marseille. 

297  Vidal-Naquet  (Jules),  rue  du  Quatre-Septembre,  16. 

298  Weill  (Dr  Anselme),  rue  Saint-Lazare,  101. 

299  Weill  (Emmanuel),  rue  Taitbout,  8. 

300  Weill  (Emmanuel),  rabbin,  rue  Condorcet,  53. 

301  Weill  (Georges),  place  des  Vosges,  19. 

302  Weill  (Isaac),  rue  de  Picpus,  76. 

303  Weill  (Isaac),  grand  rabbin,  Metz. 

304  Weill  (Isidore),  grand  rabbin,  Colmar. 

305  Weill  (Benjamin-Léopold),  rue  Richer,  41. 

306  Weill  (Moïse),  grand  rabbin,  Oran. 

307  Weill  (Vite),  rue  de  Lancry,  17. 

308  Weisweiller    (le    baron    de)  ,    17 ,    avenue    de    Friedland 

(30  fr.). 

309  Werner  (Isaac),  rue  Taitbout,  58. 


XII  ACTES  ET  CONFÉRENCES 

310  Wertheimer,  grand  rabbin,  Genève. 

311  Weyl  (Jonas),  grand  rabbin,  Marseille. 

312  Wiener  (Jacques),  président  du  Consistoire  israélite  de  Bel- 

gique, rue  de  la  Loi,  63,  Bruxelles. 

313  Wilmersdœrfer  (Max),  consul  général  de  Saxe,  Munich. 

314  Winter  (David),  rue  Jean-Jacques-Rousseau,  42. 

315  Wogue  (Lazare),  grand  rabbin,  professeur  au  Séminaire  israé- 

lite, rue  de  Rivoli,  12. 

316  AVolf,  rabbin,  La  Chaux-de-Fonds,  Suisse. 

317  Worms  (Fernand),  avocat  à  la  Cour  d'appel,  rue  Royale,  14. 

318  Ziegel  et  Engelmann,   directeurs  de  l'institution  Springer, 

rue  de  la  Tour-d'Auvergne,  34. 

319  Ziegler  (Ignace),  rabbin,  Karlsbad,  Autriche-Hongrie. 


MEMBRES  NOUVEAUX  DEPUIS  LE  1"  JANVIER  1889. 

Membre  perpétuel. 

320  Camondo  (le  comte  Moïse),  rue  de  Monceau,  63. 

Membres  souscripteurs. 

321  Bâcher  (Dr  Wilhem),  12,  Elisabethring,  Budapest. 

322  Cahen  d'Anvers  (Louis),  2,  rue  Bassano. 

323  Consistoire  central  des  Israélites  de  France,  44,  rue 

de  la  Victoire. 

324  Dreyfus  (René),  83,  rue  de  Monceau. 

325  Dreyfus  (Tony),  83,  rue  de  Monceau. 

326  Halphen  (Mme  Georges),  24,  rue  Chaptal. 

327  Herzog,  rabbin,  Kaposwar. 

328  Israelsohn  (J.) ,   Boljschaja  Podjatscheskaya,   9,  4,   Saint- 

Pétersbourg. 

329  Kohut  (Rév.  Dr  Alexander),  39,  Beekman  Place,  New-York. 

330  Lambert  (Mayer),  rabbin,  27,  rue  de  Dunkerque. 


LISTE  DES  MEMBRES  DE  LA  SOCIETE  XI11 

331  Lazard   (Lucien)  ,  archiviste-paléographe,   49,  rue  Roche- 

chouart. 

332  Mayer  (Félix),  rabbin,  Valenciennes. 

333  Mayer  (Henri),  agrégé,  12,  rue  Richer. 

334  Rothschild  (Mme  la  baronne  Nathaniel  de),  33,  faubourg 

Saint-Honoré  (100  fr.). 

335  Ruff,  rabbin,  Sedan. 

336  Schreiner  (Dr  Martin),  rabbin,  Csurgo,  Autriche-Hongrie. 

337  Taubeles  (Dr  S.  A.),  rabbin,  à  Bisenz,  Autriche-Hongrie. 

338  Fuerst  (Dr),  rabbin,  à  Mannheim. 

339  Bloch  (Philippe),  rabbin,  à  Posen. 

340  Weisswkiler  (Charles),  36,  rue  Lafayette. 

341  Judith  Montefiore  Collège,  Ramsgate,  Angleterre. 

Membres  du  Conseil. 

Président  honoraire  :  M.  le  baron  Alphonse  de  Rothschild  ; 
Président  :  M.  Ad.  Franck; 
Vice-présidents  :  MM.  H.  Derenbourg  et  Oppert  ; 
Secrétaires  :  MM.  Théodore  Reinach  et  Schwab  ; 
Trésorier  :  M.  Erlanger  ; 

MM.  Albert-Lévy,  Astruc,  Abraham  Cahen,  Albert  Cahen,  Léo- 
pold  Cerf,  J.  Darmesteter,  J.  Derenbourg,  Armand  Ephraïm, 
J.  Halévy,  Zadoc  Kahn,  Louis  Leven,  Sylvain  Lévi,  Isidore  Loeb, 
Michel  Mayer,  Salomon  Reinach,  Emile  Straus,  Trénel  et  Vernes. 


PROCÈS-VERBAUX  DES  SÉANCES  DU  CONSEIL 


SÉANCE  DU  28  MARS  1889. 

Présidence  de  M.  Oppert,  vice-jprésident. 

Le  Conseil  s'occupe  de  la  question  des  conférences.  31.  Sylvain 
Lèvi  veut  bien  promettre  d'en  faire  une  l'année  prochaine. 

Le  Conseil  charge  31.  Th.  Reinach  de  prendre  auprès  des  impri- 
meurs des  informations  touchant  le  Recueil  des  textes  grecs  et  latins 
relatifs  aux  Juifs  qu'il  a  été  chargé  de  publier  au  nom  de  la  Société. 

M.  Sylvain  Lèvi  propose  de  publier,  à  côté  de  la  Revue,  un  Bul- 
letin scientifique  mensuel  ayant  un  caractère  de  vulgarisation. 

M.  Loeb  modifie  cette  proposition  en  ce  sens  qu'il  faudrait 
résumer,  à  l'usage  du  public,  tout  le  mouvement  contemporain  du 
Judaïsme  :  statistique,  littérature,  science,  etc.  Mais,  pour  ce  tra- 
vail, il  faudrait  un  bureau  de  dépouillement,  un  personnel  nouveau 
et,  par  conséquent,  des  frais  considérables. 

31.  Vernes  rappelle  des  publications  analogues  qui  ont  été  tentées 
dans  le  protestantisme.  Mais  peut-être  un  Bulletin  de  ce  genre 
serait-il  mieux  entrepris  par  un  éditeur  que  par  la  Société. 

31.  Zadoc  Kahn  ne  voudrait  pas  appuyer  le  projet  d'une  nouvelle 
publication  scientifique  proposé  par  M.  Sylvain  Lévi,  d'autre  part, 
la  publication  d'un  simple  journal  israélite,  dont  quelques  membres 
ont  parlé,  sortirait  du  programme  de  la  Société. 

Le  Conseil  prie  31.  Loeb  d'entreprendre  une  chronique  des  faits 
relatifs  au  judaïsme,  qui  paraîtrait  dans  la  Revue,  et  vote,  pour  cet 
objet,  un  crédit  annuel  de  1,200  francs,  destiné  à  rétribuer  l'em- 
ployé qui  lui  sera  nécessaire. 


PROCÈS- VERBAUX  DES  SÉANCES  DU  CONSEIL        XV 

SÉANCE  DU  25  AVRIL  1889. 
Présidence  de  M.  Oppert,  vice 


Le  Conseil  accepte  ]a  proposition  de  M.  Charles  Soller  de  faire 
une  conférence  sur  les  Juifs  du  Maroc. 
Sont  reçus  membres  de  la  Société  : 
M.  le  comte  Moïse  de  Camondo  (membre  perpétuel)  ; 
Mm0  Georges  Halphen  ; 
MM.  René  Dreyfus  ; 
Tonj  Dreyfus  ; 

Dr  Bâcher,  professeur  à  Budapest  ; 
Dr  Schreiner,  rabbin  à  Csurgo, 
présentés  par  MM.  Ad.  Franck  et  Zadoc  Kahn. 

M.  Halèvy  fait  une  communication  sur  des  inscriptions  cunéi- 
formes découvertes  en  Egypte. 

M.  Oppert  présente  quelques  observations. 


SÉANCE  DU  30  MAI  1889. 
Présidence  de  M.  H.  Derenbourg,  vice-président. 

La  conférence  de  M.  Soller  est  fixée  au  10  juin. 
Le  Conseil  décide  de  souscrire  à  dix  exemplaires  des 
scientifiques  d'Arsène  Darmesteter. 
Sont  reçus  membres  de  la  Société  : 

Mme  la  baronne  Nathaniel  de  Rothschild,  qui  a  souscrit  pour 
100  francs  par  an  et  fait  don  de  500  francs  ; 
MM.  le  Dr  Kohut,  rabbin  à  New- York  ; 
Henri  Meïer,  agrégé  ; 
le  Dr  Herzog,  rabbin  à  Kaposwar  ; 
le  Consistoire  central  des  Israélites  de  France, 
présentés  par  MM.  Ad.  Franck  et  Zadoc  Kahn. 


XVI  ACTES  ET  CONFERENCES 

M.  Halèuy  fait  une  communication  sur  l'article  de  M.  Israël  Lévi 
intitulé  :  Eléments  chrétiens  dans  le  Pirkè  Rabbi  Eliézer. 
M.  Israël  Lévi  répond. 


SÉANCE   DU   27    JUIN    1889. 

Présidence  de  M.  Zadoc  Kahn. 

Lecture  est  donnée  d'une  lettre  de  M.  Soller  qui  déclare  être 
empêché  de  faire  sa  conférence. 

M.  Loeb  entretient  le  Conseil  d'un  projet  d'index  des  vingt  pre- 
miers volumes  de  la  Revue,  projet  accepté  par  le  Comité  de  publi- 
cation. 

Le  Conseil  adopte  ce  projet  et  décide  de  demander  à  M.  le  rabbin 
Moïse  Bloch  un  spécimen  de  cet  index. 

M.  Halèvy  fait  une  communication  sur  le  ch.  xvm  d'Ezéchiel. 


SÉANCE  DU  31  OCTOBRE  1889. 
Présidence  de  M.  Oppert,  vice-président. 

M.  Loeb  signale  au  Conseil  la  présence  à  la  séance  du  Grand 
Rabbin  de  Genève,  M.  Wertheimer,  professeur  à  l'Université  de 
cette  ville. 

M.  Loeb  pense  être  l'interprète  du  Conseil  en  félicitant,  au  nom 
de  la  Société,  M.  Zadoc  Kahn,  de  son  élection  au  poste  élevé  de 
Grand  Rabbin  du  Consistoire  central  des  Israélites  de  France. 
M.  Zadoc  Kahn  a  été  le  véritable  fondateur  de  la  Société  des 
Etudes  juives,  et,  à  ce  titre,  comme  à  tant  d'autres,  les  sympathies 
de  la  Société  l'accompagneront  dans  ses  nouvelles  fonctions. 

M.  Zadoc  Kahn  remercie  et  ajoute  que  le  Grand  Rabbin  du 
Consistoire  central  sera  aussi  dévoué  à  la  Société  que  le  Grand 
Rabbin  de  Paris. 


PROCÈS-VERBAUX  DES  SÉANCES  DU  CONSEIL 


XVII 


Le  Conseil  .décide  de  souscrire  à  un  exemplaire  des  œuvres  de 
Léopold  Low,  publiées  par  son  fils. 

M.  Lucien  Lazard  fait  une  communication  sur  Manessier  de 
Vesoul. 

M.  Théodore  Reinach  en  fait  également  une  sur  une  inscription 
juive  du  Musée  de  Saint-Germain,  qui  provient  d'Auch. 


SÉANCE  DU  28  NOVEMBRE  1889. 
Présidence  de  M.  Oppert,  vice-président. 

Il  est  donné  connaissance  de  la  liste  des  souscripteurs  à  la  publi- 
cation du  «  Temple  de  Jérusalem  »,  qui  vient  de  paraître. 
Ont  souscrit  : 

L'Alliance  israélite  universelle,  pour 20   exemplaires. 

Le  Consistoire  central  des  Israélites  de  France.       2  — 

Le  Consistoire  Israélite  de  Paris 6  — 

La  Société  des  Études  juives , 20  — 


Mmes  Marsden 

La  baronne  Salomon  de  Rothschild 

La  baronne  de  Zuylen , 

MM.  Noël  Bardac 

Raphaël  Bischoffsheim 

Victor  Blum 

Louis  Cahen  d'Anvers 

Le  comte  A.  de  Camondo  (feu) . 

Gustave   Dreyfus , 

Maurice  Ephrussi 

Michel  Erlanger 

S.-H.  Goldschmidt 

Gros 

Guimet 

Michel  Halfon 

Armand  Hayem  (feu) 


ex.  de  luxe. 


exemplaire, 
ex.  de  luxe. 


XVIII 


ACTES  ET  CONFERENCES 


MM.  Joseph  Hirsch ...... 

Calmann-Lévy 

Edmond  Lévylier 

Moccatta 

Claude    Montefiore 

Théodore  Reinach 

Le  baron  Alphonse  de  Rothschild 

Le  baron  Edmond   de  Rothschild 

Le  baron  Gustave  dé  Rothschild 

Le  colonel  Salvador  (feu) . 

Léon  Troteux , 

Charles  Robert 

S.  Kanoui,  président  du  Consistoire  israé- 
lite  d'Oran 


ex.  de  luxe. 


o  — 


La  Synagogue  de  Varsovie 

MM.  Joseph  Bey  Aslan  Cattain 

Le  baron  Arthur  de  Rothschild 

La  Bibliothèque  royale  de  Bruxelles , 

•  —  Bodléienne  d'Oxford 

—  de  l'Université  de  Tubingue . 

—  —  Gottingue. . 

—  —  Leipzig... 

—  —  Heidelberg , 

—  —  Bonn , 


royale  de  Berlin , 

—  Copenhague, 


exemplaire, 
ex.  de   luxe. 


exemplaire. 


Le  Conseil  décide  de  faire  savoir  aux  sociétaires  que,  grâce  au 
concours  offert  par  la  Société  à  l'éditeur,  des  avantages  particu- 
liers sont  accordés  aux  souscripteurs,  la  maison  Hachette  ven- 
dant les  exemplaires  ordinaires  à  100  francs  et  les  exemplaires 
sur  Japon  à  150,  et  la  Société  cédant  ses  exemplaires  à  raison  de 
50  francs  l'exemplaire  ordinaire  et  de  100  francs  l'exemplaire  sur 
Japon. 

Sur  la  prière  du  Conseil,  M.  Isidore  Loeb  veut  bien  faire  la  con- 


PROCES- VERBAUX  DES  SEANCES  DU  CONSEIL  XIX 

férence  de  l'Assemblée  générale  prochaine.  Elle  aura  probable- 
ment pour  titre  :  Le  Juif  de  l'histoire  et  le  Juif  de  la  légende. 

M.  Albert  Cohen  en  fera  une,  dans  le  courant  du  mois  de  février, 
sur  La  musique  liturgique  des  Juifs. 

MM.  Cagnat  et  Salomon  Reinacli  ont  promis  également  d'en 
faire  une  chacun  en  1890. 

M.  Théodore  Reinach  informe  le  Conseil  que,  de  concert  avec 
M.  Loeb,  il  a  fait  choix  d'un  type  et  d'un  format  satisfaisants  pour 
la  publication  des  textes  latins  et  grecs  relatifs  aux  Juifs. 

Le  Conseil  décide  que  l'ouvrage  sera  vendu  10  francs  et  cédé  aux 
sociétaires  à  raison  de  5  francs.  Il  sera  tiré  à  500  exemplaires.  La 
dépense  de  cette  publication  sera  imputée  au  compte  de  fondation. 

M.  Théodore  Reinach  demande  des  nouvelles  du  bulletin  que 
M.  Loeb  avait  bien  voulu  se  charger  de  rédiger. 

M.  Loeb  explique  qu'il  ne  s'agit  pas  de  fonder  un  journal  faisant 
concurrence  aux  journaux  d'information  rapide,  mais  de  suivre  l'his- 
toire contemporaine  juive  à  mesure  qu'elle  se  fait  sous  nos  yeux. 

M.  Vernes  voudrait  que  ce  bulletin  ne  parût  qu'à  la  fin  de  l'année. 

M.  Loeb  dit  qu'au  point  de  vue  de  l'intérêt  de  la  Revue,  une 
chronique  trimestrielle  lui  paraît  préférable. 

Sur  la  proposition  de  M.  Théodore  Reinach,  l'examen  de  cette 
question  sera  mise  à  l'ordre  du  jour  de  la  prochaine  séance. 

M.  Lucien  Lazard  fait  une  communication  sur  la  fortune  des  Juifs 
de  France  au  temps  de  Philippe- Auguste. 

MM.  Loeb  et  Théodore  Reinach  présentent  quelques  observations 
à  ce  sujet. 

M.  Vernes  fait  une  communication  sur  les  origines  de  la  religion 
Israélite  d'après  M.  Renan. 

Les  secrétaires  :  Schwab,  Th.  Reinach. 


Le  gérant, 

Israël  Lévi. 


D3       Revue  des  etucîe3  juives; 
101         historia  iudaica 

R^5 
1. 19 


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